les zones franches, interfaces de la mondialisation
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LES ZONES FRANCHES, INTERFACES DE LA MONDIALISATION François Bost Armand Colin | Annales de géographie 2007/6 - n° 658 pages 563 à 585 ISSN 0003-4010 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2007-6-page-563.htm Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Bost François, « Les zones franches, interfaces de la mondialisation », Annales de géographie, 2007/6 n° 658, p. 563-585. DOI : 10.3917/ag.658.0563 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- ARTICLES Les zones franches, interfaces de la mondialisation Free zones and globalization François Bost Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Résumé L’étude des zones franches constitue encore un thème peu abordé en géographie et en économie. Celles-ci illustrent pourtant de manière remarquable l’ouverture du monde aux échanges internationaux, comme en témoigne leur multiplication au cours des deux dernières décennies, y compris dans les pays les plus rétifs au capitalisme. En 2007, 123 pays sur 192 étaient dotés d’un régime de zone franche. À cette date, 1 257 zones franches étaient recensées dans le monde, dont 76 % dans les pays du Tiers-monde et d’Europe orientale. Actives tant dans les activités à fort coefficient de main-d’œuvre, que sur les créneaux les plus technologiques, ces zones franches employaient environ 45 millions de personnes en 2007. Cet article dresse un inventaire inédit de leur présence par ensembles géographiques et donne quelques pistes de recherche afin de mieux les analyser. Abstract Free Zones are still rarely analyzed in geographical and economic studies. Yet they are a striking illustration of the opening of the world to the international exchanges: in the last two decades, they tremendously increased even in the countries the most reluctant to capitalism. In 2007, 123 countries out of 192 had Free Zones. That year, 1,257 Free Zones were listed throughout the world, 75% of which were located in Third World and Eastern Europe countries. Represented in low-value added activities as well as in the most high-tech sectors, these Free Zones employed approximately 45 million people in 2007. This article draws up a much-needed inventory of their presence by geographical area and outlines new tracks for further research. Mots-clés Systèmes dérogatoires, division internationale du travail, industrie, investissements directs étrangers, mondialisation, zone franche, zone économique spéciale. Key-words Derogatory legislation, industry, export processing zone, free trade zone, foreign direct investment, globalization, special economic zones. Introduction Expression par excellence de la libéralisation accélérée des échanges depuis le milieu des années 1980, de l’ouverture de la quasi-totalité des pays de la planète à l’économie de marché, ou encore de l’envolée sans précédent du commerce international et des investissements directs étrangers (IDE), les zones franches se sont considérablement multipliées dans les années 1980-2000. À cet égard, elles apparaissent comme de remarquables marqueurs de la diffusion de la mondialisation à l’échelle planétaire, au point que la question n’est Ann. Géo., n° 658, 2007, pages 563-585, © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Maître de Conférences à l’Université Paris-X-Nanterre, Laboratoire Géographie Comparée des Suds et des Nords (GECKO) ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin plus tant de savoir dans quels pays se situent ces espaces destinés à attirer entreprises et activités exportatrices grâce aux avantages qui leurs sont accordés, mais plutôt d’identifier ceux n’ayant pas encore légiféré en leur faveur. Nombre d’États, principalement dans le Tiers-monde, en ont fait des outils et des leviers importants – voire décisifs – pour entrer dans la spirale vertueuse du développement. Les études de cas montrent en effet que les zones franches jouent un rôle souvent important dans ces pays en matière de création d’emplois nouveaux (principalement dans l’industrie, via la sous-traitance internationale) et de formation de la main-d’œuvre, de diversification de l’économie (avènement de nouvelles filières d’activités) et des exportations, de transferts de technologie ou encore d’apport de devises fortes (Madani, 1999 ; Bost, 2007). Bras armé souvent indispensable, mais non exclusif, de la stratégie de développement dite de « substitution d’exportations » selon le modèle asiatique, les zones franches constituent vis-à-vis de l’extérieur (bailleurs de fonds et investisseurs étrangers) un signe fort, celui d’une volonté d’insertion dans les rouages de l’économie mondiale par le biais de l’exportation de biens manufacturés et de services (cas, remarquable, de la Chine et des pays d’Europe orientale). En dépit de leur rôle économique essentiel, les zones franches n’ont curieusement fait l’objet jusqu’à maintenant que d’un très petit nombre de travaux spécifiques, tant chez les économistes que chez les géographes. Vingt ans exactement après la publication du petit atlas de Roger Brunet 1 sur la question, une équipe de géographes constituée autour de l’Atlas mondial des zones franches 2 entend combler ce manque, en élevant les zones franches au rang d’objet géographique à part entière. Après avoir dressé dans une première partie un inventaire actualisé de la diffusion du « phénomène » zone franche à travers le monde, le présent article propose une grille d’analyse des interactions spatiales tissées à partir et vers les zones franches, depuis l’échelle locale jusqu’aux échelles de la mondialisation. Dans une troisième partie, un bilan de leur efficacité économique est présenté. 1 L’impressionnante floraison mondiale des zones franches 1.1 Différents types zones franches Par définition, le concept de zone franche (Free Zone) renvoie à un principe juridique universel, à savoir la possibilité pour une entreprise implantée dans un périmètre donné de se soustraire plus ou moins durablement au régime commun en vigueur dans le pays d’accueil, principalement dans les domaines douanier et fiscal, voire en matière de droit de travail (bien que cela soit loin d’être la règle contrairement aux idées reçues). 1 2 Roger Brunet, Atlas des zones franches et des paradis fiscaux, Paris, Fayard/Reclus, 1987, 78 p. François Bost (dir.), Atlas mondial des zones franches, Paris, La Documentation française, à paraître. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 564 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 565 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Le terme générique de zone franche recouvre en fait plusieurs types différents, que les États adaptent en fonction de leurs stratégies de développement respectives, ce qui explique la très grande variété des situations observées de par le monde. De surcroît, nombre de pays les mettent en place simultanément afin d’en optimiser les retombées favorables. Les « zones franches commerciales » (Free Trade Zones) constituent un premier type très classique, tant dans les pays industrialisés que dans le Tiers-monde. Localisées dans les périmètres portuaires (ports francs) et aéroportuaires (zones franches aéroportuaires), au débouché ou le long des grands axes de communication (maritimes, ferroviaires et routiers), ou encore dans les régions transfrontalières, celles-ci sont surtout présentes dans les lieux jouant un rôle important en matière de transit international (transbordement, éclatement des marchandises, etc.) : Colón (Panama), Djebel Ali (Émirats Arabes Unis), Hambourg (Allemagne), Jurong (Singapour), Port-Louis (Maurice), Yantian (Chine), etc. Leurs fonctions diverses (négoce international, réexportation, etc.) en font de véritables plaques tournantes du commerce international, tant aux échelles régionale que continentale, voire mondiale pour les plus importantes d’entre-elles. Lieux de facilitation essentiel le long de la chaîne logistique, les zones franches commerciales sont donc