Antihéros - isharmonies

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Antihéros - isharmonies
isharmonies
GRATUIT
ANNÉE 5, NUMÉRO 39
Antihéros
MAI 2013
« Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment. »
Stendhal, La Chartreuse de Parme.
Biographia literaria
2
Echoes of science
4
Miscallanées (1)
6
L’eau à la bouche
7
Histoires extraordinaires
7
Le tour du monde en 80 mythes
10
Regards, cris, tics
12
Nouvelles bulles
13
Miscellanées
15
En vers et contre tout
17
Édito
Ah ! les héros. On les aime, on les
admire. Mais les antihéros ? On les
adore, on les déteste ? On adore les
détester ? Disharmonies vous emmène à leur rencontre !
Pour savoir ce qui fait vraiment un
antihéros, plongez-vous dans Biographia literaria, qui vous rappellera qu’ils sont plus nombreux et
surtout bien plus variés qu’on ne le
croit : faites votre choix ! Puis le
Tour du Monde en 80 Mythes détaillera pour vous le cas bien singulier des « fripons ».
Cas… clinique ? Ces antihéros nous
attireraient-ils pour leurs personnalités sombres, troublées, voire
franchement inquiétantes ? Echoes
of science explore le côté obscur de
leur séduction, à moins que ce ne
soit le charme de leur perversion…
Quoi qu’il en soit, ne vous fiez pas
aux apparences ! En lisant Miscellanées 1 ou encore Histoires
Extraordinaires, vous serez
convaincu que nos (anti)héros
peuvent prendre l’aspect le plus
inattendu… voire le plus repoussant, comme vous le montrera
L’eau à la bouche ! Souvenez-vous
qu’avec eux, l’habit ne fait jamais
le moine (Miscellanées 2).
Admettons-le : ces antihéros nous
fascinent parce qu’ils éveillent en
nous des sentiments mêlés et dérangeants. Criminels et pourtant
héroïques, ils savent susciter l’intérêt, mais très vite c’est le malaise
(En vers et contre tout), voire
l’horreur (Nouvelles Bulles) qui
prend le relai ! La fin justifie-telle les moyens ? Vous serez
surpris de voir jusqu’où certains ont poussé le vieil adage
(Regards, Cris, Tics)…
Mais on s’en voudrait de vous
priver plus longtemps de leur
délectable – mais angoissante
– fréquentation… Bonne lecture (on vous aura prévenus) !
Fantômas
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Biographia literaria
Les antihéros chez les super-héros
Ah, les super-héros... ces vaillants
défenseurs du Bien, aux pouvoirs
extraordinaires, aux costumes
bariolés, à la volonté inébranlable, et à la moralité exemplaire...
eh bien, bonne chance pour en
trouver un comme cela si vous
ouvrez un comic book de superhéros au hasard !
Car en effet, pour diverses raisons, dans les univers de superhéros, cela fait plusieurs décennies que la mode est passée aux
antihéros. Laissez-moi vous inviter à les découvrir.
Les vrais et purs héros
Tout d’abord, un petit point de
définitions. Un « héros », ça peut
vouloir dire « un agent du Bien
qui accomplit des faits extraordinaires et se démarque de ses
congénères » ou bien « un protagoniste ». Un « antihéros », cela
a encore plus de significations
possibles. Dans ce numéro, et
c’est la convention que je vais
suivre dans cet article, nous
avons décidé de vous parler des
antihéros au sens de
« protagonistes gentils avec une
ou plusieurs caractéristiques héroïques absentes ou inversées »,
sans aller jusqu’au « protagoniste
méchant », qui est un tout autre
genre (non moins passionnant).
the American way ? de Joe Kelly
et All-Star Superman de Grant
Morrison, qui décrivent parfaitement le modèle du super-héros
qu’est Superman.
Cette focalisation manichéenne
sur un axe Bien-Mal est particulièrement présente dans les comics de super-héros. Le superhéros combat les super-méchants
avec ses super-pouvoirs et sauve
le monde, youpi. Il est comme le
héros antique, le costume et l’identité secrète en bonus.
Dans le même style, mais chez
Marvel Comics, nous avons d’une
part Thor, le dieu du tonnerre,
qui, exilé d’Asgard, découvre la
Terre et décide de la protéger, et
Captain America, LE représentant de tout ce qu’il y a de bien
dans les valeurs des USA (il donna une droite à Hitler mais s’opposa aussi à Nixon). Pour le premier, je vous conseille la série
classique Thor de Walt Simonson
et le reboot de 2007 par J. Michael Straczynski. Pour le
deuxième, je recommande les
numéros de Captain America
écrits par Ed Brubaker.
Le meilleur exemple est bien sûr
Superman, de DC Comics. Extraterrestre atterri sur Terre, un
couple du Kansas le recueille et
lui enseigne la morale et l’amour
de la vérité, de la justice et des
valeurs de l’Amérique. Il se découvre des super-pouvoirs et décide de les utiliser pour aider les
hommes et les inspirer à donner
le meilleur d’eux-mêmes. Difficile
de faire plus gentillet. Mal écrites, les histoires de Superman
peuvent être ennuyeuses. Bien
écrites, elles vous portent, vous
envolent, et vous motivent à faire
le bien autour de vous. Parmi
beaucoup, je conseille What’s so
funny about truth, justice, and
Les antihéros risibles
Les modèles de vertus étant fixés,
parlons maintenant des antihéros. Je mentionnerai quatre
grands types de déviations au
modèle « Superman » : les déficiences physiques, intellectuelles,
émotionnelles, et morales. Les
deux premières sont les moins
courantes, certainement car un
super-héros stupide ou faible
physiquement est moins intéressant pour le grand public. Mentionnons tout de même Thing des
Fantastic Four (un golem de
pierre au cœur d’or), l’incroyable
Hulk, le goliath vert, qui à l’opposé de son alter-ego le génie Bruce
Banner, a l’intelligence et le tempérament d’un enfant (ce qui
permet parfois à ses ennemis de
le manipuler), et Loki enfant,
héros de la dernière saga de
Journey into mystery, chétif à
côté des monstres et des dieux,
mais peut-être plus rusé qu’eux...
Un sous-genre où ce type d’antihéros excelle, cependant, c’est
celui des comics comiques, si l’on
peut dire. La subversion du modèle du héros beau, fort, et intelligent peut souvent être hilarante.
Le chef de file de ces comics est
sans nul doute Deadpool : Wade
Wilson est un mercenaire quasiimmortel grâce à son facteur guérisseur, mais son corps est cou-
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vert de tumeurs hideuses, son
esprit est aussi stable qu’un
séisme, et il a le degré d’attention
d’un élève de maternelle (et c’est
sans mentionner ses pratiques
douteuses voire criminelles, ce
qui en fait également un bel
exemple d’antihéros moral...).
Ses meilleures aventures sont
certainement dans Cable & Deadpool. Un autre de mes favoris est
le recueil Great Lakes Avengers :
Missasembled de Dan Slott, une
série sur une équipe de superhéros maladroits au grand cœur
(parmi eux Mister Immortal, qui
meurt très souvent et Big Bertha,
super-héroïne obèse dont l’alterego est une top-model anorexique). Enfin, quelques mots sur
les héros handicapés : pour faire
court, ils ne font pas l’unanimité.
Charles Xavier est le leader en
chaise roulante des X-Men, mais
il est loin d’être le protagoniste
principal. Daredevil est aveugle,
mais compense avec un sens radar surhumain ; son handicap est
donc négligeable dans sa vie de
super-héros. Quant à Barbara
Gordon, la plus connue des Batgirl, elle fut confinée à une chaise
roulante après que le Joker lui
eut tiré une balle dans la colonne
vertébrale, mais il fallut attendre
qu’elle en guérisse pour qu’elle
retrouve sa série solo...
Les antihéros tourmentés
Le troisième type d’antihéros,
celui des antihéros tourmentés,
est bien plus populaire. Beaucoup
de super-héros ont une motivation émotionnelle pour combattre
le crime, souvent la perte d’un
être aimé ou un traumatisme
similaire. Le meilleur exemple
d’un tel personnage est SpiderMan : Peter Parker, 15 ans, intello rejeté, se découvre des superpouvoirs après avoir été mordu
par une araignée radioactive ; il
fait aussitôt le flambeur, mais
une fois que son oncle Ben se fait
abattre par un criminel que Peter
a laissé s’enfuir, notre héros se
jure d’utiliser ses pouvoirs pour
combattre le crime. Et depuis
1962, Spider-Man n’a jamais dépassé ce traumatisme. Ce conflit
intérieur nourrit et motive ce
super-héros, mais peut parfois le
submerger quand d’autres misères de la vie viennent s’ajouter
(mort de sa copine, de son meil-
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leur ami, d’au moins deux autres
figures paternelles, haine générale du grand public...), au point
que Spider-Man abandonnera
son costume à plusieurs reprises.
Nous sommes loin du héros mythologique à la volonté inébranlable... Si vous voulez (re-)
découvrir les fantastiques histoires de notre homme-araignée
préféré, je vous conseille de commencer par le début, avec les recueils de The Amazing SpiderMan, de Stan Lee et Steve Ditko.
Si vous en voulez encore plus,
essayez les aventures de Daredevil, toujours dans Marvel Comics.
