Prestidigitation mille et une sources

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Prestidigitation mille et une sources
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Edition française originale.
Tous droits réservés pour tous pays. Reproduction strictement interdite.
© 2011 Philippe Billot et Pierre Guedin
Dépôt légal : Juin 2011
ISBN : 978-2-9539653-0-8
PRESTIDIGITATION
MILLE ET UNE SOURCES
PAR
PHILIPPE BILLOT & PIERRE GUEDIN
ILLUSTRATIONS
CAROLINE HERBELIN
CONSEILLER TECHNIQUE
CHRISTIAN GIRARD
-I-
A tous les collègues magiciens qui nous ont apporté ici et là des signes d’amitié et quelques
références précieuses pour certaines bibliographies : Didier Chantôme, François Danis, Yves
Doumergue, Duraty, Frédéric Ferrer, Christian Girard, Fanch Guillemin, Alain Issard,
Richard Kaufman, Philippe Noël, Philippe Saint-Laurent, Pierre Taillefer.
Un grand merci à tous.
- II -
AVERTISSEMENT EN FORME DE PRÉFACE
Que tout soit bien clair entre nous. Nous n’avons jamais eu l’arrogance de nous considérer
comme des historiens de la magie de même que nous n’avons jamais eu la prétention d’agir
au nom d’un prétendu « devoir didactique ».
Non ! Nous ne sommes que de simples documentalistes temporels passant et repassant notre
tamis dans le torrent des siècles afin de vous aider à vous y retrouver parmi la myriade
d’informations diffusées depuis que l’imprimerie a rendu les connaissances accessibles.
Cependant, malgré le soin apporté à la réalisation de cet ouvrage, des omissions sont
inévitables, ainsi qu’une possible interprétation des informations fournies mais il est évident
que nous ne sommes pas omniscients*.
Nous espérons simplement que cet ouvrage va vous aider dans la quête des sources des tours
de prestidigitation car il ne saurait se substituer à votre esprit critique et à vos connaissances
acquises.
* Très belle phrase de Phil Goldstein que vous trouverez page 1 de son fascicule Classic Tackler publié en 1977.
PHILIPPE BILLOT & PIERRE GUEDIN
- III -
Les nains et les géants
ou
Une entropie de la connaissance
Le livre Les Jours noirs d’Arturo de Ascanio parut en France en 1997 aux Éditions Joker Deluxe. Depuis,
plusieurs illusionnistes me citèrent cette « fameuse phrase d’Ascanio » qu’ils avaient lue en page quatre-vingtseize de l’ouvrage. Comme cela arrive trop souvent à l’évocation d’un souvenir, leur mémoire avait réduit et
déformé le texte d’origine pour n’en conserver qu’une formulation approximative. De plus, par amalgame, ils
créditèrent faussement de cet adage l’auteur du livre lui-même. Mais comment les en blâmer ? Nous faisons tous
exactement ce même type de références inexactes à longueur de journée, ces raccourcis, d’abord parce que la
mémoire est quelque peu limitée et sélective mais aussi parce qu’accéder aux sources authentiques procède d’un
lourd travail d’investigation. Dans le milieu de la Magie, le goût de l’effort pour ce genre de recherches est
malheureusement trop peu répandu. De plus, les obstacles se révèlent fort nombreux pour ceux qui se risquent à
entreprendre de tels approfondissements. Qu’on ajoute à cela une surabondance d’informations incomplètes
doublée d’une accumulation de références totalement erronées et les liens avec l’essence historique de notre art
se délitent. Sans une sérieuse reprise en main, cette véritable entropie de la connaissance pourrait entraîner une
inexorable dérive nuisible à l’illusionnisme.
Afin de lutter contre cette perte de l’information exacte et pour pallier la dégradation de l’état des savoirs, il est
nécessaire que des outils ou des organismes puissent aider quiconque s’aventure à rechercher des documents
anciens ou récents relatifs à la prestidigitation et aux disciplines associées. Dans cet objectif, la défunte S.I.A.M.