dotées – pour les plus dynamiques d’entre-elles – des infrastructures de transbordement et de stockage les plus modernes, notamment pour traiter les conteneurs. Les sociétés d’import-export et les transitaires peuvent y décharger librement – donc sans droits de douane ni taxes – et avec des formalités réduites toutes sortes de marchandises importées dans l’attente de leur réexportation (après un temps plus ou moins long de stockage), ou de leur vente sur le marché national. Dans ce second cas, les marchandises paient alors les droits de douane et les taxes prévues sitôt l’enceinte franchie, selon leur valeur en date de leur entrée dans la zone franche commerciale. La suspension des droits de douane et des taxes n’est donc que momentanée, à la grande différence des zones franches à vocation industrielle pour l’exportation. Cependant, le stockage des marchandises à proximité immédiate ou relative des marchés visés permet aux exportateurs de répondre dans les meilleurs délais aux évolutions de la demande. Ceux-ci peuvent donc jouer sur les fluctuations tarifaires et monétaires, ou encore choisir le meilleur moment pour écouler leurs marchandises (par exemple en anticipant sur des appels d’offre, des commandes, etc.). Par ailleurs, une légère transformation des marchandises peut permettre à ces dernières de bénéficier de droits de douane plus avantageux lors de leur réexportation. Mais les activités autorisées dans les zones franches commerciales sont strictement limitées à tout ce qui ne s’apparente pas à une fabrication : stockage, empaquetage, assemblage simple, mise sur palette, etc. Les « zones franches d’exportation » (Export Processing Zones, ou EPZ), appelées aussi « zones franches industrielles et de services » constituent un second type, auquel renvoie le plus souvent le terme générique de zone Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin franche. Celles-ci sont spécifiquement dédiées à la production manufacturière et, de plus en plus, à la fourniture de services, notamment en liaison avec internet et le traitement informatique de l’information. Depuis peu, elles s’ouvrent aussi aux secteurs des médias et de la santé. Très peu présentes dans les pays industrialisés, elles sont en revanche emblématiques du monde en développement, en raison de leurs coûts de main-d’œuvre moins élevés. Leur localisation est également très dépendante de la proximité des grandes infrastructures de transport, de même que des espaces urbains les plus attractifs, afin de profiter des économies d’agglomération et de la présence d’une main-d’œuvre abondante. Les entreprises agréées dans les zones franches d’exportation bénéficient d’avantages différents et surtout beaucoup plus conséquents par rapport à ceux des zones franches commerciales. En effet, elles peuvent importer en franchise de droits de douane des matières premières, des équipements et autres intrants nécessaires à la production des biens qu’elles fabriquent ; elles peuvent également exporter leur production sans payer de droits de douane à la sortie (ceux-ci n’étant payés que dans les pays de destination, sauf si ces derniers ont prévu de les en dispenser dans le cadre des accords de l’OMC ou dans celui d’accords bilatéraux). Les entreprises agréées bénéficient aussi dans l’immense majorité des cas d’une fiscalité réduite, voire nulle, durant un temps fixé par la loi (3, 5, 10, 15, 20 années, etc.), alors que les entreprises implantées dans les zones franches commerciales paient des impôts, au même titre que celles situées hors zone franche. Passé ce délai, elles rentrent alors dans le régime commun et deviennent imposables, soit au même niveau que les autres, soit à un niveau encore attractif durant une période transitoire, afin de ne pas les inciter à se délocaliser. En contrepartie des avantages octroyés, les entreprises franches doivent répondre à un certain nombre de conditions d’agrément, notamment l’obligation d’exporter un pourcentage élevé de leur production, variant dans la plupart des cas entre 80 et 100 %. Elles doivent également travailler dans des secteurs d’activité destinés à diversifier la structure économique du pays récipiendaire (la traditionnelle « montée en gamme » prônée par les politiques de développement). Dans la plupart des cas, les entreprises agréées peuvent vendre sur le marché local une petite part de leur production telle que définie par la loi (notamment des invendus, des produits dotés de menus défauts, etc.) et après autorisation des autorités de tutelle. Cependant, cette part est assujettie au paiement des droits de douane et des taxes locales afin d’éviter une distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises situées en régime commun. D’autres avantages complètent ces dispositifs dans des proportions variables. Ils sont d’ailleurs souvent jugés aussi attractifs par les entreprises que les seuls avantages douaniers et fiscaux : simplification des procédures administratives via un guichet unique regroupant toutes les démarches nécessaires ; bâtiments standardisés et modulables offerts à la location afin d’accélérer la procédure d’implantation (cas de Maurice) ; proximité des infrastructures Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 566 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 567 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin majeures (aéroport international, port en eau profonde, etc.) ; tarifs préférentiels (eau, électricité, télécommunications, etc.) ; libre rapatriement des bénéfices en devises ; larges exonérations fiscales pour les salariés expatriés ; etc. Au total, ces dispositions permettent aux entreprises locales et étrangères agréées de profiter d’un environnement des affaires allégé des lourdeurs bureaucratiques qui restent bien souvent l’apanage des régimes communs, notamment dans les pays en voie de développement. L’examen détaillé des lois relatives aux zones franches montre cependant une grande uniformisation des textes et des avantages concédés au cours des années 1980-2000, en contradiction avec le discours commun sur la surenchère systématique entre les pays. Il faut y voir l’influence directe des grands organismes de développement, tel que l’ONUDI ou la Banque mondiale, qui financent les études préparatoires et de faisabilité. Bien que quelquefois confondus avec elles, les « paradis fiscaux » ne constituent nullement un type particulier de zones franches, même si les uns et les autres ont en commun de se soustraire à l’impôt. Les paradis fiscaux ont en effet pour vocation de faciliter, dans la discrétion la plus complète, les transactions financières des firmes transnationales qui y ont implanté des filiales destinées à réaliser, pour le compte des maisons mères, les bénéfices qui échapperont à la taxation dans leurs pays d’origine. « Zones grises » par excellence de l’économie mondiale, les paradis fiscaux sont aussi dénoncés par les institutions financières internationales en raison des facilités qu’ils apportent en matière de blanchiment d’argent sale (corruption, trafics illicites, etc.). Leurs fonctions exclusivement bancaires et financières n’ont donc rien à voir avec celles des zones franches, dont la finalité est fondamentalement la production industrielle ainsi que la fourniture de services commerciaux. 