L`interprofessionnalité capitalistique : enjeux et perspectives

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L`interprofessionnalité capitalistique : enjeux et perspectives
Le nouveau journal des huissiers de justice
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Actualités professionnelles
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L’interprofessionnalité capitalistique :
enjeux et perspectives
Le premier séminaire de travail organisé par l’IEPJ s’est tenu le 12 octobre 2011, à la Chambre
nationale des huissiers de justice
L
’interprofessionnalité au cœur des enjeux pour les métiers du droit et
du chiffre : voici le thème retenu par la Commission thématique « interprofessionnalité capitalistique » qui a vu les interventions de certains des
membres de l’une des premières commissions créées par l’IEPJ sur cette
même question.
Animé par Patrick Sannino, Président de l’IEPJ, les interventions de JeanFrançois Humbert (Notaire, Ancien Président de la Chambre des Notaires
de Paris), de Hervé Chémouli (Avocat associé), de Philippe Ferrari (Expertcomptable, Commissaire aux comptes) et de Jean-François Richard
(huissier de justice, Président de la Caisse de garantie des huissiers de
justice) se sont succédées. S’en sont suivis des débats stimulants avec les
nombreux professionnels issus des métiers du droit (magistrats, avocats,
notaires, huissiers de justice, juristes) et du chiffre (experts-comptables,
commissaires aux comptes) qui assistaient à la manifestation, au nombre
desquels figuraient notamment M. le Bâtonnier Pierre Berger, M. le procureur Eric de Montgolfier, Jean-Daniel Lachkar, Président de la Chambre
nationale des huissiers de justice ou encore Jean-François Bauvin, Viceprésident de la Chambre nationale des huissiers de justice.
La question de l’interprofessionnalité et plus précisément de l’interprofessionnalité capitalistique connaît une vitalité nouvelle depuis que la loi
n°2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires
ou juridiques et certaines professions réglementées a introduit, dans la loi
n°90-1258 du 31 décembre 1990 relative aux sociétés d’exercice libéral (SEL)
et aux sociétés de participation financière de profession libérale (SPFPL),
un nouvel article 31-2, qui permet désormais aux SPFPL de détenir simultanément des parts ou actions de SEL, ou de sociétés commerciales de droit
commun des professions suivantes : avocat, notaire, huissier de justice,
commissaire priseur judiciaire, expert comptable, commissaire au compte
ou conseil en propriété intellectuelle. Les contributions des membres de la
commission formée au sein de l’IEPJ, tout comme les différentes interventions des participants à ce séminaire, ont savamment mis en perspective
à la fois la nécessité et le bénéfice de parvenir à une interprofessionnalité
effective, mais également les freins éventuels à sa matérialisation généralisée au sein des professions pouvant, aujourd’hui, en bénéficier.
L’idée même d’interprofessionnalité n’est pas nouvelle. La pérennité d’une
telle aspiration s’explique par le fait qu’elle est le reflet d’un besoin à la
fois des clients et des professionnels. En outre, une raison plus contemporaine expliquerait la récente prise de position du législateur : la mise
en conformité du droit national avec le droit de l’Union européenne et
plus spécifiquement, avec la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006
relative aux services dans le marché intérieur. En effet, la clientèle et, spé-
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cifiquement la clientèle internationale habituée à des structures intégrées,
est en demande d’un interlocuteur unique pour l’ensemble de ses besoins
juridiques et comptables. En outre, la densification et la complexification
des normes nationales et internationales font ressentir aux professionnels
le besoin de s’adjoindre les compétences particulières de spécialistes qualifiés qu’une structure interprofessionnelle pourrait contribuer à favoriser.
