L`élection présidentielle de 2000 au Sénégal

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L`élection présidentielle de 2000 au Sénégal
L’élection présidentielle de 2000
au Sénégal
CHRISTIAN VALANTIN
Premier Vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal
Représentant personnel du chef de l’État au CPF
L’élection présidentielle du 27 février et du 19 mars 2000 qui s’est conclue par la victoire au deuxième tour de
Maître Abdoulaye Wade constitue un cas salué comme tout à fait exceptionnel. Sous la haute surveillance de
l’Observatoire National des Élections, de l’organe de régulation des médias et des observateurs internationaux,
dont la Francophonie, des médias privés et publics, nationaux et étrangers, cette élection s’est déroulée dans la
concertation entre tous les acteurs du processus électoral, dans la transparence, dans le calme et dans la démocratie.
Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas d’améliorations à apporter au processus électoral sénégalais tel qu’il est
organisé actuellement. Mais c’est bien la première fois qu’il n’y a pas de contestations verbales et de rue plus ou
moins violentes après la proclamation des résultats du 1° et du 2° tours, qu’il n’y a pas de recours contentieux après
la proclamation provisoire des résultats du second tour. Les communiqués des observateurs internationaux prouvent l’exemplarité de l’élection présidentielle sénégalaise. Les commentaires élogieux de la presse écrite et parlée, non seulement nationale mais étrangère, à propos de la « victoire de la démocratie » au Sénégal, confirment la
singularité de l’événement. Examinons donc les raisons de ce qui est apparu comme une étrangeté au point d’en
faire un exemple, presque un cas d’école.
Ce qu’il faut retenir, c’est le déroulement du processus électoral. Il a commencé le 22 février 1999 pour se terminer vers le milieu du mois d’avril 2000. Durant cette période d’un an et deux mois environ, il faut comprendre
les opérations préélectorales, électorales et post-électorales proprement dites, les votes devant le Parlement des
lois relatives à l’élection elle-même et les textes réglementaires pris pour leur application. Les évaluations de
l’ONEL, du ministère de l’Intérieur et du Haut Conseil de l’Audiovisuel, l’organe de régulation des médias, ne
sont pas toutes achevées à ce jour. Mais il y a suffisamment d’éléments pour se faire une première idée de la façon
dont ces élections ont eu lieu. Il faut aussi retenir l’extrême formalisme du système législatif, réglementaire et juridictionnel régissant les élections en général et l’élection présidentielle en particulier. Ce formalisme a ses avantages et ses inconvénients. Ils obligent tous les acteurs du processus électoral, en particulier les partis, à s’entendre
pour mener à bien le travail de démocratie qui leur incombe et qui est exigé.
I.– CONCERTATION ENTRE LES ACTEURS DU PROCESSUS ÉLECTORAL
A.– La mise à jour du fichier électoral
Un problème se posait. Depuis la création du fichier électoral, un nombre relativement important d’électeurs
qui aurait dû en être retranché continuait à y figurer du fait de décès et de changements de résidence, donc d’inscriptions multiples, non pris en compte(1). Il fallait mettre à jour le fichier et le faire en concertation avec les partis
politiques. Ce fut fait par le vote de la loi 99-75 du 11 mars 1999 et son décret d’application 99-224 du même jour.
Il faut signaler que sont représentés à l’Assemblée nationale six partis politiques et un seul au Sénat, mais que,
dans la procédure législative en vigueur, l’Assemblée a toujours le dernier mot.
Pour l’application de ces textes, un recensement des électeurs ayant retiré leur carte d’électeur lors des législatives de 1998 a été fait. Ils ont constitué le noyau dur du fichier et ont servi de base à la révision exceptionnelle
1. La matière est régie par les articles L39 à L43 et R22- 23-24 du Code électoral. Le régime des radiations est si complexe en raison des réalités
du terrain que les électeurs dont le décès n’a pas été enregistré à l’état-civil ou ceux qui changent de résidence sans s’être fait radier et sans s’être
fait inscrire au lieu de leur nouvelle demeure, restent inscrits sur les listes électorales. Il faut ajouter que des différences d’identité, même légères,
difficilement détectables et concernant une même personne, peuvent apparaître, provoquant ainsi des inscriptions multiples.
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qui s’est étalée du 2 mai au 30 septembre 1999(2). Dix commissions régionales de recensement et la commission
nationale de contrôle et de validation ont assuré la régularité et la transparence de l’opération à laquelle vingt-sept
partis(3) ont participé et qui a permis de traiter 7862 listes de distribution.
À la fin des opérations de recensement, de contrôle et de validation des commissions, le nombre d’électeurs pris
en compte dans le noyau dur s’est élevé à 1 781 761, soit une réduction de 42 % du fichier électoral de 1998.
Pour la révision exceptionnelle des listes électorales (2 mai-30 septembre 1999), 933 commissions ont été
créées à la date légale du 12 avril 1999(4), soit une augmentation de 25 % par rapport à 1998. Fait partie de ces commissions un représentant de chaque parti légalement constitué(5). Pour l’élection présidentielle, il s’agit d’un représentant de chaque candidat qui se confond avec le parti auquel le candidat appartient. Au 30 septembre 1999, terme
de la révision exceptionnelle, le nombre d’électeurs inscrits était de 1 026 748. Au terme de la période contentieuse
de vingt jours, et à la date du 26 octobre 1999, le nombre total des inscriptions était de 1 011 781. Les listes provisoires ont été éditées et publiées le 2 novembre 1999. Dans un souci de transparence et d’accessibilité à toutes
les listes, elles ont été mises sur Internet.
