La donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises
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La donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises
LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE Notes DONATION-PARTAGE 92 La donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises, entre ordre apparent et désordre latent Pour la Cour de cassation, l’acte par lequel l’ascendant attribue des droits indivis à deux de ses enfants et des droits privatifs au troisième s’analyse en une donation entre vifs et non en une donation-partage, car « il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants ». Un tel rappel à l’ordre sème le désordre au cœur d’une pratique pourtant établie. Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681, FS P+B+I : JurisData n° 2013-026113 ceux recueillis dans la succession de son père à son frère et à sa sœur moyennant un prix dont le montant et les modali« Les partages d’ascendants : tés de paiement sont détermipaix des familles ou guerre de nés à l’avance. succession ? » s’interrogeait Dans le prolongement du l’auteur d’une célèbre chrodécès de la donatrice survenu FRANÇOIS nique, avant que la loi n° 71le 22 août 2005, la liquidation SAUVAGE, professeur 523 du 3 juillet 1971 ne mette des successions des parents à l’université d’Evry-Val un terme à ses tourments (M. donne lieu à des difficultés d’Essonne Despax, Les partages d’ascenentre les ayants droits de l’un dants : paix des familles ou des enfants prémourant et les guerre de succession ? : D. 1959, chron. p. deux survivants. 245). En particulier, le fils obligé à licitation deMais si le législateur a fait hier de la dona- mande le rapport à la succession de ce que tion-partage un instrument de paix, la ju- la mère a transmis à ses trois enfants, en risprudence pourrait le transformer demain vertu de ce qu’il prétend être une donation en arme de guerre pour peu que le donateur simple et non une donation-partage - sans ne soit pas parvenu à attribuer des droits doute était-il mécontent d’un prix fixé ne privatifs à chacun des donataires-copar- varietur sans égard pour la plus-value des tagés et se soit contenté d’allotir certains immeubles licités. de droits indivis (sur l’arrêt commenté, V. Débouté en appel, il se pourvoit en Defrénois 2013, p. 1259, note M. Grimaldi ; cassation. JCP N 2014, n° 1-2, 1002, note J.-P. Garçon ; L’arrêt critiqué est censuré pour violaJCP N 2013, n° 51, 1296, obs. F. Fruleux et tion de l’article 1075 du Code civil, dans nos obs.). sa rédaction antérieure à celle issue de la Tel était le cas, en l’espèce, d’une veuve loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, aux moayant consenti une donation-partage tifs qu’ « il n’y a de donation-partage que cumulative de tous ses droits dans les im- dans la mesure où l’ascendant effectue une meubles dépendant de la communauté des répartition matérielle des biens donnés époux, laquelle avait été acceptée par leurs entre ses descendants ». trois enfants. Si les lots étaient composés de Dès lors, « quelle qu’en ait été la qualificaquotes-parts indivises, l’un d’eux avait été tion donnée par les parties, l’acte litigieux, attribué à l’un des fils sous la condition qu’il qui n’attribuait que des droits indivis à deux cède les droits reçus de sa mère ainsi que des trois gratifiés n’avait pu opérer un par- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 27 JANVIER 2014 tage, de sorte que cet acte s’analysait en une donation entre vifs ». La libéralité par laquelle un ascendant allotit deux de ses enfants de droits indivis et attribue au troisième des droits privatifs ne mérite donc pas, pour la Cour de cassation, la qualification de donationpartage, à défaut de répartition matérielle des biens donnés. La valeur de la solution est celle d’un arrêt de principe, alors même qu’en l’espèce la qualification de partage d’ascendant était par ailleurs fragile puisque celui-ci ne pouvait être l’œuvre du disposant dès lors que l’un des enfants était attributaire d’un prix de licitation fixé à dires d’expert (à la différence d’une soulte). Mais en martelant en termes identiques et à quelques mois d’intervalle dans deux décisions de cassation largement diffusées que la donation-partage exige une répartition matérielle des biens donnés, le temps n’est plus aux incertitudes qu’avait suscitées l’analyse d’un arrêt précurseur (Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892 : JurisData n° 2013-003727 ; JCP N 2013, n° 23, 1162, note J.