1 Psaume 137 Voici un des psaumes les plus connus de la Bible

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1 Psaume 137 Voici un des psaumes les plus connus de la Bible
Psaume 137
Voici un des psaumes les plus connus de la Bible, chanté par Bob Marley, aussi bien que le
groupe de disco Boney M. Rappelez-vous : « On the Rivers of Babylon »… Pourquoi un tel
succès ? Parce que ce psaume fait part d’une expérience vécue par beaucoup d’hommes, celle
du déracinement, de la perte de la terre, des gens aimés, … Et c’est aussi pour cela que je
voudrais souligner en introduction à quel point il est difficile de faire une prédication sur les
psaumes. Car les psaumes nous font directement part des émotions, des sentiments ressentis
par le ou les rédacteurs, sans censure. Ils nous font directement entrer dans leurs « tripes »,
sans le filtre de l’intellect et du « politiquement correct ». Et comment commenter le ressenti
des individus, sans tomber dans la paraphrase ou l’analyse qui dessèche ? Cela me rappelle les
commentaires de poésie en français quand j’étais au lycée. A la fin de l’exercice, nous avions
compris la poésie, ses ressorts, l’intention de l’auteur, mais celle-ci avait perdu toute magie et
tout charme. Alors, je vais essayer de nous faire entrer dans ce psaume en préservant sa
fraicheur, son authenticité.
Nous sommes en -587 avant Jésus-Christ. Jérusalem a été conquise par le roi
Nabuchodonosor et son élite a été déportée à Babylone. Et, à la place des hébreux, des colons
se sont installés et occupent désormais leurs terres. Je crois que nous avons du mal à nous
imaginer le choc psychologique énorme que cette chute de Jérusalem et cet exil ont pu
représenter pour les hébreux. Car, à l’époque, la plupart des hébreux n’avaient pas une vision
réellement monothéiste de Dieu. Je veux dire par là, qu’à leurs yeux, Yahvé était le Dieu
d’Israël, au même titre que Baal était celui des cananéens1. Ils avaient plutôt une conception
« nationaliste » de Dieu. Or, avec ce type de conception, les succès sont interprétés comme le
fait que l’on est dans le vrai, dans son bon droit. Les victoires militaires sont ainsi une façon
de prouver au monde entier que le Dieu dans lequel on croit est supérieur aux autres, qu’il est
plus « efficace » que les autres. L’infidélité du peuple d’Israël, constamment dénoncée par les
prophètes, s’explique aussi par cette recherche du dieu le plus efficace possible. Si Yahvé n’a
pas l’air très compétent pour faire tomber la pluie, dans ce cas, on va s’adresser à Baal …
Mais que se passe t-il lorsque l’on perd la guerre ? C’est tout son univers mental, toutes ses
croyances qui s’effondrent d’un seul coup. C’est l’incompréhension la plus totale.
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On parle alors de « monolâtrie » ou « d’hénothéisme ».
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La chute de Jérusalem et l’exil à Babylone ont ainsi été l’occasion pour les israélites de
complètement repenser leur conception de Dieu, et de passer d’une conception
« nationaliste » de Dieu à une conception « universaliste ». Je veux dire par là que les
israélites ont fini par comprendre que Yahvé n’était peut-être pas seulement le Dieu d’Israël,
mais du monde entier. Y compris des babyloniens. Et qu’il était unique. Cette manière
complètement révolutionnaire de concevoir Dieu a changé la face du monde, et nous en
sommes encore les héritiers aujourd’hui. Nous sommes les héritiers de l’énorme effort
intellectuel effectué par des israélites en exil pour redonner un sens à leur vie après un échec
traumatisant. Mais, à côté de cet immense effort intellectuel, ces israélites, qu’ont-ils vécu,
ressenti ? Le psaume 137 témoigne de leur vécu émotionnel comme une bonne partie de
l’ancien testament témoigne du résultat de leur façon révolutionnaire de concevoir Dieu.
Et qu’ont-ils ressentis ces israélites ? Et bien, ils ont ressentis trois émotions : de la tristesse,
de la peur et de la colère. C’est exactement cela qu’exprime le psaume 137.
Tout d’abord, ils ont ressentis de la tristesse : « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous
étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion. Aux saules de la contrée nous
avions suspendu nos harpes. Là, nos vainqueurs nous demandaient des chants, et nos
oppresseurs de la joie : chantez-nous quelques-uns des cantiques de Sion ! Comment
chanterions-nous les cantiques de l’Eternel sur une terre étrangère ? » (v. 1-4). Comment
ressentir de la joie lorsqu’on a tout perdu ? Son pays, ses biens, ses amis, … et que l’on est
livré au bon vouloir de ses vainqueurs. Lesquels font preuve au mieux de curiosité, au pire de
volonté d’humilier l’ennemi vaincu. Et, même s’ils veulent écouter les cantiques de l’Eternel
par curiosité pour une culture étrangère, cette demande fait pour le moins preuve d’une grande
insensibilité à l’égard de ce que les israélites peuvent bien ressentir. C’est une demande très
égoïste. Et, de toute façon impossible à satisfaire, car on ne peut pas simuler ses émotions,
sauf à être comédien. On ne peut pas exprimer de la joie si on n’en ressent pas au fond de son
cœur. C’est pour cela que les harpes sont suspendues aux saules de la contrée. Et que les
israélites sont assis et pleurent au bord des fleuves de Babylone.
