les relations investisseurs
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LES RELATIONS INVESTISSEURS Quelques réflexions sur un métier singulier Vincent Gouley et Patrick Massoni Les relations investisseurs Table des matières Un métier multi-facettes ....................................................................2 Plus qu’un communicant ou un commercial......................................6 Une obsession : l’accès au marché...................................................10 Un responsable marketing en puissance..........................................14 Un rôle fondamental d’interface avec le marché.............................18 Des talents de conteur…...................................................................22 Une présentation soignée ................................................................26 Un professionnel connecté...............................................................31 Une curiosité de tous les instants ....................................................34 Une implication nécessaire auprès des organes de direction..........37 Quelques mots de conclusion ..........................................................39 Achevé de rédiger en septembre 2014 1 Quelques réflexions sur un métier singulier Un métier multi-facettes « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité… Elle me croit pianiste dans un bordel » Jacques Séguéla (1979) Les relations investisseurs sont un métier à part, qui ne concerne qu’un nombre limité de sociétés et s’en trouve de ce fait assez méconnu. Véritable interface entre les sociétés cotées en Bourse et les marchés financiers, c’est pourtant une fonction stratégique dont les enjeux et la complexité n’ont cessé de croître ces vingt dernières années. Pour faire simple, sa mission consiste à s’assurer que le marché financier valorise au mieux l’entreprise cotée en bourse dans la durée, en expliquant sa stratégie, son business model et son écosystème. Très schématiquement, les relations investisseurs agissent sur la valorisation des sociétés cotées, sur la liquidité de leur titre et sur la composition de leur actionnariat. Dans des marchés par nature instables où les accidents de parcours ne sont pas rares, elle permet de renforcer la résilience de la valeur de l’entreprise, à savoir sa capacité à reprendre rapidement un niveau de valorisation normal après avoir subi une perturbation (alerte sur les résultats, opération financière d’envergure, communication de crise…). 2 Les relations investisseurs Paradoxalement le métier des relations investisseurs doit son existence à l’imperfection des marchés financiers. Vu sous un autre angle, on peut considérer que cette profession est la preuve vivante que les marchés ne sont pas parfaits. Si les règles d’efficience des marchés financiers étaient vérifiées, les intervenants de marché pourraient traiter immédiatement une quantité infinie d’information sur les sociétés cotées et prendre leurs décisions d’investissement de façon rationnelle. Or il n’en est rien. L’être humain ne peut traiter qu’un nombre limité d’informations simultanément. Il est sujet à de nombreux biais cognitifs et utilise des raccourcis – aussi appelés heuristiques – parfois dangereux pour se décider. Il existe de très nombreuses familles d’heuristiques : représentativité, disponibilité, i ancrage et ajustement . Finalement la sophistication de ce métier a évolué concomitamment avec celle des marchés financiers depuis sa création dans les années 60 aux Etats-Unis. Ce métier a débarqué un peu plus tardivement en Europe où il a toutefois suivi la même courbe d’évolution. En France par exemple l’intitulé de l’association professionnelle des relations investisseurs, le CLIFF, fondée dans les années 80, est assez révélateur de cette mutation. L’acronyme CLIFF signifie Centre de Liaison des Informateurs Financiers Français. Il en dit long sur les missions qui 3 Quelques réflexions sur un métier singulier étaient alors dévolues aux responsables de la communication financière à l’époque. Il s’agissait tout au plus d’informer le marché. Le rôle du responsable des relations investisseurs se résumait ainsi à celui d’un informateur. On mesure le chemin parcouru depuis ce temps-là. L’informateur s’est mué en professionnel des marchés financiers, sophistiqué et multitâches. Selon les circonstances il devra démontrer sa capacité à faire face à l’un et/ou l’autre des nombreux enjeux de sa fonction : financiers bien sûr, juridiques souvent, de communication par nature mais plus généralement de marketing. Contrairement aux idées reçues, ces enjeux ne sont pas nécessairement fonction de la taille de la société : la réglementation boursière ne fait que peu de différence entre large et mid caps, voire small caps. De plus les enjeux de la Bourse, en tant que source de financement, sont souvent plus critiques pour les sociétés de taille moyenne qui ne disposent pas des mêmes alternatives que les grands groupes. Enfin leur taille plus réduite les rend à la fois plus sujets et plus vulnérables aux aléas opérationnels, multipliant ainsi les occasions de communiquer. Enfin le métier des relations investisseurs a ceci de particulier que son périmètre dépend des 4 Les relations investisseurs caractéristiques de la société cotée : son profil, sa situation, a structure actionnariale, la sensibilité de son management et sa taille. Autant il fait l’objet d’une division du travail assez poussée de type fordiste dans les très grandes entreprises du CAC40, autant dans les plus petites capitalisations le responsable des relations investisseurs peut avoir un large éventail de missions : production du rapport annuel, réalisation du document de référence, relations presse avec les journalistes économiques et financiers, relation avec les agences de notation, développement durable, relation avec les prêteurs bancaires, les investisseurs obligataires, etc. Les chapitres qui suivent seront l’occasion d’évoquer les différentes facettes des relations investisseurs, de manière forcément partielle pour ne pas dire partiale. Notre ambition n’est pas de rédiger un manuel en la matière, mais plus modestement de partager quelques réflexions issues d’une pratique au quotidien de ce métier exigeant mais passionnant. 