Autour de l`axiome du choix

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Autour de l`axiome du choix
Autour de l’axiome du choix
Jean-Marie Aubry
17 janvier 2007
1
Introduction
L’axiome du choix (AC) est un axiome de la théorie des ensembles particulièrement intéressant. Contrairement aux axiomes plus « évidents » du système
de Zermelo-Fraenkel (ZF), AC a été l’objet d’une controverse passionnée jusque
dans les années 60, en partie résolue par les travaux de Gödel et de Cohen ; il reste
aujourd’hui l’objet de recherches actives.
Je me propose de faire un petit tour parmi les divers domaines concernés par
cet axiome : mathématiques, logique, et philosophie. AC est le point de départ de
nombreux chemins où la curiosité m’a entraîné.
1.1
Historique
On peut remonter jusqu’à Zénon d’Élée (450 av. JC) pour trouver les premiers paradoxes liés à la notion d’infini (Achille ne peut pas rattrapper la tortue si
on subdivise indéfiniment l’espace qui les sépare). Bolzano (1848) donne la première définition d’un ensemble infini ; Dedekind et surtout Cantor (1874) jettent
les premières bases de la théorie des ensembles. Vers la fin du XIXe siècle, les
contradictions inhérentes à la définition « naive » de Cantor, notamment le paradoxe de Russel, montrent que les bases doivent être repensées et la théorie des
ensembles est axiomatisée par Zermelo (1908), Fraenkel, von Neuman, Gödel...
L’axiome du choix apparaît vers la même époque, utilisé implicitement par
Cantor, mentionné explicitement pour la première fois par Peano (1890), Beppo
Levi (1902), et Zermelo (1904) qui lui donne le titre d’axiome. Par la suite, de
nombreux mathématiciens développent les conséquences de cet axiome, certaines
désirables (formant les théorèmes de base de l’algèbre et de l’analyse fonctionnelle), d’autres contre-intuitives. Par essence non constructif, AC est bien sûr rejeté par les constructivistes de l’école de Brouwer. On a pu dire que d’un certain
point de vue AC est évidemment vrai, mais d’un autre il est évidemment faux. Il
1
faut attendre Gödel [8, 9] puis Cohen [4, 5] pour que la question soit tranchée :
AC est en fait indépendant des axiomes de Zermelo-Fraenkel ; plus précisément,
si ZF est consistant, alors ZFC = ZF + AC l’est aussi, mais il en est de même pour
ZF + ¬AC (négation de l’axiome du choix).
L’intérêt pour AC ne s’est cependant pas arrêté là et constitue, encore aujourd’hui, un champ actif de recherche en logique et en théorie des ensembles. De
nombreuses formes équivalentes, apparentéees, ou indépendantes ont été proposées [16] ; le projet « Consequences of the Axiome of Choice » de Paul Howard et
Jean E. Rubin [10, 11] propose (actuellement) 417 formes, ainsi qu’une table de
toutes les implications connues.
1.2
Théorie des ensembles « naive »
En gardant à l’esprit le paradoxe de Russel et le fait que la définition qui suit
n’est pas celle de la théorie des ensembles axiomatisée par ZF (voir annexe A),
nous pouvons néanmoins l’utiliser dans un premier temps pour présenter AC. Selon Cantor,
Définition 1. Un ensemble est une collection d’objets définis et distinguables de
notre intuition ou de notre pensée.
Introduisons le vocabulaire minimum pour énoncer AC.
– Si A représente une telle collection, et a un des objets, ou éléments, de cette
collection, on dit que a appartient à A, et on écrit a ∈ A. Notez que les
éléments peuvent eux-mêmes être des ensembles. Un ensemble particulier
est l’ensemble vide ∅, qui ne contient aucun élément.
S
– Si X est un ensemble d’ensembles, l’union des éléments de X, notée X ,
est l’ensemble des éléments appartenant à l’un des éléments de X.