1.2 Trois modalités d’implantation possibles Initialement, les zones franches ont été pensées comme des espaces de taille relativement restreinte, rigoureusement délimités, coïncidant avec des zones d’activités. Celles-ci sont généralement entourées de hauts murs et leurs accès strictement contrôlés (police, douane). Ce dispositif reste de loin le plus répandu à travers le monde. Si la grande majorité des zones franches sont sans population résidente à l’intérieur, certaines d’entre-elles cependant – toutes localisées en Asie orientale et en Inde – peuvent être qualifiées d’« intégrées ». Leur main-d’œuvre est logée directement sur place, selon un zoning distinguant les niveaux de qualification (ouvrières et ouvriers en dortoirs, logements individuels pour l’encadrement) et les sexes (certaines zones franches ont néanmoins prévu des baraquements pour les couples), tandis qu’elles disposent d’un certain nombre de commodités (supermarchés, édifices religieux, espaces récréatifs, centres téléphoniques, etc.) visant à limiter les sorties. Dans un second temps, les pouvoirs publics d’un certain nombre de pays ont préféré au concept de zone franche celui des « points francs ». Il s’agit d’un statut juridique attribué à des entreprises exportatrices répondant aux Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin mêmes exigences que dans les zones franches (et donc bénéficiant des mêmes avantages fiscaux et douaniers). En revanche, celles-ci sont libres de s’implanter où elles le souhaitent dans le pays d’accueil, généralement à proximité de certaines matières premières, sur les bassins de main-d’œuvre, à proximité d’infrastructures particulières ou encore dans les régions transfrontalières. Le Mexique a été le premier pays à inaugurer cette formule en 1965, au travers des entreprises connues sous le nom générique de maquiladoras (2 820 établissements début 2006). Celles-ci ont été dans un premier temps invitées à se localiser le long de la frontière avec les États-Unis, avant d’être autorisées à se répandre dans tout le pays. Cependant, les plus importantes concentrations de maquiladoras se localisent toujours le long de la frontière américano-mexicaine, autour de villes ayant joué la carte de la spécialisation : Tijuana (électronique), Ciudad Juarez (pièces détachées automobiles), Matamoros (composants électroniques), etc. Plusieurs pays ont suivi l’exemple mexicain avec succès, à l’instar de Maurice et de Madagascar en Afrique. Plus nombreux encore sont les pays qui ont joué sur les deux possibilités en proposant un régime mixte (zones franches et points francs), afin de diversifier les opportunités d’implantation pour les entreprises (Cameroun, Ghana, Inde, Kenya, Jordanie, Namibie, Pakistan, Sénégal, Togo, etc.). Les « zones économiques spéciales » (ZES) constituent une troisième modalité d’implantation possible. Apparues en Chine en 1978, celles-ci se définissent comme de très vastes territoires pouvant atteindre plusieurs centaines de km2 – voire plusieurs milliers lorsqu’elles se calquent dans certains cas sur des régions administratives entières – au sein desquels les entreprises agréées peuvent s’implanter librement, soit dans des zones industrielles et des parcs d’activités, soit sous la forme de points francs. Les ZES englobent dans tous les cas de figure des villes (en totalité ou en partie), des zones d’activité en plus ou moins grand nombre, des espaces ruraux (réserves foncières), des infrastructures de transport, etc. Les ZES sont très caractéristiques des pays souhaitant encadrer étroitement l’essor de leurs activités, ainsi que l’implantation des firmes étrangères (Chine, Inde, Iran, Jordanie, Lettonie, Philippines, Pologne, Russie, Ukraine). 1.3 Où ne sont-elles pas encore ? Le patient et rigoureux décompte opéré dans le cadre de l’Atlas mondial des zones franches a permis d’établir très précisément à 1 257 le nombre total des zones franches de par le monde à la mi-2007, tous types confondus (zones franches commerciales, industrielles et de services, zones économiques spéciales). Ce chiffre considérable et totalement inédit revoie très largement à la hausse la fourchette estimative des quelques 850 zones franches avancée au milieu des années 1990 par des organismes comme l’ONUDI, la Banque mondiale ou le Bureau International du Travail (BIT). Le nouveau décompte n’intègre pas les 100 zones franches urbaines françaises (ZFU), ni les Enterprise Zones du Royaume-Uni qui relèvent d’une autre catégorie, en raison de leur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 568 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 569 Articles vocation particulière (elles ne sont pas destinées à exporter et visent à la seule régénération urbaine de quartiers en difficulté). Le « phénomène » zone franche ne transparaît cependant qu’imparfaitement au travers de ce chiffrage. En effet, il ignore tout d’abord les points francs qui, dans certains pays, peuvent être très nombreux. Leur décompte reste difficile, en raison de l’appareillage statistique incomplet de nombreux pays (à l’exception du Mexique). D’autre part, ces zones franches présentent des visages très différents et difficilement comparables, depuis les plus importantes d’entre-elles – accueillant plusieurs centaines d’entreprises et puissamment inscrites dans les échanges internationaux – jusqu’aux plus modestes, qui peinent à se remplir – lorsqu’elles ne sont pas dans certains cas des « coquilles vides » (cas de la plupart des zones franches en Argentine). Tab. 1 Les zones franches dans le monde, un état des lieux (situation en octobre 2007). An inventory of free zones in the world (October 2007). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Nombre de pays dotés de régimes de zone franche Nombre de zones franches* par régions Amérique du Sud 8 66 5,3 % Amérique centrale 7 71 5,7 % Caraïbes 7 73 5,8 % Amérique du Nord 2 263 20,9 % Europe occidentale 13 41 3,3 % Europe orientale et balkanique 15 89 7% 3 43 3,4 % Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée 11 71 5,7 % Afrique Subsaharienne et océan Indien 32 94 7,5 % 6 46 2,9 % Ex-pays de l’URSS Péninsule Arabique et golfe Persique Asie du sud Asie orientale Océanie TOTAL 5 41 3,65 % 13 359 28,6 % 1 – 123 1 257 100 % *Zones franches industrielles et de services, zones franches commerciales et zones économiques spéciales (hors zones franches urbaines en France, Enterprise Zones au Royaume-Uni, maquiladoras et points francs qui entrent dans d’autres catégories). Source : F. Bost (dir.), Atlas mondial des zones franches (à paraître). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Régions Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Formes prises par les zones franches à travers le monde en 2007. The various forms of free zones worldwide in 2007. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Fig. 1 570 • François Bost ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 571 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin La carte (fig. 1) matérialisant les États dotés d’un régime de zone franche témoigne du caractère désormais universel de la formule, puisque 123 pays sur un total de 192 pays indépendants avaient légiféré en leur faveur à la mi-2007, soit 64 %. La liste ne paraît pas close, puisque plusieurs pays affichent depuis plusieurs années des velléités en la matière (Lesotho, Sao Tomé et Principe, Rwanda, etc.). Cependant, le « remplissage » de la carte ne doit pas faire illusion. Les pays présentant les meilleures dispositions en la matière en sont déjà presque tous dotés et verrouillent leurs positions, si bien que les nouveaux venus – relevant essentiellement des pays les plus pauvres – apparaissent plutôt lancés dans une tentative désespérée de rattrapage, par effet de suivisme, faute de véritable alternative économique. Aussi ce mouvement pourrait-il bien se tarir assez vite, devant les difficultés rencontrées par les derniers arrivants. Amorcée essentiellement à partir des années 1950, la dynamique en faveur des zones franches s’est progressivement renforcée pour atteindre son maximum à partir des années 1980 jusqu’à aujourd’hui, à l’occasion de la montée en puissance des pays du Tiers-monde (notamment avec l’affirmation des pays émergents) et des pays d’Europe orientale (libérés de l’emprise du communisme) dans les échanges internationaux. Certaines zones franches emblématiques ont joué à cet égard un rôle essentiel dans la diffusion de ce phénomène, souvent bien au-delà de leurs sphères d’influence respectives, en s’offrant comme modèle à imiter. Ainsi en va-til de la zone franche de Shannon en Irlande, qui annonçe même avoir « vendu » son savoir-faire dans plus de 70 pays. Ou encore, dans le monde en développement, de la « zone libre » de Colón (Panama) pour