Dialogue 08.06.09 Kamerhe, Muzito, Kabila
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Dialogue 08.06.09 Kamerhe, Muzito, Kabila
Ejbmphvf Pshbof!ef!m’btcm!« Ejbmphvf!eft!Qfvqmft » Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le lundi 8 juin 2009 Ngangazo, un village dans l’Uele SPECIAL RDC : De «l’ Affaire Kamerhe » à « L’Affaire Muzito »… et attendant « l’Affaire Kabila » ? A la fin de 2008, eut lieu un coup de poker doublé d’un coup de théâtre : le renversement des alliances dans la région des Grands Lacs, survenant à un moment où l’on venait à peu près d’étayer sur des preuves sérieuses les responsabilités du Rwanda dans la guerre de pillage à l’Est du Congo, et où les prises de position de Cohen et de Sarkozy (un peu rapidement qualifiées de « plans ») mettaient en évidence qu’une certaine opinion occidentale était acquise à l’idée d’une « exploitation en commun » des richesses minérales du Congo qui ressemblait fort à une nouvelle manière de « balkaniser » « Umoja wetu » Le « renversement des alliances » entre le Congo et le Rwanda est un magnifique exemple de mesure qui a pris l’opinion à rebrousse-poil de manière absolue. Dans le genre, il aurait été difficile de faire pire ! Insigne maladresse, alors que cette mesure allait, certainement, être très impopulaire, elle fut prise et annoncée d’une manière qui mettait particulièrement en avant la personne et l’action de Joseph Kabila et de lui seul. Il aurait été prudent d’en présenter la responsabilité comme partagée entre la Présidence et le Gouvernement. Non seulement on ne le fit pas, mais de plus JK se lança dans l’entreprise douteuse de donner lui-même une conférence de presse d’explication. Or, il n’est pas de ces hommes politiques éloquents qui se tirent brillamment d’affaire devant les médias. La décision de renverser les alliances c’était déjà exécuter le Grand Saut Périlleux. Tenir personnellement la conférence de presse à ce sujet, c’était s’y jeter sans filet ! Bien sûr, pour un observateur froid et impartial, il pouvait apparaître très vite que ni Kabila, ni Kagame n’avaient vraiment le choix et qu’entre Congo et Rwanda, l’alliance était tout, sauf un mariage d’amour. Kabila, impuissant avec son armée fantôme devant le CNDP appuyé par le Rwanda, avait sollicité un soutien militaire. L’envoi de troupes avait été pris en considération entr’autres par l’Union Africaine, SACD, l’UE et des pays comme l’Angola, mais finalement personne n’est venu à son aide. Il ne lui restait plus d’autre option que d’arriver à un accord avec le Rwanda. Laissé seul devant une situation politiquement et militairement humiliante, il n’avait pas d’autres choix. Kagame ne l’avait pas davantage parce qu’il se trouvait devant un changement de ton de la part de ses partenaires auparavant tout acquis à sa cause (Vieilles affaires des juges Bruguières et Andreu, mais aussi rapport de l’ONU sur son soutien au CNDP, rapport de l’UE sur les élections rwandaises1, etc…). L’opinion publique, elle, ne voit pas les choses aussi froidement et quelqu’un qui vient lui parler d’une alliance ou d’une amitié avec le Rwanda a fort peu de chances d’être simplement écouté. La réaction de rejet est, pour ainsi dire, automatique. La diplomatie secrète, c’est un peu comme les prostituées. Il se trouvera rarement un homme pour reconnaître ouvertement qu’il les fréquente. Tout au plus un « bon père de famille » admettra-t-il savoir que ça existe, mais sans plus… Où diable ces dames trouvent-elles alors leur clientèle ? Tout le monde réprouve les accords secrets, ou les clauses secrètes dans les traités, mais tout le monde s’empresse d’y recourir dès qu’il y a intérêt ! Il faut encore ajouter que, dans le domaine militaire, la publicité d’un débat public n’est pas vraiment souhaitable. Etait-il envisageable d’inscrire une question comme le « renversement des alliances » à l’ordre du jour, d’en débattre longuement dans une assemblée, de jouer bien entendu les prolongations pour quelques « motions 1 Bulletin EURAC ; Selon la Mission d’Observation Electorale de l’Union Européenne (MOE-UE), les élections «ont constitué une étape importante dans le cadre des efforts mis en œuvre pour renforcer l’institutionnalisation du processus démocratique fondé sur des règles de gouvernance et sur la participation de tous les Rwandais aux processus décisionnels de leur pays. Les élections se sont déroulées dans un climat pacifique même si un nombre d’imperfections majeures a pu être observé concernant les normes régionales et internationales en matière d’élections démocratiques ». La MOE-UE a néanmoins identifié «certains problèmes concernant les garde-fous élémentaires », tels que l’absence partielle ou totale de scellés apposés sur les urnes à l’ouverture des bureaux de votes, la non-conciliation des scrutins, la non vérification des empreintes digitales des électeurs afin d’éviter les votes multiples. Elle épingle aussi le manque de rigueur lors de la vérification des électeurs sur le registre électoral, ainsi que le libre usage de registres électoraux complémentaires. Dans sa réaction, le Professeur Filip Reyntjens déclare qu’il s’agit d’un faux rapport sur de fausses élections (A Fake Report on Fake Elections) puisque les auteurs essayent de cacher les défauts du processus électoral sous un jargon technique. Pour lui, il est inutile de consacrer l’argent du contribuable européen à une observation électorale quand on ne rapporte pas correctement ce qui est observé. incidentielles », puis de recommencer tout cela dans une seconde assemblée ? La chose aurait certainement gâché totalement tout « effet de surprise » pour les FDLR et autres trouble-fête de l’Est. On peut donc, dans une certaine mesure, comprendre cette discrétion. Au demeurant, les articles de la Constitution que l’on reproche alors à Kabila d’avoir violés sont assez vagues. Que veulent dire des mots comme « informer », « tenir au courant » ou « se concerter » ? S’agit-il d’actes qu’il faut poser au préalable ? Cela n’est pas dit explicitement, même si l’interprétation présidentielle (expliquer les choses à