Il doit être l’un des super-héros
sur lequel le sort s’acharne le
plus, comme en réfère l’ensemble
de ses conquêtes féminines, dont
au moins trois sont décédées...
DC Comics n’est pas en reste,
notamment avec Batman, qui,
enfant, a vu ses parents se faire
abattre par un pickpocket, et ne
s’en est jamais remis. Il utilisa
son héritage pour devenir l’ultime détective combattant avec
tout un panel de gadgets. Mais là
où Spider-Man se lamentera de
ne pas pouvoir réviser pour les
partiels tout en combattant le
crime, Batman serrera les dents
et poussera son corps et son esprit à la limite du possible. Parmi
de nombreuses superbes histoires de l’homme-chauve-souris, je
vous recommande les Batman de
Grant Morrison (de 2006 à 2009,
en commençant par le numéro
655).
Les antihéros violents
Enfin, le type d’antihéros que
vous rencontrerez le plus : ceux
dont les valeurs touchent la limite de la morale, voire sautent
de l’autre côté. D’abord, le fait
d’être prêt à tuer. Il y a des superhéros qui le sont (Wolverine, The
Flash, Green Arrow, Wonder Woman...), et d’autres qui ne laisseront personne mourir (Batman,
Spider-Man, Superman...). Et
puis (cf Regards, Cris, Tics de ce
numéro) il y a le Punisher... En
1986, Moore et Gibbons ont publié le chef-d’œuvre Watchmen,
roman graphique décrivant des
super-héros réalistes aux moralités parfois défaillantes
(Rorschach voit tout en noir et
blanc et tue les criminels, le Co-
médien est un psychopathe mercenaire cynique...). Une conséquence inattendue du succès de
cette œuvre fut un pic d’intérêt
du public pour des histoires de
super-héros sombres et violentes.
Les années 90 virent apparaître
de très nombreux superantihéros aux sourcils froncés,
aux armes gigantesques et aux
valeurs quasi-inexistantes. Heureusement, cette mode finit par
passer, mais on peut encore voir
une forte présence de superhéros sombres dans les comics
d’aujourd’hui. Il y a même des
comics sur les aventures d’équipes entières de tels antihéros,
souvent des super-méchants en
réinsertion. Mentionnons ainsi
les séries Thunderbolts chez Marvel, Suicide Squad chez DC, et
The League of extraordinary
gentlemen (où le monstrueux
Mister Hyde, l’odieux Homme
Invisible, et d’autres héros victoriens combattent Fu Manchu)
chez Wildstorm Comics.
Pour conclure
Les super-héros et leurs univers
ont des histoires riches et complexes, existant pour la plupart
depuis plusieurs décennies. Ainsi, nombre de scénaristes les ont
manipulés, et aucun personnage
ne peut vraiment être résumé en
quelques lignes. Les exemples
précédents doivent se lire comme
des indications plus que comme
des faits immuables. En 1940,
Batman tuait parfois des criminels. Le Superman de 1970 et le
Captain America de Ultimate
Marvel sont des moralisateurs
insupportables. C’est maintenant
à vous d’ouvrir ces comics, de
découvrir quelles histoires vous
plaisent, et de vous faire votre
propre idée de ce que doit être un
super-héros.
Brandolph
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Echoes of science
Dark Triad et antihéros
James Bond, son allure irréprochable, son orgueil inégalable, sa
séduction et sa libido indomptées, son permis de tuer et sa facilité déconcertante à en jouir...
Gregory House, médecin irrespectueux et insolent en toute situation, sarcastique à en débrancher sa télévision, accroc à la Vicodin ; son goût pour les prostituées et le risque, sa fascination
morbide pour la maladie et son
désintérêt profond pour le malade...
Dexter, tueur de série, tueur en
série et tueur de meurtriers, dénué de toute empathie, froid,
calculateur, méthodique, manipulateur...
Ces trois antihéros ont au moins
un point commun : une personnalité détestable, voire, disons-le,
exécrable. Dans la « vraie vie »,
sans aucun doute, vous chercheriez à les fuir. Mais à la télévision
ou au cinéma, vous les adorez, et
parfois même vous les enviez.
Vous les trouvez fascinants, drôles, attirants. D’ailleurs, que ce
soit dans la réalité ou dans la fiction, il est très difficile de résister
aux charmes de la cheerleader
narcissique ou du « bad boy ».
Les vampires saigneurs-nés et les
loups-garous bestiaux sont d’un
charisme et d’un sex-appeal infinis. On se surprendrait même à
admirer Hannibal Lecter dans ses
débordements cannibales…
Définitivement, les personnalités
« sombres » plaisent. Reste à
savoir pourquoi...
La triade noire de la personnalité
deux psychologues de l’Université de la Colombie Britannique
(Vancouver) et intéressés par les
personnalités criminelles, voient
émerger de leurs études psychométriques une constellation de
trois traits distincts (mais qui se
recouvrent partiellement) : le
narcissisme, la psychopathie, et
le machiavélisme. Ils surnomment ce triplet la « triade
noire » (dark triad) de la personnalité.
triade noire, telle que décrite par
Paulhus et Williams, est un peu
plus difficile à cerner. Contrairement au narcissisme ou à la psychopathie, le machiavélisme
existe peu dans le champ de la
psychologie. Introduit aux côtés
des deux autres, il complète la
constellation avec des traits inspirés du Prince de Machiavel :
cynisme, manipulation, et la
conviction que « la fin justifie les
moyens ».
Narcissisme
La face éclairée de la triade
noire
C’est probablement le trait qui
nous parle le mieux. Dans le cadre de la triade noire, le narcissisme désigne en fait les formes
complètes ou atténuées du trouble de la personnalité narcissique, qui comprend idées de grandeur, besoin excessif d’admiration, manque d’empathie, sentiment de supériorité, orgueil et
auto-admiration.
Trouver du narcissisme chez nos
héros préférés n’est pas rare :
nous parlions justement de James Bond. Ses tenues impeccables, son aplomb à toute épreuve,
et sa confiance inébranlable en
son pouvoir séducteur font bien
plus que trahir un simple goût
pour le luxe.
Psychopathie
La deuxième étoile de notre
triade est un peu plus froide. La
psychopathie, ou trouble de la
personnalité antisociale, est une
nébuleuse de comportements,
incluant des affects peu prononcés, l’absence de remords, le
manque d’empathie, l’égocentrisme, la manipulation et la criminalité. Les psychopathes sont
ces hommes et femmes qui tuent
sans montrer l’ombre d’un sentiment, et qui sont souvent d’une
intelligence et d’une rigueur remarquables.
On peut spéculer sur le développement et la structure de la personnalité à souhait, imaginer
qu’en chacun de nous sommeille
une force obscure, un nœud pulsionnel serré. Le mieux reste encore de chercher à définir le plus
objectivement possible les caractéristiques chères à nos antihéros.
Machiavélisme
En 2002, Paulhus et Williams,
La dernière composante de la
Dexter, bien sûr, même s’il n’assassine que des meurtriers, remplit la totalité des critères de la
psychopathie.
Les personnalités entrant dans
les critères du narcissisme, de la
psychopathie, et du machiavélisme ont donc toutes les raisons
du monde d’être détestables.
Alors, pourquoi Dexter, James
Bond, Batman, et autres antihéros nous plaisent-ils tant ? Pourquoi sommes-nous, même dans
la vie réelle et au moins au début,
en admiration devant les personnes « sombres » ?
Une des possibilités est que d’autres traits « compensent » les
traits détestables. Tout d’abord, il
n’est peut-être pas inutile de rappeler que nos antihéros favoris
agissent tout de même dans le
sens du bien commun, et méritent à juste titre leur qualificatif
de « héros ». Ce constat important, cependant, ne suffit pas
pour tout expliquer.
En étudiant plus en profondeur
les personnalités néfastes, on se
rend compte que d’autres traits
associés au narcissisme, à la psychopathie ou au machiavélisme,
peuvent eux, être très bien perçus
au premier abord. Le machiavélisme est généralement associé à
un grand contrôle de soi et une
grande stabilité émotionnelle.
Les psychopathes, eux, sont généralement extravertis et ont un
faible neuroticisme (tendance à
ruminer, à déprimer, etc.). Enfin,
les narcissiques sont très à l’aise
en situation sociale. En 2010, une
étude publiée par Back et Egloff a
d’ailleurs montré que les individus ayant un score élevé sur les
échelles de la triade noire don-
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naient une meilleure première
impression que les individus
ayant obtenu un score faible. Les
individus narcissiques étaient
plus confiants dans leur gestuelle, et leurs expressions faciales étaient plus attirantes.
Tout se passe donc comme si certains traits des personnalités de
la triade noire adoucissaient les
autres caractéristiques, plus sombres. On en arrive à « l’effet de
halo », connu en psychologie cognitive depuis les travaux de Asch
en 1946. D’après ce dernier, la
première impression, ou certains
traits de personnalité particulièrement saillants, génèrent des a
priori sur les autres qualités ou
défauts de l’individu, et biaisent
notre perception de ceux-ci. En
d’autres termes, un individu qui
fait bonne impression a plus de
chance d’être sympa.
Les personnalités de la
triade noire sont plus sexy
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avant de leur demander d’enlever
tout maquillage, de s’attacher les
cheveux, et de porter un t-shirt et
des pantalons gris, pour les prendre en photo une seconde fois. Ils
ont ensuite demandé à ces 111
sujets de remplir des questionnaires de personnalité.