(société internationale des arts magiques) ébaucha une banque de données certes embryonnaire mais qui eut le
mérite d’exister. Parallèlement, elle fit paraître le bulletin Abraxas qui abordait en plus des questions
d’antériorité celles des droits d’auteur, moraux et patrimoniaux, un sujet évidemment indissociable de celui des
moyens d’accès aux sources historiques. Parmi les autres publications récentes, citons celle de Christian Fechner
qui produisit une importante Bibliographie de la prestidigitation française et des arts annexes répertoriant une
somme considérable d’ouvrages publiés en France depuis le XVIe siècle. Ainsi, trouver une référence même
élémentaire nécessite tout à la fois une grande documentation bibliographique, l’intermédiaire d’un réseau
d’experts, pas mal de temps et beaucoup d’obstination. Il est indispensable de simplifier ce labyrinthe à multiples
niveaux afin de permettre un accès plus direct aux sources, aux auteurs et aux créateurs. Ceux qui ne sont pas
insensibles à la déontologie ont conscience de n’être que l’un des maillons d’un système qui se pensait déjà sans
eux, avant eux, et avec lequel ils entrent modestement en synergie. Tout système référentiel est utile dès lors
qu’il évite que ne se détériore la mémoire de l’art magique, une mémoire qui offre aux Modernes cette possibilité
de rendre un juste hommage aux Anciens.
Je retranscris ici mot pour mot la citation à laquelle je faisais allusion au début de cette préface.
« Je fais mienne cette pensée de Newton :
J’ai pu voir plus loin que d’autres,
Car j’ai pris appui sur les épaules de géants. »
Cette réflexion révérencieuse et profonde prend une ampleur toute particulière puisque l’illustre penseur à qui
en est attribuée la paternité est Sir Isaac Newton lui-même ! La version d’Ascanio reproduite ci-dessus a été
traduite de l’espagnol pour les lecteurs francophones par ces deux passionnés d’illusionnisme que sont Alain
Midan et Laurent Vadel ; il convient donc d’être prudent quant à son analyse et de se référer au texte original
puisqu’il n’est pas déraisonnable de supposer qu’Ascanio lui-même ne connaissait cet aphorisme que via une
traduction en espagnol d’un texte anglais ou latin, si ce n’est juste par ouï-dire.
Carlos Vaquera, élève d’Ascanio et auteur de la préface des Jours noirs, nous propose dans le numéro 29
d’Imagik, page 13, une autre version de cette pensée ancestrale :
« Comme disait Newton : Je pouvais voir plus loin que les autres car j’étais perché sur les épaules de géants ! »
(P.B. : En fait, la phrase exacte, figurant dans une lettre adressée à Robert Hooke, datée du 5 février 1676, est :
« If I have seen further it is by standing on the shoulders of giants. »)
- IV -
Il y a déjà matière à écrire toute une étude comparative de ces deux versions tant chacune apporte de nuance à
la même idée de fond mais habillée de façon différente. Sans entrer dans un approfondissement de la sorte, on
peut brièvement observer que la formulation d’Ascanio se découpe en vers qui lui confèrent une aura toute
poétique, alors que celle de Vaquera se rapproche plus d’une assertion du langage parlé (« Comme disait
Newton »). On pourrait disserter et épiloguer sur la nette distinction qui existe entre le fait de prendre appui sur
des épaules de géants ou d’y être résolument perché voire juché comme ce sera proposé plus loin. Mais mon
objectif principal est de montrer comment très vite apparaît cette désagréable frustration de ne pas avoir accès à
la source réelle, cette impression floue que j’appelle dans un jargon qui m’est propre un lourd sentiment
d’incomplétude.
Parmi les plus brillants vulgarisateurs scientifiques de ces dernières décennies se trouvait un paléontologue et
professeur de l’université de Harvard enseignant la géologie, la biologie et l’histoire des sciences. Chacun de ses
recueils sur l’histoire naturelle fut un succès d’édition tant son approche tout à la fois rigoureuse et
multidisciplinaire est stimulante pour l’esprit en renversant systématiquement de nombreuses idées reçues.
Stephen Jay Gould, dont tous les ouvrages exercent l’esprit critique et font intellectuellement grandir, possède
aussi ce talent de développer en nous le goût de remonter jusqu’aux sources ultimes. Il aime à démontrer
comment un document original révèle souvent des informations allant très exactement à l’opposé de ce que l’on
croyait en connaître avant de le consulter.
En mai 2000, les Éditions du Seuil publièrent Les Quatre Antilopes de l’Apocalypse, de Gould. Il y est question
au chapitre 7 des « redécouvertes qui ne se savent pas comme telles ». De nombreux illusionnistes qui me
lisent à l’instant comprennent parfaitement ce dont il est question puisque régulièrement fleurissent sur le marché
magique des tours prétendument révolutionnaires mais qui n’ont de vraiment novateur que la qualité de
l’emballage ou la méthode de conditionnement, le principe de fond étant pour sa part connu depuis belle-lurette
par les mieux informés (ou les moins dissimulateurs !). Je ne peux m’empêcher de citer la suite de l’essai de
Gould tant elle s’applique à merveille à notre domaine artistique :
« […] Cela concerne des cas où des personnes qui, tout à la joie d’avoir personnellement compris quelque
chose de nouveau, pensent qu’elles viennent de deviner une vérité pour la toute première fois, alors qu’elle était
déjà connue auparavant. »
Ce qui est tout particulièrement intéressant dans ce chapitre, c’est qu’il y est question d’un livre de Robert K.