– Étant donnés deux ensembles A et B, une fonction f de A vers B est l’association d’un élément f (b) ∈ B à tout élément a ∈ A.
Axiome du Choix. Soit X un ensemble
S d’ensembles non vides. Il existe une fonction, dite fonction de choix, f : X → X , telle que pour tout A ∈ X, f (A) ∈ A.
Il s’agit bien de « choisir » un élément dans chaque ensemble de X. Souvent
AC est, de façon équivalente, énoncé pour X = P(Y )\∅, l’ensemble des parties
non vides de Y .
2
2
2.1
Pourquoi un axiome du choix ?
Nécessité de l’approche axiomatique
La définition de Cantor est insuffisante. Le paradoxe de Russell (qui est une
vraie contradiction, contrairement à d’autres « paradoxes » présentés plus loin)
le démontre : d’après Cantor, un ensemble étant un objet bien distinct dans notre
pensée, l’ensemble de tous les ensembles existe. En particulier, il se contient luimême, ce qui est bizarre mais pas encore trop grave. Considérons l’ensemble A
des ensembles qui ne se contiennent pas eux-même : il satisfait à la fois A ∈ A et
A 6∈ A (impossible). Le problème est plus grave qu’une simple auto-référence :
on pourrait aussi remarquer que le théorème de Cantor qui dit qu’un ensemble ne
peut être mis en bijection avec l’ensemble de ses partie est faux pour l’unsemble de
tous les ensembles. Citons également le paradoxe de Burali-Forti sur l’ensemble
des ordinaux.
On ne peut donc pas tout appeler un ensemble. Le problème vient du flou
dans la définition de Cantor. Plutôt que d’essayer d’expliquer ce qu’est un ensemble, l’approche axiomatique de Zermelo (1908) étendue par Fraenkel (1922)
énumère une suite de propriétés devant être satisfaites par ce que nous appelons
« ensemble ». Ces axiomes (notés ZF) sont cités en annexe A mais il n’est pas
nécessaire de s’en souvenir pour aborder les curiosités de l’axiome du choix. Par
exemple l’axiome de régularité (A 8) interdit à un ensemble de se contenir luimême, ce qui résout le paradoxe de Russel. C’est une approche restrictive (on n’a
plus le droit d’appeler « n’importe quoi » un ensemble) mais en pratique largement suffisante pour fonder les mathématiques.
On voit facilement que l’ensemble vide ∅ est unique. Donc si x 6= ∅, il existe
y ∈ x. On peut écrire ce raisonnement pour toute famille finie x1 , . . . , xn d’ensemble, et on a construit une fonction de choix f : xi → yi ∈ xi . Il n’est donc
pas besoin d’un axiome supplémentaire si l’on ne considère qu’une famille finie d’ensemble ; mais pour des raisons pratiques les mathématiciens ont besoin
d’au moins un ensemble infini, N. L’existence de cet ensemble est garantie par un
axiome spécifique (A 6), ce qui implique l’existence d’un ensemble infini d’ensembles (par exemple l’ensemble des parties de N, existant d’après A 4). Dans ce
cas aucun raisonnement fini ne permet de démontrer l’existence d’une fonction de
choix, il faut un axiome supplémentaire qui affirme cette existence.
Remarquons que, tout comme il existe différentes tailles d’infinis (cardinaux
ℵ0 , ℵ1 , . . . ), on peut énoncer différentes forces d’AC. La version la plus faible,
l’axiome du choix dénombrable (AC0 ), affirme simplement l’existence d’une fonction de choix pour toute famille dénombrable d’ensembles. Cette forme est très
compatible avec notre intuition et ne donne pas lieu à des paradoxes ; elle est
néanmoins rejetée par les constructivistes.
3
Un axiome du choix est nécessaire même si les ensembles de la famille sont
tous finis. On peut ainsi énoncer AC(2) (axiome du choix par paires), AC(4)
(axiome du choix pour les ensembles de 4 éléments), etc. Pour donner un avantgoût des subtilités qui occupent les ensemblistes, signalons que AC(2) implique
AC(4) mais pas l’inverse, alors que AC0 (2) n’implique pas AC0 (4).