On a finalement demandé à un
groupe extérieur de juger de l’attirance physique des étudiants,
d’après les photographies. Surprise ! Les individus ayant les
scores les plus élevés sur les
échelles de la triade noire sont
effectivement jugés comme étant
plus beaux ! Mais une fois les
cheveux attachés, le maquillage
en l evé et l es vêtemen ts
« normalisés », la différence entre les deux groupes disparait.
Que conclure de cette étude ?
Peut-être que les individus à la
personnalité « sombre » savent
mieux se mettre en valeur…
Hum…
Les personnages sombres (dans
la réalité et dans la fiction) sont
souvent très attirants. Coïncidence ? En 2012, Holtzman et
Strube de l’Université de Washington ont voulu déterminer, si
les individus ayant un haut score
sur les échelles de la triade noire
avaient effectivement plus de sexappeal.
Voilà donc quelques pistes de
réflexion qui sortent des spéculations faciles sur notre manière
d’admirer nos antihéros. Après
tout, peut-être qu’on ne les apprécie pas pour leurs défauts,
mais bien pour les qualités qui
leur sont associées : aplomb, intelligence, grande stabilité émotionnelle. Pour être sombre, il
faut être sexy.
Ces auteurs ont fait venir 111 étudiants, qu’ils ont photographiés
Ax.El.
Petite bibliographie :
Back, M. D., Schmukle, S. C., &
Egloff, B. (2010). Why are narcissists so charming at first
sight? Decoding the narcissismpopularity link at zero acquaintance. Journal of Personality and
Social Psychology 98 : 132–145
Holtzman, N. S., & Strube, M. J.
(2012). People With Dark Personalities Tend to Create a Physically Attractive Veneer. Social
Psychological and Personality
Science
Jonason, P. K., Webster, G. D.,
Schmitt, D. P., Li, N. P., & Crysel
L. (2012) The Antihero in Popular Culture: Life History Theory
and the Dark Triad Personality
Traits. Review of General Psychology 16 (2) : 192-199
Paulhus, D. L., & Williams, K. M.
(2002). The Dark Triad of personality: Narcissism, Machiavellianism, and psychopathy. Journal of Research in Personality
36 : 556–563
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Miscellanées (1)
Un de ces matins
Encore un de ces matins. Gabriel s’était levé du mauvais pied. Dérapant sur l’ours polaire étendu à côté de
son lit, il sursauta au grognement menaçant de l’animal. Il extirpa de son armoire Mallarmé son peignoir
mal peigné, et entra dans la salle de bains sans ouvrir la
porte, dans laquelle il laissa un trou béant de la forme
d’un homo sapiens pas si tibulaire que ça. Le guéridon
n’était pas commode non plus, et quand il voulut en
extraire son rasoir, ce dernier le mordit avec une telle
férocité qu’il se lâcha la lame sur le mollet, où elle traça
une bande verticale impeccable digne des publicités
pour la crème Épile-Poil. Pendant tout ce temps, le
miroir faisait une tête au carré au pauvre Gabriel, s’autorisant même quelques sarcasmes sur l’hirsutitude de
son propriétaire. Ce matin-là, Gabriel devait se rendre
au bureau de Poste, qui sanctionnerait sa reddition en
le forçant à trier du courrier jusqu’à la pause déjeuner.
Comme tous les matins, d’ailleurs. Sauf que ce matinlà, Gabriel se brûla la joue en essayant d’écraser sa rébellion capillaire avec un fer à repasser. Et le temps
qu’il étalât deux bons millimètres de pommade sur le
triangle rouge qui ornait sa figure, il avait raté le bus de
8h17 et dut prendre celui de 8h13 (qui avait une demiheure de retard pour cause de dispute conjugale dans le
foyer du chauffeur).
Gabriel sauta dans le bus, lequel manqua sauter luimême tant ce nouveau passager avait les cheveux en
pétard. De fort méchante humeur, notre héros ne fut
pas long, et fut même très court, à se jeter sur une place
assise prioritaire. Le véhicule des transports publics se
remplissait à grande vitesse d’une foule de femmes en
bas âge, d’enfants lourdement chargés et de grabataires
en poussette, mais Gabriel les regardait se serrer debout avec un rictus d’indifférence affectée. Aujourd’hui,
tout allait mal pour lui, et il ne cèderait sa place qu’à
une femme âgée, enceinte et invalide de guerre. Le bus
marqua un arrêt et une octogénaire unijambiste avec
un ventre de huit mois et demi monta en clopinant.
Gabriel se leva avec un regard hautement inflammable,
toxique et à ne pas laisser à la portée des nourrissons.
Le monde était contre lui, tellement contre lui qu’il
n’avait pas besoin de se tenir pour ne pas tomber. Décidant qu’il ne pouvait plus rien lui arriver de pire, il se
laissa éjecter du bus au terminus et traversa immédiatement le boulevard, nonobstant les gestes furieux que
lui adressait le bonhomme rouge. Une Spaghettini tur-
bo diesel cylindrée 56 chevaux et un âne, munie d’un
conducteur qui voulait impressionner sa copine, passait
à ce moment précis. La distance d’arrêt est égale à la
distance parcourue pendant le temps de réaction (avec
lunettes noires et jolie fille sur le siège de droite), plus
la distance de freinage (à une vitesse qui se moque tellement des limitations qu’on l’entendrait rire). En d’autres termes, Gabriel vit la mort en face, n’aima pas du
tout la tête qu’elle avait et ferma les yeux. L’instant
d’après, il était couché au milieu de la chaussée, avec le
coccyx endolori et un drôle de poids sur le ventre. Il
rouvrit les paupières et vit une immense auréole de
soleil, et au centre une petite tête avec un bibi de travers et un décolleté plutôt avantageux en dessous. La
petite tête avait une expression assez abasourdie.
« Si vous aviez pour agréable de me laisser me relever,
Madame, afin que nous regagnassions la sécurité du
trottoir, nous y serions mieux pour discuter », articula
en substance Gabriel.
Lorsqu’ils furent tous deux debout et hors du passage
piétons, il vit une demoiselle hanchue comme une jarre
romaine, vêtue d’un tailleur vert pomme et arborant un
sourire d’une oreille à l’autre.
« Merci de m’avoir sauvé, Madame, c’était un acte fort
héroïque de votre part.
— Oh, ne me flattez pas tant, je ne faisais que traverser
comme vous, et quand je me suis mise à courir pour
éviter la voiture, je vous ai renversé... » Elle eut un rire
comme un petit ruisseau rafraîchissant, et Gabriel sentit la marque du fer à repasser rosir sur sa joue.
« Quelle fichue matinée. Et maintenant il va falloir que
je vous laisse, je suis déjà en retard à la Poste.
— Mais je trouve que c’est une belle matinée, au
contraire ! Je vous ai sauvé la vie par accident, n’est-ce
pas merveilleux, et puis regardez ce soleil ! »
Mais Gabriel regardait les yeux souriants de la petite
dame et son tailleur décolleté qui lui donnait envie de
manger des pommes.
« Si vous n’avez rien d’urgent à faire, à vrai dire, je vous
inviterais bien à prendre un café-crème.
— Bien volontiers, là-bas ils ont de bons croissants »,
répondit la petite dame que son patron attendait depuis
quarante minutes pour dactylographier une lettre importante. « Après tout, c’est un de ces matins où rien de
mauvais ne peut arriver... »
Am42one
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L’eau à la bouche
Brutti ma buoni – les biscuits italiens « moches
mais bons » !
Pour 42 biscuits environ :
- 200g d’éclats de noisettes (du Piémont de préférence)
- 125g de poudre de noisettes
- 5 blancs d’œufs à température ambiante
- 230g de sucre semoule
une spatule. La meringue doit réduire considérablement et le mélange doit devenir très collant...
4) Préchauffer le four à 180°C. Huiler généreusement
une plaque et y déposer des cuillerées à café du mélange, façonnées grossièrement en boulettes. Faire
cuire chaque fournée pendant 15 à 20 minutes. Vous
devez obtenir des petits rochers au cœur tendre, qui
sont aussi délicieux qu’ils ne payent pas de mine. De
vrais antihéros !
Am42one
- 1 cuiller à café d’extrait de vanille
1) Si vos éclats de noisettes ne sont pas déjà grillés,
faites-les toaster légèrement dans une poêle sèche à feu
moyen, pendant une ou deux minutes, en remuant
constamment avec une spatule pour ne pas les brûler.
Idem pour la poudre de noisettes. Une fois les noisettes
refroidies, les mélanger avec le sucre dans un saladier.
2) Battre les blancs d’œufs en neige bien ferme dans
une grande jatte. Ajouter progressivement les ingrédients secs en mélangeant délicatement à la spatule.
Ajouter enfin l’extrait de vanille. Transférer le mélange
dans une casserole.
3) Faire sécher la préparation sur un feu doux pendant
environ 20 minutes en tournant régulièrement avec
Histoires extraordinaires
Héros égarés : un mouton blanc
Ce monde est corrompu. Les criminels se repaissent des faibles. Les innocents souffrent.