une brochette de hauts responsables, dont les présidents des assemblées, après le fait accompli) est, elle aussi, laxiste et un brin tarabiscotée. Kabila est fort mal servi par ses alliés, que ce soit au Congo ou à l’extérieur. Tandis que l’Opposition use et abuse de la supposée origine rwandaise de JK pour faire de lui un « agent du Rwanda à la tête du Congo », le Rwanda ne fait rien pour faciliter le travail de son agent supposé ! Quel besoin avait-on de confier des rôles importants et bien en vue à des gens comme James Kabarebe qui font sur les Congolais l’effet de la cape rouge sur le taureau ? Et surtout, pourquoi Kagame ne fit-il pas ce qu’il pouvait faire de quelques mots et d’un trait de plume : livrer Nkunda ? Si l’homme en sait vraiment trop, on peut toujours « l’abattre dans une tentative d’évasion » et ne livrer qu’un cadavre. L’extradition de Nkunda aurait au moins fait baisser la pression au Congo. Mais les Rwandais ont agi comme s’ils cherchaient au contraire à ce que celle-ci augmente ! Il est d’autre part inimaginable qu’aucun conseiller de la Présidence, ni d’ailleurs que le Président lui-même, n’ait pensé à ce que les accords secrets allaient fatalement entraîner, compte tenu de l’amour immodéré des politiciens congolais pour les vétilles juridiques ! Il était fatal qu’une interprétation laxiste de textes vagues entraîne des protestations tonitruantes. La violation supposée d’un paragraphe fait plus de bruit, au Congo, que le viol d’une femme ou qu’un meurtre ! Il devait donc fatalement et de manière très prévisible se produire ce qui s’est produit : demande de convocation d’une session extraordinaire et exigences des mesures les plus extrêmes, culminant dans le projet de destitution du Président. On est surpris que les milieux présidentiels aient pu en paraître surpris ! A long terme, ce sera le succès ou l’échec de la mesure (l’opération « Umoja wetu ») qui ferait le succès ou l’échec de Kabila et de Kagame. Si l’opération réussissait, ils en sortiraient tous deux renforcés. Si l’opération conjointe échouait, pour Kabila, l’enjeu était grand. S’il ne pouvait pas soumettre à court terme des résultats positifs (intégration totale du CNDP aux FARDC, neutralisation des FDLR, retrait de l’armée rwandaise, extradition de Nkunda), sa position deviendrait intenable avec une opposition très critique à l’égard de l’action gouvernementale, un Parlement et un Sénat qui commençaient à jouer leur rôle démocratique et une presse nationale également très critique. Il aurait aussi contre lui une population de l’Est qui a perdu sa confiance en lui et qui lui reprocherait d’avoir ouvert les portes au Rwanda sans que le problème de l’insécurité soit résolu, de même qu’une population kinoise qui lui était restée hostile après la disparition de Bemba de la scène politique. Ceci veut dire que la survie politique de Kabila dépendait d’une opération conjointe dont le volant n’est pas dans ses mains, mais dans les mains du Rwanda. En attendant, tout ce qu’il pouvait faire, c’est le gros dos, en attendant qu’apparaissent quelques résultats positifs. Pendant ce temps, les médias acquis au Président faisaient grand bruit du « retour de la paix à l’Est » et il ne se déplace pas une brique au Congo sans qu’ils proclament que le mérite en revient aux « cinq chantiers », autre sujet dont on a fait grand bruit sans voir venir grand-chose. Tel était le contexte dans lequel débuta « l’affaire Kamerhe ». Affaire Kamerhe C’est ici que se joua le sort de Vital Kamerhe, alors Président de la Chambre. Cet homme, en principe, n’aurait dû avoir alors aucun problème, mais voilà ! Il était Président de l’Assemblée nationale dans un pays où l’on n’a pas une longue expérience du fonctionnement des Assemblées parlementaire, ni même des fonctions qui y sont relatives. Il peut paraître fort simple, sur le papier, de voir clair dans la situation. Un homme choisi pour présider, que ce soit une Assemblée ou toute la République, est mis par sa fonction au-dessus des partis. Il ne doit favoriser personne, indépendamment de ce que peuvent être ses convictions et ses choix personnels. Ceux-ci ne doivent s’exprimer que par ses propres votes. Il est là, notamment, pour donner la parole à l’Opposition, non pour la lui couper. Malheureusement, il existe au Congo une tendance, venue sans doute de la longue période mobutienne, mais aussi de la personnalisation excessive qui marque la politique dans ce pays, à considérer que l’appartenance à un parti ou à une famille politique doivent faire de vous un homme-lige, totalement dévoué, pour le meilleur et pour le pire, à votre parti et surtout à son Chef. Quand ledit Chef est par-dessus le marché Président, ce dévouement devrait devenir du fanatisme. De là une attitude, dans l’exercice du pouvoir, qui limite l’exercice de la démocratie à la compétition électorale (et la plupart des partis congolais, en plus d’être des machines très « personnelles », ne sont pas autre chose que des machines électorales, sans autre fonction). Le pouvoir une fois conquis, on se comporte comme un rhinocéros : on fonce et on écrase. Il est hors de doute qu’un certain nombre de pachydermes de cette espèce sévissent à l’AMP, au PPRD et dans l’entourage présidentiel. Vital Kamerhe est un homme tout différent et il ne peut pas lui échapper que l’on peut sortir de la crise sans commettre d’illégalités. La pétition Kyaviro, venue d’ailleurs d’un député, non de l’Opposition, mais de la majorité2, avait recueilli 262 signatures. Le fait d’avoir 262 pétitionnaires sur 500 députés rend inévitable la convocation d’une session extraordinaire. Là, au contraire du « flou artistique » qui entoure la diplomatie secrète, on a bel et bien affaire à un prescrit constitutionnel explicite, clair et net. D’autre part, pour arriver à cette majorité de 262, il faut qu’un certain nombre de parlementaires de la majorité aient rejoint une initiative qui est partie, comme c’est son rôle, de l’Opposition. Cette initiative, toutefois, entraîne la convocation de la Chambre, elle n’entraîne nullement le résultat de cette session. Demander