Article - LA PROVENCE

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Article - LA PROVENCE
MARSEILLE
Dimanche 24 Mars 2013
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En 1922, au marché des Capucins (1er), au cœur de Noailles, la Coopérative des chevillards de Marseille créée par l’oncle de Pierre Métras est un haut lieu de la vente d’abats. Sur la deuxième photo, les boyaudières et
les tripiers posent fièrement devant le hall des échaudoirs, à Saint-Louis. La Halle aux abats permet de servir chaque jour 8 000 clients. C’est le plus important établissement de triperie en vente directe de France.
Pour le goût, ils mettent le paquet
Délice marseillais, les pieds et paquets sont au cœur d’un concours lancé par le dernier maître tripier de la ville
D
errière le lourd rideau de
boucher en plastique, un
petit comptoir et un téléphone. Il y a aussi un écriteau :
"Pour être servi, appelez." Voilà
51 ans que l’on se refile
l’adresse, le bon plan : la société
Métras, sise avenue Journet
(15e), ancienne place forte de la
viande à Marseille -les anciens
abattoirs étaient à dix pas- prépare à la main, et dans les règles
de l’art, des pieds et paquets
dont vous leur direz des nouvelles. Pierre Métras, par ailleurs
président du CIQ de
Saint-Louis, dirige cette société
créée par Henri, son père, dernier maître tripier de Marseille
et "du grand Sud au moins".
À 80 ans, ce dernier préside
d’ailleurs toujours cette maison
de "survivants" : aux modes de
vie qui ont changé, aux scandales alimentaires européens, au
désamour pour les abats, à la
disparition du CAP boucher spécialisation triperie. Bonhomme,
Zartanian, Arnaud, la Halle aux
abats : ces noms qui rappelleront des souvenirs goûtus aux
Marseillais sont ceux des grossistes locaux disparus ; les Métras, eux, sont restés.
À côté d’autres spécialités tripières, quelque 50 000 bocaux
de pieds et paquets, roulés par
Proust et sa madeleine
peuvent se rhabiller:
ici, on salive sur la tripe.
une quarantaine de tripiers, sortent d’ici chaque année pour approvisionner les supermarchés
de Provence. Un simple plat, les
pieds et paquets marseillais ? Allons, allons : en 2010, le ministère de l’Économie a décerné son
label "Patrimoine vivant" à la
maison Métras. "Les pieds et paquets, c’est Marseille", déclame
Pierre Métras. Ne dit-on pas
que Protis avait débarqué sur
les rivages phocéens avec des
En blouses rouges, Pierre et Henri Métras, dans leur société de l’avenue Journet. C’est la dernière triperie artisanale de Marseille.
pansettes farcies ? Et la ville ne
reste-t-elle pas celle, au monde,
"où l’on mange le plus de pieds
et paquets ?" Proust et sa madeleine peuvent aller se jeter aux
Goudes : ici, aucun met
n’allumera davantage la prunelle, ne mettra autant les papilles
en joie que l’évocation de ce
plat où semblent confire tous
les plus doux souvenirs familiaux. Ah ! Ces Noël pour lesquels "depuis une semaine, la
grand-mère tenait au coin du
poêle à bois la marmite" dont le
fumet faisait baver toute la maisonnée ! "Les pieds et paquets,
c’est le partage, la famille, la générosité", énumère Pierre Métras qui, pour un peu, vous en ferait un poème. Et prenez ce
grand garçon de Gérard Marletti : "Autrefois, c’était le casse-croûte des ouvriers : les gars
s’étaient levés à 3h du matin, à
10h, ils se faisaient leurs pa-
quets, ça leur réchauffait le
corps", sourit le président de la
fédération des CIQ du 15e arr.
Ah, forcément, "les paquets c’est
pas très Weight Watcher", mais à
165 calories les 100 g, ce n’est
pas non plus une bombe calorique. "En même temps c’est clair
qu’on se contente rarement de
100 g", glisse Maurice, malicieux. Ancien inspecteur de police, il n’a pas oublié comment
sur "les coups de 23 h" après la
/ PHOTO D.TA.
tournée des rues chaudes, ses
gars et lui avaient ébloui des homologues canadiens... avec une
marmite de pieds et paquets.
