ThyssenKruppou ledéclindudernier empiredelaRuhr
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ThyssenKruppou ledéclindudernier empiredelaRuhr
8 dossier 0123 Mardi 14 mai 2013 Trop gros, trop vieux, legéant allemand de la sidérurgie est à genoux. Avecles restructurations annoncées, c’est une page de l’histoire industrielle qui se tourne. Outre-Rhin aussi, la désindustrialisation fait mal ThyssenKrupp ou le déclin du dernier empire de la Ruhr Berlin Correspondance E ThyssenKrupp, un géant blessé n arrivant sur l’esplanade du « quartier » ThyssenKrupp, à Essen, au cœur de la Ruhr, on est presque intimidé. Le « Q1 », un gigantesque cube de verre et d’acier de 13 étages, se dresse telle une cathédrale plantée au milieu d’une zone industrielle déserte. Près de 300 millions d’euros ont été investis par ThyssenKrupp dans ce nouveau siège ultramoderne, inauguré en 2010. L’audacieuse bâtisse, construite sur les lieux de la première fonderie Krupp de 1819, devait marquer le glorieux retour à Essen du maître allemand de l’acier et un nouveau chapitre de son histoire. Trois ans plus tard, l’ampleur de la débâcle du groupe est à l’échelle de la démesure du lieu. Thyssen Krupp, conglomérat sidérurgique et technologique emblématique de l’industrialisation allemande, est au bord du gouffre. Cinq milliards d’euros de pertes ont été inscrits au bilan 2012. Huit milliards d’euros ont été investis en pure perte dans deux aciéries au Brésil et aux Etats-Unis, devenues des cauchemars industriels. Environ un milliard d’euros d’amende et de dommages et intérêts frappe le groupe, coupable de participation à un cartel de l’acier, et une enquête pour corruption au Kazakhstan est en cours. Résultat : avec une dette qui s’élève à 6 milliards d’euros, la valeur boursière de l’entreprise s’est effondrée. Elle ne représente plus que 10 % de celle de son dernier grand rival historique, Siemens. Un programme de vente d’actifs est engagé et plusieurs pépites du groupe, comme les aciers fins, ont déjà été liquidées. L’avenir même des activités acier est remis en cause. « Le groupe est en train de changer de visage », glisse un manageur. Des milliers d’emplois sont menacés. En décembre 2012, la moitié du directoire a été remerciée. Du jamais-vu. Dernier chapitre de cette descente aux enfers : en mars 2013, Gerhard Cromme, le président du conseil de surveillance, grand architecte de la res- 1er producteur d’acier en Allemagne 6e producteur mondial CHIFFRE D’AFFAIRES, EN MILLIARDS D’EUROS EFFECTIFS EN 2012* ET ÉVOLUTION SUR UN AN 42,7 A l’étranger 40,1 —7 613 93 676 —6% En Allemagne —4 764 58 447 2011 2012 * au 30 septembre 152 123 AU TOTAL SOURCE : SOCIÉTÉ tructuration du groupe, a lui aussi été contraint à la démission. La gangrène est profonde. Elle s’enracine dans l’histoire du groupe, témoin depuis deux cents ans de tous les soubresauts de l’histoire allemande. ThyssenKrupp est né de la fusion des entreprises de trois grandes familles d’industriels, les « barons » de l’acier et du charbon de la région Ruhr : Krupp, d’Essen ; Hoesch, de Dortmund ; et Thyssen, de Duisburg. L’entreprise Krupp, la plus emblématique, a été fondée en 1812. Pendant des décennies, l’industriel a dominé le marché de l’acier, vendant partout ses machines. Au début du XXe siècle, c’est déjà un empire de plusieurs milliers de salariés logés, soignés et entretenus toute leur vie par l’entreprise, dans la pure tradition paternaliste. Les Krupp, grands fabricants d’artillerie, arment les empereurs, puis le régime nazi. Alfried Krupp (1907-1967), le dernier représentant de la dynastie à la direction opérationnelle du groupe, est condamné en 1948 à douze ans de prison pour avoir fait travailler des prisonniers juifs dans des conditions épouvantables. Amnistié en 1951, Alfried Krupp abandonne la fabrication d’armes et devient un des principaux acteurs de la reconstruction allemande. En 1991, Krupp rachète son concurrent Hoesch. En 1999, il fusionne avec Thyssen. Avec 25 % du capital de ThyssenKrupp, la fondation Krupp, héritière de la fortune de la famille, est aujourd’hui le premier actionnaire de l’entreprise. A sa tête règne toujours le vénérable Berthold Beitz, 99 ans, dauphin désigné d’Alfried Krupp, sans qui rien ne se décide à Essen. Auxhéritiers