Merton, On The Shoulders of the Giants (Sur les épaules des géants, paru en 1965), dont l’un des axes est
« constitué par une recherche délicieusement baroque à travers l’histoire […] » ayant pour but de « retrouver
l’origine d’une citation généralement attribuée à Isaac Newton (d’après une lettre qu’il a écrite à Robert
Hooke) » :
« Si j’ai vu plus loin, c’est que je me suis tenu sur les épaules des géants. »
Gould dit : « Comme le montre Merton, Newton n’avait pas prétendu en écrivant cette phrase faire œuvre de
créateur. Il avait simplement répété une formule généralement regardée comme faisant partie du domaine public,
au point qu’il n’était pas nécessaire de lui adjoindre des guillemets. »
Passons sur cette troisième formulation différente des deux précédentes et essayons de tenir pied face à la mise
en abîme historique dans laquelle nous plonge cette seule recherche d’antériorité. Je n’ai pas lu le livre de
Merton, mais je sais que ce dernier est remonté jusqu’à 1126 pour retrouver l’origine de cette citation.
Néanmoins, j’ai eu accès à la même source moyenâgeuse d’une façon totalement indirecte. Mon frère, qui
consacre presque tous ses week-ends depuis une trentaine d’années à la montagne, recueille systématiquement
par écrit ses réflexions sur chacune de ses sorties. De plus, grand amateur de littérature, il note régulièrement
dans ses cahiers les pensées tirées au hasard de ses lectures, plus précisément celles ayant trait de près ou de loin
à l’idée qu’il se fait de la montagne et de l’effort et qui sont conformes à sa philosophie de la vie. Dans le dernier
recueil qu’il vient d’achever, j’ai eu la joie de découvrir ce qui me semble être la formulation la plus limpide de
cette ancienne vérité morale qui est le cœur de cette préface et de l’ouvrage que vous tenez entre les mains. Je
retranscris ici mot pour mot cette version qui ne contient pas ce sens ambivalent que Gould appelle un peu
ironiquement « une métaphore de la modestie… ou de la fausse modestie » ! (Relisez les autres formulations cidessus pour constater qu’effectivement elles cachent mal un arrière-fond teinté d’une pointe de prétention, en
particulier parce que construites à la première personne du singulier alors que la citation originale est d’ordre
plus universel).
-V-
« Nous sommes comme des nains montés sur les épaules de géants, si bien que nous pouvons voir plus de
choses qu’eux et plus loin qu’eux, non que notre vision soit plus perçante ou notre taille plus haute, mais parce
que nous sommes transportés et élevés plus haut grâce à leur taille. »
Bernard de Chartres (XIIe siècle)
Pierre Guedin, magicien amateur fort éclairé et attentif depuis longtemps à tout ce qui concerne l’illusionnisme,
entreprit il y a environ trente ans un tri détaillé de références dans la littérature magique, principalement celle des
années soixante-dix à nos jours, afin de classifier et répertorier par thèmes les différents effets recensés ainsi que
leurs variantes disséminées au hasard des nombreuses parutions internationales.
Philippe Billot, passionné de magie depuis l’enfance et dont le violon d’Ingres est la collecte de données
relatives à l’illusionnisme, proposa à Pierre une collaboration et s’engagea à ses côtés en 2005. Il apporta donc
des connaissances historiques complémentaires parfois agrémentées de sources antérieures à l’année 1584 qui fut
pourtant celle de la parution des deux ouvrages-phares de la magie que sont : les Subtiles et Plaisantes
Inventions « contenant plusieurs jeux de récréation et traits de souplesse, par le discours desquels les impostures
des bateleurs sont découvertes » de Jean Prévost (un livre considéré comme le premier exclusivement consacré à
la prestidigitation), et The Discoverie of Witchcraft de Reginald Scot (ouvrage qui, lui, avait pour but de lutter
contre la sorcellerie en révélant les secrets de quelques tours).
