toxicité hépatique de la progestérone au cours de la grossesse

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toxicité hépatique de la progestérone au cours de la grossesse
TOXICITÉ HÉPATIQUE DE LA PROGESTÉRONE
AU COURS DE LA GROSSESSE
(A PROPOS D’UN CAS)
N. ZERAIDI, A. KHARBACH, A. CHAHTANE, A. CHAOUI.
RÉSUMÉ
OBSERVATION
Les progestatifs représentent une classe thérapeutique
très importante. Certains sont utilisés au cours de la
grossesse lors de menace d’accouchement prématuré ou
de menace d’avortement. Chez certaines femmes, les
progestatifs peuvent se révéler hépatotoxiques du fait
d’une prédisposition génétique, d’une condition physiopathologique ou pharmacologique. Cet effet secondaire
est rarissime avec la progestérone naturelle. A ce propos, les auteurs rapportent l’observation d’une parturiente traitée à partir de la quinzième semaine d’amén o rrhée par la proge s t é rone nat u relle pour menace
d’avortement et qui développe, 15 semaines après, une
cholestase hépatique d’évolution favorable à l’arrêt du
médicament. Puisqu’une telle complication ne peut
donc être prévisibl e, une surveillance ri go u reuse et
répétée du bilan hépatique s’impose.
Madame N.Z., médecin de 28 ans et mariée depuis 1990,
est primigeste, primipare et ne présente aucun antécédent
p at h o l ogique notable. Son cycle menstruel est régulier
(5/28). Elle rapporte une contraception hormonale durant
trois mois avant la conception. Au septième mois de la
grossesse, elle consulte pour un subictère. L’histoire de la
maladie remonte à sep t e m b re 1992 par l’ap p a rition de
vomissements gravidiques à 7 semaines d’aménorr h é e
ayant nécessité la prescription de sulpiride (Dogmatil*) à
raison de 3 comprimés par jour pendant trois semaines avec
repos strict au lit. A 15 semaines d’aménorrhée, la patiente
présente une menace d’avo rtement faite de dou-leurs
pelviennes à type de contractions utérines. L’ ex a m e n
gynécologique révèle une modification du col avec effacement partiel et dilatation à 1 cm. L’examen cytobactériologique des urines et le prélèvement vaginal sont stériles. Un
traitement à base de Progestérone naturelle (Utrogestan*)
est alors prescrit à raison de 600 mg/j en trois prises. Deux
jours plus tard, devant la persistance de contractions utérines, le Salbutamol (Ventoline*) est administré en perfusion
continue (3 mcg/min) durant 5 jours relayée par la voie
orale à la dose de 6 mg/j. A 22 semaines d’aménorrhée, la
patiente présente une seconde menace d’avortement impliquant la reprise de perfusions intraveineuse de Salbutamol
pendant deux jours. Le prélèvement vaginal met en évidence cette fois un E. coli résistant aux ampicillines mais
sensible aux céphalosporines de 3 ème génération. Une
antibiothérapie à base de Céfotaxime (Claforan* : 2 g/j en
IM) est alors administrée durant dix jours. A la 28 ème
semaine d’aménorrhée la patiente modifie le rythme de
prise des médicaments per os (Utrogestan* + Ventoline*)
en raison du mois de Ramadan qui l’oblige à rapprocher les
prises nocturnes. A 30 semaines d’aménorrhée, soit 107
jours après le début du traitement hormonal, elle présente
un prurit généralisé associé à un subictère conjonctival
évoluant dans un contexte a pyrétique. L’examen obstétrical
note une hauteur utérine à 27 cm, des bruits cardiaques
Mots-clés : Progestérone, Toxicité, Hépatite, Cholestase.
INTRODUCTION
Les indications des progestatifs au cours de la grossesse
peuvent se situer chronologiquement au début de la grossesse pour prévenir ou traiter une menace d’avortement
spontané soit au cours du dernier trimestre dans le cadre de
la prévention et traitement des menaces d’accouchement
prématuré(1,2). Dans toutes ces situations, le traitement
progestatif a pour finalité soit le désir de pallier à une
i n s u ffisance hormonale soit l’espoir d’obtenir un effe t
pharmacologique particulier tel la myorelaxation utérine.
La progestérone naturelle n’est pas active par voie orale.