l’Amérique centrale ; de la zone franche de Manaus (Brésil) pour l’Amérique du Sud ; des trois Foreign Trade Zones de Porto Rico et de la zona franca de La Romana en République Dominicaine pour les Caraïbes ; de celle de Maurice pour l’Afrique subsaharienne et l’océan Indien ; de Djebel Ali (Émirats Arabes Unis) pour le Moyen-Orient ; ou encore de celles de Kaoshiung et de Hsinchu à Taiwan, de Masan (Corée du Sud), enfin de Shenzhen (Chine) en Asie orientale. Quel que soit leur type, les zones franches sont présentes aussi bien dans les pays industrialisés de la Triade, que dans les pays en voie de développement et d’Europe orientale, avec néanmoins une très nette prédominance pour ces derniers (108 pays et 952 zones franches, soit 76 % du total mondial), y compris dans les pays encore idéologiquement rétifs au capitalisme (Corée du nord, Cuba). Avec seulement 13 pays concernés, l’Asie orientale se taille la part du lion (28,6 % du total mondial des zones franches), emmenée par la Chine, qui en totalise 156 à elle seule (répondant à six types juridiques différents). Celle-ci est suivie de très loin par les Philippines (37), la Corée du Sud (29), Singapour (29), l’Indonésie (15) ou encore Taiwan (15). Le Viêt Nam parait en revanche en retrait (5 EPZ et 2 High Tech Park), comme s’il tablait davantage sur ses 110 zones industrielles. La vigueur des dispositifs de Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin zone franche en Asie orientale est inséparable de l’exceptionnelle dynamique enregistrée en matière de délocalisation industrielle et de services depuis les pays industrialisés. Mais contrairement aux idées reçues, les entreprises locales y sont beaucoup plus nombreuses que les entreprises étrangères, grâce à leur capacité à capter les activités externalisées (outsourcing) dans le cadre de la sous-traitance internationale. L’Asie occidentale s’emploie, quant à elle, à refaire son retard. Celles du Bangladesh (6 EPZ) et du Sri Lanka (10 EPZ) comptent déjà parmi les hauts lieux du sourcing mondial des grandes chaînes du textile-habillement des pays industrialisés, tandis que l’Inde (8 EPZ et 15 ZES) se singularise à l’échelle planétaire par sa stupéfiante – et irréaliste ? – frénésie créatrice (416 projets d’ouverture approuvés ou en passe de l’être en 2007 !). La Péninsule Arabique et le golfe Persique (46 zones franches, dont 15 ZES, réparties dans 6 pays) a réalisé une percée très remarquée, surtout au travers d’Oman (8 zones franches), de l’Iran (3 zones franches et 15 ZES) et des Émirats Arabes Unis (17 zones franches), dont Dubaï apparaît désormais comme l’un des archétypes mondiaux sur le plan des facilités commerciales offertes. Les pays du sud et de l’est de la Méditerranée sont assez bien représentés dans ce panorama mondial (71 zones franches dans 11 pays), en raison de leur proximité avec l’Europe occidentale qui fournit l’essentiel des délocalisations d’activités et des débouchés en retour. La Turquie, avec ses 21 zones franches, a su jusqu’à maintenant assez bien résister face à la déferlante des produits textiles chinois. En revanche, les 267 000 emplois recensés dans les points francs tunisiens (appelés localement « Entreprises totalement exportatrices »), auxquels s’ajoutent ceux des deux zones franches de Bizerte et de Zarzis, apparaissent davantage menacés, en raison de l’incapacité des quelques 2 360 entreprises concernées à monter en gamme vers des produits à plus forte valeur ajoutée. Confronté à l’explosion de sa population et à la montée inquiétante du chômage, la Jordanie a poussé pour sa part très loin la déclinaison du concept de zone franche afin de renforcer tous azimuts son attractivité internationale. Outre ses 6 zones franches publiques, sa vaste ZES autour du port d’Aqaba, mais aussi ses points francs, ce pays a surtout créé un type particulier de zones franches, baptisées Qualifying Industrial Zones, ou QIZ (13 en 2007, représentant 20 % du total de la valeur des exportations jordaniennes : textile, bijouterie, cuir, produits pharmaceutiques). Apparues en 1998 dans la foulée des accords de paix israélo-jordaniens, celles-ci sont spécifiquement tournées vers l’exportation en direction des États-Unis (accès libre et sans quotas) qui, par ce biais, témoignent de leur souci d’appuyer leur allié traditionnel dans la région, du fait de son rôle d’État-tampon entre Israël et l’Irak. Fortes de 37 000 emplois directs, les QIZ ont incontestablement étoffé un secteur industriel jusque-là très déficient. L’Afrique subsaharienne est la région qui totalise le plus grand nombre de pays dotés d’un régime de zone franche (32 pays sur 48), sans pour Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 572 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 573 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin autant avoir inversé la donne sur le plan manufacturier, car leur attractivité reste très faible auprès des investisseurs locaux et étrangers. Sur les 94 zones franches recensées en 2007, 41 relèvent de surcroît du seul Kenya (2 EPZ publiques ; 39 EPZ privées, souvent minuscules et n’abritant volontairement qu’un très petit nombre d’entreprises). Quelques pays ont fait cependant avec un certain succès des zones franches un pilier de leur stratégie de développement, à l’instar de Maurice à partir de 1970, de Madagascar et du Togo (1989), du Kenya (1990) ou du Ghana (1995). Pionnier à l’échelle du continent africain, le Sénégal (1974) a cependant totalement échoué dans sa stratégie d’accueil des entreprises étrangères en mal de délocalisation alors que les moyens déployés furent initialement très importants. Bien que pionnière en la matière (Uruguay dès 1923 ; Porto Rico en 1947 ; Panama en 1948 ; Brésil en 1957), l’Amérique latine s’est laissée doubler par l’Asie orientale dans les années 1960 et 1970. Pour la plupart d’entre eux adeptes de la stratégie de substitution aux importations – destinée à satisfaire en priorité les marchés domestiques –, ces pays n’ont pas fait de l’exportation de biens manufacturés une priorité. L’ensemble ne compte cependant pas moins de 203 zones franches en 2007 (dont 66 en Amérique du Sud et 71 en Amérique centrale). Au sein des Caraïbes (66 zones franches), la République Dominicaine occupe une place déterminante, avec un total de 58 (dont 33 privées), très largement tournées vers la satisfaction du marché nord-américain (produits textiles). Un certain nombre de pays du Tiers-monde n’apparaissent pas encore dotés de zones franches. Il s’agit essentiellement d’îles situées en position très excentrée par rapport aux grands centres d’impulsion économique et aux principales routes du commerce mondial, ce qui les contraint à faire d’autres choix de développement (tourisme notamment), à l’instar de l’Océanie (seul le Vanuatu s’est doté d’un texte en 2003), ou de pays enclavés (Afrique subsaharienne, Asie centrale et occidentale). L’absence d’accès à la mer constitue un frein évident au développement international des échanges, sachant que beaucoup de zones franches se localisent de préférence en position d’interface, dans des ports actifs et sur des axes maritimes majeurs. Le niveau de développement atteint par les pays constitue également un facteur discriminant. Ainsi, la moitié des 50 PMA (pays les moins avancés) ne dispose pas de textes en la matière, faute de pouvoir proposer un environnement des affaires attractif, des infrastructures modernes (notamment en terme de transport), un niveau de formation de la maind’œuvre suffisant, ou plus simplement parce qu’ils présentent un risquepays trop important pour les investisseurs. Les pays industrialisés se singularisent par leur intérêt relatif vis-à-vis des zones franches (15 pays, 305 zones franches, dont 76 % pour les seuls États-Unis). Ceux-ci n’en ont guère besoin, il est vrai, pour assurer leur développement, si ce n’est pour tenter de redynamiser des territoires excentrés (cas de l’Union européenne, avec les Canaries, la Corse ou encore Madère ; ou encore du Japon, avec