Les processus psychosociaux à l`œuvre dans la discrimination

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Les processus psychosociaux à l`œuvre dans la discrimination
Les processus psychosociaux à l’œuvre dans la
discrimination ethnique à l’embauche.
Marie Tiboulet
Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive (L.A.P.S.C.O.)
Université Blaise Pascal – Clermont Ferrand
34 avenue carnot
63037 Clermont-Ferrand Cedex
Ce texte a en partie été réalisé à partir du livre de Mohammed REBZANI.
Rebzani, M. (2002). Des jeunes dans la discrimination. Paris : Presses Universitaires
de France.
« Préjugés & Stéréotypes »
Projet à l’initiative de l’AFPS et de www.psychologie-sociale.org
Réalisé avec le concours du Ministère de la Recherche
Les processus psychosociaux à l’œuvre dans la discrimination ethnique à
l’embauche.
1. Les jeunes d’origine non européenne: une cible idéale
- Au niveau individuel :
La Théorie de la frustration agression (1) montre qu’à la suite d’une frustration
la charge agressive est dirigée vers l’agent frustrant, mais, à défaut, il s’opère un
déplacement vers d’autres cibles qui assument alors la fonction de boucs émissaires.
Par exemple faute de trouver des arguments valables pour expliquer le
chômage, on incrimine un groupe social différent et de surcroît de bas statut social :
les étrangers. Qui n’a pas entendu dire « ils nous volent notre travail ! » ? La thèse
des étrangers qui « volent le travail des autres » est en effet assez répandue, elle
permettrait d’évacuer l’agressivité émanant de notre frustration.
- Au niveau du groupe :
Un processus d’identification s’opère au sein du même groupe social, la
frustration individuelle des chômeurs d’origine française devient collective, en effet,
les employeurs sentent leur groupe menacé (groupe des Français). Le groupe social
des Français de souche se cimente davantage au risque d’adopter un comportement
collectif de discrimination à l’égard d’autrui. (2)
Conséquence : En 1996, 48% des chefs d’entreprises refusent des salariés
étrangers parce qu’ils préfèrent dans le contexte économique actuel faire jouer la
solidarité en recrutant plutôt des français. (3)
Rareté d’une ressource et phénomène de compétition intergroupe (4) : la
rareté d’une ressource engendre une compétition pour obtenir ce bien rare, ceci
suppose des conflits d’intérêt. Cette ambiance d’hostilité génère des représentations
négatives vis-à-vis des personnes n’appartenant pas à notre groupe. Prenons
l’exemple du marché du travail où l’offre ce fait rare tandis que la demande est forte,
les individus se retrouvent en situation de compétition, ils vont de ce fait devenir
hostiles vis-à-vis des personnes qui sont différentes d’eux et tout mettre en œuvre
pour favoriser leur propre groupe. (Ex : guerre)
2. Catégorisation sociale et stratégie identitaire :
- Réduction de la complexité de l’environnement :
La catégorisation (5) est un outil cognitif qui permet de simplifier la foule
d’informations que l’on reçoit en permanence. Elle permet ainsi d’organiser le monde
en catégories : l’intérêt étant d’accéder à un maximum d’information avec un
minimum d’effort.
Lors de rapports intergroupes, un processus de catégorisation sociale (6) se
met en place, il génère un sentiment d’appartenance à un groupe au dépend d’un
autre groupe. L’humain a tendance à exagérer les différences entre les membres de
son groupe et à considérer les individus de l’autre groupe comme tous similaires.
Dans la vie quotidienne, ce biais de classification, lorsqu’il s’agit de rapport français /
étrangers, hommes / femmes, Parisien / Provinciaux etc., suscite la discrimination.
Ne dénigre t-on pas les autres en affirmant sans fondement qu’ « ils sont tous
pareils » ? Pourtant, si on prenait le temps de connaître ces personnes appartenant
à un autre groupe, on acquerrait la certitude qu’ils constituent en fait un groupe aussi
hétérogène que le notre.
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Les processus psychosociaux à l’œuvre dans la discrimination ethnique à
l’embauche.
- Motivation identitaire : la théorie de l’identité sociale (7)
On observe également chez l’Homme une tendance à évaluer les membres
de son groupe plus favorablement que ceux de l’autre groupe. Qu’est ce qui nous
pousse à avoir une telle attitude ? Pourquoi le simple fait de catégoriser les gens en
eux/nous produit de l’hostilité intergroupe ? Ce phénomène relèverait d’une logique
identitaire : le besoin d’acquérir et de maintenir une identité sociale positive en se
différenciant des membres de l’autre groupe.
Selon cette théorie, la discrimination serait une opportunité d’évaluer
positivement son identité sociale par comparaison au groupe discriminé. En effet, en
discriminant un groupe on l’infériorise et ainsi on valorise le notre, ceci par la
déconsidération des membres du groupe discriminé (jeunes issus de l’immigration
taxés de paresseux, d’indisciplinés, femmes taxées d’incompétentes pour des postes
à responsabilité etc.).
3. L’incidence des asymétries de statut social et de pouvoir:
Une étude (8) réalisée aux E.U a montré que lorsqu’on demandait à une
personne de sélectionner quelqu’un parmi plusieurs candidats, le déroulement des
entretiens de sélection était très différent en fonction de la couleur de peau du
postulant. Dans cette étude, la personne devait choisir quelqu’un pour faire équipe
avec elle, parmi les candidats, il y avait des noirs et des blancs, tous entraîné à
réagir exactement de la même manière (même réponse, même comportement). En
présence d’un candidat noir, l’ interviewer non seulement s’asseyait plus loin, mais
en plus terminait l’entretien 25% plus tôt que prévu et commettait 50% plus d’erreur
d’élocution qu’en présence d’un candidat blanc.
