Journal de voyage - Route de la Soie 2002

Transcription

Journal de voyage - Route de la Soie 2002
De nouveau sur le sol helvétique.
Avant de reprendre le travail, je me suis reposée une semaine entière. Cela m’a
permis de passer en revue ce magnifique voyage sur la Route de la Soie. Cela
m'a aussi donné l'occasion de réfléchir. Qui suis -je ? Qu’est-ce que je veux ?
Que puis-je faire encore ?
Lors de mon voyage, j’ai été complètement absorbée par l’organisation, prise
dans un rouage sans fin. Tous les jours, il y avait des choses nouvelles à voir ou
des problèmes à régler. Je n’ai donc pas eu le temps de prendre des notes, mais
j’ai décidé d’écrire un compte-rendu, dès que possible, sous forme d’un journal.
Selon moi, l’intérêt principal d’un voyage ne réside pas dans sa préparation, ni
même dans sa réalisation, mais plutôt dans la période suivant le retour. Les
sensations restent fortes : se souvenir des paysages, des rencontres, d’instants
qui paraissaient anodins, que l’on revit comme des moments inoubliables.
Si cela était possible, je repartirais aussitôt sur la Route de la Soie !
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22 juillet, premier jour, à Beijing
Après 10 heures de vol, nous sommes arrivés à l’aéroport international de
Beijing. Beaucoup de voyageurs attendaient de passer le contrôle douanier. J’ai
aperçu l e panneau « group visa » et j’ai demandé aux gens de me suivre pour se
faufiler entre les files d’attente. Un touriste avait l’air mécontent : « Ce n’est pas
bien de passer devant les gens ». Il n’avait visiblement pas de visa collectif et
devait faire la queue. Je l’ai écouté d’abord et j’ai voulu passer derrière les files,
mais il y avait du monde partout et, finalement, j’ai dû tout de même passer
devant lui en disant : « Désolée, on est en Chine, on ne peut pas éviter la foule. »
Pour nous qui avions un visa collectif, ce fut assez rapide de passer la douane.
Mes parents m’attendaient déjà à la sortie. Papa m’a fait signe de la main,
maman m’a appelée à haute voix afin que je puisse la distinguer parmi une
centaine de visages.
Enfin les retrouvailles familiales ! J’ai fait quelque 8000 km pour rejoindre mes
parents !
Très rapidement, nous sommes accueillis par notre guide, « Jade ». Après une
brève présentation, le chauffeur de l’autocar nous amène à l’hôtel.
La ville de Beijing n’a pas beaucoup changé depuis mon dernier passage en
octobre 2001, mais j’ai eu l’impression qu’elle me devenait de plus en plus
étrangère, distante et même impersonnelle. En fin de compte, je l’apprécie de
moins en moins.
Ma première visite de cette ville remonte à 1988. C’était également mon premier
voyage "en solitaire", lors de mes vacances universitaires, financé avec de
l’argent que j’avais gagné grâce aux leçons privées d’anglais que je donnais à
des enfants. Déjà à l’époque, les parents « nouveaux riches » savaient investir
dans l’éducation de leur enfant unique, en lui offrant une chance d’apprendre une
langue étrangère, en parallèle à la scolarité obligatoire. Moi-même, alors
étudiante, j’étais très fière d’être « indépendante » et pour la première fois, de
visiter la capitale du pays.
Jusqu’en 2002, je suis allée plus de dix fois à Beijing. Au fil des ans, le souvenir
de ce voyage inédit devient de plus en plus vague. Cependant, je me souviens
encore du visage d’un garçon que j’avais croisé dans le long couloir de la Cité
Interdite, et avec qui j’avais échangé quelques paroles ; alors que tous les autres
touristes se promenaient avec des sacs à dos ou des bagages, lui, n’avait qu’un
livre dans la main : « Parrain ».
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23 juillet, la Grande Muraille – Passe Juyongguan
Pendant que les participants grimpaient l’escalier de la Grande Muraille, je suis
restée en bas. Il faisait chaud et humide. Heureusement que l’on pouvait se
mettre à l’ombre sous des parasols frappés du logo Nestlé. Le développement du
tourisme incite à créer un minimum de confort pour que les commerçants
puissent faire des affaires. J’ai demandé une glace au goût de litchi. Quel délice !
Nous n'en avions trouvé nulle part ailleurs !
Cette partie de la Muraille est trop bien rénovée. Tout en briques, l'escarpement
de la pente, près de 45 degrés, en constitue le seul danger. Je m’étonnais de
voir mes chers participants aller si loin, malgré la fatigue, la chaleur et le
décalage horaire. Ils sont tous plus âgés que moi, mais apparemment dans un
meilleur état physique. Mes amis de Beijing font des randonnées au pied de
l’ancienne muraille, ils passent un week-end entier près du mur, à dormir sous
tente et à pique-niquer. Je les envie, car je n’ai pas autant de temps, ni même la
condition physique pour faire cela.
Par contre, j’ai un grand appétit. Ce soir-là, nous avons dégusté le fameux
canard laqué; puis nous avons assisté à un spectacle de l’opéra de Beijing,
programme incontournable prévu pour tous les voyages que j’organise.
24 juillet, Xi’an
Par un vol matinal, nous sommes arrivés à Xi’an. Bien qu’elle soit une ville
touristique à tous points de vue, Xi’an reste modeste, une ville authentique de la
Chine profonde. En regardant les visages des gens dans la rue, je me disais :
nos ancêtres de la Chine antique étaient pareils ! A travers leurs expressions
faciales et leur apparence physique, les soldats en terre cuite témoignent, eux
aussi, depuis plus de 2000 ans, de cette continuité avec un lointain passé.
Tout se poursuit selon le programme établi depuis le début de l’année. Lorsque
j’ai planifié l’itinéraire de la Route de la Soie, je savais déjà exactement quel jour,
quelle ville, quel endroit nous visiterions. Jusqu’à présent, tout va bien. J’en suis
satisfaite.
Notre guide locale nous demande de l’appeler « Fangfang » : « C’est plus facile
pour vous de vous en souvenir ! » Son français est irréprochable, sa voix claire,
vive et elle parle vite, si vite que nous devions nous concentrer pour la
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comprendre… et la suivre partout. Dans les musées où, parmi une grande foule,
notre faculté d’écoute se trouvait considérablement diminuée par les bruits
omniprésents, nous pouvions néanmoins repérer la voix de Fangfang.
