sur la Paracha Behar - Consistoire de Paris

Transcription

sur la Paracha Behar - Consistoire de Paris
La paracha de la semaine est la section hebdomadaire de la Torah, lue rituellement chaque Chabbat, dans toutes les synagogues à travers le monde
Ces cours ont été dispensés dans le cadre de journées d'études organisées à la mémoire du regretté Grand Rabbin de Paris David Messas (zatsal),
par et à l'initiative de son fils, rav Ariel Messas, en la synagogue Beth Hamidrach Maguen David - Ahavat Shalom, fondée par son père zatsal en
2005.
PARACHAT BEHAR
Rabbin Chelomo Zini
Monsieur le Président, Monsieur le Grand Rabbin et Rabbins, birchout mara déatra, cher ami, Rabbi Ariel,
Monsieur le Président Joël Mergui, et vous tous, kahal kadoch.
Je me trouve ici comme chacun d’entre vous pour honorer la mémoire de Rabbi David Messas zatsal.
Permettez-moi aussi d’associer la mémoire de mon père zatsal dont c’était la hazkarah hier. J’associe
également la mémoire de Rabbi David Berdugo, le beau-frère de Rabbi David, de Rabbi Chalom Messas,
Rabbi Chimon Zini et Rabbi Méïr Zini.
Mes chers amis, on m'a demandé de dire quelques divré Torah sur la parachat Béhar.
La parachat Béhar s’ouvre sur la mitsvah de la chémitah que le peuple d'Israël doit accomplir sur sa terre
pendant une année tous les sept ans ; année durant laquelle, il doit laisser la terre en repos.
Puis, notre parachah poursuit avec les lois relatives au yovel, c'est-à-dire au jubilé, à la cinquantième
année, l’année qui arrive au terme de sept années shabbatiques successives, l'année dite « de la liberté ».
En cette année jubilaire, une loi unique en son genre, statue que tout doit retourner à son propriétaire
initial, les terrains, les maisons, l'argent, mais aussi les âvadim, terme que je dis volontairement en hébreu,
parce qu'en français, il peut créer une ambigüité.
Le eved est une sorte de serviteur au statut spécial, tout à fait particulier que l'on ne retrouve dans aucune
autre législation humaine.
Par cette législation singulière de la Torah, le Maître du monde, nous enseigne un principe essentiel du
judaïsme : la propriété humaine est toujours limitée dans le temps. Le seul et vrai maître de tout ce qui
existe n'est autre que D.ieu Lui-même.
En d'autres termes, tout ce que l'homme peut acquérir durant sa vie est assimilable à un emprunt que D.ieu
a bien voulu lui accorder.
Cette vérité fondamentale constitue le pôle essentiel de réflexion autour du concept de « chénat
hachémitah » de « l’année chabbatique », et plus encore le pôle essentiel de réflexion autour de la
« chénat hayovel », de « l'année du jubilé ».
À la fin de notre parachah, la Torah évoque les lois relatives au « êved », ce serviteur si particulier. Il s’agit
d’un indigent qui s'est vendu comme « esclave » à un étranger afin d'assurer sa subsistance devenue
misérable. La Torah s'exprime en ces termes. Je cite le verset en hébreu, je le traduirai immédiatement
après :
« Vékhi tassig yad guer vétochav îmakh, oumakh ahikha îmo,
Vénimkar léguer tochav îmakh o léêker, michpa’hat guer.
A’haré nimkar géoula tiyé lo, é’had méé’hav yigalénou,
O Dodo ou Ben Dodo yigalénou
O michéer béssaro mimichpa’hato yigalénou,
O hissiga yado vénigal. »
© Consistoire de Paris
Voici la traduction ! Soyez attentif, car c'est un verset difficile à comprendre.
« Si l'étranger, qui s'est établi près de toi, acquiert des moyens (c’est-à-dire des biens matériels) et que ton
frère, près de lui, devenu indigent, se soit vendu à l'étranger établi près de toi, ou au rejeton d'une famille
étrangère.
Après qu'il se soit vendu, le droit de rachat existe pour lui.
L'un de ses frères le rachètera.
