format PDF - Secteur Pastoral de Palaiseau
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Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ; Nous avons là avec le psaume 137 un des textes les plus bouleversants du psautier et même de la littérature mondiale. Aux saules des alentours nous avions pendu nos harpes. Car évidemment, en exil, loin de la terre promise, loin de la sainte colline de Sion, comment joueraient-ils de la harpe, l’instrument qui accompagne les psaumes, l’ornement des chants du Temple ? Sauf peut-être si, par un mélange de cruauté raffinée et d’inconscience égoïste, leurs vainqueurs et leurs bourreaux le leur demandent, ça s’est vu en d’autres circonstances tragiques que les lointains descendants des exilés de Babylone ont dû jouer du violon sur commande aux portes de la mort à la demande de leurs bourreaux : « Chantez-nous, disaient-ils, quelque chant de Sion. » Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ? Et voici, unique, inoubliable, la complainte douloureuse et amoureuse qui a traversé les siècles de Babylone à New York, de Vilnius à Odessa, de Paris à Haïfa Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie ! Je veux que ma langue s’attache à mon palais si je perds ton souvenir, si je n’élève Jérusalem au sommet de ma joie. A quoi pensaient-ils ces juifs exilés sur les bords de l’Euphrate, là même où à leur tour nos frères chaldéens ont connu ces dernières années la violence et la douleur de l’Exil ? A quoi pensaient-ils ? A la douceur de la terre de la promesse devenue à nouveau terre étrangère, à la splendeur de la Ville Sainte évidemment, alors habitée par la sainte présence du Très Haut, qui siège, ou qui siégeait là-haut, dans le Saint des Saints sur les chéroubim ? Une Ville Sainte maintenant dévastée, son sanctuaire profané. A leur infidélité, l’idolâtrie jamais éradiquée malgré la vigueur des appels prophétiques, leur aurait-elle valu l’humiliation de la défaite, de l’Exil, à la suite d’un prince aux yeux crevés par le vainqueur, comme nous le relate le livre des Chroniques ? Il y avait bien eu, ici, à Babylone, quelques prophètes, dont Ezéchiel qui leur avait dit que leur histoire avec le Seigneur n’était pas finie, que le Dieu de l’Exode est absolument fidèle et qu’il peut, qu’il veut, qu’il va renouveler les merveilles du passé. Il leur avait même dit que l’on pouvait, que l’on devait prier Dieu aussi bien ici sur les bords du fleuve que sur la sainte Colline de Sion où Il avait pourtant établi sa demeure au temps de Salomon le Magnifique. Ces derniers temps la rumeur, accréditée par quelques voix prophétiques affirmait même qu’un roi du nord allait sortir et renverserait sous peu Babylone l’orgueilleuse ;... enfin les crânes de ses enfants seraient-ils fracassés sur les marches des temples de leurs idoles, c’est du moins ce que criaient les plus en colère d’entre les exilés. Il faut dire que la violence de la conquête avait été telle....Mais que ferait ce prince du Nord, les laisserait il regagner, le cœur brisé, sincèrement, profondément repenti, converti, la ville chère à leur cœur, la ville de la promesse, la ville qui enfin allait pouvoir le porter le titre qui lui avait été donné comme nom : Yeroushalahim, vision de paix ! Oui Dieu allait se servir de Cyrus, un païen, ce prince perse venu du nord, oui Bablylone serait détruite et Jérusalem rebâtie, son Temple serait même un jour, un des édifices les plus éblouissants de tout le bassin méditerranéen, éclatant de la blancheur de ses magnifiques blocs de calcaire rehaussés d’innombrables plaques d’or qui s’enflammaient quand le soleil se levait au loin sur les collines de Transjordanie. Oui tout cela allait arriver mais ce n’était pas tout, ce n’était rien même, Dieu allait faire des merveilles plus grandes encore. En effet, ce qu’ils ne