Pour l’être, elle est micronisée en solution dans une huile
végétale. Cette progestérone per os est très bien tolérée
même lors d’une utilisation prolongée (2). Exceptionnellement, elle peut être responsable d’une toxicité hépatique
(3,4). A ce titre, ce travail décrit un cas d’hépatite cholestatique survenu au cours de la grossesse et imputable à la
progestérone.
Clinique Universitaire de Gynécologie et d’Obstétrique Maternité Souissi CHU Ibn Sina - Rabat - Maroc.
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TOXICITE HEPATIQUE…
foetaux positifs et un col en voie d’effacement toujours
dilaté à 1 cm. Le bilan hépatique montre les anomalies
biologiques suivantes : ALAT = 98 UI/l (N < 50 UI/l),
ASAT = 92 UI/l (N < 45 UI/l), Phosphatases alcalines =
440 UI/l (N < 133 UI/l), Bilirubine totale = 30 mg/l (N <
10 mg/l), Bilirubine directe = 23 mg/l ( N < 2 mg/l). Le
reste du bilan biologique et bactériologique est sans particularité notamment les sérologies des hépatites virales A,
B et C. L’échographie abdominale ne retrouve pas d’obstacle sur les voies biliaires et montre un foie homogène et
une vésicule biliaire alithiasique. L’échographie obstétricale objective une grossesse évo l u t ive de 29 semaines
d’aménorrhée sans malformations foetales décelables, un
liquide amniotique en quantité normale et un placenta
postéro-fundique. Devant ces perturbations cliniques et
biologiques, l’administration de la Progestérone est interrompue. Ce qui permet d’obtenir, au terme d’une semaine,
la disparition du prurit et de l’ictère et quelques jours plus
tard la normalisation du bilan hépatique. L’accouchement a
lieu à terme par voie basse en présentation de siège d’un
bébé de sexe féminin pesant 3,300 Kg et dont l’Apgar est à
10. Les contraceptifs oraux seront ensuite formellement et
définitivement déconseillés à la maman. Un an et demi
après l’accouchement, la patiente bénéficie d’une
cholécystectomie percoelioscopique pour lithiase vésiculaire. Après un recul de 3 ans et demi, la maman et son
bébé se portent bien.
DISCUSSION
Les maladies du foie observées au cours de la grossesse
peuvent être classées en trois groupes : les hépatopathies
gravidiques spécifiques, les hépatopathies intercurrentes et
les hépatopathies chroniques préexistantes à la grossesse
(5). L’analyse de l’atteinte hépatique gravidique de notre
observation nous fait suggérer deux propositions étiologiques : la cholestase gravidique récidivante et l’hépatite
médicamenteuse. La cholestase gravidique, décrite en 1954
par SVANBERG, est une affection rare (prévalence de 2 p.
cent à 2 p. mille) survenant au deuxième et tro i s i è m e
trimestre de la grossesse (6). Les modifications biologiques
sont ceux d’une cholestase avec un ictère disparaissant en
une dizaine de jours après l’accouchement précédé et
annoncé par la régression du prurit s’estompe complétement en post partum en 2 ou 3 jours. L’évolution de notre
patiente n’est donc pas compatible avec un tel diagnostic.
Parmi les médicaments prescrit durant la gestation dans
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notre observation, on retrouve : le sulpiride, le salbutamol,
le céfotaxime et la progestérone.
Le supiride, administré à la parturiente pour les vomissements gravidiques et arrêté dès la dixième semaine d’amén o rr h é e, est exceptionnellement responsable d’hépatite
cholestatique. Celle-ci survient durant la période initiale du
traitement avec un délai d’apparition allant d’une semaine
à trois mois. Or, dans l’observation rapportée, l’atteinte
hépatique apparaît près de cinq mois après l’arrêt de l’antiémétique.
Le salbutamol ne semble pas à notre connaissance hépatotoxique et l’amélioration clinique malgré son maintien tend
à l’innocenter. Une élévation transitoire et modérée des
transaminases et des phosphatases alcalines peut s’observer
avec les céphalosporines injectables dans moins de 3 p.
cent des cas (7). Mais cette anomalie biologique ne s’accompagne pas de signes cliniques et régresse rapidement à
l’arrêt du traitement.