En associant leurs compétences, leurs documentations, leur goût de la classification, leur force de travail et leur
finesse d’esprit, Pierre et Philippe produisirent en deux ans une centaine d’articles d’une grande précision, soit
environ un par semaine. La banque de données ainsi constituée fut ordonnée de façon chronologique afin
d’assurer une lisibilité maximale aux apports des différents créateurs à travers les siècles ; il s’ensuit une
cohérence qui manquait parfois à d’autres travaux moins méthodiques. La somme des différents articles produits
constitue le présent recueil. L’objectif majeur de ces deux connaisseurs enthousiastes n’est en aucun cas de
porter sur le patrimoine un regard passéiste qui pourrait paraître conservateur voire naïvement nostalgique ; tout
au contraire, leur démarche essentielle est de créer des ponts entre les générations de magiciens afin que ceux
d’aujourd’hui et de demain n’aient pas tout à réinventer à chaque fois ! Ces derniers, aidés par cet appui solide
qu’est la connaissance de la production des ainés, gagneront désormais un temps considérable sur leurs confrères
déconnectés ou inconscients des origines ; ainsi progressera notre art hors des sentiers trop battus.
D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? En ce qu’il répond avec rigueur à la première de ces
trois questions fondamentales, l’ouvrage que vous tenez entre les mains donne, plus que des clés, de véritables
passe-partout pour ouvrir les portes de l’avenir de l’illusionnisme. Il va devenir très vite un ouvrage essentiel à
toute bibliothèque magique digne de ce nom jusqu’à probablement s’inscrire à son tour (de passe-passe ?) dans
la bibliographie même qu’il a pour ambition de référencer…
La première mouture de la présente préface fut un essai que j’ai rendu public dans l’un des forums du site
VirtualMagie.com en mai 2003. En octobre de la même année fut imprimé Sur les épaules des géants (Éditions
Dunod), un recueil de textes « fondateurs de la physique et de l’astronomie » réunis et commentés par Stephen
Hawking et ayant pour auteurs Copernic, Galilée, Kepler, Newton et Einstein. Les contingences de l’histoire font
que Hawking occupa à Cambridge la même chaire que son célèbre prédécesseur Newton : ces deux géants furent
ainsi étrangement reliés par delà les siècles ! Le préfacier de Sur les épaules des géants, Jean-Pierre Luminet
(astrophysicien, écrivain et Chevalier des Arts et des Lettres), y reprend une bonne partie du raisonnement
inspiré par Gould que j’avais moi-même développé plusieurs mois plus tôt (sauf les éléments relatifs à la magie
évidemment) ; on y repère certains mots de vocabulaire identiques ou des synonymes, certains points de
structure analogues, ce semblable principe de rendre hommage aux anciens d’une discipline en établissant en
parallèle une remontée jusqu’aux sources de l’aphorisme original des Nains et des Géants, etc. S’y trouvent donc
des énoncés contenant le même signifié que le mien mais reformulé différemment. Comme quoi, on est toujours
le nain d’un autre… Le préfacier cite également Bernard de Chartres au travers de cette autre traduction de
l’aphorisme qu’aurait selon lui « écrit » ce dernier :
« Nous sommes comme des nains juchés sur des épaules de géants. Notre regard peut ainsi embrasser plus de
choses et porter plus loin que le leur. Ce n’est pas, certes, que notre vue soit plus perçante, ou notre taille plus
avantageuse ; c’est que nous sommes portés et surélevés par la haute stature des géants. »
-VI -
Une ironie de l’Histoire (L’Histoire « avec sa grande hache », comme écrivait Georges Perec) fait que cet
aphorisme nous est connu non au travers des écrits de Bernard lui-même, comme l’indique donc de façon
inexacte Luminet dans sa préface, mais uniquement grâce à une citation de Jean de Salisbury (John of Salisbury,
1115 – 1180), philosophe et historien anglais membre de l’École de Chartres, qui consigna ceci dans le tome III
de son Metalogicon :
« Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris incidentes, ut possimus plura eis et
remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvehimur et
extollimur magnitudine gigantea. »
Dicebat Bernardus Carnotensis ! : Bernard de Chartres disait…
Gageons que l’œuvre de mes amis Pierre Guedin et Philippe Billot, à l’image de l’honnêteté intellectuelle de
Jean de Salisbury qui ne s’attribua pas la pensée d’un autre, saura jouer un rôle salvateur en protégeant une partie
de la mémoire des Arts magiques tout en démocratisant les savoirs.
Une pensée vraiment émue pour Stephen Jay Gould, décédé en 2002, un homme éclairé qui me manque
terriblement.
Mes remerciements à mon frère Michel, à mon amie Fabienne Gambrelle qui a fait des recherches à la
Bibliothèque nationale sur Bernard de Chartres, à Pierre Guedin et Philippe Billot qui, inspirés par mon essai de
2003, m’ont fait l’honneur de m’inviter à le développer pour en faire la présente préface de ce livre, et enfin
hommage à cette pyramide de nains et de géants qui nous permettent de repousser plus loin encore la ligne de
tous les horizons magiques.