Lorsqu’elle me parlait en chinois, son accent de Xi’an me paraissait drôle et
j’essayais de l’imiter. Fangfang ne s’est pas gênée de me dévoiler sa vie
familiale : divorcée, elle élève seule un petit garçon de 7 ans. Juillet et août étant
la période des grandes vacances scolaires, elle envoie son enfant chez les
grands-parents. En quittant sa mère, il dit : « Maman, reviens-moi vite après ton
groupe de touristes ! » Fangfang imita la voix de son fils, tout en souriant. C’est
la première fois qu’un guide m’a parlé de sa vie privée.
25 juillet, Xi’an
Le sommet de la visite d’aujourd’hui : le tombeau de l’empereur Qin
Shihuang avec la fameuse armée en terre cuite.
Je me rappelle la première fois que j’ai vu ces statues de soldats. J’étais
impressionnée par la majesté de cette armée enterrée, par les expressions des
visages. J’ai contemplé ces statuts pendant une demi-heure, immobile, presque
en larmes. Ce sont des soldats de l’époque des Qin, datant de 220 avant Jésus
Christ.
Ils sont grands, beaux et vaillants. Bien qu’ils soient armés jusqu’aux dents, leurs
figures apparaissent fines et paisibles ; leur mission était d’accompagner
l’empereur lors d’une tournée d’inspection, et non pas d'attaquer les royaumes
ennemis tels que les Qi, Chu, Yan, Han, Zhao et Wei.
Lors de mes dernières visites, il était strictement interdit de photographier à
l’intérieur du musée sous menace d’une l'amende salée. De jeunes soldats
étaient au garde-à-vous, leurs yeux vigilants scrutaient les touristes. Comparés
aux beaux costumes et aux belles coiffures de leurs frères d’arme de la dynastie
des Qin, les uniformes verdâtres des soldats d’aujourd’hui paraissaient laids.
J’ai entendu dire qu’en 1998, la famille Clinton était venue ici. Privilégiés, ses
membres étaient même descendus dans la fosse où ils avaient pris des photos
souvenirs à côté des stat ues. Un bras posé sur l’épaule d’un soldat en terre
cuite, Bill a déclaré : « Il me plaît tellement que j’aimerais l’amener à la
maison ! » Un humour américain, que certains Chinois ont du mal à apprécier !
Cette année, bonnes nouvelles pour les touristes « ordinaires »: non seulement
ils peuvent prendre des photos, mais la caméra vidéo est aussi tolérée. Je m'en
suis donc donné à cœur joie en filmant durant quinze minutes, en plans larges,
en gros plans et en détails. Les photos des autres participants sont d’excellente
qualité également. Cela nous permet de raviver les souvenirs d’un des meilleurs
moments de notre voyage.
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La journée est couronnée par un banquet de raviolis, suivi d’un spectacle de
danse et musique de la dynastie des Tang. Un véritable succès auprès de mes
participants gourmets : vingt-quatre sortes de raviolis présentés sous forme de
canards, lotus ou papillons, farcis de légumes ou de viande de porc, de bœuf, de
poulet et de crevettes. Cela correspond à l’art culinaire chinois : harmonie entre
couleurs, parfums et goûts. Une soirée agréable, qui satisfait les sens.
26 juillet, Xi’an-Lanzhou
Une mauvaise surprise : le vol pour Lanzhou est supprimé !
C’est en arrivant à l’aéroport que j’apprends cette nouvelle.
« Pas possible ! » Je commence à m’énerver. Sachant que les horaires de tous
les vols et trains programmés m’avaient été communiqués bien à l’avance, il
devait y avoir une erreur quelque part. De surcroît, un seul changement pouvait
entraîner de grosses difficultés dans le déroulement de la suite du voyage !
« Est-ce que le guide qui nous attend à Lanzhou est au courant ? »
« Pourquoi n’ont-ils pas annoncé cela plus tôt ? »
Fangfang et moi avons échangé un regard mi-inquiet, mi-complice, et nous
avons décidé en même temps de chercher l’erreur et son responsable.
Mes participants ne sont pas encore avertis, ils m’ont vue partir comme une
flèche. J’ai entendu une voix en peu anxieuse: « Que se passe-t-il ? » « Non,
non, rien de grave », ai-je répondu sans tourner la tête. Mon intention était de
rassurer les gens, sans évoquer le problème. De toute manière, c’était à moi de
le résoudre rapidement.
Devant le guichet de la compagnie aérienne, Fangfang et moi avons entendu
diverses versions :
- le vol prévu de 11h était malheureus ement supprimé ;
- ce vol n’était pas annulé et serait remplacé par un autre à 14h ;
- la compagnie avait averti l’agence de voyage du changement d’horaire ;
- l’agence s’était trompée sur l'heure du vol et n’avait pas informé notre guide
Quelle que soit l’explication réelle, une chose est certaine : nous ne pouvons pas
partir avant 14h. Devons-nous attendre plus de trois heures à l’aéroport, avec
nos nombreux bagages?
En 1994, j’organisais mon premier voyage de groupe en Chine. Le vol entre
Beijing et Shanghai était en retard de… sept heures, sans préavis ! Ce jour-là,
nous nous sommes réveillés à 5 h du matin pour prendre l’avion, mais une fois
entrés à l’intérieur de l’aéroport, nous n’avions qu’une chose à envisager :
patienter, pendant sept heures. Mais c’est une vieille histoire. La qualité du
service, ainsi que la planification des vols intérieurs, devraient s’être améliorées
depuis 8 ans. J’ai argumenté avec une employée au guichet. Elle fut désolée,
mais elle n’avait pas d’autre solution à me proposer.
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Je demande à Fangfang : « Y a-t-il un endroit à visiter pour passer le
temps ? Peut-on enregistrer les bagages d’abord et revenir plus tard à
l’aéroport ? » Elle réfléchit, passe quelques coups de fils à son agence, et dit que
tout est réglé. Nous marchons vers le car qui nous a amenés à l’aéroport. Le
chauffeur est étonné de nous revoir. « Ne veulent-ils pas partir ? Nous nous
sommes déjà dit au revoir.» plaisante-t-il avec la guide.