En récapitulation finale, le nombre d’électeurs figurant au Sénégal sur les listes s’élevait à 2 619 799, répartis
en 5084 lieux de vote éclatés en 8442 bureaux de vote et à l’étranger, à 106 192, compte tenu des radiations par
l’ONEL, des nouveaux inscrits sur recours, des doubles inscriptions supprimées sur recours. Radiations, nouveaux
inscrits sur recours, suppression des doubles inscriptions ont jeté la suspicion sur la gestion du processus électoral par le Ministère de l’Intérieur. C’est pourquoi, les partis d’opposition regroupés dans le FRTE ont demandé
avec insistance un audit du fichier électoral que le Ministère a finalement accepté.
B.– L’audit du fichier électoral
Malgré les multiples précautions prises, la publication des listes électorales a suscité de vives controverses et
engendré un certain blocage de la concertation entre le ministère de l’Intérieur, l’ONEL et le FRTE (6). Le Front
d’Action de la Société Civile a proposé sa médiation. Celle-ci a permis de renouer le dialogue. La concertation
reprise avait pour objectifs :
– de établir dans leurs droits les électeurs lésés par la faute de l’administration ;
– d’identifier les inscriptions multiples ;
– de vérifier le traitement des électeurs rétablis dans leurs droits par décisions de justice ;
– de vérifier le noyau dur, les listes provisoires et les listes définitives.
Des experts informaticiens du FACS, du FRTE, de l’ONEL et du ministère de l’Intérieur ont procédé à ces
vérifications du 11 au 26 février, c’est-à-dire jusqu’à la veille du premier tour de scrutin. Les efforts de contrôle et
de vérification ont porté sur les aspects suivants :
– les inscriptions multiples ;
– le fichier définitif par rapport au fichier provisoire ;
– le rétablissement des électeurs bénéficiant de décisions de justice ;
– le noyau dur ;
– les nouvelles inscriptions ;
– le fichier actuel par rapport aux dispositions de l’article 36 du Code électoral ;
– les électeurs indûment radiés par l’administration, s’il en existe.
À l’issue des travaux, une liste de contrôle des électeurs classés par bureau de vote et par ordre alphabétique
ainsi que la liste des radiations pour inscriptions multiples ont été mises à la disposition de l’ONEL, du FRTE, du
FACS et du PS. L’édition des listes de contrôle a coûté 91 millions de francs pour l’achat d’imprimantes laser.
Les conclusions de ces travaux ont permis de constater :
– que le fichier électoral est bel et bien unique ;
– qu’il est suffisamment fiable pour permettre d’aller à l’élection le 27 février et d’en assurer le contrôle.
Pour les besoins du contrôle, 270 000 pages ont été éditées pour le 1er tour et autant pour le second.
2. Décret n° 99-271 du 31 mars 1999.
3. And-Jëf/PADS ; APJ/Jëf Jël ; BCG ; CDP/Garap Gui ; FSD/BJ ; PAE/S ; PAI ; PDS ; PDS/Rénovation ; PEP ; PIT ; PUR; PRS ; PS ;
PNS ; RDP ; RTA/S ; RPJS ; RND ; PLS ; LD/MPT ; MNSM ; MRS ; MSU ; PNS ; USD/R ; UDF/Mboloomi, URD ; URD.
4. Article R 18 du Code électoral.
5. Article L 35 du Code électoral.
6. Front pour la Régularité et la Transparence des Élections, composé de 15 partis politiques de l’opposition.
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C.– L’affaire des cartes dites « israéliennes »
Une très vive polémique s’est élevée au sujet des cartes d’électeur. Le ministère de l’Intérieur avait pris le 11
octobre 1999, conformément à la loi (7) et aux décrets subséquents un arrêté n° 07337 qui fixe le modèle et la couleur de la carte d’électeur. Et sur la base d’un cahier des charges répondant aux normes réglementaires, une entreprise de la place de Dakar avait remporté l’appel d’offres et avait commencé son travail. Redoutant le risque de
falsification et devant l’impossibilité reconnue par la société adjudicatrice et les autres imprimeries de la place de
fabriquer à Dakar des cartes infalsifiables, le ministère a pris sur lui de commander à l’étranger, par le canal de son
représentant sénégalais, des cartes sécurisées, tout en laissant se poursuivre l’exécution de la commande locale.
Ce sont les cartes dites « israéliennes », parce que fabriquées par la société Compaq dont le siège social se trouve
en Israël. Le ministre expliqua que la prudence en ce domaine lui commandait le secret et que c’est la raison pour
laquelle il avait cru bon de ne pas en informer l’ONEL ni les partis politiques. Il expliqua aussi, qu’au demeurant,
il n’était pas obligé de le faire. Le ministre a expliqué tant à l’Assemblée que dans la presse comment la société
Compaq avait procédé pour sécuriser la carte d’électeur. Dépassant le problème de la carte, les soupçons de double
fichier électoral se sont alors manifestés et les fonctionnaires de la Direction de l’automatisation du fichier ont été
accusés de profiter de leur voyage en Israël pour confectionner un autre fichier. On a vu plus haut qu’il n’en était
rien. De plus, les cartes « israéliennes » ont été distribuées pour le premier tour par 513 commissions (8) itinérantes
où les représentants des candidats, par leurs partis respectifs, étaient présents et ont servi pour le deuxième tour.