desgrandes famillesontsuccédé desbarons d’un autre genre.Moins protecteurs avec les salariés, ils conservent cependant l’autoritarisme et l’arrogance des anciens patriarches. Ils s’appellent Gerhard Cromme, architecte des fusions, ancien PDG passé au conseil de surveillance ; Ekkehard Schulz, ancien PDG ; Jürgen Claassen, ex-responsable de la conformité, ou encore Edwin Eichler, ancien directeur acier. Tous, aujourd’hui, ont quitté l’entreprise. Pour renouer avec la grandeur passée et revenir dans la course à la taille qui se joue sur le marché mondial de l’acier, ThyssenKrupp entreprend en 2007 le grand projet qui le mènera à sa perte : la construction de deux aciéries, l’une au Brésil, l’autre en Alabama. L’idée est de fabriquer des brames de métal faciles à transporter vers des usines d’affinage en Europe et aux Etats-Unis. Las ! Le chantier brésilien, confié à une entreprise chinoise à bas coûts plutôt qu’à une filiale du groupe, vire au fiasco. La cokerie fonctionne mal, il pleut du graphite dans la baie de Rio, des milliards sont engloutis en réparations. Pour dissimuler la déroute, on maquille les résultats, on étouffe les rapports alarmants, on offre de somptueux voyages aux représentants du personnel et auxjournalistes. Jusqu’à cequela vérité éclate. C’est tout un système qui s’effondre. Jürgen Dzudzek, responsable du syndicat IG Metall à Duisburg, chargé de ThyssenKrupp depuis vingt ans, n’a pas de mots assez durs pour qualifier cette génération Gerhard Cromme, un patron francophile Berlin Correspondant Il est l’un des dirigeants d’entreprise allemands les plus influents et sûrement le plus francophile. Président du conseil de surveillance de ThyssenKrupp jusque fin mars, Gerhard Cromme continue de vivre à Essen, au cœur de cette région qu’il a contribué à façonner en l’adaptant à la mondialisation. Même s’il passe une bonne partie de son temps à Munich (où il préside le conseil de surveillance de Siemens), à Berlin (pour les conseils de surveillance du groupe Springer), à Paris (pour les conseils d’administration de Saint-Gobain) et sur la Côte d’Azur (où il a sa résidence secondaire), la Ruhr reste sa « Heimat », là où il est chez lui. A 70ans, Gerhard Cromme incarne l’establishment allemand mais il n’en a pas toujours été ainsi. Sous ses allures affables, Gerhard Crom- me sait faire preuve d’une détermination à toute épreuve. Ce fut le cas quand, à la tête de Krupp, il a imposé dans les années 1980 la restructuration de la sidérurgie contre le puissant syndicat IGMetall et une partie de la classe politique. Quelques années plus tard, il s’est lancé dans une OPA hostile contre son concurrent Thyssen, à mille lieues des mœurs allemandes. Il n’a pas non plus fléchi en décembre2012, quand il a congédié la moitié du directoire de ThyssenKrupp en raison des pertes abyssales et des scandales qui éclaboussent le groupe. Même s’il a été à son tour écarté par le principal actionnaire Berthold Beitz (99ans), Gerhard Cromme ne peut s’empêcher de penser qu’il a sauvé l’acier allemand alors qu’Usinor n’est plus qu’un lointain souvenir. De même, appelé en 2007 à la présidence du conseil de surveillance de Siemens menacé notamment aux Etats-Unis par plusieurs scandales, Gerhard Cromme n’hésite pas à pousser vers la sortie le président du directoire Klaus Kleinfeld et à se mettre à dos son prédécesseur Heinrich von Pierer, autre figure emblématique du capitalisme allemand. Passeur entre deux cultures Perdant peu à peu ses mandats, Gerhard Cromme va pouvoir se consacrer davantage à ses deux passions: le constructivisme et surtout la France. Bien que son père ait poussé ses quatre enfants à étudier le grec, le latin et l’anglais, Gerhard Cromme a toujours eu une attirance pour la France, qu’il a lui-même du mal à expliquer. C’est à Paris qu’il achève ses études de droit à la fin des années 1960. Recruté par Saint-Gobain, il devient intime de Jean-Louis Beffa, futur PDG du groupe: les deux familles sont voisines, à Pont-à-Mousson (Meurthe et Moselle). Mais les deux hommes ont le même âge. Plutôt que de devenir rivaux, Gerhard Cromme, qui aspire aussi à être patron, part en Allemagne redresser Krupp. Administrateur non seulement de Saint-Gobain mais aussi dans le passé de BNP Paribas, de Suez et de Thales, il