Une mission européenne pour bâtir un « État de droit » en Cisjordanie

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Une mission européenne pour bâtir un « État de droit » en Cisjordanie
Une mission européenne pour bâtir un «
État de droit » en Cisjordanie
Quinze experts européens travaillent depuis un an à la réforme du système judiciaire
palestinien. Mais, alors que le conflit se poursuit, les progrès sont difficiles
Des prisons vétustes qui remontent, pour certaines, à la période ottomane, d’autres détruites par l’armée israélienne
lors de la seconde Intifada : le système carcéral palestinien est à l’agonie. Sans compter la surpopulation, avec 240
prisonniers entassés dans des locaux prévus pour 140 personnes, des cellules en béton si petites que les occupants
peuvent à peine s’asseoir, et une capacité totale de 509 places pour toute la Cisjordanie qui abrite 2,5 millions
d’habitants. Compte tenu du manque de capacité des prisons, il est courant que des délinquants soient laissés en
liberté pour ne pas encombrer davantage les cellules.
Mais bien plus que la seule organisation pénitentiaire, c’est tout le système judiciaire palestinien qui est à refonder.
Basé sur plusieurs sources de droits – ottoman, jordanien, britannique, coutumier voire clanique –, il pâtit aussi d’une
situation politique instable, engendrée par la poursuite de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens.
Comment faire comparaître un prévenu, ou des témoins, devant un tribunal quand il faut, auparavant, obtenir des
autorisations administratives délivrées par l’IDF (Israel defense forces), l’armée israélienne, pour franchir les
nombreux barrages qui émaillent la Cisjordanie ?
« Elles sont accordées ou non, on ne sait pas souvent à quoi cela obéit », remarque Christoph Lukits, chef de la
section État de droit de l’Eupol Copps (mission de police de l’Union européenne pour les Territoires palestiniens).
L’instruction judiciaire des dossiers des prévenus est également problématique.
« Près de 90 % de la population carcérale n’a pas été jugée », poursuit-il, conscient de la tâche monumentale d’une
réforme du système judiciaire, dans le contexte politique complexe des Territoires palestiniens. La justice
palestinienne est en effet l’otage à la fois de l’occupation israélienne des Territoires et de l’instabilité politique qui en
résulte.
700 policiers formés entre 2007 et 2008
Dans le cadre de la mission Eupol Copps, une première expérience de réforme des forces de maintien de l’ordre a
commencé en 2005 et se poursuit avec succès. Rien qu’entre 2007 et 2008, 700 personnes dans six unités de police
ont ainsi été formées au maintien de l’ordre. Rodolphe Mauget et Jean-Frédéric Martin, deux instructeurs français, leur
ont appris « comment gérer les manifestations, les techniques de riposte graduée ».
« On a vu le résultat pendant la guerre de janvier à Gaza. Lors des manifestations de soutien à la population de Gaza,
qui ont eu lieu à Ramallah, la police palestinienne a maîtrisé la situation sans faire usage des armes », explique
Rodolphe Mauget, qui rappelle la vocation de cette mission : « Former des policiers, pas des supplétifs de partis
politiques. » Un véritable défi alors que coexistent toujours, au sein de l’Autorité palestinienne, une douzaine de
services de sécurité, héritage d’un système créé par l’ancien chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, et jamais
démantelé par son successeur, Mahmoud Abbas.
La réforme des forces de maintien de l’ordre est une bonne chose, elle doit s’accompagner d’un système judiciaire
performant, a toutefois fait remarquer la Grande Bretagne. En 2005, Londres insistait pour que l’« État de droit » soit
ajouté au contenu de la mission Eupol Copps. L’UE avait une certaine expérience dans ce domaine, mise au service
de missions similaires en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan, en Géorgie…
En janvier 2006, l’Union européenne donne donc son accord. Mais la prise du pouvoir par le Hamas dans la bande de
Gaza, en juin 2007, a suspendu momentanément la mission, l’UE boycottant l’organisation palestinienne au pouvoir à
Gaza. C’est en septembre 2008 que le volet « État de droit » de l’Eupol Copps est réactivé, mais seulement en
Cisjordanie.
Une unité spéciale pour les prisons
Après un audit des diverses institutions judiciaires palestiniennes, quinze experts européens, plus deux n’appartenant
pas à l’UE, un Norvégien et un Canadien, ont été chargés de travailler sur le rôle du procureur, les droits de la
défense, les tribunaux, le respect des droits de l’homme, l’administration judiciaire, le système correctionnel, la police
judiciaire et les questions de violence domestique et de crimes d’honneur.
« Nous sommes en phase d’accélération, poursuit Christoph Lukits. Pour mieux fonctionner, la justice palestinienne
doit créer des interfaces entre le procureur et la police, entre les juges et la police », insiste-t-il. Mais il connaît les
limites de toute réforme. « Quant à changer les lois, ce qui serait nécessaire, c’est impossible puisque le Parlement
palestinien ne se réunit plus. On travaille avec les moyens du bord, un vélo plutôt qu’une voiture », reconnaît
Christoph Lukits.
Dès lors que l’on touche à des questions extrêmement sensibles, comme la justice, il faut compter avec les réticences
des autorités locales. Par exemple, les experts européens suggéraient que tout le système carcéral soit placé non
plus sous la responsabilité du ministère de l’intérieur, mais sous celle du ministère de la justice. Inacceptable selon les
Palestiniens. Un compromis a donc été trouvé : une unité de police spéciale sera créée pour s’occuper des prisons.
Mais elle restera sous l’autorité du ministère de l’intérieur.
Les réformes proposées par la mission européenne soulèvent des réticences au gouvernement, mais pas seulement.
Les magistrats palestiniens n’acceptent pas forcément de se voir déposséder de leur autorité et le manifestent en
refusant de coopérer. « Les intentions européennes sont bonnes. Nous sommes ravis de pouvoir bénéficier de leur
expertise technique. Nous en avons besoin. Mais pour être efficace, il faut d’abord mettre en place des comités de
pilotage avec les Palestiniens qui travaillent sur ces questions depuis déjà longtemps et ont des propositions à faire »,
souligne Ghassan Faramand, directeur du département de droit de l’université palestinienne de Birzeit. « Ici, nous
avons de 20 à 30 projets rédigés sur l’État de droit. Nous serions en mesure de partager notre travail et notre
expertise avec eux. »
"Des recettes toutes faites"
Si la nécessité d’une réforme du système judiciaire est reconnue, les Palestiniens déplorent donc des « recettes
toutes faites », souvent inadaptées aux besoins des citoyens. « L’Europe a conçu un schéma qu’elle veut ensuite
appliquer aussi bien en Bosnie qu’au Kosovo et en Géorgie. Mais la situation palestinienne est différente », poursuit le
professeur.
Il relève aussi « l’embouteillage » des projets de ce type. « Les Américains travaillent eux aussi sur le thème de l’État
de droit. Ne serait-il pas plus efficace que les Occidentaux se concertent pour qu’il n’y ait pas de doublons et ainsi
éviter un gaspillage des fonds européens ? », poursuit le directeur palestinien.
Depuis de longues années, les Territoires palestiniens bénéficient d’une aide internationale importante, notamment de
l’Europe. Nécessaire pour pallier les conséquences de l’occupation israélienne, elle a permis de former de nombreux
Palestiniens et d’aider la population. Mais elle ne peut pas se substituer à un règlement politique et à la création d’un
État palestinien viable.
Agnès ROTIVEL, à Ramallah

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