l`interet des indicateurs de performance dans la

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l`interet des indicateurs de performance dans la
Colloque SHF - Paris - Septembre 2002 - Lætitia Guérin-Schneider - L'intérêt des indicateurs de performance dans la gestion des services d'eau et
d'assainissement
L'INTERET DES INDICATEURS DE PERFORMANCE
DANS LA GESTION DES SERVICES D'EAU ET
D'ASSAINISSEMENT
Lætitia GUERIN-SCHNEIDER
Laboratoire Gestion de l'Eau et de l'Assainissement,
Ecole Nationale du Génie Rural, des Eaux et des Forêts
RESUME
En France, la gestion des services d'eau et d'assainissement a connu des changements importants au cours
des vingt dernières années. Il est devenu évident que l'exploitant, qu'il soit d'ailleurs public ou privé, doit
désormais rendre des comptes sur son activité et tenir ses engagements non seulement en terme de prix, mais
aussi en terme de contenu du service. Le renforcement de la régulation et de la transparence dans le secteur
de l'eau est d'autant plus important que l'augmentation du prix de l'eau a été mal acceptée par les usagers.
Cet article fait le point sur l'introduction possible de la mesure de performance par indicateurs dans les
services d'eau, sur les apports que l'on peut en attendre et sur les applications en cours en France,
notamment pour la régulation impliquant les collectivités locales.
ABSTRACT
In France, the fields of water and sewerage services have undergone great change over the past twenty
years. It is now obvious that the operator, either public or private, has to account for his activity and has to
fulfil his commitment, not only in terms of price, but also in terms of the content of the service.
The reinforcement of regulation and transparency is all the more important in France because the price
increase has been badly accepted by the users.
This article reviews the possible introduction of performance measurement by indicators in the water
services and underlines the prospect and the current applications in France, notably for the regulation
involving local authorities.
I. PRESENTATION DES ENJEUX
I.1 La remise en cause des services d'eau en France
Les services d'eau ont connu une crise d'image durant la dernière décennie. L'augmentation du prix
de l'eau, dans un contexte parfois troublé, a alerté bon nombre de consommateurs sur les conditions
de gestion de leurs services. Ils se sont soudain mis à douter de la réelle prise en compte de l'intérêt
général.
Pourtant, l'apparition de telles difficultés n'a rien d'étonnant dans la situation que connaît le secteur
de l'eau en France qui, par essence, est un monopole naturel. Malgré les progrès introduits dans la
procédure de délégation par la loi Sapin en 1993, la concurrence initiale reste limitée. Le
déséquilibre d'information et de compétences entre les élus locaux, responsables de l'organisation
des services, et les opérateurs, renforce encore un peu plus le risque potentiel de privilégier l'intérêt
privé, et notamment la recherche de l'efficacité économique, au détriment du service public.
Dans ces conditions, pourquoi les difficultés ne se sont-elles révélées qu'au début des années 90 ?
Sans doute parce que la finalité du service public a évolué, sans que ne se renouvellent les
mécanismes d'incitation mis en jeu par les collectivités, face aux opérateurs [1].
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d'assainissement
Pendant toute la période de l'après-guerre, dans le contexte de la reconstruction, l'objectif du service
public était quantitatif. Il fallait assurer la desserte la plus large possible. L'intérêt de l'opérateur,
concessionnaire, convergeait avec celui du service public. Travaillant à ses risques et périls, il
devait accroître la desserte pour augmenter sa recette. Désormais la majorité de la population est
raccordée. L'enjeu est devenu qualitatif : améliorer la qualité de l'eau ou de la dépollution, mais
aussi les services aux clients et la gestion du patrimoine. Dans ce contexte, l'amélioration du service
coûte à l'exploitant, sans contribuer aux recettes. Quelle motivation demeure pour améliorer la
qualité tout en limitant les prix ?
Le développement de nouveaux outils de gestion destinés aux collectivités apparaît donc utile pour
améliorer la maîtrise des élus sur leurs services et garantir la prise en compte des nouveaux objectifs
qualitatifs des services publics. C'est un complément à un autre type d'initiatives, déjà mises en
œuvre par les exploitants eux-mêmes, que sont les démarches qualités.