est l’un des passeurs entre les deux cultures. C’est pourquoi François Hollande l’a reçu à trois reprises à l’Elysée en tête à tête et qu’avec Jean-Louis Beffa, il vient de rédiger pour le président français et Angela Merkel un rapport sur la compétitivité. De son expérience binationale, il tire une conclusion générale : « C’est justement parce qu’un compromis franco-allemand est tout sauf spontané que les discussions entre responsables français et allemands ont une telle importance» pour l’Europe, écrit-il dans la revue Commentaires. p Frédéric Lemaître ON NAISSAIT À L’HÔPITAL KRUPP, ON HABITAIT DANS DES MAISONS KRUPP, ON TRAVAILLAIT CHEZ THYSSEN OU OPEL de dirigeants. « Ils se sont livré une bataille pour le pouvoir au sommet du groupe, la décision d’investir a été prise en dépit du bon sens économique », maugrée-t-il, en fustigeant les méthodes de management : « Il régnait une culture de la peur, où il était impossible d’émettre la moindre réserve. » En décembre 2012, le nouveau PDG, Heinrich Hiesinger, a annoncé vouloir engager un « tournant dans la culture » de l’entreprise. Un programme d’amnistie a été mis en place pour les salariés acceptant de dénoncer les irrégularités dont ils auraient été témoins. Cela suffira-t-il pour sauver un groupe englué dans son passé ? La déroute de ThyssenKrupp est, à beaucoup d’égards, le symbole d’un modèle allemand dépassé, aux antipodes des entreprises de taille moyenne, qui font aujourd’hui la gloire du « made in Germany ». L egroupe fusionné en 1999 a un portefeuille trop large, les investisseurs peinent à y voir de la cohérence. A côté de l’acier, le groupe produit des ascenseurs, des sous-marins, du matériel de construction ou encore des pièces pour l’automobile. Pour Hermann Reith, analyste de la banque BFH, « il faut scinder le groupe en deux ». Berthold Beitz, le patron patriarche, en est-il capable ? Nul autre grand groupe allemand ne permet à un vieillard de 99 ans de conserver un si grand pouvoir dans le choix de ses dirigeants et sur la stratégie. Est-ce le résultat d’un aveuglement longtemps refoulé ? A l’heure où le centre de gravité de la production d’acier se déplace en Asie, ThyssenKrupp, 14e producteur mondial, réaliseencore près de 30%de son chiffre d’affaires avec cette activité. Aujourd’hui, Duisburg, premier site sidérurgique d’Europe, est certes compétitif sur des produits de niche, mais de plus en plus menacé. Même la puissante industrie automobile n’est plus le bon client de jadis : sur le site Opel de Bochum, à quelques dizaines de kilomètres de Duisburg, l’arrêt définitif de la production est entériné. Et chez BMW, on est déjà à l’après-acier : les carrosseries des nouvelles voitures électriques fabriquées à Leipzig seront en… fibre de carbone. C’est en définitive toute la culture d’une région qui peine à tourner la page des grands patrons de jadis. Dans une Allema- 0123 9 dossier Mardi 14 mai 2013 «On était fier de travailler pour Krupp ou Thyssen» Entretien Ludger Pries, professeur de sciences sociales à l’Université de la Ruhr, évoque la façon dont l’industrie a modelé les mentalités Que reste-t-il en Ruhr de la culture des anciens barons du charbon et de l’acier ? Avec le chômage, les anciens schémas de solidarité ne fonctionnent plus aussi bien qu’avant. Mais il y a une forte culture du « vivre-ensemble», parce que l’agglomération est immense. Les gens de la Ruhr sont attachés à leur région. Grâce aux vagues d’immigration, la tolérance est forte, on connaît très peu la xénophobie, contrairement à d’autres régions d’Allemagne. La Ruhr est ouverte, multiculturelle. Les jeunes apprécient beaucoup cela. Ils ont marqué la région jusque dans les années 1970-1980. Au début des années 1960, ils ont par exemple cherché à empêcher l’implantation de l’usine Opel à Bochum. Ils craignaient que les nouvelles industries n’introduisent de la concurrence sur les salaires et les personnels qualifiés. Cette culture était liée au charbon et à l’acier, elle est à présent révolue. Les barons ont contribué à faire de la Ruhr ce qu’elle est aujourd’hui: un immense bassin densément peuplé au centre de l’Europe, où beaucoup de grandes entreprises allemandes, cotées ou non, ont encore leur siège. Aldi, le champion du hard discount, est par exemple né