Christian GIRARD
- VII -
Saint-Denis mai 2003 / Noisy-le-Sec 16 juillet 2008
TABLE DES MATIÈRES
50 av. J.-C. : GOBELETS & MUSCADES (Cups & Balls) ................................................................................... 1
1408 : BONNETEAU CLASSIQUE (Three Card Monte or Find the Lady).......................................................... 9
c1520 : FIL HINDOU (Hindu or Gypsy Thread).................................................................................................. 11
1550 : ANNEAUX CHINOIS (Linking Rings) .................................................................................................... 13
1584 : FORT SAGE fort succint (Force) .............................................................................................................. 17
1584 : PIÈCE VOYAGEUSE (Flying Coin) ........................................................................................................ 19
1584 : TARTE AU CITRON (Private joke for Card in Lemon)........................................................................... 29
1587 : CARTE MONTANTE (Rising card) ......................................................................................................... 33
1593 : LES TROIS TAS ou les Vingt et une CARTES (The 21-Card Trick)....................................................... 37
1616 : CHAPEAU DE TABARIN (Chapeaugraphy) ........................................................................................... 43
1716 : POIS & COQUILLES DE NOIX (Three Shell Game) .............................................................................. 45
1723 : ASSEMBLÉE (Assembly)......................................................................................................................... 49
1769 : CARTE GÉNÉRALE (General Card) ....................................................................................................... 53
1779 : HAN PING CHIEN (HPC Move).............................................................................................................. 59
1785 : CHOIX DU MAGICIEN (Equivoque) ...................................................................................................... 61
1785 : RUBAN ou ÉTALEMENT SUR TABLE (Ribbon Spread)...................................................................... 63
1785 : POP OUT MOVE ...................................................................................................................................... 67
1801 : VOLEURS DE POULES ou DE MOUTONS (Thieves & Sheep) ............................................................ 71
1853 : AS...TIMATION (Estimation)................................................................................................................... 73
1853 : CARTE(S) VOYAGEUSE(S) (Card Across) ............................................................................................ 77
1853 : RÉTRO TRANSPO (Reset)....................................................................................................................... 81
1865 : POINTEZ LA BOUCLE (Prick the Garter)............................................................................................... 85
1877 : BILLES ou PERLES ou HARICOTS (Marble or Pearl or Bean Trick) .................................................... 89
1878 : PIÈCES SYMPATHIQUES (Sympathetic Coins)..................................................................................... 93
PROLOGUE (suite) .............................................................................................................................................. 95
1884 : ASSEMBLÉE À LA MCDONALD (McDonald Aces)............................................................................. 97
1886 : CARTE AMBITIEUSE (Ambitious Card) .............................................................................................. 103
1896 : BONNETEAU MEXICAIN (Mexicain Turnover).................................................................................. 107
1897 : CARTE À TRAVERS LE MOUCHOIR (Card through Handkerchief).................................................. 109
1897 : RÉVÉLATIONS EN RAFALE (Fusillade) ............................................................................................. 113
1897 : ZODIAQUE (Zodiac) .............................................................................................................................. 117
1900 : BAGUES ENCLAVÉES (Linking Finger Rings) ................................................................................... 121
1903 : JOURNAL DÉCHIRÉ & RECONSTITUÉ (Torn & Restored Newspaper) ........................................... 125
1905 : CHANGE VISUEL (Visual Change)....................................................................................................... 129
1908 : OBJETS DÉTRUITS ET RESTAURÉS (Broken and Restored Objects) ............................................... 131
1909 : CORDE À TRAVERS LE COU (Rope through the Neck) ..................................................................... 137
1910 : GOBELETS HINDOUS (Hindu Cups) ................................................................................................... 139
1912 : CHINK-A-CHINK................................................................................................................................... 141
1914 : TRIOMPHE (Triumph) ........................................................................................................................... 143
1914 : VOL AU-DESSUS D’UN NID DE COUCOU (Flight of the Paper Balls)............................................. 147
1916 : JEU CHANGEANT DE COULEUR (Color Changing Deck) ................................................................ 149
1917 : SANDWICH : ORIGINE & ÉVOLUTION............................................................................................. 155
1919 : ASSEMBLÉE QUADRUPLE (CARD PUZZLE)................................................................................... 163
1926 : CENDRE (Voodoo) ................................................................................................................................. 167
1927 : CARTE SOUS-MARINE (Submarine Card)........................................................................................... 169
ENTRACTE........................................................................................................................................................ 175
1928 : CARTE DANS L’ÉTUI (Card in the Case)............................................................................................. 183
1931 : CARTE EN BOÎTE (Card in the Box) .................................................................................................... 187
1931 : NOMBRE INDICATEUR (Indicator) ..................................................................................................... 191
1932 : SUIVEZ LE CHEF (Follow the Leader) ................................................................................................. 193
1933 : L’ERREUR DU MAGICIEN (Dunbury Delusion) ................................................................................. 197