des explications au Président, ce n’est pas vouloir le destituer ! Il est fort probable qu’un certain nombre de ces élus « contestataires » de la majorité ont eu l’intention de satisfaire leur base (qu’ils doivent supposer mécontente du « renversement » car c’est le cas de la large majorité des Congolais) en exigeant la convocation et en faisant un discours ferme, énergique, civique et éloquent. Mais ils ont sans doute aussi l’intention de se déclarer ensuite satisfaits par les explications qui leur seront données et de voter pour le statu quo ! Encore n’est ce là que la description d’un parlementaire « honnête », qui choisit pour de pures raisons politiques, intéressées, certes, mais non achetées par les fameuses enveloppes qui, d’après « Radio Trottoir » seraient les causes principales du « vagabondage politique ». Il devrait être possible au Président de la Chambre de ne pas se faire passer pour bête au point d’ignorer que 262>250+1, de convoquer, comme il en a l’obligation, de présider impartialement les débats, et de constater ensuite que les motions « dangereuses » ont été repoussées, majorité contre opposition. Kamerhe est parfaitement susceptible de faire cela et, si danger il y a, il ne vient pas de lui mais de ceux qui, dans la majorité, flottent ou hésitent. Il ne faut pas minimiser ce risque, parce que, de part et d’autres, dans l’opposition comme dans la majorité, il y a une frange d’indépendants et de partis minuscules qui ne sentent pas liés par de fortes obligations de discipline de vote, que l’opinion publique est très montée contre le « renversement » et que le risque du 2 Il siégeait pour la RDC/Mbusa Nyamwisi, parti de l’ex-ministre des Affaires étrangères. Donc une petite formation de la Majorité. « vagabondage » est toujours là. Mais se comporter à la façon de Kyungu wa Kumwanza et considérer tous les pétitionnaires comme des « traîtres indignes d’être katangais », comme si demander la convocation signifiait en soi vouloir la destitution de Kabila, c’est pousser un peu loin l’esprit « rhinocéros ». Il est parfaitement imaginable qu’après avoir trouvé 262 députés pour vouloir que l’on convoque, on en trouve au moins 251 pour voter la confiance. C’est même un résultat plus probable que l’inverse ! La destitution, en effet, ouvrirait une aventureuse tempête politique dont l’un des épisodes pourrait parfaitement être une dissolution des Chambres… donc une menace sur des mandats qui seraient remis en jeu ! Kamerhe, qui n’avait guère d’autre solution, s’arrangea pour être momentanément injoignable. De la sorte, quand il reçut la pétition Kyaviro, il ne restait plus assez de temps pour convoquer une session extraordinaire avant la rentrée de la session ordinaire. Cela pouvait être interprété comme une manœuvre de retardement. Si, par exemple, il y avait eu effectivement une baisse de l’insécurité à l’Est (entendons : une baisse constatable sur place, et pas seulement proclamée depuis Kinshasa par les médias de Pius Muabilu) ou que Nkunda avait effectivement extradé, on aurait pu alors commencer à dire à bon droit que « les faits ont donné raison à Kabila » et les irrégularités commises apparaîtront de plus en plus vénielles. Si l’affaire était évoquée alors durant la session ordinaire, il se serait écoulé assez de temps pour permettre un afflux de bonnes nouvelles. C’était évidemment faire un pari sur l’arrivée de ces nouvelles, autrement dit sur la bonne foi des Rwandais. Une autre hypothèse était que « le torchon brûlait » entre Kabila et Kamerhe. Il y a déjà eu du grabuge autrefois3, au sujet d’une interview de Kamerhe où quelques phrases (non de lui mais du journaliste qui lui avait passé un coup de « brosse à reluire » de trop en parlant de lui comme un possible futur Président de la République). Il y a eu ses propos étonnés et même offusqués le jour même de l’entrée des RDF au Congo. Plus globalement, il y a le fait que Kamerhe est un « politique » qui passe les obstacles en souplesse, au lieu de les affronter à la façon brutale qui plairait aux « rhinocéros ». Kamerhe se vit prié de démissionner dès son retour officiel. Et la cause, bien entendu, en était que la Présidence voulait tout simplement déchirer la pétition et soupçonnait que Kamerhe, quant à lui, serait plutôt partisan de manœuvrer comme il a été décrit plus haut. Ce qui est perçu comme une « trahison » par ceux pour qui toute autre attitude que de foncer au grand galop, la corne basse, est une attitude inadmissible. « L’Affaire Kamerhe » a donné lieu à de nombreux commentaire et parfois à des exégèses fouillées. Tant en Belgique qu’au Congo, les réactions et les interprétations ont été largement divergentes, sans que cela dépende de la nationalité du commentateur. Ainsi, entre M° Nlandu et MF Cros de la Libre, il n’y a guère qu’un cheveu. Le journaliste belge parle d’un Président congolais « qui cherche sans cesse à élargir son pouvoir ». Pour l’avocate congolaise la chose est faite et l’on est d’ores et déjà face à une dictature. Entre les deux avis, il n’ya que le passage de l’apprenti au diplômé ! Et Colette Braeckman ne pensait guère différemment des « durs » de l’AMP en écrivant : "La logique voudrait que si la formation dont il se réclame le désavoue, de même que le chef de l’Etat qui représente le faîte de la pyramide politique, le président de l’Assemblée se soumette au verdict de la majorité dont il est issu. Dans d’autres pays, la Belgique par 3 On peut même remonter plus loin encore. Au moment des Elections, Kamerhe était le SG du PPRD et il y a une unanimité presque totale pour affirmer qu’il a été le principal auteur du succès kabiliste dans l’Est qui a permis à JK de « faire la différence » avec Bemba. On a dit alors qu’il aurait aimé devenir Premier Ministre et aurait été déçu de se voir barrer la route de la Primature par les accords tactiques du second tour qui ont attribué celle-ci au PALU. Il peut y avoir du vrai là-dedans. Comment un homme ferait-il de la politique à un niveau élevé, sans ambitionner d’occuper un jour l’une des plus hautes charges de l’Etat ? Mais comment, d’autre