Introduction
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Introduction
Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. Introduction La question « qui suis-je ? » peut sembler insolite dans la mesure où, au-delà du simple fait de décliner son identité, personne d’autre que moi n’est mieux placé pour y répondre. Cependant, si l’on me demande une réponse exacte, voire scientifique, cette évidence s’évanouit vite. Il semblerait que je n’aie pas assez de distance nécessaire pour échapper aux illusions de la conscience. Est-il alors plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ? Pour répondre à cette question, il faut au préalable étudier la possibilité même de connaître un individu. Mais entre autrui et soi-même la comparaison semble faussée dans la mesure où, dans un cas un sujet en aborde un autre comme un objet vu de l’extérieur, et dans l’autre il s’agit d’une réflexion dans laquelle le sujet est en même temps objet. Mais un sujet peut-il se laisser déterminer, se laisser saisir comme un objet sans perdre son caractère principal, sa subjectivité, qui implique justement sa capacité à se déterminer librement, à être indéterminé ? ©HATIER Autrui apparaît d’abord à travers son comportement : mais peut-on ainsi le saisir dans sa totalité ? N’est-il pas plutôt celui qui permet d’accéder à soi-même en nous renvoyant notre propre image, ou en nous reconnaissant ? 1. Le problème de la connaissance d’un individu A. Complexité du moi empirique Le moi se dit de plusieurs façons, ce qui rend sa connaissance problématique dans la mesure où l’on peine à établir son unité : comment rendre compte de ce que je suis alors que je suis soumis au temps (vieillissement) ? comment affirmer que je suis un être à part entière, autonome et libre, alors même que je suis inscrit dans un processus historique (individuel et collectif) ? comment rendre compte de ce que je suis alors même que je peux avoir des qualités contradictoires (incohérences, folies), et que les autres me renvoient des images différentes de moi-même ? comment comprendre mon unité alors même que je suis composé d’une âme et d’un corps ? qu’est-ce qui me définit ? mon corps ou mon esprit, ou les deux ? Ce moi dont je fais l’expérience, ce moi serait alors empirique multiple et cette multitude me le rendrait insaisissable. Pascal illustre ce propos avec l’expérience de la relation amoureuse. Qu’est-ce qu’on aime en l’autre ? Un tout ou quelques qualités ? Il prétend que si l’on s’attache à quelqu’un c’est pour ses caractéristiques physiques ou mentales. Si on enlève à l’être aimé sa beauté ou son intelligence, on ne l’aimera plus, et pourtant c’est toujours le même individu ! Pour Pascal on n’aime jamais personne, seulement des qualités. Ainsi, autrui dans son unité (son moi) est insaisissable. B. Problème de la définition de l’identité Se pose alors le problème de l’identité de sujet. La constitution du sujet qui se manifeste ainsi par le sujet grammatical et logique d’une phrase, le « je », désigne aussi la possibilité d’être une seule et même personne capable de répondre de ses actes, et donc d’être un sujet moral (c’est la même personne qui agit et qui se repent, qui répond de ses actes), et par là même d’être responsable devant la loi, c’est-à-dire d’être un sujet de droit. La dignité de l’homme, son pouvoir de déterminer et de se déterminer, repose donc sur l’identité de la personne qui se décline selon trois principes. Le premier est l’unité du moi : toutes mes expériences sont reliées à un même centre, le sujet de la connaissance comme condition de possibilité de la connaissance En ce sens Kant parle de « sujet transcendantal ». Le second est l’unicité du moi : je suis unique et différent des autres. Le troisième est l’ipséité : je reste la même personne à travers tous les changements qui m’affectent. Ainsi malgré la multitude des moi empiriques, il semble pourtant essentiel à la définition du sujet humain de lui attribuer ©HATIER une identité. Étant moi-même à la croisée de ces états différents, parfois même contradictoires, je peux manquer de la distance nécessaire pour en saisir le contour général. Autrui serait-il alors plus facile à connaître ? 