Une réflexion profonde de Bertrand Russell :
To chose one sock from each of infinitely many pairs of socks requires
the Axiom of Choice1 , but for shoes the Axiom is not needed.
2.2
Qui utilise l’axiome du choix ?
Loin d’être une simple curiosité logique, l’axiome du choix est un outil central
dans les mathématiques appliquées. Une des toutes premières mentions explicite
de cet axiome est due à Peano, en 1890, dans sa preuve de l’existence d’une solution à un système d’équations différentielles. Citons quelques résultats classiques.
En topologie générale, le théorème de Tychonoff :
Théorème 1. Tout produit d’espaces topologiques compacts est compact.
En algèbre linéaire, all your bases are belong to us :
Théorème 2. Tout espace vectoriel possède une base.
À la base de l’analyse fonctionnelle est le théorème de Hahn-Banach. Nous
le rappelons ici sous sa forme géométrique.
Théorème 3. Soient E un espace vectoriel topologique, A et B deux ensembles
convexes non vides, disjoints, dont l’un est ouvert. Alors il existe un hyperplan H
qui sépare2 A et B.
Ce théorème est trivial à démontrer en dimension finie, en s’appuyant sur une
base de l’espace vectoriel. En dimension infinie, il nécessite le lemme de Zorn,
lequel équivaut à AC (voir plus loin). Cependant, si l’espace est séparable (admettant une base dénombrable d’ouverts), une forme faible du lemme de Zorn,
équivalente à AC0 , suffit. La plupart des espaces utilisés en analyse fonctionnelle
sont séparables, à l’exception des espaces définis à partir de L∞ que l’on peut
généralement approcher par des espaces séparables. En pratique, pour les mathématiques appliquées (par exemple pour montrer l’existence d’une solution à une
équation aux dérivées partielles), on pourrait se contenter d’AC0 .
Citons également le théorème de Banach-Alaoglu, basé sur Tychonoff :
1
En fait AC(2).
L’équation de l’hyperplan étant f (x) = α, f forme linéaire sur E, on a x ∈ A ⇒ f (x) ≤ α
et x ∈ B ⇒ f (x) ≥ α
2
4
Théorème 4. Soit X un espace vectoriel normé. La boule unité fermée de son
dual est compacte en topologie faible∗ .
Là encore, si X est séparable (version du théorème initialement démontrée par
Banach), seul AC0 est nécessaire.
Enfin, le théorème de Baire :
Théorème 5. Dans tout espace métrique complet, toute intersection dénombrable
d’ouverts denses est dense (propriété de Baire).
Encore une fois, seul AC0 est nécessaire ici. Il est amusant de noter qu’AC
(non dénombrable cette fois) est également nécessaire pour montrer qu’il existe
des sous-ensembles de R ne possédant pas la propriété de Baire.
En théorie des jeux, AC a pour conséquence qu’il existe un ensemble A de
suites d’entiers tel qu’aucun des deux joueurs ne possède une stratégie gagnante
dans le jeu suivant : ils choisissent tour à tour un entier, et le premier joueur gagne
si et seulement si la suite ainsi formée appartient à A.
Le problème de trouver un ultrafiltre non principal peut s’énoncer ainsi :
étant donné un ensemble infini X (par exemple X = N), trouver une mesure
booléenne simplement additive sur (X, P(X)) qui prenne la valeur zéro sur toute
partie finie de X. Réponse positive avec AC.
En théorie de la mesure, AC fournit de nombreux résultats contre-intuitifs
sur lesquels nous reviendrons.
3
Quelques formes équivalentes
Il est hors de question d’être exhaustif ici, mais plutôt de montrer les formes à
mon avis les plus utiles ou les plus curieuses.
Choix dans les parties Soit X un ensemble. Il existe une fonction de choix
f : P(X)\{∅} → X, ∀X, f (X) ∈ X.