"Si bien qu’à Marignane, en repartant, les gars avaient ouvert
la valise à la douane : ils avaient
bien fourré dix bocaux dedans !"
Ce qu’on appelle un road-tripe,
probablement…
C’est bien à force d’entendre
les cuisinières chevronnées discuter à son petit comptoir, leurs
fils et époux soupirer à
l’évocation d’un petit salé à défaillir de bonheur, que Pierre
Métras a eu son idée : pourquoi
ne pas organiser un concours
de recettes de pieds et paquets ?
"Je me suis aperçu que chacun
avait ses petits secrets, sa manière d’accommoder le plat. Et tout
ça, c’est du patrimoine, de la
culture ! Et la culture, c’est bien
ce qu’on fête cette année, non ?"
Non, les pieds et paquets
n’entreront pas au Frac ou au
Mucem, mais… "pourquoi ne
pas organiser le plus grand repas de pieds et paquets" qui
soit ?
Pour cela, les meilleures cuisinières -car ce sont souvent des
femmes qui gardent le secret de
la recette- sont déjà à pied
d’œuvre. Solange, par exemple.
À 59 ans, cette juriste de
Saint-Tronc qui se "délasse des
conneries" entendues toute la semaine en faisant des miracles
aux fourneaux, n’en finit plus
de rafistoler son Reboul (La Cuisinière provençale, la bible de la
gastronomie d’ici depuis 1910).
Attention, scoop, "pour faire
tomber l’acidité des tomates et
du vin blanc", Solange glisse
"deux trois carrés de chocolat
noir" dans sa sauce. "Ma
grand-mère, c’était une cuiller
de pastis pur", évoque Maurice,
l’ancien policier. Gérard n’a pas
oublié que "pour donner du
croustillant" aux pieds
d’agneau, il fallait les "brusquer
à la flamme" avant de les jeter
dans la cocotte. Le 7e ciel ? C’est
simple comme un morceau de
couenne ou un pied-de-veau
oublié au fond, "pour donner du
gras", c’est-à-dire du bon, n’en
déplaise aux tenants du light. Le
concours est ouvert jusqu’au
30 avril. À vos marmites !
Delphine TANGUY
[email protected]
Pour participer, envoyez vos recettes sur
papier chez Métras, 5, avenue Journet
(15e). Les meilleures feront l’objet d’une
dégustation. [email protected]
Secrets de pro !
Qu’il est patient et précis, le geste du rouleur ! "La boutonnière" de la pansette, c’est tout l’art et la technique des pieds et paquets marseillais...
Malgré les scandales alimentaires et la modification des rythmes de vie, cette tradition perdure encore et donne lieu à des concours.
/ PHOTOS ARCHIVES LP
Une panse d’agneau que l’on ouvre et dans laquelle
on coupe quatre à cinq carrés : à l’intérieur, on farcira de maigre de porc, préparé avec de l’ail, du persil... Les pieds et paquets, c’est rien que des bonnes
choses. La difficulté ? Le roulage. "Il faut pratiquer
une incision au couteau sur un des angles de la pansette, expose Pierre Métras, ce qu’on appelle la boutonnière, pour refermer le paquet comme une enveloppe." Les pieds d’agneaux devront être "bien
blancs et époilés, le bout coupé à la feuille ou à la
hache", et passés à la flamme pour le croquant. Placés au fond de la marmite en fonte, "à sec, pour rendre de l’eau", ils seront recouverts des paquets et de
la sauce, composée de tomate, ail, persil, huile
d’olive, vin blanc, oignons. Zest d’orange, pastis, piment d’Espelette, clous de girofle et même... chocolat noir, ensuite, chacun rajoutera sa griffe personnelle à l’ensemble. La cuisson ? La plus douce et longue possible -oui, jusqu’à une semaine !-, "pour qu’à
la fin, tout soit totalement confit", tous les sucs bien
mélangés les uns aux autres.
D.TA.