Grâce à ce retard, nous avons eu l’occasion de visiter un tombeau de la Dynastie
des Han (Han Yang Lin), près de l’aéroport. Ce site venait d’ouvrir au public, et il
n’y avait pas encore de documentation en langues étrangères. Ce fut une
découverte très intéressante, même après les multiples visites aux musées et
tombeaux de la ville de Xi’an.
Un proverbe chinois dit : « Lorsque le vieil éleveur perd son cheval, est-ce un
bonheur ? Un malheur ? ». C’est une longue histoire que j’ai racontée aux
participants lors du déjeuner de ce jour-là. Il était une fois, un vieil homme
habitant près de la frontière ; il élevait des chevaux. Un jour, un étalon s’échappa
de l’écurie. Son voisin dit : « Oh quel dommage ! Vous qui vivez de l’élevage,
perdre un cheval est un vrai malheur. » « N’en soyez pas si certain », répliqua le
vieux, les yeux mi-clos, « un malheur peut amener un bonheur. » Le temps
passa et... l’étalon de ce vieil homme rentra avec une jument et un poulain !
« Quel bonheur ! » cria le voisin avec joie : « maintenant vous en avez deux de
plus ! ». « Pas sûr que ce soit un véritable bonheur » dit le vieux en fronçant les
sourcils, « ..un bonheur peut cacher un malheur. » Peu après, son fils tomba du
cheval et se cassa la cheville. « Votre fils unique ne peut plus marcher ! »
soupira le voisin, « Que c’est triste ! » « Pas vraiment, cela peut porter chance. »
La guerre s’annonça à la frontière, tous les jeunes du village durent se rendre à
l’armée de l’empereur. Grâce à cet accident, le jeune fils du vieil homme pu
rester à la maison et échappa ainsi à la mort.
« Et après ? » Claudine s’interroge : « Que s’est-il passé après ? »
« C’est une histoire sans fin. Vous pouvez imaginer tout ce qui peut arriver.» Je
souris : « Ce qui est important, selon les anciens Chinois, c’est d’apprendre à
gérer la situation avec un peu de recul et en sachant que tout est relatif. » Josy
approuve : « L’avion est en retard, mais nous avons eu la chance d’en profiter
pour visiter un magnifique musée ! »
Enfin, nous décollons pour Lanzhou. Une heure et demi de vol. Nous sommes
accueillis par une jeune universitaire qui se nomme «Vicki ». En Chine, tous
ceux qui fréquentent les occidentaux ont des noms « faciles » à retenir. Vicki ne
parlait pas français, son anglais était à peine compréhensible, je servais donc
d’interprète. En montant dans le car, nous saluâmes notre chauffeur. Vicki
commença à lire un texte caché dans sa main. Elle était un peu nerveuse, à
cause de son manque d’expérience en tant que guide. Je l’ai remarqué tout de
suite et afin de détendre l’atmosphère, je me suis assise à côté du chauffeur, et
discutais avec Vicki.
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Nous étions sur une semi- autoroute. Il nous restait quarante minutes avant
d’arriver au centre ville. Le silence s’installa dans le bus, on était soit endormi,
soit en train de contempler le paysage. Soudain, je vis un homme rouler un bidon
d’essence sur le côté gauche de la route. « C’est tout de même très dangereux
de faire cela sur la route ! » Mon instinct de conductrice m’inter pelle : « Attention ! »
Tandis que notre chauffeur évitait l’homme à gauche, j'aperçus deux fillettes en
train de jouer sur la droite de la route. L’une poussa l’autre qui tomba comme un
chevreuil égaré contre notre bus ! J’ai entendu alors un énorme bruit « Pang ! »
Le chauffeur tourna violemment le volant ! Le bus s’est arrêté et le chauffeur est
sorti en murmurant : « C’est fini, c’est fini ! »
Le pire est arrivé : un accident de la route, une fillette touchée par notre bus !
Jean-Michel me regardait avec un air terrifié : assis à l'avant droit du bus, il avait
vu venir la fillette, le choc semblait encore plus grand pour lui. J’ai tourné la tête,
et j’ai vu qu’Eric faisait une grimace de douleur. Le bruit du choc lui a fait mal aux
oreilles.
Comment pouvait-on autoriser des enfants à jouer sur une route à grand trafic ?
Pourquoi, de surcroît, les deux fillettes n’ont-elles pas perçu l’arrivée de notre
bus ? Je me suis précipitée vers la fillette couchée à terre. Du sang sur la tête,
elle pleurait. Heureusement ! Au moins elle n’avait pas perdu connaissance. Je
suis rentrée dans le bus pour rassurer les gens et j’ai demandé des mouchoirs
en papier afin d’arrêter l’hémorragie. Vicki tenait la gamine dans ses bras, elle l’a
accompagnée dans une voiture (plaques militaires) que nous avons arrêtée. Il
était urgent de conduire la blessée à l’hôpital le plus proche.
Notre bus était complètement en travers de la route, le chauffeur s’occupait de
disposer un seau d’eau avec une pancarte pour signaler l’accident. Malgré tout,
les véhicules de passage ne réduisirent pas leur vitesse. Ains i, un autre bus
bondé de passagers chinois arriva à toute allure. Je lui fis signe de ralentir, mais
il passa comme si de rien n’était à quelques centimètres de mon dos ! Quelle
frayeur ! Préoccupée jusqu’ici par l’état de la fille accidentée, je n’avais pas
éprouvé de peur. Mais cette fois, quand le bus est passé si près sans ralentir, j’ai
commencé à trembler !
Avant d’aller à Lanzhou, on m’avait dit que les routes de cette région étaient
particulièrement dangereuses, que les gens roulaient comme des sauvages.
C’est vraiment la loi de la jungle, la priorité étant au plus fort ! Il n’est pas
étonnant que cette région soit connue pour son taux élevé d’accidents routiers.
Voilà un danger auquel je n’avais pas pensé durant la visite de Beijing et de Xi’an
où tout se déroula si bien et si facilement !
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Le ciel fut gris et terne ce jour -là. Une petite voix s’éleva au fond de moi : nous
sommes dans des régions reculées, c'est le vrai commencement de la Route de
la Soie. Désormais, il faudra se débrouiller seul !