5 Quelques réflexions sur un métier singulier Plus qu’un communicant ou un commercial « L’extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes doit nous faire craindre de n’en donner guère à ceux qui nous écoutent » La Rochefoucauld Le responsable des relations investisseurs d’aujourd’hui n’est pas seulement un porte-parole de la société auprès de la communauté financière, comme pourrait le laisser penser son titre. Certes il participe en moyenne à plus de 200 rendez-vous investisseur par an et partage le plus clair de son temps entre les analystes financiers, les actionnaires actuels de la société et les investisseurs institutionnelsii. Pour autant son rôle ne saurait se résumer à de simples relations publiques. Sinon comment expliquer que la communauté des responsables des relations investisseurs soit majoritairement constituée de profils financiers (ancien analystes financiers, contrôleurs de gestion, responsables de la trésorerie et du financement…). Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que ces professionnels dépendent très souvent du directeur financier et très rarement du directeur de la communication. Le responsable des relations investisseurs ne peut pas 6 Les relations investisseurs non plus s’apparenter strictement à un commercial dont la mission consisterait à vendre les titres de la société aux investisseurs (ce qui permet à la société de se valoriser en bourse), au même titre qu’un vendeur placerait des produits manufacturés ou des services à des consommateurs. En effet sa mission est bien plus complexe que cela. Le responsable des relations investisseurs ne cherche pas à « conclure une vente », opération ô combien délicate comme le savent bien les vendeurs aguerris. D’ailleurs, les commerciaux débutants ratent souvent leur vente parce qu’ils ont peur de conclure ! Le responsable des relations investisseurs n’a pas vraiment ce type de préoccupation, il a donc de ce point de vue une situation relativement confortable : il n’est pas là pour vendre une quantité donnée de titres à un prix particulier. De plus il n’est pas tenu de s’engager dans une négociation comme c’est le cas dans une vente classiqueiii. Le métier le plus proche pourrait être celui de visiteur médical, dont la mission ne consiste pas stricto sensu à vendre un principe actif ou un traitement thérapeutique mais à en expliquer les applications à ses prescripteurs (les médecins hospitaliers par exemple). Elle suppose une parfaite connaissance du produit et un degré d’expertise élevé (le visiteur médical a souvent un profil universitaire ou 7 Quelques réflexions sur un métier singulier scientifique). A ce titre le responsable des relations investisseurs est un « Choice Architect »iv en ce sens qu’il doit être une source d’information fiable et pertinente pour faciliter la prise de décision des investisseurs. Comme le visiteur médical, sa matière est fortement encadrée ce qui l’oblige à veiller au respect des nombreuses contraintes réglementaires applicables à la communication financière : principe de transparence et d’égalité d’information (fair disclosure), de diffusion d’une information exacte, précise et sincère, obligation permanente de communiquer au marché les informations privilégiées, diffusion effective et intégrale de l’information réglementée, disponibilité et archivage… Il existe toutefois quelques similitudes entre le travail du responsable des relations investisseurs et celui du vendeur, qu’il n’est pas inutile de rappeler. Tout d’abord il doit se concentrer sur le récepteur : les bons vendeurs vous expliqueront que leurs interlocuteurs s’expriment plus qu’eux pendant les entretiens dans un rapport qui peut aller jusqu’à deux tiers / un tiers. L’écoute active est un principe cardinal qui repose sur un certain art du questionnementv. Cette phase d’écoute permet au responsable des relations investisseurs de comprendre le processus de décision d’investissement de son interlocuteur, ses motivations 8 Les relations investisseurs et ses besoins. Par ailleurs, comme le vendeur ou le visiteur médical, le responsable des relations investisseurs doit toujours mettre l’accent sur la différenciation de son titre par rapport aux titres ayant des profils similaires. En effet la concurrence existe aussi sur les marchés financiers et les investisseurs ont l’embarras du choix même si la société est sur une niche de marché ! Chaque société aime à se croire unique, mais ce n’est pas le cas pour les marchés financiers… Enfin la capacité de conviction du responsable des relations investisseurs repose avant tout sur lui-même, même s’il peut s’appuyer sur des outils d’aide à la vente comme par exemple une présentation Powerpoint. Plus de la moitié des informations reçues par l’investisseur passent par l’attitude, l’apparence et le son de la voix du responsable des relations investisseurs. Si ce que l’on dit est important, la manière de le dire l’est tout autant. 9 Quelques réflexions sur un métier singulier Une obsession : l’accès au marché « Pour une entreprise, ne pas réaliser de publicité c’est comme faire de l’œil à une fille dans le noir : vous savez ce que vous faites, mais personne d’autre ne le sait » Stuart H. Britt L’une des principales tâches des responsables des relations investisseurs est d’attirer les investisseurs institutionnels étant le mieux à même d’accompagner l’entreprise sur le long terme. Outre une stabilité actionnariale propice à la bonne conduite de ses affaires, une base d’investisseurs en phase avec la stratégie de sa société lui permettra de financer son développement et de valoriser au mieux les titres émis sur le marché. Malheureusement la classification des investisseurs (Growth, GARP, Value…) généralement offerte aux responsables des relations investisseurs ne donne pas vraiment d’information sur les motivations et le comportement des investisseurs. Cette inadéquation a bien été relevée par le cabinet de conseil en stratégie McKinseyvi qui propose une approche alternative