part, ferait-il cela sans admettre qu’à côté des grandes idées stratégiques, la politique doit aussi tenir compte de nécessaires alliances tactiques ? D’autant plus que, dans ce cas d’espèce, l’on parle d’un homme qui est diplomate, subtil et manoeuvreier … exemple, on imaginerait mal un président de la Chambre ou du Sénat, en délicatesse avec le président et avec le bureau du parti qui lui a permis de postuler à ce siège, refuser de démissionner en faisant appel aux voix de l’opposition ou à d’éventuels débauchages pour se maintenir au perchoir !" (Toute la question est l’interprétation de ce que veut dire « le verdict de la majorité dont il est issu ». Cela désigne-t-il l’appareil d’un parti politique ? Ou la majorité des députés de la Chambre qui l’ont élu ? Faire du refus de « démissionner en dehors des formes légales » un refus pur et simple pour « se maintenir au perchoir » est un brin manipulateur !) Or, sur cette question du mandat impératif, du pouvoir des partis, tout comme sur celle du « vagabondage politique », la Constitution congolaise (même surnommée « de Liège ») a prévu des garde-fous. En effet, cependant que l’article 5 de la constitution s’oppose aux « mandats impératifs », l'article 110 stipule : «Tout député national ou tout sénateur qui quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti politique». Cela exclut tout aussi bien la « destitution » par un parti politique que le comportement d’un député qui irait siéger ailleurs en se comportant comme propriétaire de son mandat. (Ce qui prive de leur signification certaines spéculations émises par des journaux kinois sur un « nouveau parti »…) Pou qui essaie de regarder les choses d’un peu haut, en tenant compte de ce que les acteurs de l’histoire ne sont pas les partis ou les individus, mais les classes sociales, il apparaît que le débat tourne autour de la « démocratie formelle ». La démocratie intégrale est un peu comme l’amour parfait : c’est un idéal dont, tout au plus, on approche de loin. La dernière avancée de quelque importance que l’on ait réalisée dans le domaine de la démocratie a été la généralisation du droit de vote. Il convient d’ailleurs de remarquer que c’est un progrès récent, puisque le Suffrage Universel ne mérite vraiment ce nom que depuis que le vote a été étendu aux femmes ! Cela ne concerne toutefois que le seul domaine politique. Le pouvoir économique échappe toujours au peuple, fut-il électeur et repose entièrement entre les mains du capital. Et celui-ci réussit à détourner à son profit le suffrage universel qui délègue au pouvoir les représentants de ces mêmes intérêts. C’est ce genre de « démocratie bourgeoise » que l’on a « vendu » au Congo comme étant LA démocratie. Pour ne donner qu’un exemple, rien n’a été prévu lors de l’organisation des élections, pour assurer l’égalité des candidats. On a laissé ceux qui avaient la richesse ou le pouvoir abuser de ces moyens pour écraser les autres. L’électorat congolais, à qui d’ailleurs ces élections étaient imposées, a donc eu le choix entre des fractions rivales de la bourgeoisie. Malgré tout ce qu’avait d’exceptionnel un vrai scrutin qui était le premier du genre depuis 1960, il manifesté qu’il ne désavouait pas ses dirigeants d’avant la transition. Le résultat électoral était donc aussi, en fait, un rejet des élections imposées. Si les élections présidentielles ont particulièrement retenu l’attention, les législatives n’étaient pas moins importantes, le Parlement étant pratiquement la seule voie par où les Congolais peuvent espérer (et là aussi par délégués bourgeois interposés) influencer un peu l’état dans lequel ils vivent, dans la mesure où la RDC n’abonde pas en formes de contre pouvoir populaire. Les partis politiques sont avant tout de simples machines électorales. La presse, tout comme dans le reste du monde, est fondamentalement dépendante des milieux d’argent, et elle est bien plus vulnérable qu’ailleurs à leur influence, tant au niveau des journalistes individuels que des journaux dans leur ensemble, étant donné la précarité des conditions d’existence. Les syndicats sont fractionnés à l’extrême et leur public « naturel », les salariés, ne représente qu’une très petite partie de la population. Les organisations de la société civile sont fragiles, récentes et aisément manipulables. Elles ont poussé comme champignons pendant la transition, du fait d’un abondant arrosage de subsides qui ont transplanté depuis l’Occident non seulement des moyens, mais aussi des idées, dont notamment une conception des droits de l’homme qui défend essentiellement le droits individuels et se soucie peu des droits collectifs. Les masses paysannes, comme celles qui, dans les villes, vivent au jour le jour des petits métiers qualifiés de « secteur informel » n’ont pratiquement pas d’organisations qui défendent leurs droits. En particulier, il n’y en a guère qui se soucie d’un conflit essentiel, où le peuple perd pour ainsi dire chaque jour du terrain : la mainmise croissante de la propriété privée du sol par la bourgeoisie, au détriment de la propriété collective des villageois. S’agissant de savoir comment agir dans un conflit qui oppose deux fractions de la bourgeoisie, le choix à faire peut s’inspirer de ce que disait Jaurès à une autre époque : Mais, de ce que le parti socialiste est foncièrement, essentiellement, un partid’opposition à tout le système social, il ne résulte pas que nous n’ayons à faire aucune différence entre les différents partis bourgeois et entre les différents gouvernements bourgeois qui se succèdent. « Ah oui! la société d’aujourd’hui est divisée entre capitalistes et prolétaires; mais, en même temps, elle est menacée par le retour offensif de toutes les forces du passé, par le retour offensif de la barbarie féodale, de la toute-puissance de l’Eglise et c’est le devoir des socialistes, quand la liberté républicaine est en jeu, quand la liberté de conscience est menacée, quand les vieux préjugés qui ressuscitent les haines de races et les atroces querelles religieuses des siècles passés paraissent renaître, c’est le devoir du