Par bonheur, notre chauffeur était équipé d’un téléphone mobile. Il appela la
police et sa compagnie de transport. Après le constat, nous poursuivîmes la
route. Quelques minutes plus tard, un autre car touristique de la même
compagnie vint à notre rencontre et s'arrêta juste devant le nôtre. Les
participants ne connaissaient pas le sigle de la compagnie en chinois, et certains
s'effrayèrent, croyant à un autre accident !
Le patron et les collègues du chauffeur vinrent à son secours. Nous avons
changé de chauffeur qui nous conduisit à l’hôpital pour rendre visite à la fillette
accidentée. Par chance, elle n’a eu qu’une cheville tordue et quelques
contusions. On l'examinait par scanner avant qu'elle ne quitte l’hôpital. « C’est un
miracle ! » Jean-Michel n’ en revenait pas : « Avec le choc qu’elle a subi, qu’elle
s’en sorte ainsi relève du miracle ! »
La journée a été mouvementée : retard de l’avion, accident routier. Vivement une
bonne nuit de sommeil avant d’attaquer le lendemain la route nous conduisant à
Xiahe.
27 juillet 2002, Lanzhou - Xiahe
Au cours d’une promenade matinale au bord du Fleuve Jaune, nous discutions
de la façon dont les habitants traversaient la rivière autrefois, avant la
construction du pont. C’était sur une espèce de radeau sous lequel on mettait
des peaux de mouton entièrement gonflées comme des ballons. Vicki insista sur
le fait que l’on mettait les passagers dans ces « ballons », Marco me faisait signe
« Mon œil », il ne la croyait pas. Ces radeaux sont d’aujourd’hui de véritable
pièce du musée, j’ignore la véritable explication. Le mystère reste entier!
Lanzhou est le chef-lieu de la province du Gansu, une ville industrielle sans
charme, essentiellement et malheureusement connue comme une des villes les
plus polluées de la planète.
Lors de la visite du musée provincial, Vicki commit quelques erreurs dans ses
explications, se trompant en particulier sur des dates historiques. J'intervins pour
émettre quelques critiques, tout en sachant parfaitement que dans le nord-ouest
du pays, il est difficile de trouver des guides compétents qui parlent bien le
français ou l'anglais. « C'est une jeune étudiante, » me dit Gigi, « ne t'en fais
pas, elle est en train d'apprendre son métier. »
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La circulation sur la route qui mène à Xiahe était assez fluide. Et le paysage
apparut magnifique : verdure, rivière, et des tas de paille dans les champs
ramassés sous forme de chapiteaux. Notre chauffeur fait l'aller-retour LanzhouXiahe au rythme d’une à deux fois par semaine. Il connaît toutes les routes, y
compris les coins « pipi » qu’il nomme « cinq étoiles ». C’est un plaisantin, plein
de bonne volonté et serviable.
Cependant, il devait être particulièrement concentré au volant. En traversant
certains villages, nous étions stupéfaits de voir de la paille sur la route, bien
rangée, pour que les véhicules l’écrasent et en fassent ainsi sortir les grains.
Bien que ce procédé soit interdit par la réglementation routière, les villageois n’en
voient pas le danger. Il est même devenu monnaie courante !
Les voitures se faufilent parmi les camions, les tracteurs et les bicyclettes, se
dépassent à coups de klaxon perpétuels. Sur un pont en dos d’âne, un chauffard
emprunte la voie réservée au trafic venant en sens inverse pour nous doubler,
notre chauffeur lui montre le doigt : « Ta Ma De ! »
« Je me demande ce qu’il veut bien dire ! » Josy répète ces mots. Avant le
voyage en Chine, il a appris quelques phrases utiles en chinois, et cette fois, il
sait qu’il s’agit d’une « insulte nationale ».
Après huit heures de route, et un arrêt pour déjeuner, nous nous approchâmes
de la steppe de Sangke. La majorité des habitants de cette région est tibétaine.
Nous sommes allés voir des familles qui vivaient sous tente. A notre rencontre, il
y avait des gosses qui hurlait, nous demandaient des bonbons et des stylos. Une
fillette montrait son petit frère qu’elle portait au dos, nous regardant d’un air
distrait, elle répétait : « money, money ». Comment pouvaient-ils connaître ce
mot ? N’est-ce pas de la mendicité ? Je n’ai jamais vu des enfants qui
demandent de l’argent. Dans le désert du Wadirum en Jordanie, les petits
Bédouins observaient avec curiosité ma caméra vidéo, me tendaient les mains,
mais ils ne manifestaient pas d’intérêt pour de l’argent.
Visiblement, le tourisme à Xiahe, les visiteurs étrangers, ne font qu’encourager
ces enfants à être de plus en plus gourmands. Nous leur donnions des bonbons
et des fruits, mais ils continuaient à venir de plus en plus nombreux et arrachait
quasiment nos sacs à dos. Parmi les visages poupons et sales, j’ai aperçu celui
d’une fille coiffée de deux nattes : souriante et timide, elle ne s’approchait pas de
moi. Finalement, c’était avec elle que j’ai fait une photo souvenir.
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28 juillet, Xiahe
La visite au monastère de Lapran se termina dans une ambiance totalement
inattendue, vers midi, lors du rassemblement pour la prière. Sur le toit de la salle
centrale, deux moines s’époumonent pour rassembler du monde. Environs 50
d’autres s’assoient sur l’escalier de la porte d’entrée, chantant des soutras d’une
voix basse et unie, empreinte à la fois de la force masculine et de la douceur
bouddhiste. La prière dura environ une demi-heure. Conscients de la chance de
pourvoir participer à cette scène authentique de la vie quoti dienne des moines
bouddhiste tibétains, nous restâmes dans un silence religieux.
29 juillet, Jiayuguan
Le train nous amène de Lanzhou à Jiayuguan, l’extrémité occidentale de la
Grande Muraille : une nuit en couchettes douces (première classe du chemin de
fer de Chine). Mes participants se déclaraient satisfaits du service à bord, ainsi
que de la qualité de leur sommeil. Ils pourraient grimper la Muraille sous un soleil
tapant, sans trop de fatigue.