qui paraît intéressante : il définit ainsi comme cible prioritaire la catégorie des « investisseurs intrinsèques » qui se caractérisent par l’effort qu’ils mettent à comprendre l’entreprise 10 Les relations investisseurs avant d’investir et le soutien qu’ils apportent ensuite au management et à sa stratégie sans se soucier de la volatilité des résultats à court terme. Ces investisseurs intrinsèques ont pour trait commun de gérer des portefeuilles relativement concentrés sur 30 à 50 valeurs en moyenne, qu’ils conservent plus de 3 ans en moyenne. Ils jouent en outre un effet psychologique important sur le reste de la communauté financière. Au-delà des propositions qui lui sont faites régulièrement par ses brokers attitrés, le responsable des relations investisseurs pourra par exemple chercher à diversifier sa base actionnariale en ciblant les Family Offices qui ont pris une grande importance ces dernières années, et dont les actifs sous gestion sont très significatifs et largement investis en actions. Suivant la taille de la société cotée et de son flottant, cette cible pourra être adressée directement par le responsable des relations investisseurs en dehors des roadshows annuels et semestriels. Par ailleurs, dans un marché du Corporate Access en pleine ébullition suite à la décision de la FCA (Financial Conduct Authority) au Royaume-Uni de modifier les règles de rémunération de ce service, les sociétés cotées peuvent très simplement participer à la désintermédiation en marche de la relation au 11 Quelques réflexions sur un métier singulier marché en enrichissant leur agenda financier de la rubrique Relations investisseurs de leur site Internet avec les dates précises et les lieux de roadshow et autres conférences investisseurs. Cette action simple permettra aux investisseurs de prendre connaissance du programme de roadshow des sociétés pour éventuellement y participer. Elle pourra être complétée par un abonnement à l’une des plateformes de mises en relation qui ont émergé ces derniers mois. Cette quête éperdue d’investisseurs de long terme ne signifie pas pour autant que le responsable des relations investisseurs doive négliger les hedge funds et plus généralement les gestions dites alternatives. Ces dernières représentent la majorité des échanges quotidiens sur son titre et, de ce fait, sont indispensables à sa liquidité en bourse ; pour autant, leur stratégie d’investissement n’est que rarement court-termiste, et elles peuvent parfaitement conserver un titre en portefeuille pendant plusieurs années. Dès lors ce n’est pas une mauvaise chose que d’avoir des hedge funds à son capital, à condition que le rapport avec les investisseurs intrinsèques reste maîtrisé. En revanche les gérants de hedge funds pratiquent la vente à découvert de manière plus intensive que leurs confrères au sein des gestions traditionnelles. A 12 Les relations investisseurs cet égard le responsable des relations investisseurs dispose de moyens pour surveiller le niveau de prêt – emprunt sur ses titres et les taux d’emprunts pratiqués. Ces données sont trop rarement analysées alors qu’elles donnent une idée assez précise de l’ampleur du short selling sur un titre. Pour ce faire il peut s’adresser à son broker favori ou bien vérifier cela sur le site de l’AMF qui fournit également des informations sur les positions courtes, qui doivent faire l’objet de déclarations périodiques. De même pour les sociétés ayant plusieurs catégories de titres cotés (des obligations, des actions voire des titres de créances bancaires) le broker ou la banque d’investissement qui accompagne la société pourra fournir des informations intéressantes sur le niveau des CDS (Credit Default Swap) et sur d’éventuels phénomènes d’arbitrage entre ces différentes classes d’actifs (à l’image de la stratégie consistant à être short sur l’action et long sur la dette). 13 Quelques réflexions sur un métier singulier Un responsable marketing en puissance « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles » Sénèque Et si finalement le responsable des relations investisseurs empruntait au responsable marketing dont la mission première est d’assurer le meilleur positionnement possible au titre de la société sur les marchés financiers. Mais un responsable marketing assez peu ou mal outillé par certains aspects. Si la communication financière a comme objectif d’adapter ses messages aux attentes de ses différentes cibles, l’analyse de la perception des sociétés cotées par les investisseurs reste un exercice trop peu développé. Un marketing efficace repose pourtant sur l’écoute des clients, la capacité à les comprendre et à correctement appréhender leur perception des produits ou services proposés, afin d’ajuster si besoin le fond et/ou la forme des messages. Il en va de même pour le marketing financier dont le sujet principal, l’entreprise, a la particularité d’évoluer dans des environnements divers et éminemment complexes. 14 Les relations investisseurs Il est vrai que l’analyse systématique de la perception des marchés est rendue difficile par la diversité, l’hétérogénéité et l’accessibilité des investisseurs, qui ont plus l’habitude de poser des questions que d’y répondre ! Le coût des traditionnelles enquêtes de perception en limite également la fréquence, voire l’existence, en ces périodes de contrainte budgétaire quasi-constante. Il existe pourtant un matériau qui permet de comprendre et de suivre de manière quasi-permanente la perception, à la condition d’appliquer une méthodologie d’analyse systématique et rigoureuse : les notes de recherche rédigées par les analystes financiers. Bien que largement décriés, les analystes financiers sell-side (travaillant au sein des brokers, par opposition aux analystes buy-side employés par les sociétés de gestion et qui ne diffusent par leurs travaux auprès des autres investisseurs) occupent encore et toujours une place prépondérante dans l’écosystème des marchés financiers. Une étude réalisée par le cabinet Brunswick en décembre 2013 a montré que les études des analystes financiers constituent la deuxième source d’information des investisseurs