1933 : VOUS SAUREZ TOUT SUR LE FI (UFO) ........................................................................................... 203
1934 : ÉPINGLES ENCLAVÉES & DÉCLAVÉES (Linking Pins) .................................................................. 209
1935 : CANIFS (Color Changing Knives) .......................................................................................................... 213
- VIII -
1935 : MYSTÈRE À L’HÔTEL (The Hotel Mystery) ....................................................................................... 217
1936 : CHOP CUP .............................................................................................................................................. 221
1937 : ORIGAMI MAGIQUE ............................................................................................................................ 223
1938 : TOUTES LES MÊMES ! (All Alike) ...................................................................................................... 225
1938 : ANNEAU & CORDE (Ring & Rope) ..................................................................................................... 229
1940 : BOUCLE (Buckle)................................................................................................................................... 235
1940 : CARTE PLIÉE (Folding Card)................................................................................................................ 239
1940 : DISPARITION AU FROTTEMENT (Rub-A-Dub Vanish).................................................................... 241
1941 : ASSEMBLÉES SPÉCIFIQUES (Specific Assemblies) .......................................................................... 243
1942 : HORS DE CE MONDE (Out Of This World)......................................................................................... 253
1945 : SERVIETTE EN PAPIER (Paper Napkin).............................................................................................. 257
1947 : VOUS AVEZ DIT BIDDLE ? (Biddle Move)......................................................................................... 259
1948 : CARTE CASANIÈRE (Homing Card).................................................................................................... 261
1948 : Dr DALEY : UN DERNIER TOUR ? (The Last Trick of Dr. Daley) ..................................................... 263
1950 : MOUVEMENT BILL SIMON (Business Card Prophesy)...................................................................... 265
1950 : RED HOT MAMA ? CHICAGO OPENER ? HOT CARD TRICK ?..................................................... 267
1950 : VOYAGEURS (The Travelers) ............................................................................................................... 271
1950 : PRODUCTION DE VERRE OU DE BOUTEILLE (Glass or Bottle Production).................................. 275
1951 : BONNETEAU MATHÉMATIQUE (Mathematical Monte)................................................................... 277
1952 : BONNETEAUX SPÉCIAUX (Special Monte) ....................................................................................... 279
1952 : SAM THE BELLHOP ............................................................................................................................. 283
1953 : HUILE & EAU (Oil & Water)................................................................................................................. 287
1954 : TROIS CORDES (Professor’s Nightmare).............................................................................................. 291
1954 : PRINCIPE DE PARITÉ (Parity Principe) ............................................................................................... 295
1957 : ASSEMBLÉE PAR TRANSPOSITION (1002nd Aces) ......................................................................... 299
1958 : ASSEMBLÉE EN TECHNICOLOR (Technicolor Assembly) ............................................................... 301
1959 : CANNIBALES ET MISSIONNAIRES (Cannibal Cards) ...................................................................... 305
1959 : COUPE AUX AS DU SPECTATEUR (Spectator’s Ace Cutting) .......................................................... 309
1960 : TWISTING .............................................................................................................................................. 311
1961 : AS DE HENRY CHRIST (Henry Christ Aces) ....................................................................................... 315
1961 : ASSEMBLÉE JAZZ (Jazz Aces)............................................................................................................. 319
1961 : EMPALMAGE INVISIBLE (Open Travelers or Invisible Palm) ........................................................... 323
1962 : CARTE FOLLE (Wild Card)................................................................................................................... 327
1962 : TILT......................................................................................................................................................... 333
1962 : VIÊT NAM .............................................................................................................................................. 337
1965 : SANDWICH À LA LUPIN (One-Eyed Jacks Sandwich) ....................................................................... 339
1967 : STYLO À TRAVERS UN BILLET (Pen through Bill) .......................................................................... 341
1969 : ASSEMBLÉE À LA O’HENRY (O’Henry Aces) .................................................................................. 343
1969 : SANDWICH « LE VISITEUR » (The Visitor) ....................................................................................... 347
1969 : SANDWICHS COLLECTEURS (Collectors)......................................................................................... 349
1970 : PAPIER EN BILLET (Bill Switch) ......................................................................................................... 355
1971 : BAGUE ET LACET (Ring Off or On Rope, Ribbon or String) .............................................................. 359
1973 : CARTE CONTORSIONNISTE (Card Warp) ......................................................................................... 363
1973 : ÉLASTIQUE BOOMERANG (Twanging) ............................................................................................. 367
1976 : JEU EN BLOC (Solid Deception) ........................................................................................................... 369
1977 : ULTRA ASSEMBLÉE (Ultra Assembly) ............................................................................................... 371
1979 : MATRICE INVERSÉE (Reverse Matrix) ............................................................................................... 373
1982 : FORMAT A4 (A4 Paper) ........................................................................................................................ 375
– IX –
50 av. J.-C. : GOBELETS & MUSCADES (Cups & Balls)
Sic ista sine noxa decipiunt quomodo praestigiatorum acetabula et calculi, in quibus me fallacia ipsa delectat.