son unique zone franche implantée dans Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin l’île lointaine d’Okinawa) ou faciliter la fonction de hub portuaire et aéroportuaire dans certains lieux précis. Pourtant pionnière en la matière, avec ses ports francs hérités de la Hanse (dont Hambourg et Brême), de même qu’avec ses « villes franches » médiévales, l’Europe occidentale n’en totalise officiellement que 41 (dont 8 ports francs en Allemagne), réparties dans 13 pays. La plus connue reste celle de Shannon, en Irlande, qui a démarré ses activités industrielles et commerciales en 1958 en se positionnant comme tremplin européen pour les entreprises nord-américaines. Elle a joué un rôle essentiel dans l’essor industriel de ce pays (électronique et pharmacie), avant de se fondre dans le paysage économique (32 % de la valeur des exportations en 1966, contre seulement 2,8 % en 2006). En dehors de ses 100 zones franches urbaines (ZFU), la France a appliqué le concept de zone franche à l’ensemble de la Corse en 1996. Puis, elle a créé deux petites zones franches : l’une le long de l’estuaire de la Gironde (terminal à conteneurs du Verdon) à partir de 1999, mais ses 59 ha peinent à se remplir ; l’autre en Guyane, à Rémire-Montjoly, dans la périphérie de Cayenne. Bien plus ambitieuse apparaît en revanche la politique des États-Unis en la matière, au travers de leurs 263 zones franches commerciales (General Purpose Zones), mises en œuvre depuis 1934 (mais en fait surtout depuis la crise des années 1970) et présentes dans la plupart des ports et des villes importantes (façades littorales, Manufacturing Belt, « vieux » sud et centreouest), auxquelles s’ajoutent environ 400 Subzones, ou points francs, qui jouèrent un rôle significatif dans le mouvement de réindustrialisation des années 1980-1990 (assemblage automobile notamment). Fait très significatif, la floraison des zones franches dans les pays d’Europe orientale et balkanique (89 zones franches dans 15 pays) a suivi dans des délais très brefs l’effondrement du communisme au début des années 1990. Nombre d’observateurs y ont vu la marque tangible de leur forte volonté d’insertion dans les rouages de l’économie mondiale. Les résultats les plus probants ont été enregistrés dans les pays d’Europe médiane entrés dans l’Union européenne et devenus très attractifs dans le cadre des délocalisations depuis l’Europe occidentale. La Pologne possède ainsi 14 ZES depuis 1994, qui ont joué un rôle essentiel dans l’apprentissage des règles de l’économie de marché, au même titre que les zones franches de Bulgarie (6), de Roumanie (6) ou de la République Tchèque (9). Mais les 12 zones franches répertoriées dans les pays baltes et les 44 recensées dans les pays de l’ex-Yougoslavie jouent encore pour la plupart un rôle très marginal. 2 Zones franches et interactions spatiales : une grille d’analyse L’étude des zones franches offre à la géographie économique et industrielle un champ d’investigation très vaste permettant notamment d’aborder à toutes les échelles l’analyse des relations et des flux entre entreprises, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 574 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 575 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin acteurs du développement et territoires sous un angle renouvelé. Cette approche par les interactions spatiales pose notamment la question essentielle de la plus ou moins bonne insertion des zones franches dans le tissu économique d’accueil (soit les fameuses « retombées » locales), mais aussi dans les rouages de la mondialisation (sous l’angle de l’attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers et des débouchés à l’export), surtout dans le cas des zones franches d’exportation, qui constitueront le cœur de notre questionnement. L’exercice est complexe, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté à cerner de manière globale le fonctionnement d’une zone franche en relation avec son environnement économique, ou encore des insuffisances des appareils statistiques. Les interactions sont en effet multiples, très variables selon le type de zone franche, le niveau de développement des pays d’accueil, les entreprises et les secteurs d’activité concernés. Certaines de ces interactions présentent également une volatilité forte (notamment à l’international), difficile à suivre, par exemple en ce qui concerne les marchés ou les relations de sous-traitance. Enfin, la question des seuils à partir desquels l’on peut parler d’intégration plus ou moins réussie n’a guère été tranchée, si bien que les interprétations et les exigences peuvent varier selon les observateurs. La confrontation entre la réalité observée sur le terrain et l’approche théorique reste néanmoins pertinente. Quelques pistes sont proposées dans cette seconde partie. La réflexion s’appuie sur le modèle ci-contre (fig. 2), qui synthétise les principales interactions spatiales tissées entre une zone franche d’exportation et son environnement économique, déclinées aux niveaux local, régional et national (à gauche du schéma), et international (à droite). 2.1 Quels effets d’entraînement sur les tissus économiques d’accueil ? Eu égard à la grande variété des situations observées, mais aussi devant la rareté des études monographiques approfondies consacrées aux zones franches, il est encore difficile de pousser bien loin les conclusions. Les travaux déjà existants ou actuellement menés permettent cependant d’affirmer que l’« effet d’enclave » – souvent dénoncé a priori par les détracteurs des zones franches – est à fortement relativiser. Selon ces derniers, celui-ci caractériserait des zones franches qui fonctionneraient en quelque sorte dos tourné au reste du territoire national, en n’entretenant avec lui que le strict minimum (apport de main-d’œuvre notamment). Cette analyse s’appuie notamment sur différents éléments qui incarnent effectivement leur extraversion : l’existence de barrières physiques et douanières qui les soustraient du régime commun, leur vocation fondamentalement exportatrice, leur localisation en position d’interface, ou encore leur propension à attirer les entreprises étrangères. Dans cette perspective, les zones franches sont souvent décrites comme « plaquées » sur les économies d’accueil et très largement dépendantes de l’international pour leurs approvisionnements en intrants, leurs capitaux, leurs technologies ou encore leurs débouchés. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Fig. 2 ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Zones franches et interactions spatiales : un modèle de fonctionnement idéal. Free zones and spatial interactions : an ideal type. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 576 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 577 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Construit à partir de l’étude fine d’un échantillon représentatif de zones franches 3, le modèle théorique ci-contre témoigne de la diversité des interactions qui lient les zones franches aux territoires d’accueil, déclinées depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle nationale. Naturellement, ce modèle renvoie à une situation idéale. La composition, l’intensité ainsi que le rayon d’action des dynamiques et des flux concernés varient en effet très fortement en fonction des situations observées. Les cas d’insertion de zones franches les moins probants sont essentiellement relevés dans les pays pauvres et peu industrialisés, en raison de la faiblesse générale des tissus économiques d’accueil qui ne permet pas la démultiplication de leurs retombées favorables, notamment du fait de la quasi-absence d’entreprises locales partenaires situées hors zone franche, par exemple dans la sous-traitance, la fourniture d’intrants, etc. De surcroît, la faible valeur ajoutée des produits fabriqués, leur hétérogénéité, de même que la sophistication peu poussée des process industriels expliquent que les transferts de technologies, d’expériences et de savoir-faire vers