institutionnels après les incontournables sites Internet corporate des sociétés cotées. Les notes de recherche rédigées par les analystes financiers restent de fait un vecteur d’image 15 Quelques réflexions sur un métier singulier important dans la formation et l’évolution de la perception d’une société cotée. Or ce vecteur d’information échappe trop souvent à une analyse systématique et rigoureuse de la part des acteurs du marketing financier. L’exploitation des notes se limite bien souvent au suivi des recommandations d’achat ou de vente d’une part, et du consensus sur les résultats financiers attendus d’autre part. Si l’étude de ces composantes est indispensable, elle est insuffisante pour une compréhension fine de la perception de la société par les marchés, que ce soit en termes de thèmes sous-jacents ou de dynamique. Les notes de recherche offrent pourtant une mine d’information inégalable pour qui souhaite comprendre la perception des marchés, et constituent de ce fait une source de premier plan pour tout responsable du marketing financier. En constituant un creuset des différentes visions du marché, elle joue le rôle de la roche sédimentaire pour le géologue ! Et ce rôle est d’autant plus critique que moins de 40% de la valorisation des émetteurs est fondée sur les prévisions de résultats des analystes financiersvii ; l’essentiel de leur jugement repose sur ces données qualitatives, ou contenu rédactionnel, que l’on peut qualifier de soft information par opposition aux prévisions financières (hard data). Le marketing financier doit systématiquement s’intéresser à cette soft information, mais cela 16 Les relations investisseurs nécessite une méthodologie adaptée compte tenu de son caractère diffus et des biais inhérents à ses origines. 17 Quelques réflexions sur un métier singulier Un rôle fondamental d’interface avec le marché « Parler est un besoin, écouter est un art » Goethe Le responsable des relations investisseurs agit comme une véritable courroie de transmission à double sens entre sa société et les marchés financiers. Certes il informe ses interlocuteurs sur l’activité et les perspectives de la société qu’il représente, mais son rôle est également d’apporter de la valeur ajoutée en interne, en collectant et en analysant les informations obtenues dans le marché pour qu’elles soient utiles au management. A l’image du directeur marketing il se doit tout d’abord d’assurer une forme de veille concurrentielle. Le responsable des relations investisseurs doit par exemple effectuer régulièrement un benchmarking de la société par rapport à ses pairs, tant en terme de valorisation (pour déceler un écart de valorisation éventuel) que de niveau d’activité RI (la fréquence des annonces financières, le niveau de guidance donné au marché, le détail et la qualité des disclosures volontaires, la qualité du site web, la participation aux conférences investisseurs, l’audience aux conférences téléphoniques et aux réunions, la 18 Les relations investisseurs couverture de la presse économique et financière et des analystes et la part du capital détenue par les investisseurs institutionnels). Par ailleurs, les analystes financiers et les investisseurs ont une vision relativement large du marché. Par définition, ils s’intéressent à tous les acteurs d’une industrie pour tenter d’en comprendre les enjeux et d’en mesurer les perspectives. Ils détiennent ainsi des informations très intéressantes sur vos clients, vos concurrents, vos fournisseurs, etc. A condition d’être à l’écoute, le responsable des relations investisseurs, de par sa fonction, est idéalement placé pour recueillir des informations à valeur ajoutée pour le management de la société. Ce rôle est particulièrement flagrant dans l’un des aspects les plus sensibles des relations investisseurs : la gestion du « consensus analystes ». Ce consensus correspond à la moyenne des prévisions chiffrées des analystes pour un agrégat financier et une période donnée : par exemple le chiffre d’affaires ou le résultat d’exploitation, pour l’exercice comptable en cours ou les suivants. Sauf exception la valeur boursière d’une société reflète les anticipations du marché en termes de création de valeur sur les prochaines années ; de fait tous les analystes établissent des modèles de prévision, à des fins de valorisation, qu’ils partagent avec la communauté 19 Quelques réflexions sur un métier singulier financière au moins dans ses grandes lignes (pour les analystes sell-side). Les principaux fournisseurs de bases de données de marché établissent en permanence une synthèse de ces prévisions, et diffusent ce consensus sur leur plate-forme. Ces consensus « automatisés » ne s’avèrent toutefois pas toujours fiables (information obsolètes, hétérogénéité des retraitements effectués par les analystes, etc…) et il est fortement recommandé d’établir un consensus en interne. Certaines sociétés vont même jusqu’à publier ce consensus « maison » sur leur site internet. Au-delà de ces éléments méthodologiques, l’existence d’un consensus analystes fait peser sur la société l’obligation de s’assurer que ses prévisions internes d’activité et de performances ne s’écartent pas matériellement de ce consensus. Dans le pire des cas, c’est ce qui devra l’amener à émettre un sales ou profit warning, cauchemar de tout responsable des relations investisseurs. Afin d’éviter cette situation (qui peut s’avérer extrêmement préjudiciable pour l’image de la société, selon que le marché jugera que cette alerte est intervenue plus ou moins tardivement), le responsable des relations investisseurs doit gérer son consensus sans toutefois rompre le principe d’égalité de traitement des actionnaires. 