Sénèque le Jeune. Lettres à Lucilius. Environ 50 av. J.-C.
Ces finesses trompent sans nuire ; elles trompent comme les tours des joueurs de gobelets et cailloux, dont
l’illusion fait tout le charme ; le secret découvert, adieu le plaisir.
A – Historiquement il existe trois périodes-clefs.
– L’Antiquité, notamment l’époque romaine.
Celui qu’on appelle déjà « prestigiatore », manipule des gobelets et des cailloux (en latin : acetabuli et calculi).
Le tour est un prétexte pour regrouper les badauds et leur vendre ensuite des marchandises. Dans le chapitre II de
son livre Mythologie du merveilleux (1982), Max Dif rapporte que Plaute (-250 à -184) fait allusion à la magie
en tant qu’art théâtral, en nous signalant des « faiseurs de prestiges », qu’il qualifie de « praestigiatores ». Notez
la fin du mot est « GIATORE » et non « GITATOR ».
« Praestigiatore » est en fait l’ancêtre du mot prestige. On disait des artistes ambulants (baladins, chanteurs,
musiciens, jongleurs, dresseurs, faiseurs de tours) qu’ils pratiquaient les jeux de prestiges. Quant au néologisme
« prestidigitateur » voici ce qu’écrivait en 1868 dans son livre Les Secrets de la prestidigitation et de la magie le
Maître Robert-Houdin : « Escamotage vient du mot arabe escamote qui signifie la petite balle de liège à laquelle
on a donné plus tard le nom de muscade, à cause de sa ressemblance avec ce fruit. Dans le principe, le mot
escamotage s’appliquait uniquement à l’action de jouer des gobelets ; il a servi ensuite à généraliser l’exécution
des tours d’adresse. Prestidigitation est d’une date plus récente : en 1815, Jules de Rovière, physicien, comme
s’appelaient alors les escamoteurs de premier ordre, créa pour lui-même le mot prestidigitateur, formé des deux
mots latins presto digiti (doigts agiles). Ce mot est passé dans notre langue et maintenant on croirait faire injure à
un escamoteur de quelque talent si on ne lui donnait pas ce titre pompeux ».
– Le Moyen Âge. Le bateleur manipule des godets et des noix de muscade. Le mot « bateleur » apparaît au XIIIe
siècle et est dérivé du mot « baastel » qui a donné le mot bateau, d’où l’expression « mener en bateau » qui colle
parfaitement avec le joueur de gobelets.
« L’Escamoteur », la célèbre peinture de Jérôme Bosch (1450-1516), en est l’archétype. Elle représente une
petite scène d’escroquerie, au cours de laquelle un complice profite du divertissement pour voler la bourse d’un
spectateur. Ce tableau résume l’idée que les gens se faisaient à cette époque du prestidigitateur. Il était assimilé à
un escamoteur, à un jongleur, à un saltimbanque (saltimbanco : qui saute sur un banc, personne qui fait des tours
d’adresse et des acrobaties en public) et parfois à un tricheur ou à un charlatan. Faut-il user du mot gobelet ou
godet ? D’après le Petit Robert, le gobelet est un récipient pour boire, généralement plus haut que large et sans
pied. Le godet est un petit récipient sans pied ni anse servant à lancer des dés. À vous de choisir !
– Enfin l’époque contemporaine qui remonte aux escamoteurs du pont Neuf jusqu’aux magiciens actuels. Le
magicien de rue ou le magicien de close-up manipulent des gobelets et des muscades (Cups and Balls). De nos
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jours ce tour reste obligatoire. Avec de simples gobelets et beaucoup de talent, David Williamson a gagné le
premier prix au congrès IBM de 1981. Paul Gertner en 1985, à Madrid, et Aldo Colombini (sous le nom de
Fabian) en 1976, à Vienne, ont gagné le Premier Prix FISM. Johnny Ace Palmer et Jason Latimer ont remporté
le Grand Prix aux championnats du Monde de magie !