I.2 L'intérêt de renouveler les outils de régulation des services d'eau
Les démarches qualité (certification ISO 9000 notamment), sont incontestablement une réponse des
exploitants des services d'eau pour témoigner de leurs efforts pour prendre en compte la qualité du
service et donc pour satisfaire les nouveaux objectifs évoqués ci-dessus. Pourtant, ces démarches ne
sont pas suffisantes. Tout d'abord, elles sont organisées en interne par l'exploitant, sans que les
objectifs soient forcement validés par la collectivité. Surtout, le principe des certifications de type
ISO 9000 est un contrôle des processus, c'est à dire des moyens mis en œuvre. L'engagement ne
porte donc qu'indirectement sur les résultats obtenus.
La régulation des services publics, mis en œuvre par la collectivité locale elle-même, et orientée
vers les résultats est donc bien une initiative distincte, utile pour améliorer la gestion des services
d'eau. Elle contribuera à restaurer leur image en prenant mieux en compte l'intérêt général.
L'enjeu de la régulation n'est pas seulement le prix et le suivi des coûts, comme on a trop souvent
tendance à le penser. L'engagement sur le prix ne vaut rien sans un engagement sur le contenu du
service. La mise en place d'indicateurs de performance, non financiers, est un moyen d'avancer dans
ce sens.
II. INTRODUIRE LA MESURE DE PERFORMANCE DANS LA REGULATION LOCALE DES
SERVICES D'EAU
II.1 Des indicateurs de performance pour faire quoi ?
L'introduction d'indicateurs de performance mesurant les résultats du service ouvre de nombreuses
perspectives, en terme de définition du contenu du service, de pilotage par la collectivité,
d'incitation à l'amélioration et enfin de communication vers les usagers (cf. figure 1).
Définition
Formuler les objectifs
du service
Communication
Informer les
consommateurs
Pilotage
Suivre les résultats
du service et leur
évolution
Pseudo-concurrence et
incitation
Comparer les services
pour compenser la
dissymétrie d'information
Figure 1 Les étapes clefs d'utilisation des indicateurs de performance
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Jusqu'à présent, dans le cas de la délégation ou a fortiori dans le cas de la régie, où aucun contrat
formel n'est écrit, la traduction concrète des principes de services publics était souvent exprimée en
termes flous. Les indicateurs permettent de préciser les objectifs à atteindre. En choisissant une liste
d'indicateurs, avec des valeurs cibles traduisant les divers engagements, la collectivité explicite ce
qu'elle attend du service. Les indicateurs sont ainsi un outil de contractualisation ex ante.
Ils sont aussi un outil d'adaptation mutuelle en cours de contrat. Une fois les indicateurs fixés, la
collectivité est en mesure de suivre l'évolution annuelle du service. Les dérives sont repérées et les
progrès mis en évidence. La collectivité peut alors engager un dialogue objectif avec l'exploitant
pour obtenir des explications complémentaires et déboucher sur des décisions visant l'amélioration
du service.
En même temps, les indicateurs, à partir du moment où ils sont partagés entre de nombreuses
collectivités, rendent possibles des comparaisons. Ces comparaisons vont apporter à chaque
collectivité des informations qui éclairent leurs propres résultats. Elles créent une émulation qui
incite à la performance.
Les indicateurs sont enfin un outil d'information des consommateurs qui sont de plus en plus
attentifs à la gestion des services d'eau. Ils révèlent des améliorations qui étaient difficilement
perçues par l'usager. Par exemple, la donnée de trois indicateurs simples (taux de renouvellement du
réseau, pertes par kilomètre et taux d'interruption de service), souligne l'impact positif sur les fuites
et sur la continuité du service de travaux qui concernent les conduites et qui donc ne sont pas
visibles. Cette nouvelle forme de transparence fait intervenir l'effet de réputation et renforce le désir
de l'exploitant d'améliorer la qualité du service.
Il semble donc bien que l'introduction de la mesure de performance soit propre à améliorer la
maîtrise des services d'eau par les collectivités locales, en introduisant des échanges plus riches et
en renouvelant les incitations.
II.2 Passer de la théorie à la pratique : construction d'un outil opérationnel
En s'appuyant sur une participation à plusieurs groupes de travail impliquant des acteurs de terrain
(notamment à l'AFNOR et au Ministère de l'Agriculture), nous avons traduit le principe de mesure
de performance dans un outil de régulation concret [2].