2. L’apparente facilité de la connaissance d’autrui A. Une altérité radicale La première vérité indubitable pour Descartes est le cogito : « je pense donc je suis ». Mais si l’homme se définit par sa conscience, comment comprendre les autres hommes qui sont eux-mêmes des consciences avant tout ? La pensée étant ce qu’il y a de plus intérieur et secret, comment accéder à cette humanité extérieure à moi ? Descartes se demande comment savoir si les passants que je vois par la fenêtre ne sont pas des pantins articulés cachés derrière des manteaux et des chapeaux : la perception et la compréhension des hommes en tant que tels ne peuvent se faire que par un jugement de l’entendement, et non par la seule vision des yeux. B. Le comportement Faire de l’autre un objet de jugement, n’est-ce pas prendre le risque de perdre sa spécificité, sa qualité de sujet ? Autrui vit et agit de manière imprévisible. Il y a en lui une intériorité inaccessible qui rend cet inconnu à la fois fascinant et inquiétant. Pour Merleau-Ponty, je perçois autrui à travers son comportement, mais je ne perçois que son comportement. Le deuil ou la colère d’autrui n’a pas le même sens pour lui que pour moi. Sa souffrance est unique et renvoie à son propre monde. Les situations ne sont pas superposables. Pourquoi m’interroger toujours sur autrui, s’il est inaccessible ? 3. Autrui comme médiateur A. La reconnaissance de soi par la confrontation à l’autre Vouloir connaître autrui, c’est aussi rencontrer la limite de sa liberté. Le sens qu’il donne à ses actes ne peut que lui appartenir. Autrui se présente comme une menace bien plus parce qu’il me ressemble que parce qu’il diffère de moi. La relation à l’autre se fait davantage sur le mode d’une reconnaissance que d’une connaissance. Pour Hegel, cette reconnaissance mutuelle n’est possible qu’au terme d’une lutte à mort entre deux sujets. Les deux consciences, en se niant réciproquement, affirment leur liberté. Dans ce duel pour la reconnaissance, celui qui préfère la vie à la liberté prend la figure de l’esclave, celui qui préfère la liberté à la vie prend la figure du maître. Entrer en conflit avec autrui, c’est engager la possibilité d’une reconnaissance, et par là même prendre conscience de soi. La rencontre avec autrui n’est pas qu’un face-à-face. L’échange avec autrui donne une garantie à l’objectivité de mes connaissances et étend ma vision ©HATIER du monde au-delà du seul point de vue. L’intersubjectivité désigne la possibilité pour chacun d’être un alter ego pour l’autre et pour soi-même. L’intersubjectivité est la condition pour qu’une communauté d’hommes soit possible. Selon Rousseau, les conflits entre les hommes naissent d’une méconnaissance réciproque. Mais la possibilité d’atteindre l’autre peut se faire sur un autre mode : l’intuition. Ainsi des sentiments comme la sympathie ou la pitié me font immédiatement « sentir » ce que sent autrui. Cependant, dans la sympathie, on ne peut sentir seulement « comme » l’autre sous peine de nier sa différence, son altérité. Dans la pitié, la souffrance éprouvée est dictée par une identification : on a d’abord peur pour soi, non pour l’autre. B. Dialogue maïeutique et amitié L’intersubjectivité consiste à partager un terrain commun ; elle renvoie à la communication des consciences. La condition pour que deux consciences entrent en relation est le dialogue. Pour Merleau-Ponty, le langage permet d’accéder à la perception d’autrui. La discussion est une « opération commune » pendant laquelle deux pensées n’en font plus qu’une. Le dialogue permet de créer un sens partagé avec autrui, mais aussi d’accéder soi-même au sens. Le dialogue permet de penser pour l’autre, mais aussi pour soi-même. Ainsi dans les dialogues de Platon, Socrate pratiquait la maïeutique, c’est-à-dire qu’en posant des questions, ses interlocuteurs retrouvaient eux-mêmes la vérité cachée en eux. Le dialogue me révèle autrui à moi-même, mais surtout moi-même à moi-même, d’où l’importance que l’on accorde bien souvent à l’amitié. La psychanalyse, comme méthode thérapeutique des troubles psychiques qui remonte aux racines inconscientes, se fonde également sur le dialogue. Conclusion La question posée nous a permis de nous interroger sur la connaissance de l’homme, mais au lieu d’affirmer que celle d’autrui était plus facile que celle de soi-même (ou inversement), elle nous a montré que ce sont deux modes à la fois incomparables, et qui se mêlent l’un à l’autre dans la mesure où la connaissance de l’autre nous ramène à la connaissance de soi. À la fois proche et lointain, autrui ne se définit qu’à travers moi, autant que je me définis à travers lui. Pourtant, la rencontre avec autrui ne peut se faire sur le mode d’une connaissance objective. Toute tentative de « chosifier » l’autre renvoie à une absence d’humanité. La différence, comme la similitude d’autrui, invite au respect de sa liberté. L’expérience d’une communication pourrait se faire avec autrui dans sa singularité par le dialogue, mais peutêtre aussi dans son universalité, par le biais de l’art. ©HATIER