Des commissions regroupées ont distribué les cartes restantes au premier tour. Au second tour, ces commissions
regroupées ont été, à la demande des partis, multipliées par deux dans les régions et par six à Dakar. Il y en eut
mille. Les électeurs ont voté avec la carte « israélienne ».
D.– La révision de certaines dispositions du Code électoral
Lors de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale du mois de janvier 2000, un projet de loi gouvernemental visant à intégrer dans le Code électoral la création d’une Cour d’appel à Kaolack, a donné l’occasion à
l’opposition parlementaire de proposer plusieurs autres modifications. Un groupe de travail a été constitué par la
commission des Lois qui a regroupé l’opposition parlementaire (9) et le PS. Vingt-trois modifications ont été apportées au code tant dans sa partie législative que réglementaire. Il serait trop long d’entrer dans les détails de ces
modifications dont certaines sont mineures et d’autres plus ou moins importantes(10). Il est cependant utile de constater que l’Assemblée nationale est le lieu de concertation par excellence. Ce n’est pas la première fois que sur des
projets ou propositions de lois importantes, comme ceux de l’ONEL, de la décentralisation ou du règlement intérieur de l’Assemblée, les groupes parlementaires et les non inscrits ont, après une large et profonde concertation,
adopté ces textes à l’unanimité. Cette fois-ci, il n’en fut pas de même. Les propositions de l’opposition furent
cependant votées par la majorité, la minorité s’étant absentée pour des raisons qui tenaient à la tension qui régnait,
suite à l’affaire des cartes dites « israéliennes ». Il faut dire que c’était le 11 janvier et que l’élection présidentielle
approchait.
II.– INFORMATION, COMMUNICATION ET FORMATION
L’élection présidentielle de février-mars 2000 se caractérise par une double relation, la première qui met en
contact le ministère de l’Intérieur et ses partenaires (populations et électeurs, élus, administration territoriale, autorités judiciaires, représentations diplomatiques etc…) ; une relation dialectique qui s’est établie entre le gestionnaire de l’opération (le ministère de l’Intérieur) et les médias écrits, parlés et audiovisuels. Il ne faut pas oublier
les partis politiques qui ont abattu un travail considérable d’information, de communication et de formation ni les
journalistes qui quotidiennement ont suivi les événements, les commentant et les analysant avec leur sensibilité
respective dans un contexte de liberté totale d’expression.
7. Article L 50, R35 et R63 du Code électoral.
8. Article 51 du Code électoral.
9. PDS, AND Jëf /PADS, PIT (groupe parlementaire Liberté, Démocratie et Progrès) ; URD, LD/MPT, RND (groupe parlementaire Démocratie
et Liberté) ; BCG, CDP Garap-bi (non inscrits).
10. V. l’exposé des motifs du projet de loi modifiant le Code électoral.
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A.– Information et transparence
Le ministère de l’Intérieur, par sa Direction de la Formation et de la Communication (COMFOR), a mis en
œuvre un programme d’information et de sensibilisation des citoyens. Ce programme a suivi les différentes étapes
du calendrier républicain.
La révision exceptionnelle des listes électorales a fait l’objet de 27 parutions (bandeaux) dans les quotidiens
et les hebdomadaires(11) de la presse écrite, de communiqués et d’entrevues diverses. Les radios(12) et la télévision
ont été également sollicitées sous la forme de spots(13) et d’entrevues. La mise du fichier sur Internet, les conférences de presse sur la révision, l’édition n° 1 de Leer Clarté sont venues compléter le dispositif.
La distribution des cartes d’électeur a été traitée de la même façon : bandeaux à la une des journaux, édition
n° 2 de Leer Clarté. À la radio, des spots, des sketchs, des messages lus par des artistes(14), les messages des partis
pour le retrait des cartes et une émission de dix minutes intitulée « Leeral » (« clarifions ») sur la carte d’électeur,
le fichier, la formation, les membres des bureaux de vote, le matériel électoral, et les modalités de deuxième tour.
La préparation du scrutin a fait l’objet :
– de spots sur le fichier électoral, l’encre indélébile, les cartes d’électeur (2° tour), sur la façon de voter ;
– de sketchs sur les commissions regroupées (2° tour) ;
– d’une rencontre, le 25 janvier 2000, entre le ministre de l’Intérieur et la presse nationale et internationale ;
– d’une autre, le 25 février 2000, entre le Directeur de la formation et de la communication avec les observateurs internationaux ;
– d’une série de reportages quotidiens sur le processus électoral.
Par ailleurs la concertation sur le fichier électoral a bénéficié d’une couverture médiatique.
Des dépliants et affiches sur les techniques de vote ont été confectionnés.