Cette partie de la Grande Muraille, construite en torchis (mélange de la terre et
de la paille), serpente sur une colline entourée du désert. Au sommet, on ne
voyait rien que la terre jaune, sèche et fissurée. Au fil du temps, la Muraille ne
perd pas son charme.
J’ignorais que dans la région de Jiayuguan, il y a des vestiges anciens des
dynasties des Wei et des Jin, tout aussi bien conservés que ceux du musée de
Xi’an. Dans un tombeau souterrain, nous devions parfois nous accroupir, de
manière à passer d’une chambre à l’autre pour voir les peintures murales. De
couleur vive et bien conservée, elles représentent des scènes de la vie
quotidienne de l’époque : la chasse, la culture du champs, la cuisine, etc.
Il y a plus de trésors et de patrimoine que l’on puisse imaginer, dans chaque ville
ou village qui s e trouve sur la Route de la Soie !
La soirée libre est consacrée à une longue promenade par certains de nos
participants. Dans cette petite ville, tout paraît calme et inoffensif. Selon le
conseil de notre guide, je suis allée faire une séance de massage de pied (la
réflexologie de la méthode chinoise). Deux hommes du groupe m’ont
accompagnée. Nous fûmes accueillis dans des salles séparées et équipées
d’une télévision, il y avait des amuse-bouche et du thé sur la table. Les pieds
trempant dans un bouillon composé des plantes médicinales, nous commencions
à nous détendre.
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Les jeunes masseurs venaient de la province de Henan, ils sont professionnels
et consciencieux. Après une heure de massage, nous voulions leur donner du
pourboire, mais ils refusèrent ferm ement. C’est la règle de cette maison de
massage de ne pas accepter des pourboires. Ils ont créé, en espace de 2 ans,
une vingtaine de succursales dans toute la Chine.
J’ai profité du temps libre d’aller dans un Internet Café pour envoyer des courriels
à mes amis et pour mettre en ordre mon site web du Chinese Corner. Ce fut un
de rares moments du voyage où je suis sortie du contexte du groupe et où j’ai
pensé à ma vie à Genève.
Demain est un autre jour. Quelle surprise nous attend encore ?
30 juillet, Dunhuang
Oh, Dunhuang ! Rien que le nom me fascine déjà : un endroit mystique, curieux
et passionnant !
Avant d’y aller, j’ai parcouru des documents et des centaines d’images des
grottes de Dunhuang. Cependant, rien ne vaut un pèlerinage réel, comme dit le
proverbe chinois : bai wen bu ru yi jian
(Cent fois entendre parler ne vaut pas voir une fois de ses propres yeux.)
La beauté et le mystère de Dunhuang se présentent en deux parties : la nature et
la culture. Un site désertique connu sous le nom de « Dune de Sable
Chantant » et un autre, la fameuse Grotte de Mogao.
Nous avons parcouru la route depuis Jiayuguan. Mais au moment d’approcher la
Dune, il y avait une tempête de sable. Nous n’y voyions presque rien, le vent
soufflait violemment. Néanmoins, les commerçants du site pouvaient vendre des
masques contre la poussière et le sable. Je proposai un vote : renoncer à la
visite de la Dune et revenir le lendemain. Ce fut une décision difficile à prendre.
Qui dirait que le lendemain matin il ferait beau ? Disposerions-nous de
suffisamment de temps pour visiter la Grotte demain après -midi ? J’ai constaté
quelques réticences. Notre guide insista pour que l’on revienne le lendemain.
Elle eut raison : sous un ciel couvert de sable, on ne voyait même pas où se
trouvait la Dune, comment pouvait-on apprécier la nature ?
Nous fîmes un tour au Musée folklorique. Une exposition intéressante pour les
Lao Wai (les étrangers) pour comprendre les coutumes locales : le mariage et le
décès, la scène de vie quotidienne et la calligraphie. Nous avons eu la chance de
signer le livre d’or, avec un pinceau chinois, sur du papier de riz, comme des
mandarins. Chacune ou chacun laissa son nom et Josy a dessiné le Moléson
comme signature.
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Comme partout en Chine, la ville de Dunhuang est en chantier. On construit
encore des hôtels de luxe, demande touristique oblige. Le marché de nuit se
situe juste à côté de notre hôtel. On y trouve plus de cent stands de nourriture et
de petites marchandises. Les gens marchandaient et discutaient en douceur.
Une ville culturelle devrait ressembler à celle-ci. Cela me fît penser à Qufu, la
ville natale de Confucius. Il n’y avait pas de dispute ni de bousculade dans la rue.
J’ai croisé un vieux paysan :avec un accent quasi incompréhensible, il ut ilisait
encore des formes de politesse que l’on ne trouve que dans les livres de
littérature ancienne.
J’ai beaucoup apprécié le marché de nuit de Dunhuang. Un copain d’école
m’appela sur mon portable. En entendant le nom de la ville où je me trouvai, il
s’exclama : « C’est si loin, pourtant si familier! » Tout était paisible et calme,
cependant, je sentais un air mystérieux. Je me voyais déjà quelque part non loin
de la ville animée et lumineuse, dans les montagnes, dans les sombres Grottes
de Mogao.
31 juillet, Dunhuang
Réveillée par un rayon de soleil, j’ai sauté de joie : le temps est meilleur qu’hier.
Quelle sage décision de revenir à la Dune aujourd’hui ! Parfois, il faut savoir
« reculer pour mieux sauter ».
La marche sur la Dune se révéla être un véritable défi : le sable, soufflé par le
vent, s’engouffre partout. Si l’on s’arrête un moment, les chaussures sont
enfoncées dans le sable. Il n’y a pas plus agréable que de marcher pieds nus, et
de sentir la chaleur du désert. Le sifflement du vent compose un chant ; c’est
selon moi, l’explication du nom « Sable Chantant ».
J’ai filmé la séquence de descente de Dune : Jean-Michel, le skieur chevronné,
faisait un slalom pour éviter une vitesse non contrôlée, tandis que Marco, le
footballeur, descendait à toute allure. Le sable sous ses pieds ressemblait à une
balle de foot. Gigi et Maryse, prudentes comme un lièvre, faisaient des petits pas
vifs, freinaient, choisissaient une piste avant de descendre. J’ignorais que
Claudine avait rempli une bouteille de sable de la Dune. Ceci lui poserait des
difficultés lors de l’enregistrement des bagages à l’aéroport de Shanghai, au
terme de notre périple. C’est un souvenir qu’elle ne voulait pas abandonner.