prolétariat socialiste de marcher avec celle des fractions bourgeoises qui ne veut pas revenir en arrière »4 Où se situe, dans l’affaire des « démissions exigées » du Congo, la « fraction qui ne veut pas revenir en arrière » ? Il semble bien que ce soit ici que maintes boussoles s’affolent et qu’un certain nombre de progressistes s’égarent. Et la cause en est sans doute que nos milieux sont habitués à considérer le mot « formel » comme synonyme de « dérisoire ». (Exemple classique : j’ai le droit de circuler et de voyager à ma guise… dans les limites où je puis payer mon transport. Pour celui qui n’a pas d’argent, cette liberté n’est donc que « de pure forme », sans contenu réel. Cela ne veut toutefois pas dire que nous devons accepter sans réagir que l’on limite notre liberté de nous déplacer, ce que l’on pourrait très bien faire un jour ou l’autre sous prétexte, par exemple, que ces voyages pourraient être liés au « terrorisme » !) Il entre aussi dans nos habitudes mentales une certaine indulgence devant l’autoritarisme des partis. Ceci en oubliant un peu facilement que l’autorité des partis (a fortiori celle d’un seul parti) ne se justifie que si ce parti représente effectivement les intérêts et les aspirations du prolétariat entier, et s’il fonctionne suivant les règles du centralisme démocratique. On est loin du compte avec l’AMP, de même d’ailleurs qu’avec tout parti congolais. Il est un peu court de prétendre opérer un choix parmi les antagonistes congolais en mettant en avant le seul adjectif « nationaliste » dont la coalition au pouvoir se couvre noblement. En réalité, du fait de la décision extrêmement dommageable de coaliser pour gouverner des partis qui étaient regroupés dans une alliance tactique à court terme, à savoir le second tour des Présidentielles, on a eu affaire, de part et d’autre, à des regroupements hétéroclites. Ils n’étaient pas loin de mériter la dénomination que Laurent Kabila avait appliquée en son temps à l’AFDL : « un conglomérat d’aventuriers ». Contrairement à la situation que nous connaissons en Europe, les Congolais ne peuvent compter sur aucune organisation de masse pour défendre leurs acquis, c'est-à-dire les garanties « formelles » que leur a apporté le processus de la transition et des élections : que le pouvoir soit désormais soumis à élection, que les pouvoirs soient séparés et que le fonctionnement de tout cet ensemble se fasse suivant le prescrit constitutionnel. Toute tentative pour s’en écarter ne pouvait, à l’heure où la question se posait, qu’être une régression ! Une régression, au Congo, signifierait, au choix, le retour au mobutisme ou 4 Il s’agissait alors de l’Affaire Dreyfus. une quelconque forme de néo-mobutisme. On est donc obligé de conclure que, en maintenant le jeu des influences strictement dans les limites fixées par les deux articles de la Constitution cités plus haut et en exigeant de démissionner, puisqu’on le lui demandait, mais dans les formes prescrites, c’est Vital Kamerhe qui a agi en défenseur des véritables intérêts du peuple congolais5. D’un « incident » à l’autre Vital Kamerhe lui-même fit beaucoup pour éviter que l’incident dégénérât. Loin de « se cramponner au perchoir » comme certains l’ont dit, il accepta de démissionner et proposa lui-même que cette démission fût acceptée par la Chambre sans faire l’objet d’un débat. Dans son discours, il tenta même, autant que possible, de présenter les choses d’une manière qui évitât de faire état d’un conflit entre le Parlement et la Présidence, alors que, comme on l’a dit, Kabila avait commis plusieurs maladresses qui le mettaient inutilement en avant et le rendaient vulnérable. Il évoqua les heurts (pour ne pas dire le conflit) entre le Législatif et l’Exécutif en parlant du Parlement et du Gouvernement, alors que tout indiquait que les problèmes se situaient bien plutôt entre les Législateurs et l’AMP et peut-être même la Présidence. Comme son discours de démission était simultanément un discours d’ouverture de la session parlementaire, une bonne partie du texte était consacrée à un bilan des activités de la Chambre. Il y mentionna un fait qui prend, à la lumière des événements ultérieurs, une signification nouvelle : le fait que certains travaux parlementaires - notamment des commissions d’enquêtes - avaient été bloqués par l’absence de crédits pour les effectuer. Certes, il mentionnait ces blocages pour se réjouir qu’ils aient pris fin, mais cela prend une signification nouvelle quand on voit le fait se renouveler avec la « mise sous tutelle financière » du gouvernement Muzito. Depuis la démission de Kamerhe, on ne peut que constater l’absence de tout fait positif découlant de « Umoja wetu » qui serait venu justifier a posteriori l’acte présidentiel posé avec tant de maladresse et d’imprudence d’où tout est sorti. La paix n’est pas revenue à l’Est. Et cela tient sans doute en grande partie à ce que le Rwanda et la RDC avaient des objectifs différents. Pour le Rwanda, l’opération avait avant tout un objectif militaire : détruire les FDLR, c’est à dire les mettre dans l’incapacité d’organiser des opérations militaires de nature à représente une réelle menace pour le régime de Kigali. On sait qu’ils estiment que cet objectif a été atteint à 80 %. Même s’il l’avait été à 100 %, il n’en reste pas moins qu’une destruction militaire veut dire que l’ennemi ne représente plus un danger pour une autre force armée. Il reste dangereux pour les civils. Un soldat déserteur, en fuite ou en déroute a toujours un fusil et peut chercher à s’en servir pour sa survie. Entendue en termes purement militaires, la « réussite » d’« Umoja wetu » signifie un accroissement du nombre des isolés et des petits groupes, cachés très profondément dans la forêt, qui auront d’autant plus tendance à se livrer aux brigandages et aux exactions qu’ils ont moins d’espoir de pouvoir opérer contre le Rwanda et que le renversement des alliances peut leur inspirer l’idée de représailles contre les Congolais. Pour le Congo, au contraire, l’opération militaire aurait dû se doubler d’une opération de police. Et c’est