Ces discussions ont débouché sur une liste d'indicateurs respectant plusieurs principes :
- privilégier des indicateurs centrés sur les résultats, puisque c'est la réalisation des missions de
service public et le respect des engagements qui sont visés. Les indicateurs de moyens n'ont été
utilisés que pour les éléments liés à la pérennité du service, qui sont des résultats futurs, non
observables directement,
- couvrir tous les principaux aspects du service de manière à éviter un effet pervers classique qui
consiste à n'améliorer que les éléments sur lesquels on se sent jugé,
- privilégier les indicateurs simples, clairs et peu coûteux à mesurer,
- proposer un panel d'indicateurs adaptables localement, en ouvrant la possibilité d'un choix parmi
une liste, pour tenir compte de la diversité des situations et des priorités locales tout en limitant le
nombre des indicateurs mesurés.
Au nom du pragmatisme, quelques compromis par rapports à ces principes ont été adoptés. Mais
ces légères adaptations sont finalement la condition pour aboutir à un consensus. L'important était
d'obtenir une liste de définitions, acceptée de toutes les parties prenantes et applicables sur le
terrain. L'enjeu est important : un panel partagé pourra être largement mis en œuvre et rendre
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possible la capitalisation des informations, le développement des compétences et, finalement, les
comparaisons.
La liste des indicateurs est une première étape : elle constitue le vocabulaire élémentaire pour
décrire la performance du service. Mais les indicateurs ne prennent tout leur sens que dans le cadre
d'une syntaxe, définie par des règles permettant d'associer des indicateurs de manière cohérente. En
effet, un indicateur isolé est le plus souvent difficile à interpréter. Que dire d'une station d'épuration
ayant un mauvais taux d'extraction de boues, c'est à dire n'éliminant pas la pollution escomptée ?
Est-ce lié à un sous-dimensionnement des installations, à la présence dans les effluents d'eaux
parasites perturbant le traitement ou bien à un défaut d'exploitation ? C'est le regroupement
pertinent de plusieurs indicateurs (taux de charge de la station, taux d'eaux parasites, rendement
épuratoire…) qui va permettre d'analyser la situation, de remonter aux responsabilités et de
déboucher sur des recommandations.
Pour chaque type de service, eau (E) ou assainissement (A), cinq tableaux de bord ont ainsi été
constitués pour traduire les missions fondamentales de ces services publics : continuité, santé
publique, protection de l'environnement, fourniture d'un service au client, pérennité. Le tableau qui
suit présente ces critères de synthèse de manière succincte.
Tableau 1 Les principaux aspects de la performance et les indicateurs liés
Critère (service
concerné)
Commentaire
Concerne la qualité du service immédiatement
perçue par l'usager dans la relation
commerciale qui s'établit avec le service d'eau
Prestation au client (d'où le terme de client).
(E, A)
Ce critère a trait aux traitements des réponses
aux courriers, aux délais de branchement, à la
facturation…
Il concerne avant tout l'exploitation.
A rapprocher du précédent, ce critère donne
Réclamations
une vision globale de la satisfaction des usagers
(E, A)
à travers l'analyse des plaintes.
Concerne l'adéquation entre la ressource et la
Gestion de la
demande, la qualité sanitaire de l'eau, la
ressource en quantité
sécurité de la desserte.
et en qualité
Ce critère mêle des aspects d'exploitation et de
(E)
gestion du patrimoine.
Liste (non exhaustive) d'indicateurs de
performance associés à ce tableau de bord
- Taux de réponses au courrier dans un délai
de 15 jours
- Proportion de lettres d'attente parmi les
réponses dans les délais
- Taux de respect du délai de remise en eau
des branchements existants
- Réclamation récurrente
- Taux de conformité des analyses DDASS
(eau distribuée)
- Taux de conformité des analyses
d'autocontrôle (eau distribuée)
- Durée de restriction à la consommation
(suite page suivante)
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Critère (service
concerné)
Commentaire
Concerne les interruptions de service et l'état
du réseau qui sont liés (fuites pour l'eau ou
Gestion du réseau et
débordements
pour
l'assainissement,
continuité du service
interventions, renouvellement).
(E, A)
Ce critère mêle des aspects d'exploitation et de
gestion du patrimoine.