-P. Garçon ; Defrénois 2013, p. 463, avec notre note ; Dr. famille 2013, comm. 91, obs. B. Beignier ; RTD civ. 2013, p. 424, obs. M. Grimaldi ; AJF 2013, p. 301, obs. Ch. Vernières), mais aux inquiétudes causées par la portée d’arrêts perturbateurs (V. toutefois en sens contraire à propos d’un testamentpartage avec attribution partielle de quotesparts indivises : CA Chambéry, 3 déc. 1951 : JCP G 1952, II, 6881, note. P. Voirin). Page 135 92 92 Il est en effet à craindre que ce sévère rappel à l’ordre (1) soit annonciateur de sérieux désordres (2), et que l’interprétation jurisprudentielle ébranle la pratique notariale des donations-partages dites avec attribution partielle de quotités indivises, y compris celles désormais soumises à la loi précitée du 23 juin 2006, très fréquentes en fait même si, à en croire la Haute juridiction, elles sont devenues peu fréquentables en droit. 1. L’ordre Une donation-partage en ordre est à la fois donation (A) et partage (B) : en qualité de donation, elle amorce la dévolution de la succession ; en tant que partage, elle en arrête la répartition (V. not. C. Brenner, Dévolution et répartition successorales dans les partages d’ascendants à la fin du XXe siècle, in Le Droit privé français à la fin du XXe siècle, Études offertes à Pierre Catala : Litec, 2001, p. 367). A. - La donation La donation-partage est une donation singulière. Si elle est soumise « aux formalités, conditions et règles prescrites pour les donations entre vifs » (C. civ., art. 1075, al. 2), son particularisme procède essentiellement de ce qu’elle est l’instrument d’un acte de dévolution de la succession du disposant, ce que trahit au moins par deux fois son régime juridique. D’abord, elle ne peut être consentie qu’à ses successeurs, qu’il s’agisse de ses héritiers présomptifs (C. civ., art. 1075, al. 1) ou de ses descendants de degrés différents (C. civ., art. 1078-4). Dans les deux cas, la succession est dévolue par anticipation, sans ou avec un saut de génération rendu possible dans le second cas par la renonciation de l’enfant intercalaire. Ensuite, elle préfigure l’indivision successorale. En effet, tant que les biens à attribuer se trouvent entre les mains du donateur, le partage ne peut s’ensuivre faute d’indivision ; mais dès qu’ils sont entre celles des donataires, le partage de l’indivision peut être poursuivi. De la même façon, il ne peut y avoir donation-partage lorsque le bien est donné à l’unique héritier présomptif ou au seul descendant. Les biens donnés doivent ainsi changer de mains pour être partagés, et plus précisément se trouver entre celles de plusieurs donataires. Si la donation précède le partage dont elle constitue un préalable nécessaire, il ne faudrait cependant pas en conclure au paradoxe qu’une donation-partage donne naissance à une indivision : celle-ci est nécessairement « mort-née » lorsque la répartition intervient sur le champ, sauf à ce que sa « viabilité » soit suspendue à LA COUR - (…) • Attendu, selon l’arrêt attaqué que, par acte du 5 février 1987 visant les articles 1075 et suivants du Code civil, Mme Magdeleine B., veuve de M. Bernard G. a procédé à une donation “à titre de partage anticipé” à leurs trois enfants, Sabine, Pierre et Thierry, qui l’ont acceptée, de tous ses droits dans les immeubles dépendant de la communauté ayant existé avec son mari, sous la condition que M. Thierry G. consente la licitation de ses droits tant dans ces immeubles que dans ceux dépendant de la succession de M. Bernard G. au profit de sa sœur et de son frère moyennant un prix déterminé dont les modalités de paiement étaient fixées ; que, par testament olographe du 12 août 1999, Mme Magdeleine B. a consenti des legs à chacun de ses enfants ; qu’elle est décédée le 22 août 2005, postérieurement à son fils, Pierre G., décédé le 12 juin 2003, en laissant sa veuve, Mme Elvine G., veuve G., et leurs quatre enfants, MM. Antoine, Vincent, Jean-Marie et Thibault G. ; que des difficultés étant nées pour la liquidation des successions de M. Bernard G. et de Mme Magdeleine B., le partage judiciaire a été demandé ; Sur le premier moyen : Vu l’article 1075 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006 ; • Attendu qu’il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants ; Page 136 l’accomplissement a posteriori d’une répartition matérielle par acte séparé sous la médiation du donateur (C. civ., art. 1076, al. 2). En somme, une donation-partage « étouffe dans l’œuf » l’indivision successorale qu’elle préfigure (V. M. Grimaldi, note préc., lequel précise qu’elle « a pour raison d’être de prévenir une indivision »). B. - Le partage La donation-partage est un partage original. Ne serait-ce que parce qu’il est forcément global et ne se satisfait pas d’une masse partagée en lots composés pour certains de droits indivis et pour d’autres de droits privatifs. Au préalable, il faut cependant remarquer qu’il n’est pas contestable que la donation-partage avec