Je suis le dernier rempart de cette ville suintante de débauche et de haine. Mais je vous
observe, criminels. Je vous observe depuis le
toit de cet immeuble, sans nul doute rempli de
drogués et de proxénètes. Vous êtes un lot de
couards superstitieux, et vous craignez le noir
car le noir est en vous. Mais je suis le noir. I am
the dark. Je suis... GRIMDARK ! Mais que voisje ? Une petite frappe qui arrache son sac à
main à une vieille ? Profite de tes jambes, criminel, tant que tu en as encore l’usage...
La femme était tombée contre le mur. Elle n’arrivait
pas à reprendre son souffle, et son cœur lui faisait mal,
et son épaule, et une ombre tombait sur le voleur, et
des cris, oh mon dieu, quels horribles cris, aidez-moi,
aidez-le, mon cœur...
« Madame ? Regardez-moi », dit une voix claire, d’une
clarté inattendue dans les ténèbres de cette ville.
May leva les yeux, sans cesser de serrer son épaule de
sa main tremblante. L’ombre était toujours en train
d’arracher des hurlements au voleur, mais May ne voulait plus regarder. Elle se focalisa sur le visage de la
jeune fille qui venait de lui parler.
« Bonsoir. Je m’appelle Optima. Non, c’est idiot, appelez moi Lindy. Regardez-moi. Tout va bien. Comment
vous appelez-vous ? » demanda-t-elle en souriant.
Elle portait un costume un peu ample, de couleur bleuvert, qui lui couvrait tout le corps sauf le visage. May
sentait que son souffle reprenait un rythme raisonnable.
« M... May. Je m’appelle May.
— Très bien ! Donc moi c’est Lindy. Je suis là pour vous
aider. Vous ne risquez rien. Dites moi, May, êtes vous
cardiaque ? »
May hocha la tête. La douleur dans son épaule s’intensifiait.
« Vos médicaments étaient-ils dans votre sac ? Non ?
Dans votre manteau, peut-être ? Oui ? Très bien ! »
Avec une infinie douceur, Optima mit sa main dans la
poche de la vieille dame et en sortit un petit flacon.
« Tout va bien se passer, May. Vous avez ma parole. »
Les deux super-héros regardaient l’ambulance s’éloigner.
« Bien joué, gamine. Tu as fait ce qu’il fallait
pour cette femme.
— Merci. Mais bon, je n’en menais pas large. C’était
déjà arrivé à ma grand-mère. Une attaque cardiaque,
pareil.
— Mes condoléances. Sache qu’elle serait fière
de te voir combattre le crime en son nom.
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A N N É E 5 , N U M É RO 3 9
— Hein ? Non, elle n’en est pas morte. Elle a pris sa
retraite en Floride. Et j’étais déjà super-héroïne à ce
moment. Pourquoi penserais-tu que...
collègue.
— QUOIQU’IL EN SOIT. Notre travail ici est
fini. D’autres criminels attendent d’être punis », conclut Grimdark en s’éloignant. Sa cape noire
battait dans le vent de la nuit.
— Oui, bon... j’essaye. Ce que je veux dire, c’est que tu
« Attends ! appela Optima.
— Qu’y a-t-il, Optica ? répondit-il en faisant volteface.
— Tu... Heu, Optima. Avec un « m ». Comme optimisme. Tu sais, l’optimisme, voir les choses du bon
côté, tout ça.... »
Grimdark l’observa sans un mot, comme si elle venait
d’une autre planète.
« Bref, reprit-elle, je pense que... je sais que je suis nouvelle dans le métier comparée à toi, mais tu as bien vu...
tu devrais peut-être être moins brutal envers les gens.
May était encore plus effrayée par ce que tu faisais subir à ce jeune que par le vol de son sac !
« Toi ? Une super-héroïne ? Avec ton surpoids ? Et
aussi peu de seins ?
es belle, Sonia. Tu n’as pas besoin d’un crétin comme
Jérôme pour le savoir ! Reviens sur le toit... »
Les phéromones et le discours de Lindy commençaient
à faire effet, elle le voyait. Sonia hocha la tête, et commença à escalader la barrière.
Il y eut soudain une rafale de vent, et Sonia n’était plus
sur le bord, mais dans les bras d’HyperGuy, le protecteur des bons citoyens. Il a dû l’attraper à hypervitesse,
pensa Lindy. Sonia se débattait en hurlant, terrifiée par
cette soudaine apparition. Tout l’effet des phéromones
était dissipé.
« Le suicide, c’est mal, citoyenne ! Tu devrais avoir
honte de toi ! Respecte la vie que tu as reçue ! Ingrate ! » lui cria HyperGuy après l’avoir reposée sans
ménagement sur le toit. Sonia était en larmes. Lindy,
au bord des larmes, mais pour d’autres raisons.
— Il ne volera plus personne, maintenant que
j’ai arraché ses rotules. »
Sept heures sonnaient, la nuit tombait, et Lindy marchait avec peine dans les rues bondées de la ville.
Sur ces mots, Grimdark disparut dans un nuage de
fumée noire, pour réapparaître sur un toit plus loin.
Lindy soupira.
« Tout le monde semble penser que ce que je fais est
inutile... et si cela l’était ? » pensait-elle. « Les gens ontils besoin d’une super-optimiste comme moi ? »
« JE VAIS SAUTER ! » cria la jeune fille.
Une foule curieuse formait un demi-cercle sur le toit de
l’immeuble de la rédaction, en restant à une distance
acceptable de la suicidaire. Elle était passée de l’autre
côté de la barrière et ne se retenait plus que par ses
bras.
« Pardon... pardon... laissez-moi passer », maugréait
Lindy en se faufilant à travers la foule.
Finalement, elle put apercevoir la suicidaire. C’était
Sonia, une nouvelle employée au service création. Lindy avait toujours admiré ce service, la crème de la rédaction du magazine Vague.
« Sonia ! appela Lindy. C’est moi, Lindy ! De l’accueil !
— Laisse-moi ! Laissez-moi tous ! J’en ai marre de
vous ! J’en ai marre de la mode ! »
Un indice, pensa Lindy. Il fallait creuser, doucement,
efficacement. Les phéromones de Lindy finiraient par
calmer Sonia et lui faire retrouver le moral, mais peutêtre pas assez vite.
« La mode ! Tu as bien raison ! C’est un monde tellement superficiel... parle-moi, Sonia, qu’est-ce qui vient
de se passer ? » Lindy avança d’un pas, alors que ses
collègues la regardaient faire avec un mélange d’amusement et de dédain.
« C’est Jérôme... Snif... Il m’a plaquée... Il dit que je
suis laide... qu’à côté des super-héroïnes, je suis un
boudin... il a raison... je le sais bien.... c’est moi qui fais
leur costumes. Je sais à quel point elles sont sexy.... »
Lindy avança d’un autre pas.
« Ce n’est pas vrai, Sonia ! Elles ne sont pas toutes
comme ça ! Crois-moi, j’en suis une ! »
Le toit entier éclata de rire. Sonia se retourna vers sa
Soudain, un éclair déchira le ciel – littéralement. Une
fracture apparut dans l’espace rempli de fumées de
voitures à trois mètres au-dessus de la route. Puis la
fracture s’ouvrit. Un géant de gris et de noir en sortit. Il
faisait au moins sept mètres de haut, et trois de large.
Son corps, à forme vaguement humanoïde exception
faite des ailes de ptéranodon, rayonnait d’éclairs oranges. Trois yeux d’un rouge aveuglant ornaient son visage, au-dessus d’une gueule remplie de crocs qui semblaient trancher l’air lui-même.
« Joli monde... Je crois que j’en ferai mon dîner », marmonna-t-il d’une voix qui agressait les sens.
Les automobilistes s’étaient arrêtés à la vue du monstre, et s’enfuyaient à pied. Lindy retira sa veste, révéla
le costume d’Optima en-dessous, et se prépara à faire
ce qui serait nécessaire : disperser des phéromones afin
de réduire la panique ambiante, pour commencer. Le
reste des super-héros de la ville arriva dans les quelques secondes qui suivirent. HyperGuy, Justice Girl et
ExtremeBird dans les airs, Grimdark, WaterMarlon,
Luxuria et les autres par les rues attenantes, et même
Passe-Muraille par le dessous. Il émergea du trottoir
juste à côté d’Optima, et la salua d’un hochement de
tête. La créature géante les passa en revue, l’air amusé.
« C’est donc vous les défenseurs de ce monde...
vous avez l’air bien sûrs de vous... mais que
pourrez-vous face à TOURMENT ? »
Aussitôt un champ de force noir translucide émergea
de la créature et s’étendit dans toutes les directions.
Aussitôt que le champ touchait une personne, elle tombait à terre en criant. Tout le monde fut ainsi affecté,
sauf Optima.
Des ombres étaient apparues devant Optima. Des silhouettes du passé, de l’époque du collège. Ces ombres
murmuraient « Gros lard... Boudin... Bisounours... »
mais Optima les ignora et s’agenouilla à côté de Passe-
DISHARMONIES
Muraille, qui tendait les bras pour se protéger contre
un ennemi invisible.
« Non, Papa, non ! Pas la ceinture ! Je serai sage ! Je ne
m’enfuirai plus ! S’il-te-plaît, NON ! » hurlait-il. Grimdark, lui, demandait le pardon de quelqu’un : « Je n’ai
pas pu vous sauver... ils vous ont tué... » pleurait-il.