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Précisément, c’était sur la Dune de Sable Chantant que j’ai compris pourquoi le
Chinois louent le chameau en le nommant le «bateau du désert ». Vus de loin,
ces animaux gigantesques mais pacifiques, chargés de touristes, trottaient dans
le désert, comme des bateaux flottant tranquillement sur un fleuve. A l’époque où
les échanges commerciaux sur la Route de la Soie battaient leur plein, les
chameaux furent le seul moyen de transport des passagers et des marchandises,
capables de supporter des charges jusqu’à 10 fois plus lourdes que leur propre
poids. Et ils consomment très peu d’eau. Lors d’une tempête de sable, ils se
rassemblent pour former un cercle, les voyageurs étant ainsi à l’abri. Le
chameau est le compagnon de l’homme qui quitte son pays natal, isolé du
monde, poursuivant désespérément sa destination dans les déserts, sur la Route
de la Soie.
Il est très difficile d’imaginer qu’un endroit d’une telle richesse artistique comme
Mogao Ku puisse se trouver dans une ville aussi désertique que Dunhuang. Les
grottes de Mogao Ku furent oubliées pendant longtemps. Notre guide, Mme Liu,
tenta de nous expliquer l’art des peintures et des sculptures sous les différentes
dynasties et l’histoire de la découverte fortuite des grottes par un moine taoïste à
la fin du 19e siècle, etc. Dès leur plus jeune âge, tous les écoliers de la Chine ont
appris que le gouvernement corrompu des Qing, la dernière dynastie impériale,
n’avait ni les moyens ni l’intention de protéger ce patrimoine contre les pilleurs,
Chinois et étrangers confondus. Combien de pièces d’art furent-elles volées,
combien d’autres furent transportées furtivement ou effrontément à l’étranger ?
En 1994, lors d’une visite au British Museum, je me sentais triste en face des
statues de Bouddha, vraisemblablement venues de Dunhuang. Il faut aller si loin
pour apprécier les objets historiques de mon pays !
Un petit intermède : très récemment, j’ai rencontré un collectionneur chinois
résidant en Suisse Alémanique. Au cours de ces 50 dernière années, il a acheté
des œuvres d’art chinoises, directement des mains de descendants des soldats
des « Huit Alliés » . C’est un véritable musée chez lui ! J’en suis convaincue : les
Chinois vont récupérer leur héritage dispersé dans le monde entier.
Pour moi qui suis née à la fin de la « Révolution Culturelle », l’histoire ancienne
est difficile à tracer. Ce qui m’intéresse le plus, c’est de savoir comment les
statues et les fresques bouddhistes de Mogao, symbole jadis de « superstitions
féodales », ont pu s’échapper au « dix ans de chambardement». Forts du slogan
« Faisons table rase des vieux mythes, libérons notre esprit », les gardes rouges
ont pratiquement tout détruit. Aujourd’hui, assise à la bibliothèque chinoise de
l’Université de Genève, en feuilletant le Grand Dictionnaire aux Etudes de
Dunhuang, j’éprouve un soulagement : il nous reste, aux Chinois contemporains,
encore des trésors entièrement conservés ou en cours de rénovation.
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Afin de protéger les grottes, les visites de Mogao sont très courtes. C’était une
guide du musée des grottes qui nous accompagnait. Dans chaque grotte ouverte
au public, elle ne donnait que quelques brèves explications et sortait aussitôt de
la grotte pour faire place à d’autres touristes qui voulaient tous voir les détails de
chaque statue. L’air à la fois stressé et assez fonctionnaire, elle ne comprenait
pas le souhait de nos participants de rester plus longtemps dans chacune des
grottes. Probablement, son métier l’oblige à entrer et à sortir des grottes une
dizaine de fois par jour; mais pour nos participants qui viennent de Suisse, ce
n’est peut-être qu’une fois dans leur vie.
Je regrettais de ne pas avoir pu prolonger la visite. Comme cette guide ne parlait
pas de langue étrangère, j’ai dû la suivre de près pour faire une traduction quasi
simultanée. La concentration, le bruit, la chaleur, l’odeur fétide à l’intérieur de
certaines grottes, quelques bouderie des participants… tout cela me rendait
malade. Je souhaitais vivement alors que les gens comprennent la complexité de
l’exercice. Comme eux, je visitais aussi pour la première fois Mogao Ku. La
prochaine fois, j’aurai plus d’expérience et je saurai comment ralentir le rythme
de la visite, ou alors, faire ouvrir une grotte « spéciale » et « privée », moyennant
un supplément d’environ 100 yuans.
Le moment de quitter ce merveilleux lieu artistique et historique était venu. Mme
Liu nous a chanté un air d’opéra local, pour s’excuser de son français débutant.
Nos participants lui répondirent par une chanson helvétique, avant de monter
dans le train de nuit pour aller à Turfan.
Je reviendrai à Dunhuang, c’est promis !
1 août, Turfan
A 5h du matin, notre train s’arrêta à la gare de Turfan. Le personnel du train
s’était endormi. Heureusement, j’ai réveillé tout le monde à temps ! Dieu sait que
je ne suis pas du tout matinale, mais pendant le voyage, je n’avais pas le choix !
Quelle précipitation pour ranger nos valises et les descendre sur le quai: l’arrêt
du train était prévu pour seulement 4 minutes.
Les yeux bouffis et la tête alourdie, j’ai tout de même distingué assez facilement
notre guide, parmi la foule à la sortie de la gare. « C’est un monsieur, cette fois »,
me disais-je : « Et il est Ouïgour ! » Effectivement, il s’appelle Armin. Un tel
prénom ne peut qu’indiquer son origine ethnique. Son apparence physique est
différente des Han, Armin ressemble plutôt à un Turc.
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Située à l’extrémité occidentale de la Chine, le Xinjiang a un décalage de deux
heures par rapport à l’heure de Beijing. Cependant, le pays entier n’utilise qu’un
seul fuseau horaire, à 5h d’un matin estival à Turfan, il fait encore nuit. Bien qu’il
se soit levé avant l’aube pour nous accueillir, notre chauffeur s’est montré
chaleureux et attentionné. Dans l’obscurité, je vis son grand sourire. Lui est un
Chinois Han, une minorité dans la Région Au tonome des Ouïgours du Xinjiang.