20 Les relations investisseurs Autrement dit, il ne s’agit évidemment pas d’appeler tel ou tel analyste pour lui donner des prévisions internes, mais plutôt de l’amener à reconsidérer certaines hypothèses de son modèle à la lumière des tendances récentes de l’activité ou des résultats, ou de tout autre élément d’analyse déjà public. Un exercice délicat mais incontournable, qui rend d’ailleurs illusoire l’idée de ne donner aucune prévision chiffrée au marché (les fameuses « guidances ») au prétexte de ne pas s’exposer à des déceptions, puisque de toute façon les analystes établiront toujours des prévisions et que ces prévisions ont vocation à être diffusées largement dans le public sous la forme du consensus. De cet aspect clé du fonctionnement des marchés financiers découle l’un des principes fondamentaux d’une communication financière optimale et que les anglo-saxons résument parfaitement avec la formule suivante : « Under promise, over achieve ». Il faut noter que certaines sociétés ayant appliqué avec constance ce principe ont toutefois fini par être victimes de leur prudence : à force d’être positivement surpris, le marché considérait comme acquis cette surperformance et s’est montré très déçu lorsque la société n’a fait qu’atteindre des objectifs par ailleurs très honorables dans l’absolu… 21 Quelques réflexions sur un métier singulier Des talents de conteur… « If History were taught in the form of stories, it would never be forgotten » Rudyard Kipling Chaque professionnel du marketing sait bien que la façon dont un message est présenté compte autant que les faits qu’il est censé décrire. Le responsable des relations investisseurs d’une société cotée est l’architecte de l’equity story de l’entreprise qu’il représente. L’equity story est, rappelons-le, un avatar de la finance comportementale : si les marchés fonctionnaient selon la théorie classique (toute l’information disponible est intégrée immédiatement dans les cours de bourse), elle n’aurait pas de raison d’être. L’equity story ou story telling n’est autre qu’un argumentaire de vente « packagé » de l’entreprise en tant qu’entité cotée, pour des investisseurs pressés et sous pression. Les investisseurs ne font pas que des choix rationnels, comme en attestent de nombreux travaux de recherches en la matière, et c’est sur l’equity story que repose une part prépondérante de leur décision d’investissement. Celle-ci reprend et organise dans un ensemble – aussi cohérent que possible – l’origine, l’activité, les produits et marchés, les facteurs clés de succès et les perspectives de la 22 Les relations investisseurs société cotée. Elle est cruciale parce qu’elle sert de base à la construction de l’investment case par la communauté financière. Il existe plusieurs façons de présenter une equity story, et chacune d’entre elles ne donne pas nécessairement les mêmes résultats. Ainsi tout l’art des professionnels des relations investisseurs est de trouver la meilleure articulation possible entre les faits, attributs et arguments qui sous-tendent l’equity story de la société. Et ce afin d’orienter autant que faire se peut la construction du raisonnement des investisseurs. Le responsable des relations investisseurs doit de plus adapter son discours et ses « aides à la vente » à ses différents publics : on ne parle de la même façon à un analyste sell-side ou à un investisseur en actions d’un côté, et à une agence de notation crédit ou à un investisseur obligataire de l’autre. Dans le premier cas, l’attention porte surtout sur les déterminants de la croissance et de la valorisation de la société. Dans le second cas, c’est la stabilité et la pérennité du modèle d’affaires qui compte et donc la capacité de la société à honorer ses engagements financiers. Une étude de Mulligan et Hastieviii a montré qu’il existe un moyen simple d’améliorer l’efficacité d’un message auprès des investisseurs : il s’agit d’adopter un plan très précis calqué sur la façon dont 23 Quelques réflexions sur un métier singulier l’information qualitative est organisée mentalement dans nos esprits. Les auteurs ont ainsi montré que pour favoriser le pouvoir de persuasion d’une equity story, il faut la présenter en commençant par le contexte (les succès passés de l’entreprise), le problème ou la problématique (critiques ou récompenses récemment reçues), la réaction de l’entreprise (ses intentions pour travailler plus, mieux ou continuer comme avant si tout va bien), le plan d’action (tactique et stratégie) et enfin l’issue (les objectifs, les ambitions, la vision). Ce n’est qu’en suivant cet ordre précis que l’on peut accroître significativement l’impact du message auprès des investisseurs. Lorsque les individus se sont construits une représentation mentale cohérente de l’histoire d’une société cotée, celle-ci forme un tout dans leur esprit et il leur est difficile de l’analyser cliniquement au travers de ses différentes composantes, même s’il eut été plus rationnel de le faire. Leur jugement est donc bel et bien influencé par la façon dont les informations disponibles sont ordonnancées. L’une des principales contraintes de l’exercice est que la réglementation pousse à toujours plus de disclosures de toutes natures, alors que la finance comportementale montre que cela peut être contreproductif pour les investisseurs. En effet la qualité des prévisions ne s’améliore plus au-delà d’un certain niveau d’information. En plus du risque 24 Les relations investisseurs d’incohérence que font courir aux responsables des relations investisseurs les informations supplémentaires, elles accroissent significativement le degré de confiance qu’ont les prévisionnistes dans leur jugement. Et l’on sait combien l’excès de confiance peut être nocif en matière de prise de décision d’investissementix. Le rôle du responsable des relations investisseurs est donc aussi de sélectionner et de hiérarchiser les informations disponibles et à minima celles dont la diffusion est obligatoire. Ce travail est l’une composante essentielle de la construction d’une equity story. Les investisseurs se décident rarement sur un document de référence de 300 pages, une bonne présentation d’une vingtaine de pages et une rencontre avec les décideurs de l’entreprise restent décisifs. En effet les investisseurs et les analystes financiers perçoivent essentiellement leur univers d’investissement ou de couverture en termes d’histoires et non de faits. Comme pour les contes que l’on raconte à nos enfants le soir au coucher, il est donc fortement déconseillé de se perdre dans les détails, sous peine d’être rappelé fermement à l’ordre… Le « Once upon a time » a de beaux jours devant lui ! 