L’implication est évidente dans un sens ; pour prouver AC sur une famille
quelconque prendre X égal à l’union de cette famille.
Remarque. Le choix dans les parties d’un ensemble dénombrable est trivial, pas
besoin d’AC0 pour cela.
Produit cartésien d’ensemblesQ Étant donné une famille Xλ , λ ∈ Λ d’ensembles
non vides, le produit cartésien λ∈Λ Xλ est non vide.
L’équivalence est évidente : un élément de ce produit est précisément une
fonction de choix pour la famille Xλ , λ ∈ Λ.
La preuve des énoncés suivants, faisant en général appel à la classe des ordinaux, dépasse le cadre de cet exposé mais leurs réciproques sont abordables.
5
Théorème de Zermelo Tout ensemble possède un bon ordre.
Un bon ordre ordonne totalement l’ensemble, de façon que toute partie non
vide ait un plus petit élément (exemple : l’ordre naturel sur N). Ce théorème permet la récurrence transfinie sur n’importe quel ensemble d’indices. Réciproque
triviale : si un ensemble possède un bon ordre, la fonction de choix sur ses parties
existe car il suffit de prendre le plus petit élément de chaque partie.
Idempotence des cardinaux infinis Si X est infini, #(X 2 ) = #(X).
La preuve utilise la correspondance entre un cardinal et un ordinal initial fournie par le théorème prédent. Pour la réciproque : ? ? ?
Remarque. Pas besoin d’AC0 lorsque X = N (bijection explicite de N2 → N) ni
lorsque X = R (fonction de Peano).
Lemme de Zorn Soit (X, ≤) un ensemble partiellement ordonné. Supposons
que tout sous-ensemble totalement ordonné dans X ait une borne supérieure dans
X. Alors X possède un élément maximal.
La preuve est dûe à Kuratowski (1922), puis indépendamment par Zorn (1935).
Elle repose sur une récurrence transfinie (portant sur tous les ordinaux). La réciproque (Zorn implique Zermelo) est plus facile : soit Y un ensemble, et X l’ensemble des parties de Y possédant un bon ordre ; X est muni d’un l’ordre partiel
≤ en disant que A ≤ B si A ⊂ B et s’ils ont même plus petit élément. Toute
chaîne possède une borne supérieure (l’union de ses éléments) donc par Zorn, X
possède un élément maximal. Cet élément est nécessairement Y sinon il serait
possible d’y rajouter un élément.
Comme l’a dit Jerry Bona :
The Axiom of Choice is obviously true ; the Well Ordering Principle
is obviously false ; and who can tell about Zorn’s Lemma ?
Théorème de Tychonoff Tout produit d’espaces compacts est compact.
Le fait que le théorème de Tychonoff implique AC peut sembler surprenant
puisqu’il porte sur une structure topologique, alors qu’AC est un énoncé ensembliste. La preuve de cette réciproque est un petit peu technique mais mérite le détour. Soit Xλ , λ ∈ Λ une famille d’ensembles
Q non vide ; on note X̃λ = Xλ ∪ {λ}
(union disjointe si λ ∈ Xλ ). Notons X = λ∈Λ X̃λ et πλ la projection sur la composante λ. Définissons une topologie sur X̃λ dont les ouverts sont les ensembles
cofinis, l’ensemble vide, et {λ}. Alors X̃λ est compact. D’autre part Xλ est fermé
pour la topologie de X̃λ (complémentaire de l’ouvert {λ}) et πλ est continue. Les
images réciproques πλ−1 (Xλ ) sont donc fermées, non vides, et si S ⊂ Λ est fini, on
peut choisir (sans axiome !) un élément f (λ) dans chaque Xλ , λ ∈ S et compléter
6
ce choix en
Tprenant f (λ) = λ lorsque λ 6∈ S. L’élément de X ainsi construit est
bien dans λ∈S πλ−1 (Xλ ) 6= ∅ (propriété d’intersection finie). Par le théorème de
Tychonoff, X est compact, ce qui revient à dire qu’une famille ayant la propriété
d’intersection finie avec X est d’intersection non vide avec X. Pour conclure il
suffit de remarquer que
Y
\
Xλ =
πλ−1 (Xλ ) 6= ∅.