La créature – Tourment, comme elle semblait se nommer – était en train de faire revivre les pires souvenirs
aux héros, conclut Optima. Et ils en avaient tant...
En un instant, Optima sut quoi faire, comme si elle
s’était préparée toute sa vie pour ce moment. Elle se
redressa, et marcha vers le monstre.
« Tu ne sembles pas affectée, petite fille, persiflat-il. N’as-tu donc jamais connu le tourment ?
— Si, bien sûr... on se moquait de moi car j’étais enrobée... et puis mon père s’est suicidé devant mes yeux. Et
après ? Et alors ? » rétorqua-t-elle, à voix forte.
Les gémissements des super-héros baissèrent d’intensité. Était-ce dû à sa voix ? Était-ce l’effet de ses phéromones ?
« Tu crois que j’ai besoin de ça pour me motiver à enfiler ce costume ? Tu crois qu’il faut forcément une enfance tragique pour décider de faire le bien ? » Elle
écarta les bras pour s’adresser à tous ceux présents.
« Vous n’avez pas besoin de vous laisser mener par un
passé difficile ! Vous êtes des héros ! Et si vous l’êtes,
c’est par ce que vous pouvez faire et ce que vous décidez
de faire ! Vous pouvez mettre vos horreurs personnelles
de côté ! Je vous y aiderai ! Et après, on ira tous se
boire un bon chocolat chaud ! » Les gémissements s’interrompirent. Certains pouffèrent, hoquetant entre les
larmes et le rire. Tous commencèrent à se relever.
« Croyez en moi, croyez en ce monde, il n’est pas encore foutu ! » Elle se tourna vers Tourment, qui, en
voyant que son pouvoir perdait de l’effet, passait de
l’incrédulité à la fureur. Il ferma le poing et plongea sur
Optima. « Moi je croirai toujours en vous. » Le poing
du monstre s’écrasa sur Optima et s’enfonça un mètre
dans l’asphalte.
« Merci, Optima. » dit Passe-Muraille, en s’extrayant
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du poing de Tourment avec elle au bras. « Sans toi je
n’aurais jamais pu vaincre mon démon. » Lindy rougit.
« P... Pas de quoi. Merci de m’avoir attrapée avant qu’il
ne me transforme en pancake », répondit-elle.
« Je te garde à l’abri, laissons les autres se charger du
reste », proposa-t-il en l’emmenant quelques mètres
plus loin, alors que Tourment poussait un cri de rage. Il
tenta de les poursuivre, mais HyperGuy s’interposa en
un éclair. L’uppercut qu’il lui asséna résonna sur toute
la place. Tourment fut projeté dans les airs, et retomba
lourdement sur des voitures garées plus loin.
« Triste sort que subissent ces voitures ! Heureusement, les assurances devraient couvrir ces dommages ! » scanda HyperGuy, alors que les autres convergeaient sur un Tourment groggy.
Optima n’en croyait pas ses oreilles : ils se préoccupaient enfin du bien-être des gens normaux ?
« Les citoyens de ce pays ont le droit de poursuivre le
bonheur ! Tu ne les en empêcheras pas ! » tonnait HyperGuy au milieu du déluge de coups.
Un mois plus tard, dans une salle de la mairie :
« Salut... je m’appelle Passe-Muraille. Enfin, Jerry.
— Bonjour, Jerry ! scandèrent les membres présents.
— Cela fait un mois que je n’ai plus pleuré en pensant à
mon père... Depuis l’attaque de Tourment, donc. C’est
bien, mais c’est toujours pas assez. Même si Tourment
a été renvoyé dans sa dimension, il pourrait revenir, ou
quelqu’un de pire. Je dois au monde...
— Et à toi-même, Jerry, ajouta Lindy.
— … Et à moi-même, de dépasser cette épreuve. Merci
pour le courage que vous m’offrez. Merci Lindy.
— Merci Jerry ! » tonna la salle.
Lindy sourit. Optima n’était pas si inutile, finalement.
Plus de gens qu’on ne le croit ont besoin de soutien. Et
elle serait toujours là pour leur en offrir. Car ils en valaient la peine.
Brandolph
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Le tour du monde en 80 mythes
L’improbable famille des
fripons
Mais si, vous les connaissez déjà.
Ce sont tous ces personnages
petits mais futés des mythes et
des légendes que vous observez
en train de se plonger dans des
pétrins incroyables et en ressortir
toujours in extremis, que vous
regardez avec ravissement faire
toutes sortes de choses interdites
dans la vie réelle et jouer à leurs
victimes des tours pendables qui
vous arrachent à la fois des
« Rhôôô » scandalisés et des sourires complices.
Ils se font poursuivre, ils se prennent des beignes, ils meurent
même parfois, mais ne restent
jamais morts très longtemps, pas
plus qu’on ne peut espérer les
garder longtemps en prison. Ils
sauvent régulièrement le monde
par accident, ou vengent les faibles et les pauvres contre les riches et les puissants ; mais au
moment où vous vous apprêterez
à les féliciter pour en faire vos
héros, vous vous rendrez compte
qu’ils vous ont volé quelque
chose et vous vous lancerez à leur
poursuite avec un juron. Ni vraiment bénéfiques, ni complètement maléfiques, ils sont tour à
tour des champions aux procédés
un peu limite ou bien d’agaçants
farceurs dont les tours font parfois montre d’une franche cruauté. Ces marginaux de la mythologie, ces perpétuels repris de justice divine, on les appelle en français les fripons ou les décepteurs
(les « trompeurs »). En anglais,
ce sont les tricksters, les
« joueurs de tours (tricks) ».
Les exemples ne manquent pas :
dès que l’on cherche des figures
de ce genre dans une culture donnée, on est à peu près assuré d’en
trouver, sous une forme ou sous
une autre. À vrai dire, c’est même
une interprétation qui fonctionne
un peu trop bien. À assimiler les
unes aux autres des figures mythologiques du monde entier, on
en vient à oublier qu’elles se sont
développées dans des cultures
extrêmement différentes, et qu’au
lieu de s’en tenir à pointer des
traits communs, il faut aussi pouvoir expliquer les différences. Le
concept de fripon apparaît ainsi
comme l’un de ces concepts un
peu trop passe-partout des études mythologiques, qu’il faut
considérer avec prudence pour
éviter les abus interprétatifs.
Mais comme il serait un peu long
d’évaluer la pertinence réelle du
concept de fripon ou de trickster
en mythologie comparée à l’échelle mondiale, je me contente
ici de prendre ce concept comme
prétexte à une petite galerie de
figures mythologiques qui vous
fera (re)découvrir quelques-uns
des noms les plus couramment
associés à cette improbable famille.
Hermès
Dans la mythologie grecque, plusieurs dieux et plusieurs héros
ont recours à la ruse, mais certains s’en font une spécialité :
citons, parmi les dieux, Prométhée ou Hermès, et, parmi les
mortels, Ulysse, qui est souvent
qualifié de polutropos (« aux
mille tours ») dans les épopées
homériques. Prométhée et Ulysse
étant assez connus, je vais plutôt
vous parler d’un autre épisode :
la petite enfance d’Hermès.
L’Hymne homérique à Hermès,
qui n’a d’homérique que le style,
mais reste assez ancien (il a sans
doute été composé au VIIe s. av.
J.-C.), raconte joliment et non
sans humour la naissance du
dieu, dont le premier exploit
consiste à voler un troupeau de
bœufs à son grand frère Apollon.
À peine né, Hermès est capable
de ruser pour dissimuler son forfait : il fait marcher le troupeau à
reculons et en zigzag afin que la
direction des traces des bêtes
trompe le propriétaire, puis le
cache dans une grotte où il s’offre
une bonne petite grillade de
viande, avant de retourner dans
son berceau où il feint d’avoir
dormi tout du long. Durant son
escapade, il a aussi inventé la lyre
à partir d’une carapace de tortue,
pour passer le temps. Sa mère,
Maïa, le met en garde contre la
vengeance d’Apollon : le petit,
loin de se démonter, se déclare
futur prince des voleurs et se dit
prêt à aller cambrioler le sanctuaire de Delphes. Démasqué et
conduit devant Zeus, il nie tout
avec aplomb. Le dieu des dieux
ne peut se retenir de rire devant
la rouerie du nouveau-né, qui
devra néanmoins réparer ses
torts.
Des traductions de cet hymne
tombées dans le domaine public
sont faciles à trouver en ligne ;
vous pouvez aussi le trouver dans
la fameuse Collection des universités de France aux Belles Lettres,
ou bien dans d’autres traductions
en poche.
Loki
Loki est sans doute l’une des figures du fripon les plus connues.