Par ailleurs, la création d’une SPFPL pourrait être l’occasion pour les différents associés de mutualiser un certain nombre de services nécessaires
à l’exercice de leurs activités respectives (i.e. service de veille législative
et réglementaire, service informatique, service de secrétariat…). Plus
encore, il ressort du régime fiscal applicable que pour que la SPFPL revête
un intérêt (fiscal), il faut qu’elle puisse dégager un chiffre d’affaires propre
qui pourrait résulter d’activités accessoires facturées à ses filiales. De telles
activités peuvent tout à fait consister en des prestations de secrétariat,
d’informatique, de démarchage, de formation… Une telle approche de la
structure interprofessionnelle permet alors de lui conférer un intérêt fiscal
en termes de déductions pouvant être opérées, un intérêt professionnel
dans la mesure où les petites structures peuvent avoir l’occasion de mutualiser le coût de certains postes de dépenses (informatique, formation…)
et un intérêt pour la clientèle qui, de la sorte, peut bénéficier de manière
plus générale d’une prestation de service plus pointue et plus complète.
même, le fait que la loi exclut les SCP et les structures commerciales de
droit commun des SPFPL peut susciter un certain questionnement sur
l’effectivité de la mise en place des SPFPL dans la mesure, d’une part, où
les experts-comptables peuvent se constituer en société commerciale et
d’autre part, où les avocats, par exemple, sont principalement constitués
en SCP. En outre, dans cette dernière hypothèse, les dispositions fiscales
afférentes aux SEL ne sont pas spécifiquement incitatives per se, mais, de
plus, aucune disposition permettant le report de l’impôt ne semble exister
dans l’hypothèse d’une transformation de la SCP en SEL.
Il est important de conserver à l’esprit que la SPFPL n’est pas une structure
d’exercice mais une structure capitalistique. La décision qui a été prise
par le législateur est finalement celle de créer une structure qui permet à
différents professionnels de travailler ensemble dans le respect des règles
applicables à chaque profession. La SPFPL incarne, en somme, une forme
d’incitation financière à travailler ensemble et non à se fondre au sein
d’une seule et même profession.
Les riches interventions et les débats de haut vol qui s’en sont suivis ont
ainsi mis en lumière tant les potentialités que les difficultés de l’interprofessionnalité capitalistique sur le plan national. Toutefois, la loi du 28 mars
2011 permettant la prise de participation financière, au sein des SPFPL,
par des sociétés étrangères, peut-être que l’avenir de l’interprofessionnalité n’est pas seulement national mais également européen. A plus forte
raison, à l’heure où la Commission européenne a fait de l’ouverture du
marché européen de l’audit des comptes annuels et des comptes consolidés l’une de ses priorités, il est possible que les SPFPL constituent une
source d’inspiration pour favoriser la création de réseaux professionnels
européens, mêlant les métiers du chiffre et du droit.
Pour autant, cela ne doit pas justifier, de la part des ordres professionnels,
une mise en retrait quant à l’adaptation de leurs règles déontologiques
respectives relativement à cette nouvelle structure sociétaire. En effet, si
chacune des professions demeure réglementée par ses propres règles
déontologiques, il demeure important qu’elles travaillent de concert pour
dégager un socle commun de règles déontologiques qui règleront des
questions centrales liées notamment à l’identification et au traitement des conflits d’intérêts
ou encore au respect du principe de confidentialité. Ces règles doivent être de nature à rassurer le client quant aux pratiques suivies par cet
ensemble de professionnels.
Par ailleurs, certains aspects pourraient créer
des situations potentiellement problématiques
comme, par exemple, la détermination des participations au sein de la SPFPL qui pourraient générer des difficultés en termes de gouvernance. De
Indépendamment des difficultés techniques potentielles, il semble que le
frein le plus important au caractère effectif de l’interprofessionnalité soit,
paradoxalement, le facteur psychologique. Sortir des habitudes d’exercice
professionnel n’est pas chose aisée. C’est pour cela qu’il est important de
dépasser l’aspect capitalistique pour favoriser l’interprofessionnalité dans
son ensemble et ce dès la formation des futurs professionnels du droit et
du chiffre mais également en cours d’exercice en simplifiant, par exemple,
les passerelles permettant de passer d’une profession à une autre. En
outre, envisagées du point de vue des jeunes professionnels, les SPFPL
peuvent être un vecteur favorisant l’établissement professionnel, voire
même de transmission de clientèle.
Ghislain Guillaume
Chargé d’études - IEPJ
François Humbert, Philippe Ferrari, Hervé Chémouli, Patrick Sannino et Jean-François Richard.