COMFOR-ACCESS. Pour plus de transparence, la Direction de la Formation et de la Communication a créé
en son sein le réseau Info-Election COMFOR-ACCESS. Ce réseau a servi de relais entre l’administration et les
électeurs, les élus, les journalistes, l’administration territoriale, les autorités judiciaires, etc... Il a fourni toutes informations relatives aux élections, et ce d’une façon permanente, même le samedi et le dimanche, grâce à un numéro
vert, le 800 12 12, par lequel les usagers ont pu, sans se déplacer, consulter le fichier électoral et s’informer. Huit
agents de la COMFOR étaient détachés à cet effet. Avec une moyenne journalière de 52 appels par jour, COMFOR-ACCESS a connu des maxima de 521 appels selon les jours. Au total 6000 appels ont été enregistrés pendant la période allant du 2 novembre 1999 jusqu’à la veille du premier tour.
Accréditation des journalistes. Du 23 février au 20 mars 2000, 86 journalistes étrangers ont été accrédités et
badgés ; près de 60 journalistes sénégalais de la presse écrite, parlée télévisée ont reçu des laissez-passer.
B.– Campagne électorale et communication
La matière est réglée par les articles 118 à 125 du Code électoral. Si « la Cour d’Appel veille à l’égalité entre
les candidats »(15), le Haut Conseil de l’Audiovisuel qui est « l’organe de régulation des médias, assure l’égalité entre
les candidats dans l’utilisation des temps d’antenne. Il intervient, le cas échéant, auprès des autorités compétentes
pour que soient prises toutes mesures susceptibles d’assurer cette égalité »(16). La Cour d’appel qui veille à la régularité de la campagne électorale peut adresser des injonctions au HCA ou à un candidat à la suite d’une réclamation(17). Il ne semble pas que la Cour d’Appel ait eu à intervenir sur le plan de la régularité de la campagne électorale.
Veiller à la régularité de la campagne électorale, c’est veiller à ce que chaque candidat à la présidence de la
République reçoive « un traitement égal dans l’utilisation des moyens de propagande »(18). C’est veiller aussi à ce
que « le principe d’égalité entre les candidats soit respecté dans les programmes d’information du service public
de radiodiffusion-télévision, en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des déclarations, écrits, activités des candidats et la présentation de leur personne »(19).
11. Le Soleil, Sud Quotidien, Wal Fadjiri, le Matin, Info 7, Nouvel Horizon, Témoin, Promotion, le Cafard Libéré.
12. SUD FM, WAL FM, 7 FM, Radio Sénégal.
13. Spots : « Inscrivez vous » en sept langues ; « Vérifiez les listes » en sept langues ; « 11 partis » ; reportages sur le processus électoral.
14. Spots : « Retirez votre carte d’électeur » , « Nouvelle carte d’électeur en 3 D ».
15. Article 118 1° du Code électoral.
16. Article 118 2° du Code électoral.
17. Article 118 4° du Code électoral.
18. Article 123 1° du Code électoral.
19. Article 125 du code électoral.
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Plusieurs décisions ont été prises par le HCA pour faire respecter le principe d’égalité entre les candidats.
– Chaque candidat a eu droit à un temps d’antenne de cinq minutes par jour(20). Le 11 février, le temps d’antenne du candidat Cheikh Abdoulaye Dieye ayant débordé de 15 secondes, le HCA l’a ramené au temps
réglementaire de cinq minutes ; le 19 février, il a été constaté que le discours de Iba Dher Thiam s’est brutalement arrêté à 4’ 59’’ : il lui a été concédé un débordement de 1 à 2’’; le HCA a laissé le candidat Abdoulaye
Wade épuiser son temps de parole, lorsqu’il a constaté que son intervention à Bargny s’était arrêtée au bout
de 4’ 32’’, d’où un manque à gagner de 28’’, alors que le candidat n’avait manifestement pas fini de parler.
Toujours pour respecter le principe d’égalité entre les candidats, le HCA, par décision du 16 février 2000, a
suspendu, jusqu’à la fin de l’élection, toutes émissions radiodiffusées ou télévisées faisant intervenir directement un candidat. (Émissions s’apparentant à des « radio votes »).
– Tous les médias audiovisuels publics et privés sont tenus de respecter le principe d’égalité, en vertu du
pouvoir conféré au HCA « de fixer les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions réglementées des médias audiovisuels lors des campagnes électorales »(21). À la suite d’une requête du candidat Djibo Laïty Ka par laquelle il reproche à la RTS de saboter
systématiquement ses images de campagne, le HCA a rappelé que « le principe d’égalité entre les candidats suppose une exploitation professionnelle des images de manière à ce que celles-ci, en partant de
la réalité sur le terrain, reflètent strictement les instructions du candidat consignées sur la fiche de montage »(22) ;
Le respect des valeurs républicaines a également fait l’objet de décisions du HCA. La loi sur ce point est très
stricte. Les candidats ne doivent pas tenir de propos qui révèlent un manquement grave aux obligations constitutionnelles, en ce qui concerne notamment le respect :
– des caractères de l’État républicain, laïc et démocratique ;
– des institutions de la République, de leur statut, de leurs compétences ;
– de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de l’unité nationale ;
– des libertés publiques.
• En conséquence, le HCA a adressé, le 15 février 2000, à la radio Walf « une mise en demeure publique à
l’effet de l’inviter à arrêter la diffusion de l’émission où, depuis l’ouverture de la campagne, il était fait
l’apologie de la violence et de la haine, en wolof et en français »(23).