C’est l’un des Ases, les dieux de la
mythologie nordique, qui vivent
sur Asgard. Loki n’a ni la sagesse
d’Odin, ni le courage ou la force
de Thor, mais il est rusé et terriblement indiscipliné. Figure ambivalente, il est à l’origine de
bienfaits mais aussi de malheurs
cosmiques. Dans un de ses bons
jours, Loki sauve la mise aux Ases
au moment de la construction de
leur palais. La tâche avait été
confiée à un géant qui réclamait
en guise de salaire la déesse
Freya elle-même. Afin de lui rendre la tâche impossible, les dieux
D I S H A RM O N I ES
imposent un délai en apparence
intenable. Mais le géant travaille
à une vitesse stupéfiante, notamment grâce à son cheval magique,
et il est sur le point de terminer le
palais dans les temps. Alors que
les autres dieux sont au désespoir, Loki se métamorphose en
jument et va distraire le cheval
magique, de sorte que le géant
termine en retard et ne peut pas
toucher Freya. Du fait de ses activités de distraction, Loki-jument
tombe enceinte et accouche finalement d’un cheval magique à
huit pattes qui devient la monture d’Odin. Déguisement et
changement de sexe font partie
des caractéristiques récurrentes
des fripons. Mais dans d’autres
épisodes, le dieu apparaît sous un
jour beaucoup plus sombre. Il se
rend coupable, par pure jalousie,
de la mort du jeune dieu Baldr
dont la survie était la clé de la
stabilité du monde ; en châtiment, il est condamné à un supplice éternel, enfermé dans une
grotte dont il ne sera libéré qu’au
moment du Ragnarök, où il prendra part à la mort des Ases.
Les ruses de Loki sont relatées
notamment dans l’Edda en prose
de Snorri Sturluson, un texte
étonnamment accessible aux lecteurs actuels et qui contient
beaucoup d’éléments de la mythologie nordique repris ensuite
par les univers de fantasy ; on
peut le trouver par exemple chez
Gallimard dans la collection
« L’aube des peuples ». Un essai
fameux consacré à Loki est celui
de George Dumézil, paru en 1948
et sobrement intitulé Loki
(actuellement disponible en poche dans une version refondue
datant de 1986).
Renart
Certes, Renart n’est pas vraiment
une figure mythologique, puisque
c’est un pur personnage de fiction
et qu’il est apparu au Moyen âge ;
mais il est vite devenu un mythe
littéraire durable, et le moins
qu’on puisse dire est qu’il n’a rien
à envier à ses ancêtres. Renart le
goupil, qui a donné son nom aux
renards en général, est le personnage central du fameux « roman
de Renart », qui n’est pas un roman au sens moderne du terme
puisqu’il est composé en vers (le
P A G E 11
nom « roman » désigne la langue
employée : le français, langue
romane, par distinction avec le
latin).
Les différentes « branches » de ce
texte constituent autant d’aventures autonomes et pas toutes
cohérentes entre elles, qui reflètent le succès du personnage auprès des auteurs médiévaux. Il y
est question d’une société animale parallèle à celle des hommes du monde réel et qui en
donne un miroir comique, parfois
allégorique. Le lion y est roi,
l’ours guerrier, les poules des
commères. Quant à Renart, il
oscille entre un statut noble et
l’état de marginal au fil des tours
pendables qu’il joue aux divers
membres de la cour. Sa victime
favorite et son pire ennemi est le
loup Ysengrin, qu’il cocufie avec
sa femme Hersent, mais il arrive
à Renart de s’en prendre à Noble
le lion, voire aux humains. La
faim, la prédation, la violence et
le sexe sont les principaux thèmes de ces fictions qui n’étaient
déjà pas très moralement correctes à l’époque, sans pour autant
recéler grand-chose de vraiment
subversif. Pour les lecteurs modernes, on est à mi-chemin entre
le monde des fables et celui des
cartoons où les protagonistes
semblent à l’épreuve d’à peu près
tout.
C’est le genre de texte qu’il est
facile de découvrir en quelques
pages en lisant une « branche »
ou deux. Vous pouvez aussi regarder le beau film de marionnettes en noir et blanc qu’en a tiré
Ladislas Starevitch (un film culte
rien que pour la chanson du chat
amoureux...).
Wakdjunkaga
Le nom de Wakdjunkaga ne vous
dira sûrement rien : c’est pourtant à lui que Radin, Kerenyi et
Jung ont consacré le livre Le Fripon divin qui est l’une des principales études de ce type de figure
mythologique. Le nom même de
Wakdjunkaga signifie « Fripon »
dans la langue des Indiens Winnebagos d’Amérique du Nord, sur
la côte ouest. On peut inscrire ce
personnage dans un vaste ensemble de figures du même genre que
Claude Lévi-Strauss a regroupées
sous le nom de « dé-
cepteurs » (trompeurs) ; mais,
tandis que toute une partie de ces
décepteurs sont des figures non
divines, Wakdjunkaga a la particularité d’être ou du moins de
devenir à un moment donné une
divinité pendant le cycle d’aventures qui lui est consacré.
Il est tout de même difficile de
savoir ce qu’est Wakdjunkaga. Il
commence sa vie parmi les humains, où il est chef de tribu ;
mais il fait tout de travers et finit
par abandonner les siens pour
errer à l’aventure, tour à tour
auteur ou victime de ruses malveillantes de la part des animaux
sauvages. Il a manifestement un
corps étrange qu’il maîtrise assez
mal. À un moment donné, sa
main droite et sa main gauche se
disputent et se mettent mutuellement en sang avant qu’il n’arrive
à les arrêter. Il a un pénis démesurément long qu’il transporte
séparément dans une boîte transparente, persuadé que personne
ne peut en voir le contenu. Ledit
pénis est ramené à sa taille définitive lors d’un récit étiologique
qui consiste en une rencontre
avec un écureuil malveillant…
Beaucoup de mésaventures de
Wakdjunkaga ont ainsi pour
thème les fonctions corporelles
de base. Ce n’est qu’à la toute fin
de cette suite de ruses réussies ou
ratées que le fripon devient dieu
et rend toutes sortes de bienfaits
aux mortels.
Ces quatre figures relèvent naturellement d’une sélection aussi
subjective qu’incomplète dans le
riche foisonnement des mythes et
des légendes mondiaux. Je n’ai
pu parler que de ce que je
connaissais bien, mais sachez que
les cultures africaines disposent
aussi de figures de fripons, en
particulier le Lièvre qui apparaît
dans les contes d’Afrique noire.
Vous pouvez en trouver quelques
aperçus dans la belle anthologie
de Jacques Chevrier L’Arbre à
palabres dont la première édition
est parue en 1986. Bonnes lectures et bons voyages en compagnie
des fripons… mais prenez garde à
leurs ruses !
Eunostos
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Regards, cris, tics
The Punisher (comic series,
2004-2008)
Vous vouliez un archétype d’antihéros sombre, violent, troublé, et à
la limite de la morale ? Vous l’avez
trouvé : le Punisher, créé par Gerry
Conway, John Romita Sr. et Ross
Andru en 1974 dans les pages de
The Amazing Spider-Man (il faudra attendre 1986 pour qu’il ait sa
série solo). Ainsi commence sa tragique histoire : après avoir servi
son pays au Vietnam, Frank Castle
retrouve sa femme et ses enfants à
New York. Mais alors qu’ils piqueniquent à Central Park, ils surprennent par accident un trafic de drogue, et se font abattre par les mafieux. Seul Frank survit, après avoir
vu sa famille perforée par les balles.
Frank décide alors de punir tous les
criminels, en les tuant de diverses
façons (armes à feu, armes blanches, arts martiaux, explosifs, ours
polaires parfois...) et souvent avec
sadisme. Il n’hésite pas à recourir
au chantage, au kidnapping, à la
torture, et évidemment au meurtre.
Mais il ne fait jamais de mal aux
innocents. Un comic le voit même
s’apprêter à se suicider lorsqu’il
croit avoir abattu une petite fille
par accident (spoiler : ce n’était pas
le cas). Avec son tee-shirt noir orné
d’un crâne blanc, ses réserves
quasi-infinies de munitions et ses
techniques de guérilla, il devient la
terreur des criminels de New York.
Depuis sa création, le Punisher est
apparu dans deux types d’histoires : celles avec super-héros et celles sans. Appartenant à l’univers
Marvel Comics et opérant à New
York, il lui est inévitable de rencontrer, s’opposer à, et parfois faire
équipe avec des super-héros de la
métropole, comme Spider-Man,
Daredevil, ou Captain America.
Inévitablement ces super-héros
condamneront ses actions extrêmes, voire essayeront de le mettre
derrière les barreaux. Ces histoires
présentent donc le Punisher
comme un double antihéros : au
sens de la morale bien sûr, mais
aussi en tant qu’humain « normal »
côtoyant tous ces êtres à superpouvoirs.
Dans le second type d’histoire, les
super-héros sont
absents, et les
aventures du Punisher se font
plus
réalistes,
plus actuelles, et
plus sombres. Le
meilleur recueil
de telles histoires
est sans doute la
collection Punisher – MAX Imprint scénarisée
par Garth Ennis
de 2004 à 2008.
Le sigle « MAX »
désignait les comics publiés par
Marvel
ayant
pour cible une
audience
plus
mature, ce qui
permettait
surtout de faire dire
« sh** », « fu** »
et compagnie aux
personnages,
pour donner un
ton plus réaliste
aux
massacres
terroristes et aux
fusillades intergangs.
Cette série a été
désignée sous plusieurs noms au
cours de sa publication, mais tout
bon magasin de comics la reconnaitra comme « le mariage parfait
de Garth Ennis et du Punisher » ;
en version française vous la trouverez en une quinzaine de volumes
chez Marvel France, collection
MAX.
Dans cette série, Frank Castle affronte successivement mafieux,
terroristes, militaires russes, et
proxénètes esclavagistes (ses ennemis les plus immondes, de loin).