attribution intégrale (et non partielle) de quotités indivises doit être déqualifiée et requalifiée en donation simple de droits indivis (V. Cass. req., 20 janv. 1947 : S. 1947, 1, p. 69). Le disposant qui se contente d’allotir de droits indivis, en respectant l’égalité par tête si la donation-partage est consentie à des héritiers présomptifs ou l’égalité par souche si elle est destinée à des descendants de degrés différents, n’accomplit pas un partage anticipé de succession car celui-ci « ne se conçoit pas en l’absence d’attributions privatives » (C. Brenner, art. préc.). • Attendu que, pour décider que l’acte du 5 février 1987 s’analyse en une donation-partage cumulative non soumise à rapport et non rescindable pour lésion et débouter, en conséquence, Thierry G. de ses demandes de rapport, l’arrêt retient que le partage intervenu, accepté par les trois enfants, obéit aux dispositions des articles 1075 et suivants du Code civil, peu important que tous les biens donnés n’aient pas été partagés entre les trois héritiers et qu’aux termes du même acte, Thierry G. se soit engagé à liciter sa part à son frère et à sa sœur ; • Qu’en statuant ainsi, alors que, quelle qu’en ait été la qualification donnée par les parties, l’acte litigieux, qui n’attribuait que des droits indivis à deux des trois gratifiés n’avait pu opérer un partage, de sorte que cet acte s’analysait en une donation entre vifs, la cour d’appel a violé le texte susvisé (…) Par ces motifs et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : • Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a débouté Thierry G. de ses demandes de rapport et invité les parties, à saisir à nouveau le tribunal, à défaut d’accord entre elles, suite aux opérations de partage confiées au notaire, pour voir statuer sur la question de la nature de l’acte du 12 août 1999 et sur les conséquences du décès de Pierre G. sur le legs particulier qui lui a été consenti par Mme Magdeleine B., l’arrêt rendu le 13 décembre 2011, entre les parties, par la cour d’appel de Riom (…) les renvoie devant la cour d’appel de Lyon (…) MM. Charruault, prés., Savatier, cons.-rapp, Mme Bignon, cons. doyen, MM. Matet, Hascher, Reynis, cons., Mmes Capitaine, Bodard-Hermant, Guyon-Renard, Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, MM. Mansion, cons.-réf., Chevalier, av. gén. ; SCP Richard, SCP Vincent et Ohl, av. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 27 JANVIER 2014 LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE Il est vrai que les parties disposent en quelque sorte d’une « session de rattrapage » si la répartition matérielle est réalisée ultérieurement par acte séparé pourvu qu’elle soit l’œuvre du disposant (C. civ., art. 1076, al. 2. - V. en ce sens M. Grimaldi, note préc.). À défaut, il est également vrai que certains inconvénients d’ordre liquidatif causés par la requalification de la donation-partage de quotités indivises en donations de droits indivis sont atténués dès lors que l’identité des dons se substitue à l’égalité des lots (en particulier, les valeurs de rapport, de réunion fictive et d’imputation seront identiques pour chacun des donataires). Mais d’autres désagréments subsistent, par exemple la perte le moment venu du régime de faveur du droit de partage des indivisions d’origine successorale de l’article 748 du Code général des impôts (en ce sens F. Fruleux et nos obs. préc.), ce qui suffit à entourer la rédaction d’un tel acte de précautions et notamment celle d’informer les parties que l’acte est inachevé car il ne constitue qu’un acte préparatoire au partage. Mais surtout, la donation-partage avec attribution partielle (et non intégrale) de quotités indivises est également déqualifiée et requalifiée en donation simple de droits indivis. La remise en ordre passe donc par une sanction dont la justification peut être explicitée et dont la portée doit être mesurée. Sa justification apparaît dans les motifs de la décision : « il n’y a de donation-partage que dans la mesure où l’ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants ». La Cour de cassation adopte par là-même une conception restrictive du partage anticipé de succession lequel ne peut être partiel au regard de la masse à partager et est nécessairement global. Si la donationpartage s’éloigne ainsi du droit commun du partage (V. C. civ., art. 838), son autonomie est la rançon de ses bienfaits (V. C. Brenner, art. préc., n° 22) lorsqu’elle octroie des droits étonnamment stables aux donataires-copartagés, comparés à ceux d’un simple donataire (rapport évincé, réduction émoussée…) ou à ceux d’un copartageant ordinaire (lésion écartée…). À défaut de répartition matérielle de l’ensemble des biens donnés, la stabilité des droits des