• Dans un autre ordre d’idée, le HCA a, dans une observation en date du 10 février 2000, mis en garde les
différents candidats (Cheikh Abdoulaye Dièye) contre une tendance de plus en plus nette à radicaliser le
discours religieux. Il rappelle que le principe de laïcité impose une certaine retenue grâce à laquelle, tout
en affichant sa foi, l’esprit de tolérance prime. « C’est une recommandation divine »(24), conclut le HCA.
La violation de la loi a été également sanctionnée.
– Ainsi le HCA, a-t-il décidé de faire disparaître des images d’une réunion publique du candidat Abdou Diouf,
en campagne à Linguère, toutes références aux symboles de la République, en particulier les couleurs nationales arborées sur les chapeaux, les écharpes et les foulards (articles 1 de la Constitution et LO 123 du code
électoral)(25).
Au total ce sont 160 éléments (1° tour) et 14 (2° tour) qui ont été passés au crible de HCA. Autant de « bons à
diffuser » (BAD) qui ont été délivrés avec quelques réserves pour trois éléments. La vigilance du HCA a permis
de faire respecter dans son ensemble le principe d’égalité entre les candidats.
C.– Formation
Le code électoral sénégalais est un texte complexe, extrêmement formaliste qui doit être appréhendé dans tous
ses aspects. Entre les 823 commissions administratives de révision des listes électorales, les 1 006 commissions
administratives de distribution des cartes d’électeur, les 8 442 bureaux de vote, il s’agissait d’initier aux subtilités
20. Décret n° 2040 du 10 janvier 2000.
21. Loi n° 98 09 du 2 mars 1998 (article 3) portant création du HCA.
22. Directive du HCA en date du 15 février 2000.
23. Décision du HCA en date du 16 février 2000.
24. Observation du 14 février 2000.
25. Actes de gestion du HCA.
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du Code électoral 30 813 agents de la puissance publique en activité ou à la retraite, à raison de trois agents par
commission et par bureau de vote.
La stratégie adoptée fut de coller aux différentes phases du processus électoral, de concevoir, de réaliser des
fiches pédagogiques et de les tester sur différents supports, de former des équipes de formateurs, d’établir des
calendriers pour les sessions de formation, d’en évaluer le nombre, de déterminer les groupes cibles au niveau
national, régional, départemental et local, de démultiplier la formation et d’en assurer le contrôle, d’impliquer
l’ONEL et la Justice.
La pédagogie fut active et participative, visuelle (cassette vidéo), commentée et expliquée (textes législatifs et
réglementaires, jurisprudence), accompagnée d’exercices pratiques.
Les thèmes développés ont porté sur la mise à jour du fichier électoral, la révision des listes électorales, leur
publication, la distribution des cartes d’électeur, le scrutin.
Ont été réalisés :
– 20 000 fascicules et 200 cassettes vidéo portant sur la révision des listes ;
– 42 000 manuels et 800 cassettes vidéo de formation des membres de bureaux de vote ;
– 32 000 exemplaires du Code électoral.
Les partis politiques ont été invités à suivre cette formation, mais comme le nombre de personnes à envoyer
était limité, ils ont assuré eux-mêmes la formation de leurs représentants. Ils ont cependant reçu une dotation de
supports.
III. – LE CONTRÔLE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
La loi indique trois types de contrôle devenus traditionnels : un contrôle de régularité (commissions de recensement, ONEL, Cour d’Appel) et un contrôle juridictionnel (Conseil constitutionnel), un contrôle des observateurs
internationaux. Il faut y ajouter un autre type de contrôle, celui des médias et des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), en particulier des mobiles. C’est la première fois au Sénégal que les
médias (radios et presse) ont occupé une telle place dans une élection, que l’information est remontée et a été diffusée presque en temps réel grâce au téléphone mobile. L’élection était ainsi placée sous le contrôle de la société
civile.
A.– L’ONEL(26)
L’Observatoire National des Élections (ONEL) est « une structure indépendante chargée de la supervision et
du contrôle des opérations électorales et référendaires »(27). Sa mission est de « contribuer à faire respecter la loi
électorale de manière à assurer la régularité, la transparence des scrutins, en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux
candidats en présence, le libre exercice de leurs droits »(28). Il veille ainsi à ce que la loi électorale soit appliquée
aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs(29). Et il peut
aussi bien se saisir lui-même qu’être saisi par les partis politiques en compétition, les candidats ou les électeurs(30).
L’ONEL intervient (supervision et contrôle) à tous les stades du processus électoral, depuis le fichier électoral, l’établissement et la révision des listes jusqu’au ramassage et la transmission des procès-verbaux des bureaux
de vote aux commissions de recensement départementales et nationale, en passant par la distribution des cartes
d’électeur, la liste des bureaux de vote, leur composition, leur publication, leur notification aux candidats, leur mise
en place ainsi que celui du matériel et des documents, la campagne électorale, le scrutin lui-même, le dépouillement des bulletins de vote et le recensement des suffrages(31).
En cas de non-respect de la loi et du règlement par une autorité administrative, l’ONEL l’invite à prendre les
mesures de correction appropriées. Il lui est arrivé de demander aux sous-préfets et aux préfets de relever des présidents de commissions administratives chargées de la révision des listes électorales ou de la distribution des cartes
d’électeur pour manquements à la loi, aux décrets ou aux arrêtés régissant la matière. Les fautes commises par les
partis politiques, les candidats ou les électeurs sont portées par l’ONEL devant les tribunaux(32).