Il sera racheté ;
soit par son oncle ;
soit par le fils de son oncle ;
soit par quelqu’un de sa parenté, de sa famille.
Ou, s'il a acquis des biens, il se rachètera lui-même. »
(Lévitique 25, 47 à 49).
Évidemment, il y a beaucoup de zones d'ombre dans ce verset.
Ce texte nous invite à déployer différents niveaux d'interprétation.
Tout d'abord, le sens obvie et premier de ces versets nous enseigne l'obligation de fraternité envers son
proche parent, si ce dernier s'est vendu comme esclave du fait de son dénuement, de son extrême
pauvreté.
S’il n’a pas été racheté de la sorte, cet esclave sera automatiquement affranchi lors de l'année du jubilé,
comme il est écrit :
« Et s'il n’a pas été racheté par ces voies, il sortira libre lors du jubilé ».
Certains de nos sages, commentent ce verset selon le mode métaphorique.
Le Da’ât zékénim, auteur incontournable concernant l'enseignement de certains secrets de la Torah,
interprète ces versets comme une allusion à la rédemption du peuple juif à la fin des temps ; lorsqu’Israël
sortira de l'exil prolongé dans lequel il est plongé.
Pour ce commentateur, lorsque la Torah cite « l'oncle », elle fait allusion à D.ieu lui-même. En effet, le
mont « oncle » se dit en hébreu « Dod » et ce mot est également employé à l’attention de D.ieu lui-même.
« Dod » signifie « le Bien-aimé », terme désignant D.ieu, comme cela apparait dans le Chir Hachirim, le
Cantique des Cantiques. Cela apparait également dans le chant chabbatique « Lékha Dodi likrat kalah »,
« Vas mon Bien aimé (Dodi) à la rencontre de la mariée », le mot « Dodi », « mon bien-aimé » faisant
référence à D.ieu.
Donc, nous dit le Da’ât zékénim, « l'oncle » délivrant l’esclave hébreu, fait en fait allusion à D.ieu qui
délivrera « l’esclave hébreu » qui délivrera son peuple de l’exil.
Le verset mentionne ensuite la libération de l’esclave par son « cousin », « Ben Dodo ».
Sachez que « Ben Dodo » est écrit dans le texte biblique avec les mêmes lettres que « Ben David ».
Le verset fait donc allusion au « fils du Roi David », autrement dit au Machia’h, au Messie.
La Torah parle ensuite d'une troisième possibilité de rédemption, si celle-ci ne s’opère ni par D.ieu ni par le
Messie.
Elle évoque la libération de l’esclave par l'argent qu'il aura acquis, comme le suggère le verset :
« Ou s'il a acquis des moyens, il se rachètera lui-même. »
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Le Daât Zékénim voit dans « ses moyens » les mitsvot, les bonnes actions que les juifs auront pratiquées
durant l'exil qui leur procureront les mérites nécessaires pour se libérer.
Cette compréhension profonde du texte est facilitée par un mot-clé, dans le lachon hakodech, la langue
sacrée de notre Torah : le mot guéoulah qui est employé aussi bien pour désigner l'affranchissement de
l'esclave que la rédemption du peuple d'Israël à la fin de l'exil.
À travers la finesse de la démonstration du Daât zékénim, c'est toute histoire du peuple juif qui s’éclaire en
filigrane.
Cette approche est également celle de Rabbénou Béhayé.
Ce célèbre exégète écrit :
« Si ton frère se vend au rejeton d'une femme étrangère ».
De qui s'agit-il ? Le rejeton symbolise Rome. D.ieu rejettera Rome, comme il est écrit :
« Je vis comme la bête fut tuée ; son corps détruit et jeté au feu » (Daniel 7, 11).
Rappelons que Daniel eut une vision prophétique de quatre animaux. Chacun de ces animaux correspond à
l'un des quatre empires qui dirigeront tour à tour le monde, et domineront Israël. Ces animaux représentent
les quatre exils : la Babylonie, la Perse, la Grèce et enfin Rome.
Selon Rabbénou Béhayé, le verset de la parachah ci-dessus fait allusion aux chutes des empires à la fin des
temps.