donataires-copartagés est sacrifiée à la protection de ceux des codonataires-partageants. La portée de la sanction de la requalification suscite plus d’interrogations : est-elle totale ou partielle, c’est-à-dire limitée aux lots composés de droits indivis ? Au cas d’espèce, elle ne pouvait être limitée en présence par ailleurs d’un seul lot composé de droits privatifs. Une donation-partage suppose en effet deux allotissements au moins, dans l’opinion dominante (V. par ex. P. Catala, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 1994, 3e éd., n° 112). Mais si plusieurs lots avaient par ailleurs été composés de droits privatifs, l’acte aurait-il pu être déqualifié et requalifié pour partie comme le suggérait la Cour de cassation dans sa décision du 6 mars 2013 (Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892, préc., aux termes duquel l’acte litigieux attribuant des droits indivis à certains donataires ne peut valoir partage « à leur égard ») ? Nous ne le pensons pas. La déqualification partielle contrarierait par trop la volonté du disposant qui est de consentir un partage anticipé de succession entre l’ensemble de ses donataires-copartagés et non entre certains d’entre eux seulement. En outre, un fâcheux déséquilibre en résulterait lors du règlement de sa succession puisque la donation-partage « boiteuse » y perdrait certains de ses bénéfices (en particulier celui du gel des valeurs de l’article 1078 du Code civil, V. en ce sens M. Grimaldi, note préc.) sans préjudice des désordres provoqués par sa requalification en donation simple. 2. Le désordre La requalification de la donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises en donation de droits indivis à défaut de répartition matérielle est en effet à l’origine de nombreux désordres, susceptibles de vicier soit la notion (A) soit les fonctions d’un partage successoral anticipé (B). A. - Le désordre notionnel La notion de donation-partage est brouillée par l’exigence d’une division matérielle de l’ensemble des biens apportés à la masse à partager. Outre qu’elle contrarie la volonté des parties, cette condition est critiquable pour des raisons d’ordre juridique et économique. En premier lieu, le droit de la donationpartage n’est pas intolérant au maintien de certains biens dans l’indivision. C’est le cas de la donation-partage à des descendants de degrés différents qui per- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 27 JANVIER 2014 met d’allotir les petits-enfants du disposant conjointement entre eux (C. civ., art. 1078-4 al. 2, sans doute car le législateur a considéré avec réalisme que ces jeunes gens n’ont pas toujours les moyens de payer une soulte), sauf à faire remarquer avec un auteur que cette faculté n’autorise pas un maintien de l’indivision entre les enfants têtes de souche (V. M. Grimaldi, obs. préc. ss Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892, préc.). C’est le cas surtout de la donation-partage consentie uniquement à certains héritiers présomptifs ou seulement à certaines souches si elle est transgénérationnelle, en sorte que l’indivision successorale est maintenue sur les biens existants qui ne sont pas apportés à la masse à partager mais sans pour autant que la qualification de donation-partage soit perdue, puisque ce partage anticipé partiel au regard des indivisaires sera sanctionné par une action en réduction ordinaire si l’héritier présomptif ou la souche sont omis, voire par une action en réduction spéciale s’ils sont non conçus (V. C. civ., art. 1077-1, art. 1077-2 in fine et art. 1078-8 in fine). Or, comme M. Voirin le faisait déjà remarquer à propos des anciens partages testamentaires d’ascendants (V. P. Voirin, obs. préc.), les enfants allotis indivisément se trouvent en quelque sorte dans une situation comparable à celle des enfants non allotis : que le partage anticipé soit partiel au regard des biens ou au regard des personnes, les biens de l’indivision pré-successorale ou post-successorale répareront, aujourd’hui dans la mesure à tout le moins de leur part de réserve, un partage entaché du vice de non répartition ou de non attribution. Il est dès lors pour le moins étrange de prétendre avec la Cour de cassation qu’un partage anticipé ne peut être partiel à l’égard des biens, s’il peut l’être à l’égard des personnes. La donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises n’est somme toute ni plus ni moins qu’un partage partiel préparatoire destiné à faciliter le partage global de la succession ; il constitue une étape sur la voie du règlement définitif de la succession. En d’autres termes, « pourquoi donc l’ascendant ne pourrait-il procéder expressément à cette attribution indivise, destinée à parfaire le partage qu’il a