26. Au moment de l’édition de ce document, le rapport d’évaluation de l’ONEL n’avait pas encore été livré.
27. Article 1 du Code électoral.
28. Article 2 du Code électoral.
29. Article 12 du Code électoral.
30. Article 11 du Code électoral.
31. Article 6 du Code électoral.
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L’ONEL a mis en place dans les régions, les départements, les ambassades et les consulats, des structures correspondantes(33). Il y a 10 OREL (régions) et 40 ODEL (départements). Pour le jour du scrutin, l’ONEL a désigné
9000 délégués environ, qui ont opéré au niveau de chaque bureau de vote (8442 pm). Ces délégués ont bénéficié
d’une protection pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions(34).
B.– Les commissions de recensement(35)
Sur la base des procès-verbaux en provenance des bureaux de vote, les commissions départementales de recensement des votes présidées par un magistrat comprennent les partis politiques ou les représentants de chaque candidat. Elles recalculent les suffrages, en font la sommation. Elles n’ont pas le droit d’annuler les procès-verbaux,
mais peuvent redresser les erreurs de calcul ou les données chiffrées erronées. Elles sont tenues, en ce cas, de
motiver leur décision et d’en faire la remarque au procès-verbal qui, de plus, doit aussi faire état des cas d’incohérence ou de doute sur la sincérité de certaines opérations relevées par la commission départementale. Si les
commissions ne parviennent pas à formuler leurs remarques, chaque membre peut préciser son point de vue au
procès-verbal(36).
Quant à la commission nationale de recensement des votes, présidée par le Premier Président de la Cour d’appel de Dakar et composée d’un représentant de chaque candidat ou de chaque liste de candidats, elle peut rectifier
les procès-verbaux des commissions départementales, en procédant, le cas échéant, à leur annulation ou à leur
redressement(37).
Au-delà des attributions des commissions départementales et de la commission nationale, il faut remarquer,
pour plus de transparence, la présence, à leur tête, d’un collège de hauts magistrats qui seuls ont voix délibérative
et celle des partis politiques ou des représentants des candidats qui contrôlent le recensement et la façon dont il se
déroule. Le système est rôdé et le travail s’accomplit dans des conditions régulières. Généralement, les commissions départementales redressent les erreurs de calcul qui peuvent être nombreuses quand elles portent sur 8442
procès-verbaux. Quant à la commission nationale, elle procède à la proclamation provisoire des résultats ; il y a
toujours des écarts entre ceux-ci et les chiffres des commissions départementales. Mais ceux-ci ne sont pas très
importants. Ils peuvent toujours être remis en cause devant le Conseil constitutionnel avant la proclamation définitive des résultats de l’élection. Le recensement des résultats de l’élection présidentielle des 27 février et 19 mars
2000 n’a donné lieu, à tous les stades de l’opération, à aucune contestation sérieuse tendant à remettre en cause la
volonté des électeurs.
C.– Le contrôle de la Cour d’appel de Dakar(38)
Il s’exerce le jour du scrutin et au moment du recensement des suffrages, au niveau des commissions départementales.
Pour veiller à la régularité des opérations électorales, la Cour d’appel désigne des délégués, nommés par une
ordonnance du Premier Président de la Cour d’appel(39). Le jour du vote, elle en a envoyé une centaine sur le terrain, répartis sur tout le territoire national. Ils sont très insuffisants au regard de leur mission. Celle-ci consiste à
veiller :
– à la composition correcte des bureaux de vote,
– au bon déroulement des opérations de vote,
– au dépouillement des suffrages,
– au libre exercice des droits des électeurs et des candidats(40).
32. Article 12 2° du Code électoral.
33. Article 15 du Code électoral.
34. Article 14 3° du Code électoral.
35. Au moment de l’édition de ce document, le rapport d’évaluation de la commission nationale de recensement n’avait pas encore été livré.
36. Article 134 1° du Code électoral.
37. Article 134 3° du Code électoral.
38. Au moment de l’édition de ce document, le rapport d’évaluation de la Cour d’appel n’avait pas encore été livré.
39. Article 127 du Code électoral.
40. Article 128 1° du Code électoral.
296
Symposium international de Bamako
Pour ce faire, ils procèdent à tous contrôles et vérifications utiles. Ils ne sont pas des juges. Ils ne peuvent pas
se substituer aux présidents du bureau de vote. Ils ne peuvent que constater les faits objectifs et les consigner le
cas échéant aux procès-verbaux et / ou dans leur rapport(41). Le juge de l’élection est le Conseil constitutionnel.
Pour le recensement, au niveau des commissions départementales, le Premier Président de la Cour d’Appel
désigne parmi les magistrats des Cours et Tribunaux, trois d’entre eux, dont l’un assure la présidence. Ce sont eux
qui décident selon la loi, mais leur doigté et leur tact les conduisent le plus souvent à obtenir le consensus de tous
les participants, c’est-à-dire des partis politiques présents ou des représentants des candidats.