Concerne les conditions de fonctionnement et
l'efficacité du traitement épuratoire, ainsi que la
Gestion de la station
filière d'élimination des boues.
d'épuration (dont
Les aspects environnementaux sont pris en
boues)
compte.
(A)
Ce critère mêle des aspects d'exploitation et de
gestion du patrimoine.
Capacité de
Concerne la comptabilité de la collectivité. Ce
financement de la critère dégage les capacités de financement
collectivité
pour juger de la pérennité économique du
(E,A)
service (capacité à investir).
Liste (non exhaustive) d'indicateurs de
performance associés à ce tableau de bord
Pour l'eau :
- Indice linéaire de pertes
- Rendement
- Indice linéaire de réparations de conduites
principales pour fuite ou rupture
- Taux de recherche de fuites
- Taux de renouvellement du réseau
Pour l'assainissement :
- Taux de débordements d'effluents dans les
locaux des usagers
- Indice linéaire de réparations de conduites
principales pour fuite ou rupture
- Taux de renouvellement du réseau
- Taux de charge de la station
- Taux d'extraction des boues
- Taux de bilans conformes
- Taux de rejets sans traitement dans le
milieu récepteur
- Taux d'autofinancement potentiel
- Indicateur de flux de dette (annuité de la
dette / épargne de gestion)
- Durée d'extinction de la dette
Ces tableaux de bord ont été testés sur cinq services d'eau et d'assainissement réels, avec le soutien
des Agences de l'Eau et du Ministère de l'Environnement. Des rapports de performance complets
ont été rédigés pour chacun de ces services. A titre d'illustration, un tableau de bord pour le critère
"gestion de la ressource" est présenté en encart, page suivante.
Ce type d'analyse peut déboucher sur une discussion constructive avec l'exploitant et aider la
collectivité à préparer des décisions. Dans le cas donné en illustration, ci-dessous, les suites à
donner consistent par exemple à :
- préciser avec l'exploitant les données de fiabilité insuffisantes,
- lancer des études pour trouver une solution technique à la présence de pesticides,
- lancer des négociations avec le syndicat voisin pour augmenter l'autorisation d'achat d'eau en gros,
- etc.
Le test réalisé sur les cinq collectivités pilotes a fait la démonstration que la plupart des
informations nécessaires au calcul des indicateurs étaient disponibles, ou en voie de l'être. Il a
montré également que les tableaux de bord étaient parlants et permettaient de déboucher sur des
pistes concrètes d'amélioration mais aussi de valoriser les bons résultats obtenus. Ainsi, la mesure
de performance favorise l'augmentation du rapport qualité-prix en jouant sur le facteur qualité.
L'outil est puissant, mais il doit être utilisé avec discernement dans le cadre des comparaisons. Des
typologies devront être constituées pour comparer des services suffisamment homogènes en terme
de complexité.
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********************************************************************************
Exemple de présentation d'un critère sur l'une des collectivités pilotes
1996
1997
1998
Nota
Fiabilité
Intensité de l'autocontrôle (eau distribuée)
1995
Taux de conformité des analyses DDASS
(eau distribuée)
Taux de conformité des analyses
d'autocontrôle (eau distribuée)
1994
Indicateurs suivis
Unité
Gestion de la ressource en quantité et qualité
%
100
70,6
100
100
90,9
(1)
J
%
ND!
ND!
ND!
100
99,5
(1)
J
1000 m³
ND!
ND!
ND!
1,11
1,12
J
j
h
0
44,2
1,09
nb d'analyses /
0
0
0
J
45,5
44,4
43,0
J
1,55
1,15
1,15
K
(2)
Taux de mobilisation de la ressource en
%
78,1
ND!
ND!
90,5
108,
K
(2)
pointe
2
Nota : 1 - non-conformités = atrazine + simazine (la non-conformité réelle est persistante, mais réduite à ces
paramètres)
2 - ratios établis avec le volume distribué lors de la semaine de pointe (1996 à 1998) ou du mois de pointe
(1994, valeur douteuse compte tenu de son mode de détermination)
Durée de restriction à la consommation
Durée moyenne de stockage
Coefficient de pointe
0
44,1
ND!
Commentaires :
La collectivité ne dispose que d'une unique ressource (importation d'eau depuis une autre collectivité).