λ∈Λ
4
λ∈Λ
Les paradoxes
L’axiome du choix appliqué à la théorie de la mesure donne lieu à quelques
résultats inconfortables pour la pensée, à l’origine des réticences de certains mathématiciens à accepter AC.
4.1
Existence d’ensembles non mesurables
La mesure de Lebesgue, extension naturelle du concept de longueur, ne peut
pas s’appliquer à tous les sous-ensembles de R. La preuve est classique, et s’applique en fait à n’importe quelle mesure finie (non nulle) invariante par translation.
Considérons une telle mesure L sur T = R/Z (les translations seront périodisées :
τx : y 7→ y + x[1]). On partitionne T en classes λ̄ pour la relation d’équivalence
x ' y ⇔ x − y ∈ Q. D’après AC, il existe un ensemble
ΛS
dont les éléments ont
S
été choisis chacun dans une classe distincte, et λ∈Λ λ̄ = q∈Q∩[0,1[ τq (λ̄) = T,
cette dernière union
P étant disjointe. Par σ-additivité et invariance par translation,
on obtient 0 < q∈Q∩[0,1[ L(Λ) < +∞, qui ne peut être vrai.
Dans cette preuve nous avons utilisé AC non dénombrable : le choix d’un
représentant dans chaque classe d’équivalence porte sur une infinité ayant la puissance du continu (ℵ1 si on accepte l’hypothèse du continu). La restriction à AC0 ,
acceptable pour les mathématiques appliquées (§ 2.2) n’entraine pas l’existence
d’ensembles non mesurables. En fait, Solovay [19] a montré qu’on n’introduisait
pas de contradiction (consistance si ZF est consistant) en adjoignant AC dénombrable et l’axiome3 « tout sous-ensemble de R est Lebesgue-mesurable ».
4.2
Découpage de la sphère
Théorème 6 (Hausdorff). Il existe un découpage (A, B, C, D) de la sphère unité
S de R3 où D est dénombrable, alors que A, B, C et B ∪ C sont superposables.
3
Et aussi : tout sous ensemble de R a la propriété de Baire, tout sous ensemble nondénombrable de réels contient un ensemble parfait... Autant de propriétés incompatibles avec AC.
7
En oubliant l’ensemble dénombrable, on a donc découpé S en deux morceaux
(A et B ∪ C) ou trois morceaux (A, B, C), tous étant identiques... C’est le paradoxe.
4.3
5
Le théorème de Banach-Tarski
Indépendance de l’axiome du choix
Deux résultats de logique indiquent qu’AC est indépendant des autres axiomes
de la théorie des ensembles.
Théorème 7 (Gödel, 1938). ZFC est consistant si ZF est consistant.
Ici consistant signifie qu’aucune contradiction ne pourra être trouvée à partir
de ces axiomes. On ne sait pas si ZF est consistant (et le théorème d’incomplétude
de Gödel implique qu’on ne pourra jamais le prouver si c’est vrai). Pour montrer
que ZFC (c’est à dire ZF+AC) est consistant, il faut bâtir un modèle c’est à dire
donner un sens « concret » aux symboles = et ∈ qui servent dans l’énoncé de ces
axiomes. Si on peut prouver que tous les axiomes (y compris AC) sont satisfaits
dans ce modèle, c’est bien que ZFC n’est pas contradictoire.