B – La première publication écrite du jeu des gobelets date de 1584, non pas dans le livre La Première Partie
des subtiles et plaisantes inventions […] de Jean Prévost (le premier livre en Europe consacré entièrement à des
tours), mais dans celui édité la même année The Discoverie of Witchcraft (La Sorcellerie dévoilée) de Reginald
Scot, sous le titre Off the Ball, p. 182 de Dover Pub. L’explication est assez rapide. On y apprend qu’il faut
utiliser des balles of corke (balle de liège) et des petits chandeliers, ou des bols ou des couvercles de salière.
Étrangement, le gobelet (cup) n’est pas mentionné car en fait, on peut utiliser « n’importe quel objet » ayant un
« hollow foot » (pied creux) et n’étant pas trop grand.
1634 – Hocus Pocus Junior. The Anatomie of Legerdemain. C’est de nouveau un anglais (anonyme cette fois)
qui s’y colle, et de la page 3 à la page 12, nous explique le jeu des gobelets sous le titre Of the Play of the Balls.
Là, nous avons bien le gobelet tel que nous le connaissons mais, si la base en est creuse, il n’a qu’un rebord
encerclant l’ouverture. Nous y apprenons en plus la passe avec les gobelets empilés (qui deviendra « courir la
poste » en français) et un final avec une grosse balle intitulée How To Make a Great Ball Seeme To Come
through a Table into a Cup (Comment faire passer une grosse balle de sous la table dans le gobelet).
Puis une description très détaillée (qui a été reprise par beaucoup de copieurs) se trouve dans l’édition de 1723
(remaniée par Grandin) du livre de Jacques Ozanam, paru à l’origine en 1694 sous le titre Récréations
mathématiques et physiques. Voici la description du gobelet et de la muscade tel que nous les connaissons
aujourd’hui :
« 1) Les Gobelets doivent avoir deux pouces & sept lignes de hauteur, deux pouces & demi de largeur par
l’ouverture & un pouce deux lignes de largeur par le cul. Le cul doit être en forme de calotte renversée & avoir
trois lignes & demie de profondeur. Ils doivent avoir deux cordons GH & CD, l’un (CD) par le bas pour rendre
les Gobelets plus forts & l’autre (GH) à trois lignes du bas pour empêcher que les Gobelets ne tiennent
ensemble quand on les met l’un dans l’autre. On les fait ordinairement de fer blanc. Au reste, les dimensions que
je propose ici pour les Gobelets ne sont pas absolument nécessaires. Il faut seulement prendre garde qu’ils ne
soient trop grands, que le cul n’en soit trop petit & qu’ils se tiennent l’un dans l’autre.
2) On fait les balles de liège de la grosseur d’une aveline. Ensuite on les brûle à la chandelle & quand elles sont
rouges, on les tourne dans les mains pour les rendre bien rondes. Pour bien jouer des Gobelets, il faut s’exercer
à escamoter. C’est dans l’escamotage que consiste la principale difficulté du jeu des Gobelets. »
Suit alors la description de l’escamotage d’une muscade puis les onze ou douze passes constituant le jeu des
gobelets. Par passe, entendez les différents mouvements de muscades d’un gobelet à l’autre (Passe, passe !). Le
final consiste à faire apparaître 24 muscades d’un coup. Il y a aussi un autre tour que l’on peut considérer comme
l’ancêtre du Chop Cup dans la mesure où l’on applique l’idée de balle collée à l’intérieur du gobelet qui se
détache lorsqu’on pose le gobelet d’un coup sec.
1759 – Carlo ANTONIO. L’ouvrage Trésor des jeux reprend les explications du livre d’Ozanam. Genève.
1772 – Gilles-Edme GUYOT, dans la deuxième édition de son livre Nouvelles Récréations mathématiques et
physiques, propose (à la suite d’une demande des lecteurs) une routine d’un allemand nommé Kopp, (p. 171 à
208 du volume 3) sous le titre Sur le jeu des gobelets. Il reprend la partie exposée par Grandin mais propose
d’autres variantes, en particulier avec des muscades de couleur différente (noire et blanche). Il fournit également
un boniment.
1788 – Henri DECREMPS. Dans son livre Codicile de Jérome Sharp, p. 67 à 83. Principes du Jeu des
Gobelets, tel qu’on le joue à présent. Supplément aux explications de Guyot & d’Ozanam. Plusieurs
nouveautés : Faire passer deux gobelets l’un dans l’autre, faire disparaître, sans les toucher, des balles qui
étaient sous un gobelet, adopter la position de repos (Rest Position) de la main près du bord de la table, et enfin
le plus beau, Métamorphose des grosses balles en éponges, perruques et bonnet de nuit. Egalement l’idée de
balles compressibles
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