Armin se présenta : professeur en médecine traditionnelle, il a fait des études en
France. Ce serait une excellente occasion de visiter un hôpital s’il servait de
guide et d’interprète. Mais Arman resta taciturne et il ne nous donna que très peu
d’informations et d’explications. Le métier de guide n’est pas le sien, l’agence de
voyage locale l’engageait uniquement parce qu’il parlait le français. A nouveau,
je devais cogiter pour le remplacer de temps à l’autre. Nos participants ont très
vite remarqué que notre guide était en effet un touriste : il prenait aussi des
photos dans les sites visités !
La région de Turfan est connue sous le nom de « montagnes flamboyantes ». En
été, la température extérieure peut atteindre plus de 40°C. Il faut partir tôt le
matin si l’on veut faire des visites, revenir vers midi dans les chambres d’hôtel
climatisées; et après une sieste, repartir après 16h, afin d’échapper à la grande
chaleur.
Le premier août, jour de la fête nationale suisse, nous restâmes assez discrets :
pas de drapeaux, ni de feux d’artifice, seul un spectacle de danses et chansons
ouïgours fut une distraction dans la soirée. Clément invita tout le monde à
déguster du vin rouge local ; une fête n’est pas digne de ce nom si l’on ne
l’arrose pas.
2 août, Turfan - Urumqi
Les anciens habitants de Turfan inventèrent un ingénieux système d’irrigation :
les Karez, des conduites d’eau souterraines qui amenaient l’eau des montagnes
voisines au milieu du désert. Malgré la chaleur, Turfan produit de grande quantité
de fruits : raisins et pastèques. Shang, notre chauffeur, a acheté pour nous une
pastèque sortie du frigo. Croyez-moi, lorsqu’il fait 45°C à l’ombre, il n’y a pas plus
rafraîchissant et agréable que de manger un morceau de pastèque glacée ! Je
fut touchée par ce geste d’accueil. Le Xinjiang est une région qui fut pendant
longtemps isolée du reste du pays, mais son peuple, bien qu’il soit moins riche
que celui des autres provinces, se montre plus généreux et il possède une facilité
de contact remarquable.
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Inutile de décrire comment la ville d’Urumqi a changé au fil de ces dernières
années. Celle d’aujourd’hui n’a rien de commun avec le souvenir de mon
enfance.
Mon père était alors médecin dans l’armée de l’air. La fa mille, originaire du sud
de la Chine, s’était installée à Urumqi. Quelques années plus tard, lors du
déménagement à Suzhou, nous avons passé 4 jours et 3 nuits en train, avec des
petits meubles que mon père a fabriqués de ses propres mains. Il était hors de
question qu’il s’en débarrasse.
Déjà à l’époque, j’avais l’habitude des voyages et de fréquents déplacements. Si,
au fond de mon cœur, je suis attachée à un endroit, c’est bien au Xinjiang. Il ne
me reste que de bonnes impressions d’hier et d’aujourd’hui, et rien ne changera
cela.
J’ai gardé le contact avec ma maîtresse d’école primaire. Elle a organisé une
réunion des anciens camarades de classe en mon honneur. Plus de 20 ans et
tant de changements dans notre vie nous séparent. Cependant, dès que j’ai vu
leurs visages, j’ai pu prononcer leurs noms. J’étais également ravie d’entendre
leur dire : « Xiaoru, tu n’as pas beaucoup changé! ». A leurs yeux, j’étais toujours
la petite fille à deux nattes, assise au premier rang de la classe.
Et le temps s’arrêta là…
Aux milieux des éclats de rire, chacun d’entre nous essayait de se situer et
d’identifier les autres sur une vieille photo de classe. Dans cet espace réservé au
passé et au souvenir, nous avons retrouvé notre enfance. Ce fut un moment de
nostalgie émouvante…
3 août, Urumqi – Kashgar
Le matin, dans une atmosphère détendue, nous avons parcouru le pâturage de
la Montagne du Sud. C’est un lieu touristique certes, et dans un groupe organisé,
le temps est compté. Heureusement, nous avons pu profiter de cette visite,
chacun à son rythme. J’ai choisi d’aller à cheval. Imaginez : serpenter entre des
sapins et des ruisseaux, hors des sentiers battus. Le ciel a une magnifique
couleur bleue, les nuages flottent au vent. Le chant des oiseaux est si agréable
aux oreilles que l’on croit être au paradis.
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Le soirée, après une heure et demi de vol, nous sommes arrivés à Kashgar.
Armin nous accompagnait dans l’avion, il expliqua que Kashgar est son pays
natal. Comme il parle la langue ouïgoure, nous avions besoin de lui.
Lorsque l’on arrive à un endroit inconnu, la première impression s’avère très
importante. Nous fûmes tous agréablement surpris de trouver un hôtel très
convenable et de voir que les gens dans la rue avaient l’air aimable.
C’était la première fois que je visitais Kashgar. J’avais entendu au préalable
différentes critiques, plutôt négatives. Selon le « Lonely Planet » et d’autres
guides, c’est un endroit peu sûr : vols et agressions sont fréquentes au grand
marché de dimanche. Plusieurs collègues guides m’ont dit qu’il faut faire très
attention, particulièrement au vol des passeports. Un pâtissier que j’ai rencontré
en Suisse, il y a quelques années, m’avait montré des photos de sa chambre
d’hôtel « 5 étoiles » à Kashgar : le robinet de la douc he était rouillé, le linge de
bain était aussi sale qu’une serpillière.
Par précaution, j’ai demandé à chacun de me donner son passeport et je les ai
mis dans un endroit sûr. Notre voyage arrivait bientôt à sa fin, perdre son
passeport entraînerait un véritable calvaire administratif.
Une grande statue de Mao s’élève au centre de la ville de Kashgar. Ce genre de
statue « révolutionnaire » est soit déplacé, soit démoli dans les autres villes
chinoises. Ici, à une centaine de kilomètre de la frontière sino-afghane, Mao
dominait la région, son avant -bras hautement levé : « Le peuple chinois est
debout ! », disait -il le premier octobre 1949, le jour de la fondation de la Chine
nouvelle.