D.– Le Conseil constitutionnel, juge de l’élection
Il revient au Conseil constitutionnel de procéder à la proclamation définitive des résultats après avoir vidé les
contentieux portés devant lui. Au 1° tour, il y eut huit requêtes du candidat Abdoulaye Wade et cinq du candidat
Abdou Diouf.
Sur les huit requêtes du candidat Abdoulaye Wade, le Conseil constitutionnel en a déclaré trois fondées et en
a rejeté cinq. Parmi les rejets, il faut retenir particulièrement celui qui concerne l’utilisation des biens ou moyens
publics aux fins de campagne électorale et celui qui concerne l’utilisation d’une carte consulaire comme moyen
d’identification. Les requêtes que le Conseil a déclaré fondées ont provoqué l’annulation des résultats de deux
bureaux de vote dans le département de Mbour(42).
Sur les quatre requêtes du candidat Abdou Diouf, le Conseil en a déclaré deux fondées et deux infondées(43).
À la suite de quoi, le Conseil Constitutionnel a procédé à la proclamation définitive du premier tour de l’élection présidentielle. Les résultats ont été établis comme suit :
Inscrits :
Votants :
Nuls :
Exprimés :
Maj. abs. :
2 725 987
1 696 384,
23 400
1 672 984
836 493
Iba Dher Thiam :
Moustapha Niasse :
Djibo Laïty Ka :
Abdoulaye Wade :
Ch. Abdoulaye Dieye :
Mademba Sock :
Ousseynou Fall :
Abdou Diouf :
Total contrôle :
20164,
280 538,
118 484,
518 740,
16 211,
9 326,
18 604,
690 917,
1 672 984,
soit 62, 23 % des inscrits
soit 1, 21 %
soit 16, 77 %
soit 7, 08 %
soit 31,01 %
soit 0, 97 %
soit 0, 56 %
soit 1, 11 %
soit 41, 30 %
soit 100 %(44).
Aucune contestation n’ayant été déposée à la suite de la proclamation provisoire, le Conseil Constitutionnel a
établi, le 25 mars 2000, les résultats définitifs du 2° tour comme suit :
Inscrits :
Votants :
Nuls :
Exprimés :
2 745 239
1 667 775
10474
1 657 301
Ont obtenu :
Abdoulaye Wade :
969 332,
soit 58, 40 %
soit 41, 51 %
687 969,
Abdou Diouf :
Abdoulaye Wade a donc été proclamé élu président de la République du Sénégal.
41. Article 128 2°et 6° du Code électoral.
42. Décision du Conseil constitutionnel du 10 mars 2000.
43. Idem.
44. Idem.
L’élection présidentielle de 2000 au Sénégal
297
IV.– LES AUTRES FORMES DE CONTRÔLE DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
Indépendamment des formes classiques de contrôle de l’élection de février-mars 2000 que nous venons d’analyser, il en est d’autres qui se sont manifestées, celle des observateurs internationaux et celle inédite des médias
de toute nature qui ont fait réagir la société civile composée de personnes qui ne s’impliquent pas dans une politique partisane mais qui ont pris intérêt à l’élection et qui sans doute pour la première fois, ont exercé leur droit et
leur devoir de citoyen.
A.– Les observateurs internationaux
Sept organisations et ONG(45) ont observé les élections présidentielles. Ce sont trente-quatre personnes particulièrement sensibles, en raison de leur expertise, aux questions électorales. Toutes ces organisations et ONG ont
apprécié positivement le déroulement général de l’élection présidentielle, mais ils ont surtout magnifié la maturité
du peuple sénégalais et la victoire de la démocratie au Sénégal. Monsieur Idé Oumarou, chef de la mission de la
Francophonie, a assuré que les membres de sa délégation ont visité « plus de 260 bureaux de vote à Dakar, Rufisque,
Pikine, Thiès, Diourbel, Kaolack et de leurs environs ». Il a ajouté : « Cette expérience n’est pas exportable telle
quelle, car toutes les populations sont différentes. Mais nous avons bon espoir qu’avec cet exemple, nous aurons
de plus en plus d’élections libres en Afrique »(46). Pour la première fois, en effet, la démocratie sénégalaise connaît
une alternance pacifique et par les urnes. Car ce n’est pas la moindre des satisfactions que d’avoir constaté le calme
dans lequel les opérations électorales se sont effectuées. Il faut ajouter, pour s’en féliciter, le comportement des
deux principaux protagonistes. Dès le 20 mars dans la matinée, le président Abdou Diouf a tenu à prendre contact
avec le Président élu, Me Abdoulaye Wade, pour le féliciter et lui souhaiter plein succès dans sa mission. Ce dernier, dans la tournée qu’il fit le lendemain à travers le pays, a tenu à se rendre à Louga pour saluer la mère du président sortant. L’élégance dans la victoire comme dans la défaite est venue renforcer l’image du Sénégal et de sa
démocratie et les observateurs internationaux présents ont insisté sur ces comportements qui se produisent pour la
première fois sur le continent africain. Le peuple quant à lui manifesta sa joie dans la modération, côté gagnants
et fit preuve de dignité, côté perdants. Le 23 mars 2000, les deux Présidents ont eu au Palais présidentiel leur première séance de travail.