25 Quelques réflexions sur un métier singulier Une présentation soignée « Sans mentir, si votre ramage. Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois » Jean de la Fontaine Si le fond est important, la forme l’est tout autant. Le choix des supports de communication doit évidemment être fait avec soin. Prenons l’exemple des présentations ou des pitchs si chers aux investisseurs. L’art de la présentation Powerpoint n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît comme en attestent les innombrables présentations particulièrement ennuyeuses qui nous ont été infligées tout au long de notre carrière. Comme tout outil puissant, Powerpoint peut se retourner contre vous s’il est mal utilisé. Comme l’attention de votre auditoire est limitée, il convient donc d’appliquer quelques règles simples de rédaction et de présentation. Chaque slide doit comporter une seule idée. Les slides doivent être lus en quelques secondes. Choisissez une taille de police minimale de 24 pour les titres et 16 pour les sous-titres et optez pour un contraste maximal. Une étude a montré que certaines polices de caractère donnent de meilleurs résultats que d’autres en terme de 26 Les relations investisseurs lisibilité (Gilles Sans et Souvenir Lt). Pour maximiser l’impact de votre démonstration, faites apparaître les bullet points les uns après les autres. Il va de soi qu’il s’avère contre-productif de surcharger les diapos. On admet que les espaces blancs doivent représenter les deux tiers de chaque diapo. Ces conseils de forme trouvent leur expression extrême dans les recommandations de Guy Kawasaki pour la préparation d’un pitch investisseurs, soit la règle du 10/20/30: 10 diapos, 20 minutes et 30 comme taille de police. Ceci est particulièrement adapté aux conférences investisseurs de format court (créneau de 45 mn en comptant la session de questions), qui ressemblent à s’y méprendre à du speed dating. Si la suprématie de Powerpoint est incontestable depuis des années en matière de supports de communication financière, la donne pourrait toutefois progressivement changer au profit de nouveaux outils de communication innovants dans l’approche et le format. Powerpoint permet sans aucun doute d’articuler une equity story quelle qu’elle soit, et de la rendre la plus percutante possible. Ce type de présentation est particulièrement adapté pour présenter les résultats, la stratégie et les perspectives d’une société à une cible avertie d’investisseurs et d’analystes. On rencontre toutefois de plus en plus de nouveaux formats astucieux permettant de pousser plus loin la 27 Quelques réflexions sur un métier singulier logique consistant à « raconter une histoire » aux marchés, à l’image de l’outil de présentation animée dénommé Prezi. Cet outil est conçu pour expliquer simplement des idées ou des concepts, et permet littéralement de cheminer dans l’equity story. Il renforce ainsi la portée des messages et la représentation mentale que peuvent s’en faire les investisseurs. Le format de ce type de présentation, nécessairement plus court que celui d’une présentation Powerpoint classique, la prédestine naturellement à une cible de généralistes n’ayant pas vocation à « auditer » l’entreprise, comme par exemple les vendeurs actions ou encore certains investisseurs institutionnels cherchant simplement à se familiariser avec la société. Ce format peut ainsi se révéler parfaitement adapté pour une salesforce teach-in session, ou encore une conférence investisseurs où la société dispose de peu de temps pour passer ses messages à un public d’investisseurs hétérogène. Ces nouveaux supports, loin de remplacer les présentations Powerpoint qui ont largement fait leur preuve auprès des analystes financiers (buy-side et sell-side) et investisseurs familiers de la société, gagneraient à être utilisés auprès des autres membres de la communauté financière (actionnaires individuels, presse économique, etc.). 28 Les relations investisseurs Ils apportent une réponse pertinente à la fragmentation des canaux de diffusion sur Internet (réseaux sociaux, etc.), à l’hétérogénéité des actionnaires et investisseurs et à la nécessité de gagner en visibilité dans un marché boursier extrêmement concurrentiel et inondé d’informations. De même, un soin particulier doit être apporté à la rédaction des communiqués de presse. Leur contenu est de plus en plus formaté pour les réseaux sociaux et plus généralement pour une diffusion optimale sur le web. Les communiqués doivent être conçus pour attirer l’attention de leurs différents publics : analystes sell-side, journalistes, investisseurs institutionnels, actionnaires individuels et employés. En matière de SEO (Search Engine Optimization), une prime est accordée par les moteurs de recherche aux communiqués comprenant des contenus plus riches avec par exemple des liens vers des pages web. Une idée pourrait être de lier le communiqué de presse à une infographie ou une courte vidéo en reprenant les principaux messages. Plus généralement le responsable des relations investisseurs doit s’adapter aux spécificités de la lecture sur le Net. La longueur d’un article ne doit pas excéder 2000 signes. La lecture sur écran peut être pénible. Il convient donc d’écrire court, d’aérer le texte avec des paragraphes selon le principe « une 29 Quelques réflexions sur un métier singulier idée, un paragraphe », d’utiliser des tirets et donner du relief au texte avec du gras. Par ailleurs, des tests de compréhension et de mémorisation ont montré que l’unité de mémorisation immédiate du processus de lecture oscille entre 8 et 20 mots suivant le niveau culturel du lecteur (entre 13 et 16 mots pour lecteur de communiqués de presse financiers). Cela ne signifie pas que les phrases du communiqué doivent être inférieures à ce nombre, mais que ses composantes, les « sous phrases » (celles qui sont retenues par la mémoire immédiate du lecteur) ne doivent pas le dépasser. Des « mots rappels » et des répétitions doivent alors jalonner la phrase pour la rendre lisible. Ces études montrent que la phrase idéale doit comporter en moyenne entre 1,5 et 2 sous-phrases. Généralement, les mots contenus dans la première moitié de la phrase sont mieux retenus que ceux de la seconde moitié. 