à Mülheim sur la Ruhr, près d’Essen. L’équipe de football de Dortmund rencontre le 25 mai le Bayern de Munich en finale du championnat de la Ligue des champions. Si les deux régions partagent l’amour du football, leurs modèles industriels sont diamétralement opposés. Comment l’expliquez-vous ? La Ruhr est une vieille région industrielle, qui a concentré les industries lourdes et qui se trouve aujourd’hui dans un processus profond de restructuration. L’industrie en Bavière est au contraire marquée par une forte décentralisation, composée de PME et de produits à haute valeur ajoutée. Cette spécialité a été rendue possible par la péréquation financière entre Länder allemands, qui a organisé le transfert de capitaux du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (le Land de la Ruhr) à la Bavière, qui était, il y a quarante ans, une région agricole. Il ne faut pas l’oublier. Pourquoi le chômage est-il si élevé en Ruhr (supérieur à 10 %), alors qu’il est de 7 % dans les régions voisines ? La cokerie de l’ancien complexe minier de Zollverein, à Essen, a fermé en 1993. En 2001, une piscine y a été créée à l’initiative d’un collectif d’artistes. TIMM SONNENSCHEI, REPORT DIGITAL-REA gne occidentale en excellente santé économique, la Ruhr fait figure d’îlot de pauvreté. Dans certains quartiers de Duisburg, le chômage atteint 13 % – davantage que dans beaucoup de régions de l’ex-Allemagne de l’Est. « Pour la génération des plus de 40 ans, quand on est né en Ruhr, on reste en Ruhr », explique Heinz-Martin Dirks, directeur du développement économique de la ville de Bochum. « Les gens ont du mal à se dire qu’ils pourraient aller chercher du travail ailleurs ou se mettre à leur compte. » Comment pourrait-il en être autrement ? Il y a encore quarante ans, on naissait à l’hô- La fermeture de l’usine marque la fin d’un mythe pour la région Ruhr. Au début des années 1960, alors que les mines de charbon commençaient à fermer, l’arrivée d’Opel à Bochum a été une rédemption, offrant des salaires et des conditions confortables aux anciens mineurs. Vingt mille salariés y travaillaient en 1990. Depuis, «800 emplois en moyenne ont été supprimés chaque annéesur le site », constate Heinz-Martin Dirks, directeur du développement économique de la ville. En 2004, 3 000 emplois ont été supprimés d’un coup. « Nous vivons le dernier chapitre de cette longue histoire», dit M.Dirks, qui se souvient de la délocalisation en Roumanie de l’usine Nokia en 2008. A Bochum, le taux de chômage est de 10%, c’est moins qu’à Essen, à Duisburg ou à Dortmund. Mais à cause de la faiblesse des subventions européennes, le site est moins attractif pour les investisseurs que certaines villes d’ex-Allemagne de l’Est, comme Leipzig, en plein boom. «Nous devons compter sur nos propres forces: il y a un tissu de PME qui se développent ici dans les domaines de l’économie de la santé, de la fabrication de matériel aux services», note M. Dirks. Son principal défi avec la fermeture d’Opel, c’est désormais la valorisation de l’immense site laissé vacant. 1,7 million de mètres carrés. p pital Krupp, on habitait dans des maisons Krupp, on travaillait chez Thyssen ou Opel, on vieillissait protégé par les généreuses conventions collectives. La Fondation Kruppdispose encore d’une influenceconsidérable sur la vie de la région : alimentée par les dividendes du groupe, elle finance un hôpital, deschaires universitaires et denombreuses initiatives culturelles et sportives. Face à ces structures du passé, Rüdiger Pütz incarne pourtant l’alternative montante en Ruhr. Né à Essen de père mineur, il a fait son apprentissage chez Krupp et a travaillé dans la construction de machines, avant de créer une PME de 25 salariés. Pour lui, l’ère des grandes entreprises est révolue. « L’avenir est dans les moyennes entreprises de 200-300 personnes, qui peuvent travailler avec de nouvelles technologies et beaucoup d’innovation », explique-t-il. « Beaucoup de ces PME, sous-traitantes de grands groupes, se disent en ce moment : “pourquoi ne pas coopérer entre nous pour fabriquer ce qu’ils font ? Nous n’avons pas besoin de ces milliers de salariés et de ces lourdes structures pour être compétitifs” », renchérit M. Pütz. Le savoir-faire ne manque pas. L’entreprise de M. Pütz est