B.– Les médias
La liberté de la presse a été de tout temps un droit qui n’a jamais connu d’entraves au Sénégal. Au cours de
cette élection, depuis le début du processus électoral et même avant, dans une liberté totale d’expression, les journaux, les radios et la télévision ont informé, commenté, questionné, dialogué, expliqué, bref, suivi toutes les étapes
qui ont mené au scrutin de février-mars 2000. Ce fut un déferlement médiatique sans précédent. Tout y est passé,
le fichier électoral, les cartes d’électeur, leur distribution, la composition des commissions administratives, celle
des bureaux de vote lors du second tour, l’utilisation des moyens publics, les commissions regroupées, etc... et le
questionnement que ces actes du processus électoral ont provoqué. Les médiats ont eu de la matière. C’est le moins
qu’on puisse dire. Les électeurs étaient sensibilisés. Une sensibilisation plus intense que lors des précédentes consultations.
L’administration et les institutionnels de l’élection, les partis politiques, les électeurs ont découvert le miracle
du téléphone portable à l’occasion de l’élection présidentielle. Bien que le réseau Alizé ait besoin d’être densifié sur
toute l’étendue du territoire national, les mobiles ont été la grande innovation en matière de communication. Leur
souplesse de fonctionnement a facilité, à l’intérieur d’une même formation politique et entre les partis d’une même
coalition, les contacts entre les acteurs de l’élection, entre ceux-ci et l’administration et les organes de contrôle
(ONEL, Cour d’Appel, HCA, Conseil Constitutionnel). Les partis politiques ont ainsi accru leurs moyens de contrôle
sur l’élection dans toutes ses dimensions. Et ce fait a transformé le contexte psychologique. Aucun parti politique
ne voulait détourner la volonté de l’électeur même si tous s’acharnaient à remporter la victoire.
45. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ; l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) ; la Communauté des États de
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; le Congo ; le Groupe d’Étude et de recherche sur la Démocratie et le Développement Économique et
Social en Afrique (GERDDES) ; l’Association des Juristes Africains (AJA) ; la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme
(RADDHO).
46. Communiqué de la mission francophone en date de 23 mars 2000.
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Symposium international de Bamako
***
La première leçon qu’il faut tirer de cette élection pas comme les autres, c’est la concertation permanente qui
a existé entre les partis politiques, entre le parti socialiste et l’opposition, entre les partis et l’administration. Le
dialogue avec le ministère de l’Intérieur chargé de la gestion du processus électoral lui a permis de prendre de la
hauteur. On peut dire que son impartialité a fini par être reconnue. Cette reconnaissance pose le problème de la
validité des CENI-CENA. Faut-il instituer, pour satisfaire à une mode, des commissions électorales indépendantes ?
Ne vaut-il pas mieux former des administrateurs électoraux et leur inculquer une culture d’impartialité et d’objectivité garante de la sincérité, de la transparence et du caractère démocratique des scrutins électoraux, quelle que
soit la structure à laquelle ils appartiennent. L’élection présidentielle sénégalaise de février-mars donne des réponses
positives à ces deux questions. Un président au pouvoir depuis vingt ans perd le pouvoir par les urnes et le reconnaît publiquement avant même la proclamation officielle des résultats, ce qui contribue à dédramatiser la situation.
En deuxième lieu, faut-il pour autant, faire de l’autosatisfaction sans chercher à améliorer le processus électoral ? Surtout pas. La discussion sur le fichier électoral a pu aboutir à une solution conjoncturelle mais pas définitive. À ce sujet, il faut s’attaquer à un problème de fond, celui de l’état-civil qui ne concerne pas que les élections,
mais dont la solution revêt une importance réelle pour la démocratie. La question de l’état-civil pose celle de la
carte d’identité qui doit devenir à terme la seule pièce d’identification en usage pour les élections. Sa généralisation doit donc être poursuivie.
La troisième leçon, liée à la précédente, c’est l’extrême complexité du processus électoral sénégalais. Le Code
électoral dans certaines de ses dispositions reste inapplicable (ex : le régime des radiations). Comment le simplifier tout en garantissant le fonctionnement correct de la démocratie, c’est-à-dire l’égalité entre les candidats, la sincérité et la transparence des opérations ? C’est le problème de la carte d’électeur. On devrait pouvoir la jumeler
avec la carte d’identité et supprimer l’étape de leur confection et de leur distribution. Il en résulterait une économie qui pourrait être substantielle et la carte d’identité sécuriserait ainsi la carte d’électeur.
Enfin, si la multiplicité des instances de contrôle peut se comprendre encore pour les années à venir, il conviendrait d’envisager à terme leur rationalisation.
Comme l’ont reconnu les observateurs internationaux et la presse nationale et étrangère, l’élection présidentielle de février-mars 2000 a consacré de façon incontestable la démocratie sénégalaise. Une démocratie qui s’est
manifestée de manière singulière et originale. Mais comme l’a si bien dit Monsieur Idé Oumarou, chef de la mission de la Francophonie lors de cette élection, l’approche sénégalaise n’est sans doute pas exportable. Nous ne
cherchons pas à nous donner en exemple. Nous ne faisons qu’apporter une contribution, parmi tant d’autres, à l’expérience démocratique africaine en cherchant, à partir de nos réalités, à mettre en application les critères universels de la démocratie : transparence et sincérité, liberté et égalité, respect des droits de l’Homme et de l’État de
droit.