Le mot « guer » représente Babylone, « tochav », la Perse, « guer tochav » représente l'Empire Grec, et
« êker » c'est Rome ».
Cette parachah évoquant l’affranchissement de l’esclave hébreu au cours de l'année du jubilé est donc
consacrée à la compréhension des notions de libération et de rédemption. Elle contient donc également des
allusions aux exils et à la libération d'Israël des quatre empires.
De même, Rabbi Haïm Benattar distingue, dans son ouvrage le Ora’h Haïm âl haTorah, une allusion à la
rédemption au verset de 25 du chapitre 25 du Lévitique.
« Si ton frère se trouvant dans la gêne a vendu une partie de sa propriété, son plus proche parent viendra et
rachètera ce qu’a vendu son frère ».
Le Ora’h Haïm révèle que « Son plus proche parent », celui qu'on appelle « hakarov » est une allusion à
D.ieu, appelé ici « frère », comme dans le psaume 122, 8 « lémaân a’haï véréaï ».
Ce verset nous enseigne qu’après un long exil D.ieu nous rachètera, c'est-à-dire, D.ieu nous ramènera sur
notre terre. D.ieu pardonnera collectivement les fautes commises par le peuple.
Nos sages ont perçu en filigrane dans le texte de notre parachah, un condensé du programme de l’histoire
d’Israël ; depuis l’exil dans les quatre empires, au retour en terre d’Israël, jusqu’à la rédemption finale ;
jusqu’à ce que l’on a l’habitude de nommer en hébreu : la guéoulah chélémah.
Les prophètes d'Israël ont longuement développé ce thème, notamment le prophète Isaïe ; dans l’un de ses
versets les plus énigmatiques (chapitre 60 verset 22) il prédit :
« Le plus petit sera multiplié par mille, et le plus chétif deviendra une nation puissante. Moi l'Eternel, à
l'heure venue, Je me hâterai de le réaliser » . En hébreu : « bé-îta a’hichéna ».
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Ce verset contient une contradiction manifeste que nos sages ne manquent pas de relever :
D.ieu promet de hâter la délivrance, lorsque le moment sera venu !
Les sages dans le traité talmudique Sanhédrin 96 b interprètent ce verset de la façon suivante :
Si le peuple d'Israël est méritant la rédemption arrivera plus tôt, sinon la rédemption viendra en son temps ;
c'est-à-dire à la fin approximative des six milles ans prévus de l'histoire.
Les maîtres du Zohar ont une interprétation quelque peu différente.
Dans le Zohar, paracha Vayéra, Rabbi Yossi demande : que signifie le mot « bé-îta a’hichéna », « Je hâterai
en son temps » ?
Rabbi Yossi décompose ainsi le mot : « bé ’êt hé » « au moment du « hé ».
Une sorte de « jour J. ». C'est-à-dire au temps où le « hé » se relèvera de la poussière, alors Je hâterai ce
processus.
Que veulent donc nous révéler le Talmud et le Zohar à propos de la rédemption finale ?
Tout d'abord, il ne saurait être question de spéculer sur les modes de calcul eschatologique, c’est-à-dire le
calcul de la fin des temps, et encore moins tenter de donner une date précise quant à la venue et
l'avènement du Machia’h, du Messie.
Le Talmud (Sanhédrin 97 b) sera particulièrement virulent à l'égard de ceux qui essaient de deviner cette
date « tipa'h nafcham chel mé'hachvé kitsim ». « Que leur esprit disparaisse ceux qui font des calculs pour
découvrir la date de la venue du Messie ».
Ce que nos sages veulent nous faire comprendre c’est que l'histoire bien que programmée par D.ieu en ses
moindres détails, n’en resta pas moins sujette à des accélérations ou à des ralentissements en fonction des
actes des hommes.
L'histoire est la résultante du projet divin mené en symbiose heureuse ou contrarié avec l'action de
l'homme ; action de l’homme qui fait que ce projet réussira plus ou moins vite.
Ainsi, la rédemption adviendra selon trois modalités possibles, comme le verset étudié y faisait allusion.