spécialisée dans la fabrication de pièces pour des machines d’excavation minière destinées aux exploitations de charbon en Chine ou en Amérique latine. « Les gens de la Ruhr ont beaucoup d’expérience dans ce domaine, grâce au passé minier de la région. Sur cette niche, les Allemands sont à la pointe au niveau mondial. » A Essen, les jardins de la Villa Hügel, siège de la Fondation Krupp, sont une bulle verte au milieu de l’immense conurbation de la région, première métropole d’Allemagne. L’ancienne demeure des Krupp est un vaste palais où défilaient autrefois des personnalitésdu monde entier. Aujourd’hui, elle abrite un musée consacré à l’histoire de la famille. Les barons de l’acier et leur mythe sont désormais sous verre, photographiés par les touristes. Depuis 2010, quand Essen a été capitale européenne de la culture, ils sont de plus en plus nombreux à visiter les anciennes installations minières et sidérurgiques reconverties en espaces culturels, contribuant à changer l’image de l’ancienne région minière. Un dernier legs des patriarches à leur région. p C. Bt Cécile Boutelet Bochum tente de s’inventer un avenir après la fermeture d’Opel SUR LE PARKING de l’usine I d’Opel, à Bochum, une chose frappe : de nombreuses voitures de salariés ne sont pas de la marque à l’éclair. Jusqu’à il y a peu, rouler en marque étrangère pour un « opelaner » était tabou. Mais les longues hésitations de la maison mère, General Motors, autour du site de Bochum ont eu raison de la fidélité des salariés pour leur employeur. Le 17 avril, le conseil de surveillance du groupe a entériné l’arrêt définitif des chaînes de production fin 2014. A Bochum, 3 000 salariés vont perdre leur travail, sans compter les emplois induits dans la région, selon les calculs entre 10 000 et 40 000. Au changement d’équipe de 14 heures, en ce mercredi d’avril, aucun salarié ne veut s’exprimer. Les dernières semaines ont été douloureuses : le plan négocié par le syndicat IG Metall pour le maintien durable d’un millier d’emplois sur le site a été refusé par les salariés. « C’était une réaction émotionnelle », assure Alexander Lazio, porte-parole d’Opel. Scandalisé par les conditions de suppression des emplois, Rainer Einenkel, président du comité d’entreprise, a lancé un appel à la grève à tous les salariés d’Opel en Allemagne… qui n’a pas été suivi. En ces temps de chômage technique dans le secteur automobile, la solidarité passe au second plan. Beaucoup de gens qui ont travaillé jusque dans les années 1970 et 1980 dans les industries du charbon et de l’acier, notamment de nombreux étrangers, n’avaient pas beaucoup de qualification. Ils ont aujourd’hui du mal à retrouver un emploi. A cette époque, être salarié de Krupp, de Thyssen ou de Hoesch était un motif de fierté, celle d’appartenir à l’empire d’un baron de la Ruhr. C’était un emploi sûr, les syndicats étaient bien implantés et puissants. Cela a marqué également les immigrés venus travailler dans la région. Il est difficile aujourd’hui de passer de cet état d’esprit à une culture de l’entrepreneuriat, qui serait nécessaire pour développer un tissu de PME. Les régions voisines sont mieux dotées de ce point de vue. Mais l’Université de la Ruhr est en train de changer les choses. La Ruhr a été, en 2010, capitale européenne de la culture. Quelles conséquences a eu cette manifestation sur la région en termes d’image et de tourisme ? Il y a eu des changements, mais les budgets des communes ont beaucoup souffert. Or certaines communes sont en difficulté budgétaire chronique, voire sous tutelle. Ruhr 2010 a donné une impulsion positive, mais qui n’a pas l’effet durable qu’il aurait pu avoir, par manque de moyens. p Que reste-t-il de l’esprit de solidarité hérité de l’âge d’or des grandes entreprises ? Propos recueillis par C. Bt La Ruhr victime de la désindustrialisation ALLEMAGNE POPULATION Rhénanie-du-Nord-Westphalie RHÉNANIE-DU-NORDWESTPHALIE 10 238 197 12 706 820 Ruhr Ruhr 5 674 223 5 135 136 BAVIÈRE 1960 250 km 2011 1960 2011 + 24,1% —9,5% (hors Ruhr) TAUX DE CHÔMAGE, EN % COMPOSITION DE L’EMPLOI DANS LA RUHR, EN % INDUSTRIE MÉTROPOLE RUHR 10,9 10,4 11,2 10,6 SERVICES AGRICULTURE En 1970 58,5 40 1,5 7,2 6,6 7,1 6,5 Aujourd’hui MOYENNE NATIONALE 0,9 21,7 77,4 2010 2013 SOURCE : METROPOLERUHR