ce travail de quadrillage et de nettoyage qui est toujours, dans ce genre d’opérations, la partie la plus longue, la plus dure, la plus dangereuse et la plus difficile. C’est celle qui demande les meilleures troupes, et le plus gros effort pour les tenir en mains. C’est donc surtout pour ce travail-là que les FARDC auraient dû être appuyées par des troupes étrangères. On aperçoit aussitôt le dilemme ! Intervenir dans la partie la 5 Cela ne signifie en rien qu’il faille canoniser Vital Kamerhe. Il a notamment contribué à faire attribuer aux députés des rémunérations plantureuses et des voitures qui sont une insulte à la misère de la masse congolaise. Qu’il soit en l’occurrence de « la fraction de la bourgeoisie qui ne veut pas revenir en arrière » ne l’empêche pas d’être un politicien bourgeois. Tout est relatif ! plus longue, la plus dure, la plus dangereuse et la plus difficile d’une opération signifie à peu près certainement des pertes. Et cette considération a certainement pesé, parmi les raisons qui ont amené les gouvernements, notamment européens, à ne pas aider la RDC : leurs opinions publiques poussent les hauts cris lorsqu’il commence à y avoir des morts et des blessés. D’autre part, la participation des soldats rwandais n’était pensable que si leur séjour au Congo était court et que l’on rendait ensuite – comme on l’a fait – leur départ très évident6. Les Rwandais, qui ne peuvent ignorer qu’ils suscitent, chez les Congolais, une réaction très négative et devraient donc repartir vite, ont sciemment pris le risque que l’opération de police qui aurait dû suivre l’opération militaire n’ait pas lieu. Il est vrai que ce risque concerne avant tout les civils du Congo… Le Rwanda ne fit rien, non plus, pour extrader Nkunda, ou pour désarmer politiquement les FDLR. Cela aurait exigé que, d’une manière ou d’une autre on dialogue avec des gens que Kigali s’obstine à qualifier de « génocidaires », alors que la plupart d’entre eux étaient tout au plus des bébés en 1994. La paix à l’Est n’existe que dans les journaux de Kinshasa. « Umoja wetu » a été de ce point de vue un échec et « Kimya 2 » ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Il n’y a donc aucune de ces « bonnes nouvelles » qui auraient été nécessaires pour faire « passer la pilule ». Entre temps, le FMI continue à asticoter la RDC à propos des contrats « chinois », euxmêmes nécessaires à la mise en œuvre des fameux « cinq chantiers ». L’asphaltage du boulevard du 30 juin n’est qu’une modeste consolation. Et la crise internationale du capitalisme ne vient rien arranger. Quand les causes de mécontentement se multiplient, l’une des idées que l’on peut avoir est de trouver un bouc émissaire. Par exemple, d’utiliser le gouvernement et en particulier le Premier Ministre, comme une sorte de « fusible ». un fusible, comme on sait, est un appareil dont tout le mérite est de pouvoir « sauter » pour éviter de plus gros dégâts. Ici intervient le fait que la Constitution, dite « de Liège » par certains de ses détracteurs, méiterait plutôt le nom de « Constitution de Paris ». Le Congo a « copié » la Constitution de la V° République, et il n’a pas été seul à agir ainsi : les Russes, par exemple, ont fait de même. Cette loi fondamentale a été élaborée en 1958, sur mesures, pour la Général De Gaulle, avec pour options, par réactions contre certains disfonctionnement du régime précédent, d’accroître le rôle de la Présidence et de diminuer celui du Parlement et des partis. Il s’agit d’une direction plus ou moins bicéphale, avec un Président qui « fixe les grandes orientations de la politique » et un Premier Ministre qui en « dirige quotidiennement l’application », formules floues qui se prêtent à toutes les interprétations, mais qui sont basées sur l’idée que les deux « têtes » seront plus ou moins de la même « couleur » politique, ce qui fut le cas durant les mandats de De Gaulle, personnage jouissant d’une aura historique, d’un magnétisme personnel et d’un charisme indéniable. On considérait alors comme « impossible » d’applique cette Constitution dans un autre cas de figure, c’est à dire avec deux « têtes » de tendances politiques opposées. Impossible n’est pas français et depuis la première « cohabitation » - Mitterrand Président et Chirac PM – il est apparu à plusieurs reprises que la chose était possible. Reste à savoir si l’on pourrait y arriver au Congo ! Car, si l’on met de côté ce qui est lié à la personnalité très spéciale de Charles de Gaulle, le problème que la France devait résoudre en 1958 était celui d’une extrême instabilité gouvernementale liée au rôle prépondérant du Parlement. On en est sorti par un accroissement du rôle de la Présidence. Le Congo, au contraire, doit se défaire d’habitudes qui découlent, elles, d’une dictature personnelle qui a duré près de quarante ans. Logiquement, la Constitution française va de pair avec des élections au scrutin majoritaire, qui accentuent les victoires et les défaites et favorisent la bipolarisation bien 6 On ne peut paler de out en un seul article. Nous laissons donc volontairement de côté la question de savoir combien de rwandais sont entrés et combien sont sortis ! connue de la vie politique d’outre-Quiévrain entre la Droite et la Gauche. Non moins logiquement, la Constitution congolaise vise à favoriser le multipartisme et prévoit donc un vote à la proportionnelle. Ce scrutin mène, comme on le sait fort bien en Belgique, à des gouvernements de coalition. Tout cela a beau être logique, il y a indéniablement là des incohérences et des contradictions. Il en résulte un fonctionnement différent du système « à deux têtes » suivant que l’on est dans un contexte « normal », façon De Gaulle, ou dans un contexte de cohabitation. Lorsque le Président et le PM sont issus de la même famille politique, la Primature peut jouer comme un fusible, et éviter qu’un mécontentement remonte jusqu’à une remise en cause du Président. De Gaulle s’est ainsi protégé en faisant « sauter » son premier PM, Michel Debré, et Mitterrand a agi de même avec Pierre Maurois. On a ainsi présenté Kabila et Gizenga