La présence de traces de pesticides est le seul défaut de qualité repéré dans l'eau distribuée. Dans la mesure
où cette pollution semble persistante, des mesures correctives sont à prévoir (diversifier les ressources,
étendre le traitement…).
En période de pointe, la collectivité est souvent proche du volume maximum qu'elle est autorisée à importer
du syndicat voisin.
Il serait donc utile, soit de revoir les conditions d'importation pour augmenter les volumes mis à disposition de
la collectivité, soit de diversifier les ressources.
Le service dispose globalement d'une durée de stockage confortable qui doit lui permettre de faire face, en cas
d'incident sur le réseau de distribution.
Aucune restriction de service n'a été imposée durant les 5 dernières années.
La réalisation d'analyses d'autocontrôle montre l'attention portée par l'exploitant au suivi de la qualité de
l'eau.
**************************************************************************************
II. 3 Les premières applications sur le terrain
Deux institutions sont actuellement engagées dans l'utilisation des indicateurs de performance
définis à l'ENGREF : le Ministère de l'Agriculture, avec ses services déconcentrés, les Directions
Départementales de l'Agriculture et de la Forêt (DDAF) et l'Agence de l'Eau Artois-Picardie.
Les DDAF interviennent en tant que conseillers auprès des collectivités. Elles sont particulièrement
présentes dans le secteur de la gestion des services d'eau. Ainsi, les DDAF assistent environ 80%
des collectivités de moins de 20 000 habitants, engagées dans une procédure de délégation de leur
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d'assainissement
1
service d'eau ou d'assainissement . Les élus leur confient souvent une mission de contrôle des
délégataires, ou, plus rarement, d'appui à la gestion des régies. Dans ce cadre, les DDAF ont adopté
l'outil de mesure de performance, élaboré avec l'ENGREF. Elles vont ainsi constituer les tableaux
de bord accompagnés de commentaires pour alimenter la relation entre les élus et leurs exploitants.
L'Agence de l'Eau Artois-Picardie a, quant à elle, souhaité enrichir son "observatoire des prix des
services" par des informations sur la performance. Jusqu'à présent l'observatoire ne fournissait que
des données sur le prix. Ces informations conduisaient à des classements arbitraires, qui cachaient
une hétérogénéité forte en terme de conditions d'exploitation et de qualité de service. En intégrant
quelques-uns des indicateurs de performance proposés par l'ENGREF, l'Agence donnera une vision
plus complète du rapport qualité-prix des services.
II.4 Elargir le débat sur la régulation nationale des services d'eau en France
L'adoption des indicateurs de performance sur le terrain est une première étape pour faire évoluer
les pratiques en France. L'enjeu va bien au-delà de la mise en œuvre, localement, de mesure de
performance. Derrière le principe des indicateurs et des comparaisons, c'est la question de
l'organisation globale de la régulation, au niveau national, qui est en réalité soulevée.
Cette question s'inscrit dans un débat très actuel [3 ; 4 ; 5]. La loi sur l'eau adoptée en Première
lecture en janvier 2002, prévoit d'instaurer un Haut Conseil des services d'eau et d'assainissement
qui devra appuyer la gestion locale par les collectivités, notamment par la production de données.
Le travail engagé sur les indicateurs de performance s’inscrit donc dans une dynamique et contribue
à l'alimenter. Les propositions de l’ENGREF en terme de diffusion d’information et de mise en
place d’indicateurs de performances sont d’ailleurs citées dans le rapport Tavernier [6] et suscite
l'intérêt du Ministère de l'Environnement [7].
Si l'on admet que les indicateurs donnant lieu à des comparaisons vont être mis en œuvre dans un
proche avenir, des décisions concrètes en terme d'organisation de la régulation s'imposent. La
mesure de performance suppose d'abord une complémentarité entre le niveau local, en prise avec le
terrain, et le niveau national, seul à pouvoir assurer une large diffusion des informations. L'échelle
nationale est nécessaire pour la définition des indicateurs partagés et pour la mutualisation des
données qui vont permettre de constituer des références représentatives. Par contre, la mise en
œuvre du suivi des services et l'incitation ne peuvent se faire qu'au niveau local. Les élus ont à la
fois la légitimité nécessaire et la capacité d'intervenir dans les quelques 30 000 services d'eau et
d'assainissement français2. Ils sont en mesure d'interpréter les résultats en tenant compte du contexte
du service. Cela ne signifie pas que les élus agissent seuls - ils peuvent se faire aider notamment par
les services déconcentrés de l'Etat - mais ils conservent un pouvoir décisif dans l'organisation du
service. Leurs prérogatives ne sont pas limitées. Au contraire elles sont renforcées par la mise à
disposition d'outils d'expertise nouveaux.