La seconde émotion qu’ils ressentent est la peur, la crainte d’oublier leur passé, d’oublier qui
ils sont, d’où ils viennent, bref, d’oublier leur identité. « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma
droite m’oublie ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne souviens pas de toi, si je ne
fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ! » (v. 5-6). Cette façon de réagir est très
intéressante car elle annonce déjà que les israélites vont entrer en résistance, vont refuser de
disparaître, de fusionner avec les babyloniens ou autres peuples présents à Babylone.
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En effet, ce qui est particulièrement remarquable est que les pleureurs ne s’inquiètent pas de
leur avenir ! Or, c’est la réaction qu’ils auraient du avoir dans une situation pareille !
Normalement, on aurait du les entendre se lamenter avec des remarques du style :
« Qu’allons-nous devenir ? De quoi vivrons-nous demain ? Comment allons-nous nous
nourrir, nous vêtir, gagner de l’argent ? ». Ici, cela ne les préoccupe pas le moins du monde !
La seule chose qui les obsède est la peur d’oublier, de perdre leur mémoire. Pour cela, ils
n’hésitent pas à prononcer des sortes de malédictions sur eux-mêmes : « Que ma droite
m’oublie » renvoie à l’idée de ne plus jamais pouvoir jouer de la harpe, tandis que : « Que ma
langue s’attache à mon palais » renvoie à l’idée de ne plus pouvoir chanter. S’ils oublient
Jérusalem, ils ne pourront plus jamais jouer de la harpe et chanter, c’est-à-dire manifester de
la joie, tellement l’idée de musique et de joie sont étroitement entremêlées dans ce psaume.
Oublier Jérusalem, c’est oublier l’Eternel, l’alliance, la Loi, bref tout ce qui fait leur identité.
Et qu’il a-t-il de plus cruel que d’oublier qui on est ?
Enfin, la troisième émotion ressentie par les exilés après la tristesse et la peur est la colère :
« Eternel, souviens-toi des enfants d’Edom, qui, dans la journée de Jérusalem, disaient : rasez,
rasez jusqu’à ses fondements ! Fille de Babylone, la dévastée, heureux qui te rend la pareille,
le mal que tu nous as fait ! Heureux celui qui saisit tes enfants, et les écrase sur le roc ! » (v.
7-9). Les israélites sont en colère contre les habitants d’Edom, qui ont collaboré avec les
babyloniens, ainsi que contre les babyloniens eux-mêmes. Les bénédictions qu’ils appellent
sur leurs vengeurs font échos aux malédictions qu’ils se sont eux-mêmes promis s’ils
oubliaient Jérusalem. Là aussi, cette réaction est tout à fait remarquable. Car, quand on
dépasse le fait que ces paroles nous choquent, heurtent notre sensibilité contemporaine, nous
pouvons remarquer deux choses. Tout d’abord, la colère des israélites est exclusivement
dirigée contre les responsables de leurs malheurs, à savoir les édomites et les babyloniens. Ils
n’en accusent pas Dieu. C’est une attitude d’une remarquable maturité, et une réaction rare
tant nous sommes prompts à rejeter sur Dieu la plupart des maux dont nous souffrons. Et
ensuite, nous pouvons remarquer qu’à aucun moment, ils ne pensent à se venger eux-mêmes.
C’est peut-être du réalisme, à savoir qu’ils ne sont pas en position de le faire, mais on peut y
avoir aussi le respect du commandement de Dieu de ne pas chercher à se venger (Lévitique,
19, 18). Ils « délèguent » leur vengeance à Dieu. De même que les exilés s’invitent à ne pas
oublier qui ils ont, ils invitent Dieu à ne pas oublier de châtier les peuples responsables de leur
situation. Ce qui arrivera effectivement 70 ans plus tard, avec l’arrivée des perses de Cyrus.
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Tristesse, peur, colère : telles sont les émotions qu’ont ressenti les israélites en exil à
Babylone. Ils ne s’en cachent pas, ils l’assument. Car ce sont ces émotions qui ont nourris leur
résistance, leur volonté farouche de rentrer un jour chez eux, à Jérusalem. Et nous alors ?
Qu’avons-nous à voir avec cette histoire ? Et bien, peut-être que nous aussi, en tant que
chrétiens, nous nous sentons parfois comme des hébreux en exil à Babylone ! Et il nous arrive
de ressentir de la tristesse, de la peur et de la colère. Tristesse de voir le christianisme reculer,
du moins dans nos contrées, peur de voir notre communauté disparaître, colère contre les
personnes qui nous tournent en ridicule ou se moquent de nous. Mais, comme les israélites en
exil, nous sommes appelés à transformer ces émotions en force pour résister, pour tenir bon.
Et nous bénéficions dans ce combat d’un précieux aide-mémoire qui s’appelle la Bible. Notre
horizon n’est plus celui de la Jérusalem terrestre, c’est désormais celui de la Jérusalem
céleste, du Royaume de Dieu. Mais, dans ce périple, la Bible est plus que jamais notre
boussole, et nous invite à tenir le cap, à tenir bon contre vents et marées ! Et ceci dans la joie !
Donc décrochons nos harpes et entonnons un cantique joyeux…
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