comme deux membres de la famille « nationaliste » où Gizenga, sur la fin, jouait même un rôle multiple de protection : par sa caution morale de survivant du Lumumbisme des années 60 et le respect dû à son personnage de Patriarche, par le fait qu’on pouvait le rendre responsable de ce qui n’allait pas, et même parce qu’on ne pouvait vraiment lui en vouloir, son âge vénérable passant pour une cause, mais aussi pour une excuse de ses insuffisances. Par contre, dans un contexte de cohabitation (ce qui, dans le contexte français, bipolarisé, signifie nécessairement que le Président et e PM sont de couleurs non seulement différentes, mais opposées) la situation se rapprocherait davantage de celle de pays comme l’Allemagne, où le Président a un rôle moins actif que le Chancelier. (Ce qui, bien sûr, n’exclut pas les « coups de pied sous la table »). La grande inconnue est alors surtout de savoir qui va souffrir de la cohabitation, c'est-à-dire qui, aux yeux de l’opinion publique, passera pour le premier responsable de ce qui va mal. « Affaire Muzito » La vie politique congolaise étant un feuilleton qui n’est jamais en retard d’un rebondissement, les choses se sont encore aggravées du fait que, pendant que ce suspense sévissait à Kinshasa, à l’autre bout du pays, le gouvernement discutait, à Goma, avec le CNDP. Celui-ci n’a pas caché son intention de rejouer Sun City et la transition et d’obtenir une participation au pouvoir qui ne reposerait sur aucun résultat électoral. Ce serait l’occasion d’un « remaniement ministériel » qui permettrait de transformer Muzito I en un fourre-tout d’Union nationale, où entrerait le CNDP. Il se pourrait très bien, compte tenu de la personnalisation qui est en politique le péché mignon des Congolais, l’arbre cache la forêt. On a tendance à y voir une « affaire Muzito », comme il y a eu une « affaire Kamerhe », alors qu’il pourrait y avoir bien plutôt une « affaire PALU », tout comme la polarisation, en son temps, sur le beau Vital a relégué dans l’ombre que se posait les problèmes des rapports entre le Législatif et l’Exécutif, et des partis avec leurs Parlementaires. Durant tout le temps que Dominique Strauss-Kahn a passé à Kinshasa, il n’a été question, dans la presse et dans les propos de l’intéressé lui-même comme dans ceux de ses interlocuteurs congolais, que des contrats chinois. Le seul lien réel entre cette visite et la lettre du Cabinet présidentiel semble bien être une coïncidence de date. Qui va croire que Strauss-Kahn aurait attendu son passage à Kinshasa pour s’aviser de connaître ce que tout le monde sait : que les coffres de la RDC sont percés de mille trous - avec un buveur très assoiffé en dessous chaque trou - et que le pays est le paradis du « matabiche » ? Et il serait tout de même étonnant que le Fmi se soit fait communiquer la liste exhaustive des membres du cabinet du PM. Une liste bien étrange, d’ailleurs, car si on ne peut qu’être estomaqué par leur nombre – on parle de 1000 personnes ! – on ne peut que remarquer aussi que pour en arriver là, on a dû inclure parmi les membres du cabinet de Muzito… son jardinier. Si l’on se met à considérer comme membres du cabinet le chauffeur du Ministre, son cuisinier, le « zamu » et la coiffeuse qui tresse les cheveux de Madame Muzito il n’est pas étonnant qu’on arrive à des chiffres dignes de Versailles ! Depuis la laborieuse mise sur pied de Gizenga I, la coalition au pouvoir comprend l’AMP (qui est elle-même une coalition), l’Udemo et le PALU. Depuis l’affaire Kamerhe, l’Udemo a au moins un pied hors du gouvernement, alors que le PALU n’a pas créé de problèmes à l’AMP. Cela peut se comprendre. - les « démocrates mobutistes » ont un nom un tantinet contradictoire. Il était normal qu’ils saisissent une occasion de montrer leur option pour la démocratie parlementaire. - le PALU est un parti structuré, à discipline forte. Dans la mesure où l’affaire Kamerhe pouvait se lire comme un conflit entre une personne et son parti, ses traditions l’inclinaient plutôt vers l’AMP. Si l’on considère ce que l’on sait, en dehors de simples coïncidences de date, des échéances difficiles et des problèmes délicats actuellement pendants pour les dirigeants du Congo, on sait qu’il y en avant tout deux : - la visite de Strauss-Kahn, même si le dialogue n’est pas rompu, a révélé que les points de vue sont toujours inconciliables à propos des contrats chinois, parce que le FMI s’obstine à considérer ceux-ci comme un endettement du Congo, ce qu’ils ne sont pas. Ce faisant, le FMI se mêle, sans en avoir le droit, d’affaires intérieures qui relèvent de la seule souveraineté congolaise. - les accords avec le CNDP devraient intégrer celui-ci « dans les organes de la République », ce qui peut s’interpréter comme signifiant sa participation au gouvernement, mesure qui ouvrirait un précédent dangereux que tout groupe armé peut être tenté d’imiter, et revient à s’asseoir sur le résultat des élections, donc sur les sacrifices consentis par les Congolais pendant la longue période de Transition. Le PALU se veut un parti nationaliste et lumumbiste, donc attaché à la fois à la souveraineté nationale, et à l’accès au pouvoir par les seules élections. (Gizenga est l’un des pères des contrats, et son auréole de Patriarche lui vient en partie d’être le survivant de l’équipe Lumumba, légitimée par les élections de 60). C’est donc la composante de la majorité qui maintenant risque le plus de regimber dans les deux cas. A voir les quelques documents dont on dispose et les commentaires de la presse congolaise (notamment le journal « La République » du 08/06/2009), on serait passé d’une situation « normale » à une situation de « cohabitation ». Ce journal note qu’en cherchant à tout prix à sauver sa peau et son image, Adolphe Muzito s’est plutôt mis dans des sales draps, s’est brûlé les doigts et a aggravé son cas dans un contexte qui lui était déjà peu favorable. Selon « La République », le Premier ministre s’est comporté comme s’il dirigeait un gouvernement de cohabitation où les deux têtes de l’Exécutif sont souvent opposées sur presque toutes les