Donnons une idée de la construction du modèle L de Gödel. Il est basé sur ZC,
c’est pourquoi il faut en supposer la consistance. On note Def(A) l’ensemble des
sous-ensembles définissables de A (en gros, dont on peut donner une définition à
l’aide d’une formule utilisant éventuellement des paramètres dans A), et on définit
par récurrence transfinie
L0 = ∅
Lα+1 = Def(Lα ) pour tout ordinal α
[
Lδ =
Lα pour tout ordinal limite δ,
α<δ
On dit que L est la classe des ensembles constructibles. Gödel montre alors que
L satisfait ZF puis AC.
Théorème 8 (Cohen, 1963). ZF + ¬AC est consistant si ZF est consistant.
La preuve utilise la technique du forcing, qui est difficile. Une autre approche,
basée sur les algèbres booléennes, est censée être plus simple [1].
8
6
6.1
Philosophie et axiome du choix
La philosophie des mathématiciens
L’acceptation d’AC comme axiome de travail est une question que la plupart des mathématiciens ne se posent pas. Elle est la plupart du temps implicite,
pour une raison très pragmatique : c’est ce qui permet, dans un cadre confortable,
d’obtenir des résultats d’existence (en général). La question revient véritablement
à demander si l’on croit à l’existence des objets mathématiques sur lesquels on
travaille, et la position la plus répandue semble être un platonisme « ouvert » :
les objets existent dans un monde idéal qui se reflète partiellement dans la réalité
physique ; dans ce monde tout ce qui ne conduit pas à une contradiction logique
a droit à l’existence, même un ensemble non-mesurable (lequel, pour le coup, n’a
pas de contrepartie physique).
Un mathématicien formaliste (espèce courante chez les logiciens) considèrera
les mathématiques comme une pure manipulation de symboles ; la question de
l’existence n’a donc guère de sens dans son cas. L’expression « il existe » est
simplement une commodité de langage signifiant surtout « je peux continuer mon
raisonnement avec cet objet ».
Le constructivisme postule que les seuls objets existant en mathématiques sont
ceux obtenus par une suite d’opérations explicitement concevables par l’esprit humain, éventuellement un esprit théorique doté de capacités améliorées (comme
pouvoir compter jusqu’à 100000000000), mais non transcendantes (comme être
capable d’embrasser l’ensemble infini des nombres entiers). Typiquement un mathématicien constructiviste rejette l’axiome de l’infini (A 6) et bien évidemment
l’axiome du choix.
Ces questions sont moins importantes aujourd’hui qu’au temps de Cantor.
Qu’aurait-il pensé du théorème de Banach-Tarski ?
6.2
Influence d’AC
Le terme de choix a un sens bien différent en philosophie. Il est lié au problème du libre arbitre et, éventuellement, à l’existence de Dieu. Or il ne faut pas
négliger le pouvoir de fascination que les mathématiques exercent en dehors de la
communauté scientifique. Pour la plupart des gens, même au plus haut niveau intellectuel, les mathématiciens possèdent une vérité absolue. L’expression axiome
du choix, j’ai pu le vérifier, emballe les imaginations ; l’intérêt suscité retombe hélas rapidement avec les premières explications. Mais voici un exemple récréatif,
trouvé sur un site web dont je vous épargnerai l’adresse, de ce que peuvent faire
germer dans un esprit « fertile » quelques bribes de vocabulaire ensembliste.
9
Let us assume the attributes of God are counted by the alephs. And
the attributes of Good are counted by Dedekind cardinals. If we assume the numbers of the attributes of Evil are the infinite products
of integers, we can see, from the model, the problem of the existence
of Evil. With the axiom of choice, all infinite products of integers
exist, but without the axiom of choice, some of them do not exist. It
is the case with the restricted axiom of choice. the axiom is : CC(n)
true from 2 to m, with CC(n), countable choice for families of sets
of number of elements n. (It was proved by Mr A. Blass that such an
axiom exist). The infinite product of integers exist if it is the same
integer n repeated infinitely, n from 2 and up to m included. We see
that Evil is infinite but restricted.
Plus sérieusement.