30 Les relations investisseurs Un professionnel connecté « Pour comprendre les médias sociaux, regardez-les comme la création d’un nouvel espace public » Danah Boyd L’avènement de l’internet et des médias sociaux offrent de nombreuses opportunités au responsable des relations investisseurs. Le grand gagnant de cette révolution numérique est le site Internet institutionnel de la société qui devient la pièce maîtresse d’une bonne communication financière auprès des marchés. Il est désormais indispensable de développer un site en RWD (Responsive Web Design) pour permettre un accès aisé à partir de n’importe quel type de terminal (smartphone, tablette, ultrabook, PC). Selon une étude de NASDAQ OMX réalisée en 2014, 74 % des investisseurs et des analystes reconnaissent que la qualité du site Internet des émetteurs influence leur perception de l’entreprise et de son programme de relations investisseurs. Le site Internet est véritablement un moyen de montrer l’ouverture et la transparence de la société. Même si cela fait encore débat comme le prouve la proportion somme toute encore modeste de sociétés qui ont pleinement intégré les médias 31 Quelques réflexions sur un métier singulier sociaux dans leur dispositif de communication financière (selon une étude BNY Mellon 2013 seulement 27 % des sociétés cotées utilisent les réseaux), il semble de plus en plus difficile de se passer complètement de l’utilisation de certains réseaux sociaux professionnels (Twitter, Linkedin, Slideshare, StockTwits, YouTube, etc.) pour relayer efficacement l’information au marché. La réglementation commence d’ailleurs à évoluer en ce sens avec la décision de la SEC (Securities and Exchange Commission) aux Etats-Unis qui a autorisé en avril 2013 le recours aux médias sociaux pour la diffusion des informations financières dès lors que les marchés ont été préalablement informés de l’intention des sociétés d’utiliser ces canaux de diffusion pour leurs relations investisseurs. L’investissement pour le responsable des relations investisseurs est minimal (un peu de temps) puisque ces médias sociaux peuvent permettent d’assurer une diffusion effective de contenus déjà existants (par exemple le titre du communiqué de presse) voire de liens conduisant sur le site institutionnel de la société. Ces médias offrent ainsi un moyen efficace de drainer une audience qualifiée sur le site de la société. En pratique, un compte Twitter @Company_IR pourra être créé à cet effet. De même la société pourra capitaliser sur sa présence 32 Les relations investisseurs sur Linkedin pour diffuser ses principales informations financières, en plus de ses offres d’emploi. Le web fournit aussi des outils de mesure d’audience très utiles (nombres de vues d’un post, etc.). Plus généralement, le web est la caverne d’Ali Baba du communiquant. Il offre de nombreux types de supports très efficaces comme par exemple les infographies qui peuvent permettre d’approfondir les informations communiquées au marché. L’utilisation d’un blog IR, intégré au site Internet de la société, peut aussi permettre de clarifier certains points de la communication financière dans le respect des principes généraux de la communication financière. Il convient toutefois de noter que cet outil requiert la production de contenus spécifiques, et est donc plutôt adapté aux sociétés ayant les moyens de l’alimenter régulièrement. Sans être un geek, le responsable des relations investisseurs doit impérativement se familiariser avec l’univers digital. 33 Quelques réflexions sur un métier singulier Une curiosité de tous les instants « A l'origine de toute connaissance, nous rencontrons la curiosité ! Elle est une condition essentielle du progrès » Alexandra David-Néel Le responsable des relations investisseurs doit maîtriser tous les aspects de la gestion d’entreprise. Les investisseurs s’intéressent finalement assez peu aux données strictement comptables de l’entreprise. Le compte de résultat et le bilan sont souvent analysés de façon assez sommaire. Sans parler du tableau de flux de trésorerie qui est souvent carrément oublié … En fait les investisseurs se concentrent surtout sur les données extra-financières de l’entreprise, ses facteurs de différentiation, son positionnement, sa stratégie. Bref tout ce qui est de nature à supporter la valorisation boursière de la société, qui comme nous l’avons vu plus haut dépend essentiellement de la soft information. Il est donc primordial que le responsable des relations investisseurs maîtrise à la fois les aspects financiers (ce qui n’est pas toujours simple au regard de l’évolution des normes comptables) mais aussi les aspects produits, marché, marketing, industriels de la société afin de pouvoir en parler intelligemment aux 34 Les relations investisseurs analystes financiers et aux investisseurs. Il doit maîtriser l’ensemble des grands enjeux de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle le responsable des relations investisseurs doit étroitement collaborer avec les autres fonctions stratégiques de l’entreprise, afin d’obtenir à la source les informations qui sont nécessaires à sa mission, tant sur les performances financières que sur les réalisations et les indicateurs clés de l’entreprise. Il doit être parfaitement intégré aux processus de reporting interne (flash mensuels, business reviews trimestrielles, etc.) et plus généralement dans tous les systèmes de remontée d’information à la direction générale. Enfin, au-delà de la gestion courante de l’entreprise, il doit aussi être informé des projets à caractère stratégiques (acquisitions, opérations financières, etc.). Le responsable des relations investisseurs doit aussi avoir une parfaite connaissance de la réglementation boursière, et en premier lieu du règlement général et des recommandations de l’AMF qui lui sera indispensable pour produire le document de référence, le rapport social et environnemental, etc. Loin de nous l’idée que le responsable des relations investisseurs doit être un responsable ou conseil juridique : chacun son métier ! 