Autant vous avertir : ces comics
sont violents. Très violents. Gores.
Vous verrez des gens découpés en
morceaux, des tortures, des viols et
des guerres. Mais si vous avez l’estomac pour ça, vous découvrirez
également un chef-d’œuvre de narration du sombre, qui vous fera
remettre en question toutes vos
valeurs. Par exemple, je suis farouchement contre la peine de mort.
Et pourtant, quand Frank torture
un marchand d’esclaves en l’éviscérant méticuleusement avant de
finalement l’exécuter, j’encourage
Frank. Pourquoi ? Parce que le
marchand d’esclaves est bien pire.
Ennis est passé maître dans l’art de
construire des méchants méprisables, pathétiques, ou juste monstrueux. Et le plus effrayant ? C’est
ce moment où l’on se rend compte
que des gens comme ça existent
réellement dans notre monde, et
agissent impunément en ce moment-même...
Pour déchaîner votre frustration
envers les injustices de cette terre,
pour satisfaire votre besoin quotidien de violence, ou surtout pour
apprécier l’alliance parfaite du scénariste Garth Ennis, de ses partenaires dessinateurs maîtres du
genre noir (mon préféré de la série
est Leandro Fernandez), et du personnage tourmenté et intraitable
qu’est le Punisher, je ne peux que
vous recommander cette série.
Brandolph
D I S H A RM O N I ES
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Nouvelles bulles
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BLAKE
D I S H A RM O N I ES
P A G E 15
Miscallanées (2)
Un gentleman et un cambrioleur.
Octobre 1907.
Les cloches de la Madeleine venaient de sonner minuit lorsqu’une voiture, dépassant les majestueuses
colonnes de l’église, s’engagea résolument du côté de
la rue de Surène. Celle-ci, comme tout le quartier
alentour, était déserte ; et les réverbères qui jetaient,
de loin en loin, un éclat jaune, ne révélaient pas âme
qui vive. Finalement la voiture ralentit, s’arrêta ; il
en descendit un homme qui, au dernier moment, se
pencha vers le conducteur et acheva de donner des
instructions. Vêtu d’un modeste habit de toile grise,
il se fondait aisément dans l’obscurité. Puis, tandis
que la voiture repartait un peu plus loin, l’homme
franchit le seuil d’une porte cochère qu’il n’eut pas
de mal à ouvrir – il suffisait d’avoir les outils adéquats. Une fois dans une cour intérieure, il parut se
conformer à des indications, car il se dirigea avec
une légère hésitation vers la cage d’un escalier. Là, il
monta sans faire de bruit, d’un pas souple, jusqu’au
troisième étage. Aucune lumière à ces appartements,
aucune trace de vie derrière les fenêtres ; et pourtant
il savait bien qu’il y rencontrerait quelqu’un.
On lui avait dit d’attendre sur le palier ; il se posta
près de la fenêtre qui donnait sur la cour, et guetta
un moment, lâchant, dans son état d’énervement :
— Crénom ! Pourvu qu’il ne me fasse pas faux
bond… L’aventure est trop belle.
Soudain il entendit des pas, qui l’inquiétèrent, parce
qu’ils ne provenaient pas des escaliers, mais d’une
des pièces contigües. Enfin une porte s’ouvrit, on
battit le briquet ; l’apparition tenait à la main une
lampe, qui éblouit notre homme tout d’abord. Celuici demanda un mot de passe à mi-voix ; on lui répondit exactement, mais sans chercher à être discret. Finalement, le nouveau venu posa la lampe à
terre ; elle éclaira l’habit noir et sévère, les traits
encore jeunes et l’allure un peu grave d’un homme
visiblement riche, et de bonne famille. Celui-ci gardait le silence.
— Est-ce bien à M. Henri d’Etigues que j’ai l’honneur de parler ? lui demanda notre héros.
— Et vous, vous êtes bien Arsène Lupin ? lui fut-il
immédiatement réparti.
Il s’inclina, le sourire aux lèvres :
— Lui-même ! répondit-il. Compliments. Voilà du
renseignement, ou je ne m’y connais pas.
— Disons seulement que cette entrevue me paraissait inutile, à moins qu’on ne s’y passe d’intermédiaires, prononça d’Etigues d’une voix qui gardait un
accent impérieux.
— Voilà qui est fort bien dit. Je vous propose que
nous allions droit au but ; non que ces rencontres à
la brune n’aient rien qui me séduisent, mais il est
des heures où même le plus honnête des cambrio-
leurs n’aspire qu’à une chose : son lit. Je reprends.
Mes hommes et moi-même détenons depuis un mois
un tableau qui n’a guère encore de valeur.
— Comme vous y allez…
— Guère, vous dis-je. Ou du moins, pas encore. L’artiste fait parler de lui. Le nom de Ruiz va peut-être
devenir célèbre. Déjà, il fait le difficile, n’imaginant
pas que l’amitié des collectionneurs Stein suffise à
son bonheur !... Sa dernière œuvre, c’est moi qui l’ai.
Les journaux en ont abondamment parlé, non parce
qu’on a pris à Ruiz son bien, mais parce que c’est
Arsène Lupin qui a fait le coup.
— Jusque-là, vous ne m’apprenez rien.
— Vous êtes pressé ! J’arrive. Si je vous ai contacté il
y a de cela deux semaines, c’est parce que j’ai appris
de source sûre que vous vous intéressiez de fort près
à cette peinture… Elle vous plaît, seulement vous ne
la prendriez pas au prix qu’aurait fixé l’artiste. Voyez
comme les choses s’arrangent : l’ami Lupin vous
l’offre, pour un prix accommodant ; vous repartez
avec ce Bordel philosophique, dont le titre est décidément des plus baroques… et bibi s’esquive avec les
milliers demandés.
Henri d’Etigues fronça un sourcil : l’affaire était
peut-être trop facile.
— Un dénouement qui satisferait les deux parties,
dit-il avec circonspection. Mais qu’est-ce qui me dit
que vous n’allez pas me dénoncer à la police, aussitôt que vous aurez l’argent en poche ?
Lupin eut un brusque accès de gaieté, qui rajeunit sa
physionomie :
— Comme vous êtes comiques, vous autres ! Vrai,
c’est à désespérer. On s’appelle Lupin, on se fignole
une réputation, on se donne de l’honneur, et tout ça
compte pour rien ? On a bien raison de dire que les
Français sont ingrats. On peut se dire tu, à présent,
hein ? puisque tu me fais l’injure de ne pas me respecter. Mais moi au moins, je ne t’accuse pas. Je te
connais trop bien pour cela, vois-tu. Je sais que,
pour des raisons qui t’appartiennent, tu n’aimerais
pas tomber entre les mains de la justice. Tu as, de
ton côté, paraît-il, quelques affaires juteuses dont la
mauvaise odeur ferait frémir le gros nez de ce bon
vieux Ganimard, à la Sûreté… Tu vois que moi aussi,
je suis bien renseigné.
Le comte d’Etigues ne disait mot, et regardait le sol
d’un air embarrassé. Le cambrioleur, voyant qu’il
avait l’avantage, se rapprocha avec assurance :
— Bah ! je suis bon prince. Je te passe cette injure.
Tout le monde n’est pas bien élevé comme Lupin. –
Alors ? Qu’en dis-tu ? Le Bordel est dans mon auto.
Ah, ce que ce nom est affreux ; il m’écorche la bouche. Dépêche-toi, tu es le plus offrant, mais si tu te
montrais difficile, je n’aurais pas de mal à aller voir
ailleurs.
P A G E 16
Son interlocuteur avait relevé la tête ; il lui dit d’une
voix lente, avec un étrange sourire :
— Veux-tu savoir à qui tu as vraiment affaire ?...
Détective Jim Barnett, de l’agence Barnett & Cie.
Lupin pâlit, comme foudroyé. Avant qu’il ait eu le
temps d’intervenir, l’autre s’était rué à la fenêtre, et
avait fait retentir un sifflet, qui résonna longuement
dans la nuit. Aussitôt le voleur se vit piégé, trahi ; il
voulut courir à l’escalier, mais l’autre se jeta sur lui.
La lutte fut courte ; le détective eut vite le dessus, et
maîtrisa le cambrioleur sans trop de mal. La surprise avait paralysé les efforts de son adversaire.
Pendant ce temps, dehors, la voiture de ce dernier
était cernée, arrêtée ; les complices qu’elle contenait,
terrassés ; et le tableau, sagement emporté.
Lupin était à plat ventre, les mains derrière le dos,
tandis qu’un genou du détective lui entrait dans la
hanche ; l’effarement, dont il n’était pas encore revenu, lui faisait jeter des regards brusques dans toutes
les directions ; il avait rarement fait une figure aussi
ridicule.
— Allons ! remets-toi ! s’écriait Barnett, la mine réjouie, le visage à peine crispé par l’effort qu’il fournissait pour le maintenir dans cette position. Tout
s’arrange, comme tu disais. Le tableau me reviendra,
et puis je le rendrai à son propriétaire. Et toi, mon
ami… Tu iras faire un tour en prison, où je suis sûr
que ton cher Ganimard se fera un plaisir de t’apporter des oranges.
L’autre émit un râle, voulu se débattre, mais en vain.
