La revue parlementaire
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La revue parlementaire – Juin 2012 Quelles perspectives pour la décentralisation ? Par le 54ème de ses 60 engagements pour la France, François Hollande a annoncé que, lui Président, « une nouvelle étape de la décentralisation » serait lancée. Hasard des chiffrages ou référence discrète, c’est sous le même numéro 54 que, 31 ans plus tôt, le candidat François Mitterrand dans ses 110 propositions faisait de la décentralisation un sujet « prioritaire » de son futur septennat. Cette promesse fut d’ailleurs largement tenue, comme je le raconte dans mon dernier ouvrage « Il y a 30 ans, l’Acte I de la décentralisation, ou l’histoire d’une révolution tranquille » (éd. Berger-Levrault). Entre 1982 et 1986, pas moins de 33 lois et 300 décrets transformèrent la France, état jacobin par excellence, en un pays largement décentralisé. La revue parlementaire – Juin 2012 Cependant, force est de constater que si quelques principes ont été dégagés par François Hollande, notamment dans son discours de Dijon le 3 mars 2012, les grandes orientations stratégiques dans le domaine de l'administration territoriale de notre pays restent encore à définir… Le gouvernement devra s’y atteler rapidement, pour plusieurs raisons. La première d’entre elles est la loi du 16 décembre 2010, qui prévoyait notamment la mise en place du Conseiller Territorial. François Hollande s’est clairement prononcé en faveur de l'abrogation de cette disposition, en préconisant un retour au mode de scrutin préexistant pour les conseils régionaux, et un nouveau mode de scrutin pour les conseils généraux. Cependant, il n’a pas véritablement pris position sur les autres mesures relatives aux plans de développement de l'intercommunalité et aux règles de répartition des compétences entre départements et régions. Le nouveau gouvernement va donc devoir se prononcer rapidement sur l’entrée en vigueur –ou non- de celles-ci. De manière plus globale, il ne pourra s’affranchir d’une réflexion profonde et globale sur l’organisation et le rôle de chaque niveau de collectivité territoriale, de celui de l’Etat, de leurs compétences et de leurs relations. La gouvernance territoriale actuelle est arrivée à un tel niveau de complexité, de superpositions, d’enchevêtrements –les financements croisés en sont un exemple criant- que son rapport coût-efficacité s’est progressivement dégradé. A l’heure où la France est dans l’ardente obligation de réduire son endettement public, et donc ses dépenses, seules de profondes réformes structurelles, comme la redéfinition complète de la gouvernance territoriale, lui permettront de faire des économies tout en maintenant une qualité de service équivalente. Le nouveau Gouvernement devra commencer par s’interroger sur l’Etat. Pris en étau entre l’Union Européenne et les collectivités territoriales, qui l’ont progressivement privé d’une partie de sa souveraineté, l’Etat n’a plus de vision claire de son rôle. A l’évidence, il faut aujourd’hui le ramener à ses principes fondateurs : l’exercice des fonctions régaliennes, et laisser le soin aux collectivités territoriales de mettre en œuvre les politiques locales de développement et d’aménagement. La revue parlementaire – Juin 2012 En conséquence, les transferts de compétences vers les collectivités locales devront être élargis, comme l’a annoncé François Hollande dans son discours d’investiture, les administrations centrales de l’Etat réduites, et les services déconcentrés renforcés. Au niveau de la gouvernance des collectivités territoriales, aucune proposition concrète n’a filtré du programme de François Hollande, qui ne prévoit que « la clarification des compétences ». Il faut dire que le sujet, notamment celui de l’avenir des départements, est particulièrement sensible. A mon sens, il est impératif d’abandonner le principe de traitement uniforme des territoires. Il existe une diversité évidente entre la France rurale, la France d’outre-mer, la France des grosses ou des petites agglomérations : on ne peut les traiter de manière indifférenciée. Dans les zones très urbanisées à faible étendue géographique, notamment dans les très grandes agglomérations, les frontières départementales n’ont plus de sens : dans ces zones, il faudrait sans doute aller vers un renforcement de l’intercommunalité, d’une part, qui prendrait à sa charge les compétences actuelles des départements et des communes (solidarité, voirie, logement), et de la région, d’autre part, chargée de l’activité économique, de l’innovation, de la recherche ou encore de la formation. Par contre, dans les zones faiblement urbanisées, il est sans doute pertinent de maintenir pleinement le rôle du département comme structure proche de solidarité. Le Gouvernement va devoir agir vite du fait de la situation financière critique dans laquelle se trouvent beaucoup de collectivités territoriales. Leur autonomie fiscale s’est considérablement réduite (elle ne représente plus que 10% des recettes pour les régions, et 17% pour les départements), et les dotations de l’Etat ont baissé. Par ailleurs, leurs dépenses d’intervention ont considérablement augmenté, l’Etat leur imposant des obligations sans cesse croissante, notamment dans le domaine de la solidarité. Sans parler de l’explosion de leurs dépenses de fonctionnement, liées à l’accroissement exponentiel des effectifs (+100% de fonctionnaires en 20 ans), et de la réduction de leurs capacités d’emprunt du fait de l’effondrement de Dexia. La revue parlementaire – Juin 2012 Si François Hollande a par avance prévenu qu’il ne pourrait pas augmenter les dotations, réduction du déficit public oblige, il a néanmoins promis de les maintenir « à leur niveau actuel ». Il s’est également engagé à réformer la fiscalité locale « en donnant plus d’autonomie aux communes, aux départements et aux régions, en contrepartie d’une plus grande responsabilité », ce qui est sans soute une bonne chose, la responsabilité fiscale étant une condition essentielle de la responsabilité politique. Il a également évoqué l’idée d’une péréquation des recettes fiscales, sans toutefois la détailler. Le Gouvernement actuel se trouve face à un double enjeu : d’une part, agir vite, pour éviter que la réforme ne s’enlise, et, d’autre part, dégager un consensus. Car si le principe d’une « nouvelle étape de la décentralisation » rassemble, les propositions concrètes divergent fortement. Il suffit de comparer celles de C. Lebreton (Président de l’Assemblée des Départements de France) et d’A. Rousset (Président de l'Assemblée des Régions de France) pour s’en apercevoir. Et le fait que la majorité des exécutifs locaux soient de gauche risque – paradoxalement – de ne pas simplifier la tâche du gouvernement. Il me paraît clair que les contraintes économiques liées à la dette vont imposer à tous de parvenir à un accord. Encore faudra-t-il créer les conditions de naissance de ce consensus… C’est d’ailleurs le sens de la proposition de François Hollande de lancer une concertation approfondie durant les mois d’été. L’objectif serait d’avoir un projet qui serait présenté, voire voté en première lecture par l’Assemblée nationale, avant la fin de l’année. Et, bien que nécessité fasse loi, il est évident que la tâche de Maryse Lebranchu pour y parvenir sera tout sauf facile. Eric Giuily