le reste de l’environnement économique soient aussi très limités. Faute d’entrepreneurs locaux actifs sur les créneaux manufacturiers à l’export, ces zones franches n’accueillent généralement que des PMI-PME étrangères dans une logique sectorielle « attrape-tout » préjudiciable à la spécialisation et à la montée en gamme, et donc au développement de relations inter-entreprises (cas de l’Afrique subsaharienne par exemple). Finalement, l’insertion locale des zones franches dans ces pays ne se réalise qu’au travers des emplois (au mieux quelques milliers), des salaires distribués ou encore des devises engrangées par l’Etat. Faute de personnels d’encadrement qualifiés, les entreprises agréées ont enfin recours à des expatriés, ce qui accroît encore leur extraversion. Quelques rares PMA échappent en partie à ce schéma, à l’instar de Madagascar (au travers de ses points francs) et du Bangladesh (six EPZ), qui ont su jouer la carte de la spécialisation (textile-habillement) et pour lesquels les retombées locales se traduisent par des volumes d’emplois très importants (respectivement 100 000 et 124 000 personnes en 2007), ainsi que par la constitution de véritables filières textiles à l’amont (usines de fil et de tissus notamment). Dans le cas de Madagascar cependant, les investisseurs locaux demeurent très minoritaires, si bien que les entreprises étrangères présentes ne peuvent guère compter sur eux pour les appuyer dans leurs opérations de lobbying auprès des pouvoirs publics. Si l’insertion idéale reste encore à définir, nombre de zones franches implantées dans des pays émergents d’Asie orientale (Chine, Corée du Sud, Malaisie, Taiwan, Singapour, Indonésie, etc.), d’Amérique Latine (Brésil, Uruguay, etc.), ou d’Europe orientale (Pologne) en présentent un certain nombre de caractéristiques de par la diversité des interactions qu’elles ont su tisser avec leurs milieux d’accueil, tant par leurs approvisionnements en 3 Ce modèle idéal a été construit dans le cadre de l’Atlas mondial des zones franches en cours. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin intrants auprès de fournisseurs locaux (matières premières, composants), la sous-traitance qu’elles génèrent hors zone franche, ou encore le nombre élevé d’entreprises locales qui s’y sont installées, multipliant ainsi les opportunités de joint-venture avec des entreprises étrangères. Leur spécialisation souvent observée sur des activités à valeur ajoutée croissante et à fort contenu de savoir-faire est incontestablement à l’origine d’effets d’entraînement mutuels, de même qu’à la constitution d’une « atmosphère » industrielle. Cette dernière est encore renforcée lorsque plusieurs zones franches sont présentes au sein d’une même agglomération (à l’instar de ce qui s’observe à Taiwan, autour de Kaohsiung et de Taichung) en complémentarité avec des zones industrielles et d’activités classiques, ou lorsqu’une zone économique spéciale très attractive attire plusieurs milliers d’entreprises (cas de Shenzhen en Chine). Ces effets d’entraînement ne sont pas sans rappeler ce qui s’observe dans les « clusters » technologiques, ou encore dans les « districts industriels » au sens marshallien. Si la composante recherche & développement est généralement absente des zones franches en raison de leur vocation essentiellement productive, celle-ci a fait néanmoins son apparition dans des parcs technologiques développés sur le modèle dérogatoire. L’un des exemples les plus emblématiques est sans conteste celui de Hsinchu, à Taiwan, qui a ouvert ses portes en 1980, à 70 km de Taipei. Bénéficiant d’une exemption de l’impôt sur les sociétés durant 5 ans, les quelques 300 entreprises actuellement implantées (circuits intégrés, optoélectronique, ordinateurs et périphériques, télécommunications, biotechnologies, etc.), dont une cinquantaine seulement sont étrangères, emploient au total plus de 100 000 personnes, souvent très qualifiées. Désormais, près de 80 % des semi-conducteurs taiwanais y sont fabriqués, dont l’île est le troisième exportateur mondial. Sur son modèle, deux nouveaux parcs technologiques ont été créés, l’un à Tainan en 1995, la quatrième ville du pays, l’autre à Kaohsiung. Les effets multiplicateurs générés par les zones franches sur les tissus économiques d’accueil dépendent enfin fortement de l’ambition affichée par les États en la matière, ainsi que de leur rôle assigné en matière d’aménagement du territoire. Si certains pays ne disposent que d’une seule zone franche, de surcroît peu attractive (Cameroun, Libye, Sénégal, Venezuela, Yémen, etc.), ceux-ci font exception. La norme est désormais de les multiplier, voire de décliner le concept sous toutes ses formes possibles. 2.2 Une insertion diversement réussie dans l’économie internationale Contrairement aux idées reçues, toutes les zones franches n’ont pas vocation à s’inscrire puissamment dans les échanges internationaux, c’est-à-dire à apparaître comme des nœuds incontournables de la mondialisation et de la division internationale du travail (DIT). Seules les grandes zones franches commerciales – notamment portuaires – et les zones franches d’exportation les plus dynamiques peuvent prétendre jouer pleinement ce rôle à l’échelle mondiale. Dans la grande majorité des cas, la vocation de leurs marchés est au mieux régionale, ce qui est déjà fort enviable, en adéquation avec la Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 578 • François Bost Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 579 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin dynamique de régionalisation de l’économie mondiale telle qu’elle s’observe aujourd’hui. Certaines zones franches n’ont même qu’une vocation transfrontalière avec un pays voisin. L’origine préférentielle de certains investisseurs étrangers, de même que les débouchés prioritaires en terme de marchés de consommation déterminent finalement les interactions spatiales aux échelles supranationales. Ainsi les 58 zones franches de la République Dominicaine sont-elles fondamentalement dépendantes du marché nord-américain, comme les points francs de Maurice ou les zones franches de l’Europe Orientale (Pologne, République Tchèque, Roumanie, etc.) peuvent l’être de l’Europe occidentale. La spécialisation sectorielle de certaines zones franches dans les hautes technologies, principalement en Asie orientale, précisément sur des produits connaissant des rythmes de renouvellement très rapides et des marchés réellement mondiaux (informatique, téléphonie, etc.), explique en revanche la grande variété de leurs donneurs ordres et des nationalités en terme d’investissements directs étrangers (IDE). Il en va de même dans le cas de ces zones franches, plus nombreuses encore (Asie orientale et occidentale, Caraïbes, Maghreb, Turquie, etc.), spécialisées dans des produits manufacturés ou des services à fort coefficient de main-d’œuvre bon marché (textile-habillement, chaussure, jouet, électronique grand public, composants informatiques, centres d’appels téléphoniques, saisie informatique, etc.), dont les débouchés se trouvent presque exclusivement dans les pays industrialisés, voire les pays émergents les plus avancés. Sous-tendu par les nouveaux impératifs de flexibilité et de compétitivité des firmes, le recours de plus en plus systématique aux délocalisations industrielles et de services depuis les pays industrialisés a constitué au cours des années 1970-2000 le principal moteur de la dynamique enregistrée au sein des zones franches les plus actives dans le monde en développement, tant par l’implantation de filiales de firmes importantes que de PMI-PME innovantes. Parallèlement, des entreprises se sont développées dans ces zones franches à partir de capitaux locaux ou dans le cadre de joint-venture. Il n’est pas rare que ces entreprises soient même majoritairement représentées. Souvent reconnues pour leurs savoir-faire techniques, technologiques et managériaux, de même que pour leurs coûts de revient ultra compétitifs, ces entreprises locales dispensent dans bien des cas les firmes étrangères de s’implanter en propre au profit du sourcing, ces dernières préférant alors s’approvisionner en direct via leurs centrales d’achat. Aussi ces zones franches ont-elles joué un incontestable rôle de catalyseur de l’activité économique, surtout dans les pays émergents. Depuis le début des années 2000, ces flux nord-sud se sont enrichis d’une nouvelle composante, sud-sud cette fois, depuis certains pays émergents aux coûts de main-d’œuvre de moins en moins compétitifs (Corée du Sud, Taiwan, etc.) vers les zones franches de pays qui entendent bien profiter de cette opportunité de croissance nouvelle (Chine, Viet-Nâm, etc.). Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles 580 • François Bost ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Dans le contexte contemporain de concurrence exacerbée entre les firmes, ces zones franches dynamiques sont ainsi devenues des lieux d’implantation privilégiés pour la sous-traitance internationale, que celle-ci soit de « capacité » (effets de volumes) ou de « spécialité » (compétence reconnue). Les stades de la production y sont diversement représentés (assemblage final, sous-assemblage, production de composants plus ou moins complexes), ce qui permet d’apprécier leur degré d’inscription dans la division internationale des processus productifs (DIPP). Des outils et des leviers utiles Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 3.1 Des effets d’entraînement reconnus sur l’emploi Les créations d’emplois générées par les zones franches sont censées théoriquement compenser le manque à gagner fiscal qui prive les États de ressources budgétaires supplémentaires, notamment dans les domaines sociaux, éducatifs ou de la santé. Aussi les détracteurs des zones franches ne manquent-ils pas de monter au créneau lorsque les résultats ne sont pas rapidement au rendez-vous. Les occasions de le faire ont été nombreuses, en raison des ambitions souvent disproportionnées affichées originellement par nombre d’États rapportées à leurs possibilités réelles. Le Togo, par exemple, tablait sur 100 000 emplois en 1990 lors de l’inauguration de la zone franche de Lomé ! Cependant, c’est bien sur le front de l’emploi que les zones franches présentent le bilan le plus appréciable. Plusieurs petits pays – insulaires en particulier – ont joué pleinement sur ce levier, si bien que l’emploi manufacturier y est essentiellement assuré par les zones franches. C’est le cas, par exemple, à Maurice (55 000 emplois en 2006, après avoir atteint 92 000 emplois à la fin des années 1990), ou encore en République Dominicaine (175 000 emplois). Dans certains petits pays très pauvres, l’impact est encore plus fort. Ainsi, au Togo, les 61 entreprises agréées en zone franche sont devenues – hors secteur primaire – plus pourvoyeuses d’emplois (10 000 environ en 2006) que celles situées en régime commun, au point de représenter plus de la moitié des emplois du secteur secondaire togolais ! C’est dire l’incapacité structurelle de l’économie togolaise (et, par extension, des pays les plus pauvres) à créer des emplois industriels en régime commun, d’une part en raison de l’étroitesse du marché de consommation national, mais aussi du manque de compétitivité des entreprises locales, de leurs difficultés chroniques à exporter au niveau sous-régional, ou à investir dans la modernisation de leur outil de production (Bost, 2007). Inversement, dans les pays en développement fortement peuplés, l’emploi dans les zones franches apparaît logiquement dilué et ne revêt pas en valeur relative la même importance que pour les petits pays (0,5 % de l’emploi formel dans l’industrie en Inde, par exemple). Il est même tout à fait négligeable dans les pays développés : les 110 entreprises de Shannon, par exemple, ne représentaient que 7 207 emplois directs Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 3 Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 581 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin en 2006, tandis que l’ensemble du dispositif étasunien ne concernait que 330 000 personnes seulement. Quoiqu’il en soit, la mise en œuvre de programmes de zones franches ambitieux s’est traduite dans nombre de pays en développement par une évolution structurelle et très significative de l’emploi. En effet, ceux-ci ont tout d’abord participé à l’essor du salariat dans des pays surtout dominés par l’emploi informel. Ils ont aussi contribué au développement de l’emploi féminin en dehors des secteurs traditionnels de l’agriculture et des services domestiques, notamment dans les zones franches dominées par les activités à faible valeur ajoutée et à forte intensité de main-d’œuvre (assemblage, sous-assemblage, etc.), où la main-d’œuvre féminine peut représenter jusqu’à 80 % du total. Le profil moyen du salarié en zone franche est donc d’abord celui d’une femme, jeune de surcroît. Les hommes redeviennent en revanche majoritaires dans les activités à plus forte valeur ajoutée. Enfin, la présence d’entreprises fortement inscrites dans les échanges internationaux contribue à la hausse du niveau de formation de la main-d’œuvre, via les transferts de technologie et l’apprentissage de process industriels plus complexes. Ce volet rencontre cependant rapidement ses limites dans la mesure où l’emploi féminin est assez peu représenté dans les activités à technologies avancées. A ces emplois directs doivent enfin être rapprochés les emplois indirects (sous-traitance, services, fourniture, etc.), dont le nombre dépend étroitement des interactions tissées avec le tissu économique local. Selon les pays concernés, le ratio varie ainsi de 0,2 (Afrique subsaharienne, Amérique centrale) à 3 (Asie orientale). Si les appareillages statistiques se sont étoffés au fil des années, il reste néanmoins délicat de suivre l’évolution de l’emploi en zone franche à l’échelle mondiale en raison des approximations entourant encore certains pays, la Chine en premier lieu. En 1997, une première estimation du BIT établissait à 22,5 millions le nombre de personnes employées dans ce cadre (à rapporter aux 800 000 personnes recensées en 1975 par le BIT), dont 18 millions pour la seule Chine (ce qui en dit long sur la force de frappe manufacturière de ce pays promu « atelier du monde »). En 2002, le BIT a réactualisé ces chiffres, avec respectivement 37 et 30 millions d’emplois concernés. Aucune nouvelle estimation n’a été proposée depuis, y compris par les autorités chinoises. Le chiffre de 40 millions de personnes en Chine est depuis souvent avancé par différentes sources, mais invérifiable pour le moment. Les données rassemblées dans le cadre de l’Atlas mondial des zones franches permettent assurément d’établir entre 5,6 et 6 millions le nombre d’employés dans les zones franches en 2006 (hors Chine), puisque la majorité des pays les plus actifs en la matière disposent de chiffres officiels. Soit un total d’environ 46 millions de personnes, si l’on retient la fourchette des 40 millions en Chine. Le Mexique apparaît avec environ 1,1 million d’emplois dans les maquiladoras comme le second employeur mondial en la matière, suivi de près par les Philippines (904 000) et l’Inde (800 000, dont 700 000 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Articles 582 • François Bost ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin 3.2 La diversification sectorielle n’est pas toujours au rendez-vous La mise en concurrence des zones franches performantes aboutit dans le meilleur des cas à des « montées en gamme » sectorielles (on parle aussi de « sorties par le haut »). Les activités à faible valeur ajoutée et au contenu technologique limité sont alors progressivement abandonnées et relocalisées, notamment dans d’autres zones franches moins avancées sur le plan technologique (Chine notamment), au profit d’activités à plus forte valeur ajoutée (du textile-habillement à l’électronique par exemple) et nécessitant un personnel plus qualifié, moins nombreux et beaucoup mieux payé, de même que des investissements