A N N É E 5 , N U M É RO 3 9
— Oh, aucun doute là-dessus, mon jeune ami. Les
journaux ont crié au Lupin parce que tu avais laissé
une carte. Mais tout le monde peut faire ça. Ça ne
change rien au fait que tu n’es pas Lupin.
— Et… et comment…
Barnett inclina son épaisse moustache vers lui :
— Parce que « ça ne collait pas », tout simplement.
Lupin, vois-tu, a plus d’âme que toi. Je le connais
assez pour savoir que Lupin ne vole pas aux pauvres
artistes qui commencent avec pas le sou. Parce que
tout l’art que Lupin prend la peine d’acquérir, il ne
le revend pas et le garde pour son plaisir. Et surtout,
parce qu’il n’aime pas l’art moderne. Tu étais fait
depuis le début. Au fait, tu es qui ?
Le voleur garda un silence obstiné, désireux de
conserver là-dessus un reste de fierté.
— Bon, reprit Jim, tu ne veux pas que ton nom reste
dans les annales avec cette aventure stupide. Je
comprends. C’est ta carrière qui commence, et elle
serait gâchée dès le début. Aussi, quel coup d’amateur !... Essayer de se faire passer pour Lupin. Faut
être bête, dis-moi.
Après un instant de silence, le détective se releva,
délivrant l’autre de la pression qu’il maintenait sur
lui.
— Va-t’en. Tu es libre de partir.
Le jeune homme, stupéfait, se releva sans mot dire,
considérant seulement le détective avec des yeux
que l’ébahissement rendait ronds.
— T’agite pas, ça ne sert à rien !... C’est Jim Barnett
qui te le dit. Qu’est-ce qui te chagrine ? C’est d’avoir
été berné ? Ce n’est pas raisonnable de ta part. À vrai
dire, on pourrait dire que nous sommes quittes. Je
n’étais pas Henri d’Etigues, d’accord… mais, après
tout, pas plus que toi tu n’es Lupin.
— File, je te dis. Le tableau est récupéré, c’est tout ce
qui compte. Le reste ne me regarde pas. Mais à ta
place, je veillerais à me faire discret à l’avenir.
Pour le coup, son adversaire s’immobilisa. Jim Barnett ricana :
Pendant ce temps, demeuré seul là-haut, Barnett,
qui l’avait observé par la fenêtre, se permit un long
rire.
— Hé… Tu crois vraiment que ça ne se voyait pas ?
— Ce n’est pas vrai ! s’exclama-t-il. J’ai dérobé ce
tableau.
Le jeune homme se sauva sans se retourner, et sans
demander son reste. On lui avait laissé le champ
libre, et il put décamper sans rencontrer quiconque.
— Bigre ! Il détale, l’animal.
Puis, revenant sur les évènements, Arsène
Lupin eut un petit sourire de satisfaction.
— Bah ! C’était presque trop facile… Presque trop commode, l’aventure. Aucun
charme.
Juillet 1916.
Lorsque ses affaires à l’étranger ne l’occupaient pas trop, Arsène Lupin prenait trois
semaines de liberté pour revenir en France,
malgré la guerre. Là, insouciant, libre de
toute affaire, il pouvait jouir de ses milliards et se promener comme bon lui semblait.
Il lui prit la fantaisie d’aller à l’exposition
du Salon d’Antin.
On y parla beaucoup de l’œuvre de Ruiz,
D I S H A RM O N I ES
P A G E 17
enfin dévoilée au public, après quasiment neuf ans
de réclusion dans l’atelier du peintre. Ce qui avait
commencé de donner au tableau une célébrité, c’était d’avoir été volé par Arsène Lupin. C’est du
moins ce qu’on avait lu dans la presse. Mais le célèbre cambrioleur, magnanime, avait rendu la toile
avec un mot de sa main affirmant qu’il défendait les
arts, même quand il ne les comprenait pas. L’aventure avait fait sensation, et achevé de gagner les
cœurs en faveur de celui qu’on appelait avec sympathie le gentleman-cambrioleur.
Et Lupin voulait revoir le tableau, après ces neuf ans
passés. Peut-être éprouvait-il le besoin de retremper
son âme au souvenir de ses bienfaits ; et peut-être
n’était-ce pas sans remords qu’il travaillait, pour
l’heure, à la pacification de l’empire français en Afrique, et à se faire nommer sultan de Mauritanie
(mais ceci est une autre histoire).
Il eut un mal fou à traverser le monde qui s’était
rassemblé au Salon ; surtout, il ne put trouver la
toile tout de suite. D’abord, parce que l’artiste avait
décidé de signer du nom de sa mère.
En parvenant devant la peinture, Lupin eut une grimace : non, décidément, ses préférences allaient au
XVIIIe. En revanche, il constata avec plaisir que le
titre de l’œuvre avait été changé.
— Non, le Bordel philosophique, voilà qui choquait
le bon sens… Mais Les Demoiselles d’Avignon, quel
panache !
En vers et contre tout
Autour du bassin
Ce début de printemps aux fraîches matinées
Annonce le retour de fleurs épanouies,
Ainsi que tout autour du bassin raffiné,
D’adorables nymphes aux charmes inouïs.
Celle-ci s’y mirait, l’œil sans doute attiré
Par certaine beauté ou image grossie,
Son minois j’admirais sur un banc retiré,
Les pensées agitées, je demeurais transi.
D’être longtemps scrutée eut-elle conscience ?
Ses jolis yeux perçants atteignirent les miens,
Je me sentis lutter : la complexe science
Des regards échangés ne m’est connue en rien.
Après quelques instants d’intense fixation,
Elle se détourna sans le moindre remords,
Je me sentis distant, empli de déception,
Il ne restait en moi qu’un silence de mort.
Je fus soudain blême, n’admettant la rupture,
Se changer en poussière eût été moins malsain,
Tourmenté et peu fier, je quittai ce jardin,
Oubliant de même cette courte aventure.
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Fantômas
P A G E 18
A N N É E 5 , N U M É RO 3 9
Disharmoniennes, disharmoniens,
L’heure est grave. C’est en proie à l’incertitude que nous nous retrouvons aujourd’hui.
En effet, quel destin pour Disharmonies l’an prochain, quand d’aucuns se perdront
dans les affres d’un concours inutile, quand d’autres revêtiront l’habit glorieux du
thésard moyen, quand d’autres, enfin, partiront enseigner les classiques à des collégiens boutonneux, ou élever des lamas sur les plateaux de l’Aubrac ? (Notez que la
différence n’est pas bien grande, si ce n’est que les collégiens vous crachent plus souvent à la figure).
Mais fi de ces pensées sinistres ! Ce ne sont pas ces sombres aléas qui, espérons-le,
auront raison de notre courage, de notre volonté, de nos rêves ! Car oui, j’ai fait un
rêve… I say to you today, my friends, so even though we face the difficulties of today
and tomorrow, I have a dream. Let us not wallow in the valley of despair. Je souhaite que l’an prochain, l’aventure disharmonienne continue, et je ne juge pas cette
mission impossible : nous avons en effet recruté de nouveaux membres cette année.
J’ai l’intime conviction que notre grande famille s’élargira encore l’an prochain, grâce
à notre propagande enrôlement forcé basse opération de séduction sympathie
naturelle. Mes frères, mes sœurs, comme vous, je n’ai qu’une espérance : que, quoi
qu’en dise le thème du prochain numéro, les disharmoniens ne soient pas trop vite
changés en vieux fossiles.
Si par malheur cela devait être le cas, nous aurons au moins fini en beauté. Et nous
pouvons avoir l’espoir que dans quelques décennies, des paléo-journalistes viennent
faire des fouilles dans les strates de papier de la BD-thèque, retrouvent ce numéro et
se disent : ouais, effectivement, c’était mieux avant.
Didi wants you.
We can do it ! À vos plumes !
BLAKE
BNP Paribas, banque européenne leader, soutient le journal Disharmonies.
Favoriser l’accès à une information diversifiée, de qualité et à la culture en général,
fait en effet partie des engagements de BNP Paribas.
Ainsi, le groupe participe activement a des évènement d’ampleur, comme le festival
Cinéma Télérama pour le 7eme art, Jazz à Saint Germain des Prés pour la musique, le
Master de Bercy ou Roland Garros pour le sport, ou encore la mise à disposition de
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Crédits :
Illustrations :
Blake
Tsum
Dank
Ys’tenn
Rédacteur en chef :
Brandolph
Fantômas
Le mois prochain, le thème sera :
Dodos, dinos & Co
Les contributions sont bienvenues,
envoyez vos articles avant le
dimanche 19 mai
Rédaction :
Am42one
Eunostos
Ax.El
Fantomas
Blake
Niko
Brandolph
Ys’tenn
Maquette :
Tibo
à l’adresse :
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Réponse à l’énigme du numéro 37 :
Bhramara représente une abeille.
Chandrakala signifie « lune montante ».
Quant à Padmakosha, c'est le lotus en bouton.
Remerciements :
À Dank, sans jeu de mots,
pour avoir laissé déborder
son univers d'antihéros
dans les pages de Disharmonies ( geeketgosses.blogspot.com );
À La formule de Stirling,
pour son poème et son
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Erratum :
Dans le numéro précédent, la légende de l’image de la page 20
était : « Qu’est-ce qu’un drageon, pour un aspect plus technique ».
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