4 août, Kashgar
La réceptionniste de l’hôtel ne voulait pas que notre groupe parte : Jean-Michel a
« sali» un linge de bain. « Ce n’est qu’une tache du dentifrice et ça part ! » Il
expliqua, « Croyez-moi, à mon âge, je ne mens pas ! » Normalement, c’est le
rôle de notre guide de résoudre ce problème rapidement. Novice en la matière,
Armin ne savait pas quoi faire. J’ai dû faire une démonstration de lavage à la
femme de chambre. Nous pouvions enfin quitter l’hôtel.
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Sans exception, nous avons tous photographié le Grand Marché du dimanche de
Kashgar. C’est un phénomène exceptionnel : la foule et le mélange de couleurs.
En octobre dernier, lors d’une séance de photos à Genève, le thème principal
étant notre voyage, j’ai signalé que, ce qui manquait sur les photos, c’était les
différentes odeurs, le bruit et les mouvements. Il faut être sur place pour se
rendre compte du nombre de commerçants et de passants, de la difficulté de la
circulation, ainsi que du mode de vie des Ouïgours.
Quand j’habitais à Urumqi, 20 ans auparavant, la ville ressemblait à celle de
Kashgar d’aujourd’hui : dans le désordre et la poussière, on s’assied par terre
pour manger de la pastèques et on jette les déchets juste à côté, sans se soucier
de l’hygiène. C’est la vie quotidienne et les habitudes. C’est un autre monde.
La balade dans le marché était relativement facile, si l’on ne voulait rien acheter.
De toute manière, ce marché est plutôt prévu pour les habitants qui viennent une
fois par semaine, les uns à dos d’âne, les autres en tracteur, remplissant leur
sacs avec du riz, de la viande, du tissu et d’autres objets de ménage. Malgré les
cris et les klaxons persistants, l’échange commercial se fait dans un atmosphère
tranquille. Une vendeuse de tissu en soie soulevait sa jupe devant les yeux de
mille passants : elle mettait l’argent dans s on bas !
Quelques femmes voilées me dépassaient silencieusement, me rappelant que
Kashgar est une région où la pratique musulmane est plus rigoureuse. C’était un
moment de dépaysement pour moi : Kashgar, comme Lhassa ou les régions des
minorités dans la province de Yunnan, n’a rien de commun avec le reste de la
Chine. C’est la diversité du pays, la cohabitation harmonieuse entre différentes
ethnies.
5 août, Urumqi
Armin a acheté un instrument musical pour son fils. « Je n’en trouverai jamais de
si bonne qualité ailleurs que dans ma ville natale! » proclama-t-il. Il était toujours
peu disert. Souvent, pendant que je parlais aux gens, il inclinait la tête en signe
d’acquiescement, l’habitude d’un professeur. Mais il ne donnait pas beaucoup
d’explications ni d’information.
De retour à Urumqi, une journée libre était prévue dans le programme. Le groupe
était divisé en deux : les uns partant en visite de la ville par leurs propres moyens,
et les autres allant au Lac du Ciel, sur mon invitation.
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En tant que professeur en pharmaceutique, Armin a des contacts dans un hôpital
que nous lui demandâmes de nous présenter. Visiblement plus à l’aise qu’à
l’accoutumée, il a expliqué les rudiments de la médecine ouïgoure, qui ressemble
à celle de Chine traditionnelle, et ses diverses pratiques.
En soirée, dans une petite ruelle, nous avons mangé dans le restaurant géré par
notre chauffeur, ou plus précisément, par sa famille. Shang riait de bon cœur,
content de voir chez lui autant de clients occidentaux. En plus des nombreuses
spécialités locales, sa mère a préparé 100 jiaozi (raviolis). Selon une vieille
tradition, la veille du départ, il faut manger des jiaozi afin d’assurer un bon
voyage.
Au milieu du dîner, j’ai dû quitter la table. Mes camarades de classe
m’attendaient à l’autre bout de la ville, il fallait que j’aille leur dire « au revoir ».
Oui, ce n’est qu’un au revoir, chantions -nous. Pour eux, je souhaiterais revenir
dès que possible !
6 août, Urumqi – Shanghai – Suzhou
4 heures de vol d’Urumqi à Shanghai permettent de traverser toute la Chine, de
l’occident à l’orient. Autrefois, j’avais fait le même trajet, en 4 jours et 3 nuits de
train.
Reçue chaleureusement par notre guide parlant un français impeccable, j’avais
l’impression de retrouver la « civilisation » et je me sentais soulagée : je pouvais
lui confier mes participants, de qui je prenais momentanément congé, afin de
passer un moment avec mes parents.
Tout le groupe était invité par mes parents à un repas de gala. Après le long
périple de la Route de la Soie, Suzhou est un lieu de repos. Comme son nom
l’indique, riche de poissons et de riz, c’est une terre fertile, douce, accueillante.
Je suis aussi chez moi, à Suzhou.
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7 – 8 août, Suzhou
Le programme du voyage se poursuivait pour les participants. Quant à moi, j’en
ai profité pour rester chez mes parents pendant ces deux jours, même si des
retrouvailles de deux jours sont bien courtes.
Je connais presque tous les coins de ville, même après d’innombrables
transformations au cours de ces dernières années. A Suzhou, je ne suis pas une
touriste, et il m’est difficile de décrire la ville d’une façon pertinente et impartiale.
Alors, je renoncerai à écrire mon journal de voyage sur Suzhou.
9 - 10 août, Shanghai
Selon moi, Shanghai est la seule ville au monde qui a subi une métamorphose
aussi radicale dans un laps de temps aussi bref.
A chaque visite de cette ville, je suis éblouie par ses changements : deux, trois
nouveaux gratte-ciel surgis de nulle part ; une deuxième ligne de métro vient
d’ouvrir au public ; Il est quasi impossible de suivre ses mouvements, surtout si
l’on n’habite pas à Shanghai. C’est un chantier permanent.
Notre voyage aboutit, ma mission est terminée. Parmi toutes les images qui
défilent dans ma tête, celles de Dunhuang restent les plus fortes : ville d’éternel
mystère, lieu sacré, cœur de la Route de la Soie.
Préparerais-je un autre voyage ?
Si cela était possible, je repartirais aussitôt sur la Route de la Soie !
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