beaucoup plus capitalistiques. Maurice en fournit un remarquable exemple, avec la délocalisation vers les points francs malgaches du textile bas et moyen de gamme, et la réorientation progressive de ses activités en zone franche au profit des nouvelles technologies de l’information et de la communication (centres d’appels téléphoniques, services informatiques, conception de logiciels et d’outils pour internet etc.), afin de rester compétitive face à la montée des salaires. Observé couramment dans les pays émergents, ce schéma idéal fait cependant encore largement défaut dans les pays à revenus intermédiaires et les PMA. Ceux-ci restent en effet généralement confinés sur des activités à faible valeur ajoutée, ce qui n’est pas sans nourrir beaucoup d’inquiétude à moyen terme face à la montée en puissance de la Chine sur ce créneau. Quoiqu’il en soit, les zones franches ont joué un rôle important – voire majeur – dans la diversification des exportations des pays en développement, y compris pour les plus pauvres d’entre eux. De véritables filières industrielles sont souvent nées à cette occasion (textile-habillement, jouet, Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin dans les points francs, ou Export Oriented Units). Derrière ce quatuor de tête figurent les pays situés entre 300 000 et 100 000 emplois : États-Unis (330 000) ; Malaisie (300 000) ; Sri Lanka (270 000) ; Tunisie (267 000) ; Ukraine (137 000) Bangladesh (124 000) ; Pologne (112 000) ; Thaïlande (108 000) ; Honduras (106 000) ; Madagascar (100 000) ; Brésil (100 000) ; Taiwan (100 000). Un quatrième groupe, compris entre 100 000 et 50 000 emplois, paraît un peu moins étoffé : Égypte (80 000) ; Brésil (80 000) ; Nicaragua (60 000), Maurice (55 000) ; Espagne (50 000). Les pays situés entre 40 000 et 10 000 emplois en zone franche sont à peine plus nombreux : Turquie (40 000), Kenya (39 000), Jordanie (37 000), Bolivie (33 000), Maroc (18 000) ; Ghana (10 000), Togo (10 000). Aussi, la plupart des pays dotés de régimes de zones n’emploient-ils au mieux que quelques milliers de personnes, à l’instar du plus fameux d’entre eux l’Irlande (Shannon employait 7 207 personnes en 2006). Au total, en dehors de deux PMA (Madagascar et Bangladesh), les zones franches paraissent surtout réussir dans les pays émergents les plus en phase avec la mondialisation, en raison de leur environnement des affaires réactif et efficace, de leurs infrastructures performantes, ou encore du niveau de formation de leur main-d’œuvre. Articles Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 583 chaussure, articles de sport, électronique grand public, etc.), si bien que les pays les plus dynamiques en la matière (Malaisie, République Dominicaine, Maurice, Madagascar, Mexique, etc.) réalisent désormais entre le tiers et les deux tiers de leurs exportations et de leurs entrées de devises grâce à leurs zones franches. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Signe tangible de l’intérêt porté à leur égard, les zones franches sont encore vivement encouragées dans le Tiers-monde par de grands organismes de développement multilatéraux (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel, ou ONUDI ; Banque mondiale ; etc.) ou bilatéraux (Overseas Private Investment Corporation, ou OPIC ; etc.), ce qui leur confère une caution de poids, en plus d’un appui financier. L’Organisation Mondiale du Commerce a appris à composer avec elles – en dépit de l’entorse au principe de la libre-concurrence – car elles constituent dans nombre de pays l’un des rares moyens pour accéder à l’industrialisation et entrer dans les échanges internationaux. Mais la montée en puissance de l’emploi en leur sein, de même que leur participation de plus en plus active au commerce mondial ont souvent placé les zones franches sous le feu roulant des critiques au cours des années 1980 et 1990, en raison des atteintes aux libertés syndicales et des conditions de travail difficiles qui ont pu être observées dans un certain nombre d’entre-elles. À la faveur des montées en gamme industrielles (qui nécessitent une main-d’œuvre plus qualifiée et mieux formée), de la progression de la syndicalisation, mais aussi de l’amélioration des conditions de travail (notamment à l’instigation des firmes étrangères soucieuses de préserver leur image de marque), ces critiques se sont faites moins virulentes au fil des années. Si des abus sont toujours dénoncés à juste titre, principalement dans les zones franches hyper concurrentielles d’Asie orientale (tout particulièrement en Chine) et du Mexique, les études de cas (hors Chine) montrent que ceux-ci ont plutôt tendance à se déplacer hors zone franche, notamment chez les sous-traitants locaux, peu regardants en la matière et sans prises directes avec l’opinion publique des pays industrialisés… La dureté des conditions de travail reste cependant le lot commun de l’immense majorité des zones franches du Tiers-monde (mais sont-elles si différentes de celles relevées dans l’industrie hors zone franche ?). Aussi la main-d’œuvre ouvrière peu qualifiée connaît-elle une forte rotation, après quelques années intensives passées à capitaliser un petit pécule qui sera souvent investi dans le cadre d’une activité personnelle (petits commerces par exemple). Les rémunérations pratiquées par les entreprises en zone franche sont en effet en moyenne supérieures à celles relevées hors zone franche, à qualification égale, donc plus attractives, précisément pour se mettre à l’abri d’un trop fort turn over de la main-d’œuvre. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Conclusion 584 • François Bost ANNALES DE GÉOGRAPHIE, N° 658 • 2007 L’attention internationale portée sur les zones franches s’est cependant déplacée depuis le milieu des années 2000. Critiquées hier, les zones franches font désormais l’objet de certaines inquiétudes face à la participation grandissante de la Chine aux échanges internationaux de biens manufacturés (surtout depuis la levée des Accords sur les Textiles et les Vêtements, le 1er janvier 2005), qui prive nombre de zones franches du Tiers-monde de leurs débouchés à l’export. L’emploi tend en effet à stagner dans ces pays, tandis que de nombreuses entreprises étrangères commencent à relocaliser vers la seule Chine leurs activités déjà délocalisées… S’il est encore bien hasardeux de pronostiquer la disparition à terme des zones franches, il est incontestable que nombre de pays du Tiers-monde ne sortiront pas indemne de cette nouvelle donne. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Bibliographie Banque mondiale (2001), « Les zones franches industrielles en Afrique subsaharienne », Findings, 193, 4 p. Barbier J.-P., Véron J.-B. (1991), Les zones franches industrielles d’exportation (Haïti, Maurice, Sénégal, Tunisie), Paris, Karthala, 166 p. Barbier J.-P. (1990), « Zones franches industrielles d’exportation : solution ou illusion ? », Afrique contemporaine, n° 153, p. 72-80. Bost F. (dir.) (en cours de finalisation), Atlas mondial des zones franches, Paris, La Documentation française. Bost F. 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Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Université Paris-X-Nanterre Département de Géographie 200, av. de la République 92001 Nanterre Cedex [email protected] Articles Les zones franches, interfaces de la mondialisation • 585 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 187.126.170.82 - 15/12/2012 02h30. © Armand Colin Paulmier T. (2001), « L’expérience technopolitaine de Hsinchu à Taiwan : un pôle de croissance en transition vers un district industriel ? », Revue Économie Régionale et Urbaine, n° 3, p. 479-494. Schrank A. (2001), « Export Processing Zones : free Market Islands or Bridges to Structural Transformation », Development Policy Review, p. 223-242. Warr P.G. (1989), « Export Processing Zones. The Economics of enclave Manufacturing », World Bank Research Observer, vol. 4, n° 1, January, p. 65-68. Watson Peter G. 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