pouvaient imaginer, ces exilés de Babylone, ce qu’aucun prophète malgré l’acuité exceptionnelle de leur regard, éclairé de l’intérieur par l’Esprit du Dieu vivant, n’avait pu mettre au jour, c’est ce dont Jean et Paul et tant d’autres après eux ont été les témoins émerveillés: « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » Ce n’est plus un prophète, ni un roi venu du nord, ni même un ange comme au temps de Daniel, c’est Dieu lui-même qui, en son Fils, vient à nous, pour nous sauver. Le jugement, car il y a bien jugement au sens de discernement, se confond avec le salut : La lumière désigne le péché mais ouvre sur la pardon, offert, gratuitement, la toute Puissance de Dieu, dans ce Fils, se donne sous la livrée de la miséricorde. Ce que Jean a découvert, émerveillé, et qu’il ne cessera de méditer toute sa longue vie, Paul le dira lui aussi avec des mots de feu : Ce Fils, Dieu l’a fait péché pour nous, exposé pour nous sur la Croix comme l’antique serpent l’a été au désert, afin que notre péché meurre avec lui sur le bois et que nous vivions avec lui, ressuscités. Cette découverte de l’incroyable richesse de la miséricorde de Dieu révélée en Jésus, mort et ressuscité pour nous a bouleversé pour toujours la vie de Paul et de Jean. Cette découverte, nous devons, nous pouvons la faire à notre tour. Réécoutons Paul : « Dieu est riche en miséricorde ; La miséricorde de Dieu est probablement le propre du Dieu des chrétiens, révélé en Jésus-Christ. Et nous pouvons en faire l’expérience, par exemple dans le sacrement de la réconciliation. Qu’est que la réconciliation sinon l’accueil, au plus blessé, au plus envenimé de nos vies de la miséricorde de Dieu qui nous aime et nous pardonne... nous recréant à la racine. « A cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions des morts par suite de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ » : Cette expérience de passage de l’aliénation à la liberté, des ténèbres à l’illumination, de la mort à la vie, est le cœur battant, le cœur brulant de notre expérience, de notre espérance pascale. C’est elle que nous allons pouvoir à nouveau célébrer dans la joie et une infinie gratitude dans quelques jours à Pâques. « C’est bien par grâce que vous êtes sauvés. » Oui par grâce, gracieusement, gratuitement sans aucun mérite de notre part, seule notre foi nous est sollicitée, demandée. Au milieu de notre Carême, les textes de ce dimanche, nous placent au cœur de la foi chrétienne. Oui nous pouvons, nous devons faire des efforts de Carême, mais pas pour acheter en quoi que ce soit la miséricorde de Dieu, ces textes nous rappellent que le don de Dieu est premier, gratuit et absolument gratuit. C’est par grâce, que nous sommes sauvés, la seule condition qui est, non pas fixée par Dieu, car Dieu aime sans conditions, mais par la nature même du salut chrétien qui est offert et jamais imposé, c’est notre foi. A foi qui ouvre notre cœur à l’œuvre de Dieu. Oui ce dimanche mérite bien son appellation traditionnelle de dimanche de Laetare, de dimanche de la joie. C’est cette même joie que, dans quelques semaines maintenant nous fera oser chanter ce qu’aucun prophète n’aurait osé même imaginer : « Bienheureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ! » Parole blasphématoire devenue, à Pâques, non pas par une forme de mystérieux paradoxe pascal mais par la seule puissance de l’amour qui fait toutes choses nouvelles, parole d’exultation d’un cœur comblé au-delà de toute espérance. « Si je n’élève Jérusalem au sommet de ma joie » En Jésus, en Jésus Crucifié, c’est Dieu lui-même qui est élevé par les pécheurs et notre péché qu’il a pris sur lui qui est élevé, et cloué avec lui, et cela peut, et cela doit, comme pour Jean, comme pour Paul, nous placer à notre tour au sommet de notre joie. Et de notre gratitude. Amen !