simplement amorcé ? » (V. P. Voirin, obs. préc.). En second lieu, l’économie de la donationpartage ne se satisfait pas d’une obligation Page 137 92 92 de répartir l’ensemble des biens composant la masse à partager. Par exemple, le disposant peut n’avoir dans son patrimoine qu’un unique bien indivisible de valeur à distribuer (not. son logement moyennant une réserve d’usufruit) ; les donataires-copartagés peuvent ne pas avoir les moyens de payer une soulte. Une telle exigence est en quelque sorte anti-économique, et constitue un frein à la transmission des biens aux jeunes générations dont on sait qu’elle est encouragée par ailleurs, comme l’a prévu le législateur moderne à propos des donations-partages à des descendants de degrés différents lorsqu’il autorise l’attribution indivise aux descendants de la génération subséquente (V. supra). B. - Le désordre fonctionnel Les fonctions d’apaisement du règlement successoral qui sont celles de la donationpartage se trouvent également remises en cause par la requalification en donation simple, qu’il s’agisse d’en rédiger de nouvelles ou de reconsidérer les anciennes. Dans les deux hypothèses, ces bouleversements invitent à rechercher les remèdes susceptibles d’atténuer les maux provoqués par l’interprétation jurisprudentielle. D’une part, le notaire appelé à graver dans le marbre de l’acte authentique la volonté tenace des parties de consentir une donation-partage avec attribution partielle de quotités indivises n’a à sa disposition que quelques palliatifs imparfaits pour satisfaire à l’exigence d’une répartition matérielle de l’intégralité de la masse à partager. Page 138 Les lots composés de droits indivis peuvent être modestement complétés par des droits privatifs. Il n’est cependant pas certain que cet expédient soit efficace si se confirme un retour à la stricte orthodoxie du partage anticipé de succession dont la jurisprudence commentée serait l’indice, notamment en cas de disproportion excessive entre la valeur des droits indivis et celle des droits privatifs (V. dubitatif M. Grimadi, note préc.). Si un immeuble ou un portefeuille de titres ne peut être vendu avant d’être donné en sorte que son prix soit distribué, il peut être préalablement apporté à une société civile, pour permettre la répartition matérielle des droits sociaux qui sont la contrepartie de l’apport. Il est vrai que le fonctionnement d’une société fait naître d’autres contraintes (tenue des assemblées, etc.). À défaut, le notaire doit avertir les parties que l’acte en question est un acte préparatoire à un partage par acte séparé auquel le disposant interviendrait en sorte que la qualification de libéralité-partage soit conservée (V. C. civ., art. 1076, al. 2). Il est en revanche selon nous inopportun de stipuler qu’en cas de requalification, les attributions en avancement de part successorale seront considérées comme des donations hors part ou des donations avec rapport figé au jour de la donation dérogatoire à l’article 860 du Code civil dans le but d’en diminuer les désagréments. Il y aurait là comme un aveu du caractère factice de la qualification de donation-partage qui semble inutilement dangereux. Quant à la clause pénale qui priverait tout donataire-copartagé de ses droits dans la quotité disponible s’il venait à critiquer l’acte à ce titre, sa régularité serait douteuse car elle ne menace pas seulement un intérêt privé lorsqu’elle dissuade de provoquer la déqualification que la dénaturation d’un acte commande. D’autre part, le praticien confronté à une ancienne donation-partage partielle de quotités indivises se trouve dans une situation relativement inconfortable. Lorsque le donateur est en vie, il doit alerter les donataires du risque de déficit de qualification encouru, et les inviter à partager par acte séparé sous la médiation du donateur (V. C. civ., art. 1076, al. 2). Mais, si celui-ci est décédé, le liquidateur doit-il considérer l’acte comme une donation-partage de quotités indivises ou le reconsidérer comme une donation simple de droits indivis, notamment en vue du rapport et de la réunion fictive ? En dépit des inconvénients que comporte une telle suggestion, il nous semble prudent, au regard de la responsabilité notariale, que la loi soit appliquée telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence, sauf à ce que les donataires-copartagés renoncent sans équivoque à agir en requalification… et dans l’attente d’un revirement de jurisprudence en faveur duquel nous formons des ultimes vœux pour 2014. Textes : C. civ., art. 1075, art. 1076, art. 1077, art. 1078 JurisClasseur : JCl Civil Code, fasc. 40, Art. 1075 à 1080, par Michel Grimaldi LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 4 - 27 JANVIER 2014