La pire période pour les investisseurs en est une d

Transcription

La pire période pour les investisseurs en est une d
Prêts à
La pire période pour les investisseurs en est
une d’incertitude sans aucun doute.
Comme c’est le cas quand l’économie est
dans une zone de turbulence et que personne ne peut prévoir sa trajectoire,
sa durée et son impact. Comment les
conseillers qui ont déjà traversé ce genre
de tempête ont finalement pu réussir l’atterrissage plus d’une fois avec leurs clients?
Surtout à l’in
MARIE-FRANCE CARDINAL
P
Près de 61 % des conseillers en placement au pays en sont
à leur première grande période d’incertitude des marchés en carrière, selon le sondage annuel du groupe
Conseiller publié en octobre dernier. C’est plus de la moitié des professionnels de l’industrie des services financiers qui n’ont pas de référence historique personnelle et
qui doivent apprendre sur le tas à rassurer leurs clients,
qui se montrent de plus en plus impatients à mesure que
le marché les rend malades.
«Bien malin celui qui prétend connaître le cours des
événements», rappelle sagement Pierre Saint-Laurent,
OBJECTIF CONSEILLER
10
tout!
certitude
économiste et président d’ActifConseil. Selon lui, même
l’imminence d’un conflit armé majeur peut laisser place
à d’autres facteurs qui influenceront les marchés.
De plus, certaines crises sont de véritables surprises,
de l’avis de Pierre Pelland, vice-président du groupe
PDG gestion-conseil au sein de RBC investissements.
«L’incertitude que nous vivons actuellement est causée
par un événement moins fort que le 11 septembre 2001.
En fait, je dirais que ce que nous vivons présentement
(au début du mois de mars) n’est pas surprenant. Ça fait
des mois que les Américains parlent d’une intervention
armée en Irak. La journée où seront déclenchées les
hostilités, il n’y aura pas de fort effet de surprise sur le
cours des marchés comme celui du 11 septembre»,
mentionne le conseiller qui bourlingue depuis 41 ans
dans l’industrie des services financiers.
Jacques Daoust, président du conseil et chef de la
direction au sein de BLC-Edmond de Rothschild, soutient que la meilleure solution est de rafraîchir la
mémoire des clients. Il rappelle que le cours de la Bourse
a souvent été affecté par différents événements historiques. Par contre, l’indice a maintenu sa progression en
AVRIL 2003
11
Prêts à tout!
Quelques bons
conseils à partager
Comment les conseillers
peuvent-ils rassurer leur clientèle échaudée par les événements qui bouleversent les
marchés financiers? Jacques
Daoust et Pierre Pelland ne
manquent certes pas de
réponses. En voici un aperçu.
Si un client vous dit qu’il en
a assez de perdre et qu’il veut se
Jacques Daoust
retirer, posez-lui une autre quesprésident et chef de la direction au sein de BLC – Edmond de Rothschild
tion toute simple : pour aller où?
En se retirant du marché, votre
client doit réaliser qu’il vient d’abdiquer et de confirmer sa perte.M.Daoust lui conseillera alors
de jeter un coup d’œil à la courbe du marché boursier des 10 dernières années pour se rendre
compte que nous sommes en plein marché baissier. Conclusion : non seulement ce n’est pas
le moment de se retirer et de vendre, mais, au contraire, c’est le moment d’acheter.
Dans le même ordre d’idées, lorsque votre client veut liquider ses positions pour en
racheter quand le marché sera meilleur : M. Daoust vous suggère de regarder avec lui l’historique boursier du XXe siècle avec un graphique qui s’étend sur cette période et de lui rappeler que le marché a toujours remonté la pente, peu importe les guerres mondiales, les
scandales politiques ou financiers ou les tragédies.
Si le client vous avoue qu’il ne connaît rien de l’évolution des marchés et qu’il croit que
le bon moment d’investir sera celui où il en saura un peu plus sur le sujet, c’est peut-être
parce qu’il n’a plus confiance en vous ou que vous n’avez pas suffisamment fait de formation avec lui. À quoi sert un conseiller si l’investisseur pense qu’il doit lui-même s’informer
sur les aléas du marché? Rappelez-lui qu’une équipe de spécialistes travaille pour lui donner
l’information dont il a besoin et que vous êtes à ses côtés pour la lui expliquer.
La pire chose à faire pour les nouveaux conseillers sur le marché des services financiers,
d’après M. Pelland, est d’essayer de synchroniser le marché (market timing) en période d’incertitude. «C’est un jeu très dangereux. La véritable recette miracle, c’est de s’en tenir aux objectifs de départ et, évidemment, de bien diversifier», ajoute-t-il.
moyenne. Ce n’est donc pas un phénomène unique. «Les
gens ont la mémoire courte. S’ils veulent se retirer et
attendre le meilleur moment pour investir, ils attendront
toute leur vie», commente M. Daoust.
À ce sujet, M. Pelland raconte cette anecdote révélatrice : «Je me souviens de la journée de l’assassinat de
John. F. Kennedy. J’étais un jeune courtier à l’époque, et
on voyait les stocks baisser de manière draconienne. Il y
avait un client dans la salle qui se demandait tout haut en
quoi la mort de Kennedy avait un lien avec la baisse de
bons titres comme Ford ou GM», raconte-t-il en ajoutant
que c’était une bonne occasion pour les investisseurs
d’acheter ces très bons titres de l’époque à ce moment-là.