Qu’en est-il alors de la responsabilité du progestatif ? Les
effets secondaires des progestatifs se synthèse sont connus
de longue date. Ceux de la progestérone naturelle sont
exceptionnels (4). En effet, la tolérance de la progestérone
est très bonne même en cas de prescription prolongée (2).
Tout au plus, elle provoque un certain état de somnolence
chez la mère qui peut d’ailleurs être partiellement corrigé
par l’utilisation des comprimés par voie vaginale (2). Quant
à la tolérance foetale, elle est également excellente et, à ce
jour, aucun retentissement n’a été noté. Dans les tocolyses
p rolongées, elle constitue un excellent tra i t e m e n t
d’appoint, permettant de réduire les doses nécessaires de
Bêta mimétiques (2). Parmi ces rares complications, on
retrouve la cholestase hépatique qui peut survenir à des
doses thérapeutiques (3,4). Le délai de survenue de cette
hépatotoxicité est supérieur en moyenne à 90 jours. Les
arguments qui nous amènent à rattacher l’atteinte hépatique
de notre patiente à la prise de la progestérone sont : le délai
de survenue de 100 jours, la posologie excessive de 600
mg/j, la cholestase hépatique et la disparition de la symptomatologie à l’arrêt de l’Utrogestan* (8). Il faut également
noté que le facteur déclenchant de l’apparition de cette
atteinte hépatique a été probablement la prise de progestérone à des intervalles de temps très rapprochés pendant le
mois de Ramadan. Ceci a pu entraîner une surcharge hépatique. D’autre part, le jeûne pourrait diminuer la quantité
de glutathion hépatique nécessaire à la détoxication des
métabolites. Signalons, enfin, que les progestatifs sont
déconseillés avec les inducteurs enzymatiques. Or, aucun
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des médicaments prescrits à notre patiente n’en fait partie.
Le mécanisme de la toxicité de la progestérone n’est pas
clairement établi. Il peut s’agir d’une toxicité directe par
phénomène d’anti-métabolisme du à des interférences au
niveau des voies métaboliques de l’hépatocyte, des mécanismes de sécrétion et d’excrétion biliaire et de le formation de la bilirubine (9). Ces interférences s’observent lorsque la structure chimique du médicament est voisine de
celle d’un constituant cellulaire avec lequel il entre en
compétition au niveau hépatocytaire. La toxicité peut aussi
être mise sur le compte d’un métabolite réactif : toxicité
indirecte (9). En effet, la progestérone est transformée en
une trentaine de métabolites dont les effet sont encore très
mal connus. Si l’un de ces métabolites est instable, il peut
engendrer une nécrose centrolobulaire.
La toxicité hépatique de la progestérone s’observe surtout
chez des femmes prédisposées génétiquement. Cette prédisposition est due soit à un déficit enzymatique au cours de
la biotransformation de certains médicaments soit au cours
de la détoxication cellulaire du métabolite toxique intéressant
notamment l’activité de la glutathion synthétase (10).
La survenue de lithiase vésiculaire après la prise de progestatifs est décrite (11). Elle serait en rapport avec la réduction du débit biliaire par le cholestérol. De ce fait la solubilité du cholestérol peut être réduite et une précipitation
peut en résulter. D’autre part, l’excrétion lente des produits
biliaires peut également entraîner une élévation du taux de
cholestérol. La survenue de cholécystite est assez rapide
alors que les calculs biliaires se développent en plusieurs
années pour atteindre une taille entraînant des symptômes.
En effet, les calculs biliaires s’observent 4 à 5 ans après
l ’ h o rm o n o t h é rap i e. Ce délai est plus court chez notre
patiente puisqu’il est de 17 mois.
Enfin, il faut garder à l’esprit que la conséquence non
négligeable de l’imputabilité du progestatif dans la toxicité
hépatique est, comme dans notre observation, la proscription de la contraception hormonale. C’est à dire l’intérêt de
disposer de critères d’imputabilité de poids.
CONCLUSION
Les hépatites induites par les progestatifs sont rares par
rapport à l’importante consommation pharmaceutique et
restent my s t é rieuses quant à leur déterm i n i s m e. Leur
pronostic peut être sévère. La meilleur prévention de cette
maladie iatrogène repose sur la détection précoce de l’hépatotoxicité du progestatif utilisé qui devra conduire à son
arrêt immédiat au risque de voir s’installer une insuffisance
hépatocellulaire grave.
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