L'utilisation des indicateurs de performance implique également une conception de la régulation
basée sur le pouvoir d'enquête et d'information et non pas sur un pouvoir juridictionnel et
autoritaire. C'est la régulation par coup de projeteur ("sunshine regulation") ou par pseudoconcurrence ("yardstick competition"), chère aux anglo-saxons. Pour diffuser des informations
pertinentes et pour être reconnue et écoutée, l'autorité de régulation nationale doit associer des
compétences techniques, juridiques et financières, spécifiques à l'eau. Ces arguments vont dans le
sens d'une régulation sectorielle.
1
Source : enquête laboratoire GEA - Ministère de l'Environnement (1998-2000).
Une enquête récente de l'IFEN dénombre 16 337 services d'eau et 17 972 services d'assainissement en 1998. Ces
chiffres intègrent les services communaux partiels (par exemple distribution seule ou bien production seule).
2
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d'assainissement
La mise en place de la régulation par mesure de performance débouche ainsi sur un schéma plus
cohérent, impliquant différents acteurs : consommateur, élus locaux, réseaux d'experts et instance
de régulation nationale.
III. Un dernier pas à franchir vers l'incitation : l'intéressement à la performance
Ainsi la mesure de performance par indicateurs portant sur le contenu du service ouvre de larges
perspectives pour renouveler les mécanismes incitatifs, assurant l'amélioration qualitative des
services. Les indicateurs de performance, mobilisés dans la phase de négociation initiale, permettent
de fixer de manière explicite les résultats à atteindre pour mieux assurer les objectifs de service
public. Au cours de la phase d'exécution, les indicateurs deviennent un outil de suivi et en même
temps un support de pseudo-concurrence.
Une dernière étape reste à franchir pour effectuer la jonction entre la régulation sur les résultats
qualitatifs et la régulation du prix : pourquoi ne pas utiliser quelques-uns des indicateurs de
performance comme des facteurs d'intéressement, venant moduler la recette des exploitants. Ce
dispositif réintroduirait l'incitation financière qui demeure un levier souvent efficace et redonnerait
un sens à la notion des risques et périls qui s'est peu à peu érodée. Un travail sur la notion
d'équilibre des services sur la durée d'un contrat et sur les mécanismes d'intéressement contractuels
est d'ores et déjà engagé3.
Bibliographie
[1] Grand d'Esnon A. et Guérin-Schneider L. (2000). “Délégation de service public - Vers de
nouveaux indicateurs de performance.” Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment 5062, pp
96-98.
[2] Guérin-Schneider L. (2001). Introduire la mesure de performance dans la régulation des
services d'eau et d'assainissement en France - Instrumentation et organisation. Thèse de gestion,
ENGREF, 447 p.
[3] Haut Conseil du Secteur Public (1999). Quelle régulation pour l'eau et les services urbains.
Paris 129 p.
[4] Institut de la Gestion Déléguée (2000). La régulation des services publics locaux - Table ronde.
Paris 112 p.
[5] Martinand C. (2001). La maîtrise des services publics urbains organisés en réseaux. Conseil
Economique et Social, Les éditions des journaux officiels, 125 p.
[6] Tavernier Y. (2001). Rapport d'information n° 3081 déposé par la commission des finances en
conclusion des travaux d'une mission d'évaluation et de contrôle par M. TAVERNIER sur le
financement et la gestion de l'eau. Assemblée Nationale.
[7] ENGREF et OIEau (2001). Mesure de performance et régulation des services d'eau et
d'assainissement - Information, contrôle ou incitation ? Fondements et pratiques françaises et
internationales, Actes du colloque, 17-18 septembre 2001, Montpellier, France, 253 p.
3
Projet de recherche du laboratoire GEA de l'ENGREF en collaboration avec Service Public 2000 et l'Ecole Nationale
Supérieure des Mines de Paris.