questions. La réponse d’Adolphe Muzito, en dehors de son aspect protocolaire, est une façon de démontrer au président de la République qu’il maîtrise la situation mais que quelque part, il y a quelque chose qui n’est pas fait. C’est pourquoi, il demande au chef de l’Etat de prendre une ordonnance fixant les nouvelles règles en matière de gestion des Finances publiques. Tout le monde, rapporte « La République », attend désormais la réaction du chef de l’Etat. Etant donné que la lettre de Muzito n’est qu’une réponse à la lettre du chef de l’Etat, le cabinet va maintenant passer à la vitesse supérieure en tirant toutes les conséquences qui s’imposent. Et de conclure, « Adolphe Muzito a bien des soucis à se faire et doit absolument trouver un bon « tempo » pour harmoniser ses relations avec le chef de l’Etat ». « Le Potentiel » va jusqu’à parler du gouvernement Muzito comme d’un gouvernement démissionnaire de fait, expédiant les affaies courantes… mais il peut y avoi là du « wishful thinking » car un des « primaturables » dont on parle est… Modeste Mutinga, patron du « Potentiel » ! Le précédent Kamerhe donne à penser que la fermeture du « robinet à finances » n’est qu’un prélude et que d’autres mesures vont suivre, par exemple que Kabila va demander à Muzito de démissionner ou même exiger qu’il le fasse. Le « remaniement de tous les dangers » Comment les acteurs se positionnent-ils ? - - - - - L’AMP ne cache pas, dès avant l’affaire Kamerhe, son inclination vers un système bipolaire où il y aurait d’une part la Majorité (l’Alliance), de l’autre l’Opposition. Et il faut concéder que la situation actuelle est d’une complexité intenable : On a un grand parti (le PPRD) coalisé avec de petites formations et des électrons libres (indépendants) dans l’AMP, laquelle est à son tour coalisée dans la Majorité avec deux partis numériquement importants (PALU et Udemo) et, à nouveau, de petites formations et des électrons libres. Ce qui par contre plus discutable, c’est que les « rhinocéros » tendant à considérer que l’appartenance à un parti ou à une famille politique doivent faire de vous un homme-lige, totalement dévoué, pour le meilleur et pour le pire, à votre parti et surtout à son Chef dévouement à la limite du fanatisme. Cela limiterait l’exercice de la démocratie à la compétition électorale. Le pouvoir une fois conquis, comme un rhinocéros, on fonce et on écrase. Si Kabila a commis des imprudences au début, par exemple avec sa maladroite conférence de presse, l’AMP use à l’excès, pour justifier les « rhinos », de références à la « caution morale » du Président. Il est évident qu’ainsi ils s’exposent à la critique de n’être pas seulement des partisans d’un régime présidentiel (ce qui correspond à la Constitution), mais d’une dictature ! Un changement de gouvernement – qu’il s’agisse d’un remaniement profond ou de la formation d’une équipe totalement neuve – qui s’accompagnerait d’une sortie de l’Udemo et peut-être du PALU permettrait d’intégrer au gouvernement des ministres CNDP, sans devoir inventer de nouveaux ministères et donc sans s’exposer, comme au temps de Gizenga I, à des commentaires sur les mammouths, dinosaures et autres pachydermes… Ce gouvernement devrait toutefois avoir la confiance de la Chambre. Le fait que le CNDP n’ait pas, comme tel, d’élus, n’est pas un obstacle absolu. Il y a de nombreux précédents, partout dans le monde, de ministres non élus. Certes, il s’agissait souvent de techniciens occupant des postes techniques (aux Finances, un économiste ou un banquier, à la Défense, un général…) mais la chose en soi n’est pas inenvisageable. Toutefois, dans le cas particulier du CNDP, il faut s’attendre à des hurlements, sur les bancs de l’Opposition et dans la rue, sur le thème « C’est l’entrée du Rwanda au Palais du Peuple ». Le fait que Boshab ait remplacé Kamerhe ne garantit nullement qu’un tel gouvernement soit investi par les Chambres. Cela pousse donc en sens contraire, à garder une majorité aussi large que possible. On peut se demander si ce qui se passe au RCD n’est pas en rapport avec ce qui précède. Les origines du RCD sont similaires à celles du CNDP et il a été lui aussi, en tant que « rébellion armée » une marionnette du Rwanda. Mais son existence est suffisamment ancienne pour qu’il ait participé à la Transition et aux élections (où il s’est fait proprement laminer). C’est pratiquement pour cette transition qu’un « électron libre » comme Azarias Ruberwa s’est trouvé catapulté par Kigali à la tête du RCD. Il est aujourd’hui mis en difficulté par les « anciens » du RCD : Eugène Serufuli, Emile Ilunga, Onusumba et le comité de crise avec notamment Trésor Kapuku, E. Tommy Tambwe, Léon Muheto et Donatien Mabiala. Les frondeurs Bizima, Serufuli et Onosumba flirtent depuis belle lurette avec le régime Kabila. Il se pourrait que l’on prépare l’entrée au gouvernement non pas ouvertement du CNDP comme tel, mais de ministres étiquetés « RCD », voire même « indépendants, ex-RCD ». En termes de sièges, toutefois, le RCD ne pourrait remplacer ni le PALU, ni l’Udemo. Ce serait tout au plus une opération cosmétique. Quelle que soit la manière dont le remaniement du gouvernement va avoir lieu, il est presque certain que cela aura une sale gueule, que l’on effleurera plus d’une fois les limites de la légalité, qu’au moins une partie de ceux qui y participeront ont des velléités autoritaires… en un mot, que cela aura des allures de coup d’état. Ce qui amènera fatalement un nombre croissant de personnes à se demander : « Etait-ce bien la peine de renverser Mobutu pour en arriver là ? » Or, il y a beaucoup moins de Congolais réellement emballés par la personne, l’éloquence, les réalisations ou le programme de Joseph Kabila, que de Congolais qui, tout simplement, tiennent aux acquis de la transition, et notamment au fait que le pouvoir ne soit plus accessible que par voie d’élections. Ceux d’entre eux qui n’apprécient pas JK estiment donc qu’il faut attendre la prochaine élection présidentielle pour le « dégommer ». Cela suppose cependant que lui-même respecte les régles du jeu. Sinon…