Soit par les mérites du peuple, soit par le Messie, soit pas D.ieu Lui-même.
Ceci correspond aux trois temps donnés dans le Talmud et dans le Zohar.
Si Israël est méritant, à l’image à l'esclave qui se rachètera par ses propres moyens, alors la délivrance se
réalisera dans la hâte, rapidement, avant la fin des temps et de façon quasi-naturelle par des actes et des
initiatives humaines.
S'il n’a pas accumulé suffisamment de mérites alors ce sera, « en son temps », par D.ieu Lui-même, par
« l'oncle » dont parle le verset.
La troisième possibilité : « le fils de l’oncle », c'est-à-dire le Machia’h ben David, ce à quoi fait allusion le
Zohar quand il parle du fameux temps « hé ».
Le second « hé » du Youd Ké Vav Ké, du tétragramme (les quatre lettres qui composent le nom de Dieu),
correspond en effet selon nos maîtres à la royauté (malkhout).
Or le Messie est avant tout le Roi-Messie, le Roi Machia’h, celui qui fera régner la souveraineté divine dans
le monde. Lorsque le « hé » sortira de la poussière, c'est-à-dire lorsque la majesté et la grandeur de D.ieu
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seront établies dans le monde entier, alors on pourra parler de rédemption totale et finale, on pourra parler
d’une sortie du peuple vers la liberté dans sa plénitude, vers le jubilé et la réjouissance qui l'accompagne.
Avec votre permission, nous conclurons cet enseignement par une belle perspective, proposée sur ces
mêmes versets par le Rav Mordékhaï Chriqui.
Selon le Rav Chriqui, ces trois modes de délivrance ne s’opposent pas forcément l’un à l’autre.
On peut imaginer un scénario où le peuple juif retourne sur sa terre et amorce la rédemption de façon
naturelle avant son temps, puis viendrait une phase miraculeuse où D.ieu interviendrait, comme pour la
libération inattendue de Jérusalem, en 1967, puis après un long murissement spirituel du peuple juif, le
messie pourrait alors se manifester pour terminer le processus de la rédemption, le fameux temps du
« hé », le temps de la royauté.
Encore un tout dernier mot en hommage à notre maître Rabbi David Messas zatsal. Outre les innombrables
qualités de talmid hakham que lui reconnaissaient tant ses pairs, les sages, que les fidèles - c’est très
important qu’un talmid hakham soit reconnu par les fidèles du peuple d’Israël.
Un talmid hakham est vraiment talmid hakham quand il est aimé et respecté par la totalité du peuple
d’Israël.
Rabbi David Messas zatsal faisait partie d’une longue lignée rabbinique. Il avait une sensibilité, une fibre
extraordinaire qui témoignait du caractère indissociable du peuple juif, de la terre d’Israël et de Hakadoch
baroukh hou.
Comme le dit encore une fois le Zohar « mitkacherin da béda ».
Ces identités « sont liées, entrelacées l’une à l’autre ». Koudcha bérikh Hou, oraïta véIsraël ‘had
hou : D.ieu, la Torah et Israël ne font qu’un.
Quand on entendait Rabbi David parlait, avec sa fougue, avec son sourire, avec son entrain, avec son
amour, avec l’attachement qu’il avait pour tout ce qui constituait Israël, que ce soit le peuple, la Torah ou
la terre, et l’Etat.
Mes chers amis, je suis toujours heureux d’être ici, pour honorer la mémoire de Rabbi David Messas zatsal
et celle de Rabbi Chalom zatsal en son temps.
Je suis aussi heureux d’honorer la continuité de cette Torah de vie, à travers mon ami, son fils, Rabbi Ariel,
pour lequel j’ai beaucoup d’affection et de complicité dans l’étude.
Je souhaite du fond du cœur que les mérites conjugués de tous les sages de la Torah de sa famille, de son
grand-père, de son père, soient une source de bénédiction pour lui, pour sa communauté, pour sa mère,
pour le Président, dont je sais qu’il est très actif dans cette synagogue, et pour tous les fidèles qui sont
venus ce soir.
Amen ken yéhi ratson.
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