35 Quelques réflexions sur un métier singulier Mais il doit travailler en étroite collaboration avec ce(s)-dernier(s) surtout dans un environnement réglementaire changeant sur bien des sujets (Say-onpay qui impacte la tenue des assemblées générales, avertissements sur résultats, rapport environnemental et social, données pro-forma, diffusion de l’information sur les réseaux sociaux, etc.)x. 36 Les relations investisseurs Une implication nécessaire auprès des organes de direction « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays » John Fitzgerald Kennedy (1961) Le responsable des relations investisseurs s’immisce de plus en plus dans la gouvernance d’entreprise. Il travaille en étroite collaboration avec le comité d’audit dont le rôle en matière de communication financière est important. Celui-ci prépare les travaux du conseil d’administration dans le cadre de l’arrêté des comptes. A ce titre il doit assurer le suivi du processus d’élaboration de l’information financière, de l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques, du contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés par les commissaires aux comptes et de l’indépendance de ces derniers. La plupart des comités d’audit et des conseils d’administration vont au-delà de l’obligation légale de revoir les données brutes et les informations réglementées. Ils s’intéressent très souvent à leur mise en perspective en revoyant très attentivement les projets de communiqués de presse et les autres documents (prévisions, tendances, avertissements 37 Quelques réflexions sur un métier singulier sur résultat, présentations analystes et document de référence). Leur implication va parfois même jusqu’à la stratégie actionnariale, qui est de la responsabilité du management en général et du responsable des relations investisseurs en particulier. Nombre de responsables des relations investisseurs viennent présenter au conseil d’administration une fois par an un bilan complet de l’action en matière de relations investisseurs comprenant un point sur les marchés financiers, le profil des actionnaires de la société et leur évolution, la stratégie de communication et la perception de la société par les marchés. Par ailleurs il n’est pas rare de fournir les notes d’analystes les plus représentatives au conseil d’administration sur une base trimestrielle ainsi que le consensus de marché et une analyse de la valorisation de la société. Le responsable des relations investisseurs est non seulement au service de la direction générale mais aussi du conseil d’administration. 38 Les relations investisseurs Quelques mots de conclusion « Vous pouvez tromper tout le monde une fois, quelques-uns souvent, mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps » Abraham Lincoln Après avoir partagé ces quelques réflexions issues de nos expériences vécues, nous ne pouvons vous quitter sans insister sur l’importance fondamentale de la transparence envers les investisseurs. Certes, ce souci de transparence n’est pas toujours facile à faire comprendre en interne, tant il est contre-intuitif pour les non-spécialistes et il faut bien l’avouer, peu pratiqué dans de nombreux domaines. Pour autant lui seul permet d’éviter la « double peine » : être sanctionné non seulement pour une contre-performance, mais en plus pour avoir tardé à communiquer voire avoir tenté de la dissimuler ou d’en atténuer la portée. Et les marchés financiers ont la mémoire longue en la matière… Sans transparence il ne peut y avoir de confiance, et sans confiance aucune société ne pourra développer une relation fructueuse et durable avec les marchés financiers, ce qui doit être l’essence même des relations investisseurs. 39 Quelques réflexions sur un métier singulier A propos des auteurs Vincent Gouley Après avoir débuté sa carrière en tant qu’analyste financier, Vincent a été responsable des relations investisseurs de diverses sociétés cotées pendant plus 10 ans, telles que Wanadoo et Solocal Group (ex-PagesJaunes Groupe). Vincent est par ailleurs l’un des fondateurs de Watchowah, société d’études marketing innovante spécialisée dans les relations investisseurs et la communication financière. Il est titulaire du DEA Marchés et Intermédiaires Financiers de l’Ecole Doctorale de l’Université Toulouse 1 et a suivi le Master Spécialisé en Ingénierie Financière de l’EM Lyon. Patrick Massoni Après une première partie de carrière réalisée au sein de groupes financiers ou industriels dans des fonctions financières variées, Patrick a été responsable des relations investisseurs pendant près de 10 ans, chez Bull puis Poweo. En 2012 il a rejoint Watchowah pour prendre en charge diverses missions de conseil et d’accompagnement en relations investisseurs pour des sociétés cotées ou non cotées, tout en développant une activité de formation en communication financière. Patrick est diplômé de Sciences Po Paris, section Economique et Financière. 40 Les relations investisseurs Références Investor Behavior: The Psychology of Financial Planning and Investing, Victor Ricciardi et H. Kent Baker, 2014 i ii Global Trend in Investor Relations: A Survey Analysis of IR Practices Worldwide, Ninth Edition, BNY Mellon, 2013 iii L’art de la vente : les fondamentaux, René Moulinier, 2011 Predictably Irrational: The Hidden Forces That Shape Our Decisions, Dan Ariely, 2008 iv Les techniques de questionnement : Poser et se poser les bonnes questions, Lionel Bellenger et Marie-Josée Couchaere, 2012 v Communicating with the right investors, McKinsey on Finance, 2008 vi vii Wining Over Investors, Baruch Lev, 2012 Explanations determine the impact of information on financial investment judgments, Journal of Behavioral Decision Making, avril 2005 viii Eight experienced horserace handicappers were shown a list of 88 variables and were asked to select those they would use to handicap 40 races in 1968, Slovic, 1973 ix Cadre et Pratiques de Communication Financière, Observatoire de la Communication Financière (OCF) x 41