«J’ai l’impression que c’est la même chose aujourd’hui.
En quoi le titre de Wal-Mart devrait être affecté à la
lumière d’un conflit en Irak?» questionne M. Pelland.
AVRIL 2003
13
Prêts à tout!
Il suggère aux conseillers qui en sont à leur première
débandade boursière de réfléchir à la question. Et, surtout, d’amener leurs clients à y répondre.
Avant tout, le conseiller doit être le premier à garder
son calme, peu importe les fluctuations boursières, à la
hausse ou à la baisse. Par exemple, M. Pelland reconnaît
avoir pris ses distances à l’égard des nouvelles entreprises
spécialisées dans le commerce électronique malgré l’engouement des investisseurs. «Je voyais tout le monde
acheter sans connaître véritablement l’industrie. J’ai alors
écrit une lettre à mes clients leur illustrant toutes les
périodes qui avaient ressemblé à celle-là, entre autres la
période qui a précédé la chute de 1987. Au lieu de m’emballer, j’ai gardé la tête froide et j’ai regardé la situation de
manière rationnelle», raconte M. Pelland.
De son côté, M. Daoust estime qu’un excellent
conseiller aurait dû vendre ses titres de compagnies
d’aviation dès qu’il a été mis au courant des événements
du 11 septembre 2001. «Il ne faut pas nous demander
comment notre client va réagir, mais plutôt comment le
marché va réagir», explique-t-il.
Crucial : le rappel des objectifs!
En plus d’oublier les grands événements du XXe siècle, les
clients oublient carrément pour quelles raisons ils investissent leur argent. Tout ce qu’ils ont à l’esprit, ce sont les
pertes qu’ils viennent de subir. Selon M. Saint-Laurent,
c’est aux conseillers de leur rappeler leurs véritables
objectifs de départ afin qu’ils puissent voir la situation
avec un certain recul.
«Le client a investi pour sa retraite? Alors, il faut s’en
tenir à ce plan. Il pourrait facilement se passer un retournement du marché, et il serait alors trop tard pour en bénéficier», estime M. Saint-Laurent en ajoutant que le temps
arrange toujours les choses, même les pertes. «Sauf, bien
sûr, si l’investisseur a risqué avec les technos et qu’il est sur
le point de prendre sa retraite. Alors, dans ce cas, j’espère
que son conseiller avait prévu pour lui un plan plus réaliste.»
Le meilleur moyen que M. Daoust a trouvé afin de
rafraîchir la mémoire de ses clients est de leur présenter
les documents qui démontrent clairement la stratégie de
placement dont ils avaient convenu lors de leurs rencontres. «Il faut toujours documenter nos rencontres.
C’est sûr que tout le monde sait ça, mais ce n’est pas tout
le monde qui le fait.»
Il faut déterminer si l’investisseur est en mesure de
supporter la pression du marché boursier, car l’aventure
pourrait lui être fatale. «Si l’investisseur veut tout le temps
26 février 1993
explosion d’une bombe dans le stationnement
du World Trade Center
La Bourse au fil des événements
12 000
10 000
8 000
6 000
4 000
1962
crise des missiles
de Cuba
1973
première crise
pétrolière
28 janvier 1986
explosion de la navette
spatiale Challenger
11 septembre 2001
attentats terroristes
au World Trade Center
2 000
19 octobre 1987
lundi noir à la Bourse
1 000
9 août 1974
destitution du président américain Richard Nixon
22 novembre 1963
assassinat du président américain John F. Kennedy
500
5 février 2003
les États-Unis déposent leurs
preuves attestant d’armes en Irak
250
1960
1965
1970
1975
1980
changer sa stratégie, et qu’il a toujours la boule, c’est probablement parce qu’il n’est pas fait pour ce genre de marché. Il va toujours y avoir de mauvaises surprises parce
que l’histoire suit son cours et est truffée d’événements
malheureux», estime M. Pelland.
Il ajoute que le conseiller doit toujours prévoir avec
son client une stratégie qui lui permettra de traverser
les grandes périodes d’incertitude. «Il ne faut pas
oublier qu’on prépare son plan d’après-guerre avant la
bataille. Parce qu’autrement, il est déjà trop tard»,
soutient M. Pelland.
1985
1990
1995
2000
2005
Aux yeux des conseillers qui ont roulé leur bosse, les
périodes d’incertitude ne devraient pas effrayer les
clients. Au contraire, selon eux, il s’agit d’occasions
d’achat quasi parfaites pour peu que l’on ait bien préparé ses clients. «Il y a un dicton qui dit d’acheter à la
rumeur, mais de vendre à la nouvelle. Dans une situation plus médiocre, il faut faire le contraire. On doit
vendre à la rumeur et acheter à la nouvelle. Imaginez si
les blue chips baissent de 10 à 15 % à la suite de l’annonce d’une guerre en Irak. C’est une occasion
d’affaires en or!» conclut, optimiste, M. Pelland.