Il à été également montré, que si le candidat noir ne réussit pas à son examen
de passage, cela est dû moins à sa performance qu’a la nature de l’interaction
dominant/dominé. En effet, le comportement antipathique de la personne dominante
influence de manière considérable la qualité de la prestation du dominé. Un tel
mécanisme se produit fréquemment lors d’entretien de face à face avec des
personnes stigmatisées (homosexuel, étranger, handicapé etc.).
Comme nous venons de le voir l’asymétrie de statut (position sociale) entre un
décideur et une personne stigmatisée lors d’un entretien de recrutement à des effets
négatifs sur l’embauche de ces derniers. D’autre part, la différence de pouvoir (9) à
également une incidence défavorable sur les minorités : on parle ici du pouvoir
absolu de recruter ou non un individu. À la suite d’une expérience consistant à
distribuer plus ou moins de ressources à des individus, il a été prouvé que le
comportement des individus ayant plus de ressources, autrement dit de haut statut
social, est plus discriminatoire. On a également donné plus ou moins de pouvoir aux
sujets de cette expérience : les individus infériorisés (bas statut social) profitent de
leur pouvoir pour désavantager les membres de l’autre groupe de haut statut ne
détenant pas le pouvoir. Leur pouvoir absolu permet aux individus de bas statut, en
discriminant, de se reconstruire une identité sociale positive. Ce mécanisme pourrait
expliquer pourquoi à diplôme égale une personne d’origine maghrébine à six fois
moins de chance d’être embauchée comparé à un « français de souche » (10). En
effet, comparé à ces diplômés d’apparence non Française dotés d’un statut
universitaire valorisant, certains employeurs se sentent plutôt infériorisés. Ils profitent
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l’embauche.
alors de leur pouvoir en disqualifiant ces universitaires pour rehausser leur identité
sociale et rétablir par la même un ordre social qu’ils voient comme stable et légitime.
4. L’influence de la majorité :
- Conformité aux pressions des clients :
Les employeurs se plient aux exigences de leurs clients, qui représentent à
leurs yeux un groupe de pression, et par conséquent disqualifient les jeunes d’origine
étrangère lorsqu’il s’agit de les embaucher pour des postes impliquant un contact
direct avec la clientèle. Pourtant lorsque la pression se fait trop présente, le discours
des employeurs est d’ordre plaintif : ils ne peuvent que se plier aux exigences de la
clientèle même si ils ne partagent pas toujours leur point de vue. Cependant leurs
exaspérations se fait en privé car ils ne veulent pas faire les frais d’un recrutement
plus équitable (perte de clients, chute du chiffre d’affaire, plaintes diverses etc.).
D’ailleurs, plusieurs études (11) ont montré que les individus se conforment plus
lorsqu’il s’agit de donner une réponse publique et, au contraire, ils font davantage
appel à leur opinion personnelle en privé.
- Conformité aux pressions des recruteurs :
Les acteurs de l’insertion professionnelle : non seulement les employeurs
n’ont pas le choix face aux exigences de leurs clients, mais ils finissent à leur tour
par imposer une norme de recrutement aux acteurs du terrain (ANPE, Mission
Locale, agence d’intérim etc.). En effet, ces derniers se retrouvent dans une situation
de faiblesse, puisqu’il leur arrive d’écarter volontairement les jeunes d’origine non
européenne pour éviter de les envoyer vers un échec certain.
Les recruteurs entre eux : les expériences sur la normalisation montrent que la
règle est fidèlement respectée, lorsque les membres du groupe la fixe de la manière
la plus consensuelle. (12)
Parfois les employeurs eux-mêmes forment leur propre groupe de pression. Ils
s’influencent réciproquement, par crainte de se voir rejetés par le groupe
d’employeurs auquel ils appartiennent. Chaque recruteur est confronté tôt ou tard à
des candidatures de jeunes étrangers ou d’origine étrangère, ils auront alors à
choisir quel comportement adopter. Il arrive bien sûr qu’un recruteur soit tenté
d’embaucher un jeune étranger, mais ce type d’embauche s’avère minoritaire et sera
donc remis en question par la majorité des employeurs. Le plus souvent il optera
pour le comportement le plus rependu, cette conformité a pour fonction la résolution
d’un éventuel conflit ouvert (13). Autrement dit, la norme commune qui est de « ne
pas accueillir de jeunes étrangers ou d’origine étrangère dans son entreprise » peut
alors être adoptée sans même qu’il y ait adhésion. Il n’y a pas toujours de pression
explicite, mais pris dans le piège de la pression imaginée du groupe, nombreux
professionnels perdent le sens de l’éthique.
« Préjugés & Stéréotypes »
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Les processus psychosociaux à l’œuvre dans la discrimination ethnique à
l’embauche.
5. Pour finir :
On s’aperçoit que le contexte créer les conditions favorables à des
comportements discriminatoires, ainsi Milgram (1979), conclue à la suite de ses
recherches sur la soumission à l’autorité : « Des gens ordinaires, faisant simplement
leur travail et sans hostilité particulière, peuvent devenir des agents d’un terrible
processus de destruction ».
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