6.3
Conclusion
On a coutûme de dire que la controverse sur l’axiome du choix s’est arrêtée,
faute de combattants, avec les résultats de Gödel et de Cohen. AC n’est ni vrai
ni faux, c’est entendu. L’existence d’ensembles non mesurables, et notamment le
théorème de Banach-Tarski, restent néanmoins choquants et montrent les limites
de l’adéquation de ZFC à la description du réel. La théorie des ensembles n’est pas
une panacée4 , on peut rêver qu’un système d’axiomes mieux adaptés soit trouvé
un jour (de nombreuses tentatives ont déjà été faites). L’obstacle est certainement
autant technique que culturel (ZFC est accepté sans arrière-pensée par l’immense
majorité des mathématiciens). À ce sujet, [3] contient une fascinante discussion à
l’interface entre informatique et théorie des ensembles.
Pour l’instant les paradoxes sont sans conséquences parce que les objets « utiles »
que produisent les mathématiques appliquées, par exemple la solution d’une équation différentielle, restent relativement simples et, comme je l’ai déjà mentionné,
AC0 suffit en fait à en établir l’existence. Mais les questions posées aux mathématiques évoluent en complexité, parfois radicalement. Pendant longtemps le fini
a été un modèle satisfaisant pour les problèmes à résoudre. Aujourd’hui on ne
saurait se passer de l’infini dénombrable. Et demain ? Qui peut être sûr que la
solution d’un tel problème futur, dont l’existence sera garantie par un théorème
4
On pourrait notamment contester qu’un ensemble, même fini, existe, ou du moins ait un modèle satisfaisant dans la réalité. On pense naturellement à une collection d’objets physiques spatialement délimités, par exemple trois marrons sur une table, mais le concept de « marron » et de
« sur une table » est-il suffisamment précis pour éviter toute ambiguité ? Notre modèle reposerait
sur un compromis sémantique. On peut chercher des objets mieux définis du côté des particules
élémentaires de la physique, mais les propriétés quantiques brouillent le jeu.
10
utilisant AC, ne se révélera pas impraticable, même de façon approchée (du style
de la « solution » de Banach-Tarski au problème de la duplication des objets) ?
A
Les axiomes de Zermelo-Fraenkel
1. Axiome d’extensionalité : si a et b sont tels que pour tout x, x ∈ a ⇔ x ∈ b,
alors a = b.
2. Axiome de la paire : quels que soient a et b, il existe x tel que y ∈ x ⇔ x =
a ou x = b. On note alors x = {a, b}.
3. Axiome de l’union : pour tout a, il existe x tel que y ∈ x ⇔ il existe z ∈ a
vérifiant y ∈ z.
4. Axiome de l’ensemble des parties : pour tout x, il existe y tel que z ∈ y ⇔
z ⊂ x.
5. Axiome de l’ensemble vide : il existe x tel que pour tout y, y 6∈ x (on note
∅ cet ensemble).
6. Axiome de l’infini : il existe x tel que ∅ ∈ x et, pour tout y ∈ x, y 0 ∈ x (voir
ci-dessous).
7. Axiome de séparation : étant donné a et une proposition A sur les éléments
de a, il existe x tel que y ∈ x ⇔ y ∈ a et A(y).
8. Axiome de régularité : si x 6= ∅, il existe y ∈ x tel que y ∩ x = ∅.
9. Axiome de remplacement : étant donné a et une relation binaire A, il existe
x tel que si y ∈ a et A(y, z) alors z ∈ x.
L’unicité de l’ensemble vide provient de l’axiome 1.
La notation y 0 de l’axiome 6 sous-tend la construction des entiers naturels :
0 = ∅ (axiome 5), 1 = 00 = {0} (axiome 2), 2 = 10 = {0, 1} (axiome 2),
3 = 20 = {0, 1, 2} (axiomes 2 et 3), etc.
Références
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Press, 1969.
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11
Why
sets ?
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[8] K. Gödel. The consistency of the axiom of choice and of the generalized
cuntinuum hypothesis. Proc. Nat. Acad. Sci. U.S.A., 1938.
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12

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