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Réconcilier éducation et emploi
Témoignage
« Se soucier
de l’emploi fait partie
de notre mission »
Propos
recueillis par
Charlotte Cabaton
Philippe Destelle est professeur de sciences économiques et sociales au lycée
Jean Renoir de Bondy. Le témoignage qui suit est le fruit de l’expérience qu’il a
accumulée ces dernières années dans le cadre des conventions d’éducation prioritaire
qu’il a développées avec Sciences-Po et de l’expérimentation qu’il coordonne depuis
2005. Comme il le souligne, tout le monde à des choses à dire sur l’école, parce que
tout le monde y est passé, et, un jour ou l’autre, devient parent d’élève. Mais peu de
gens la connaissent vraiment et voient qu’elle ne cesse de se transformer, au rythme
de la société qui la porte.
Les mondes de l’école et de l’entreprise ontils été déraisonnablement cloisonnés ?
Philippe Destelle – L’école n’est que
l’image de la société. Et elle évolue avec
elle. Ainsi, si ce cloisonnement a été
bien réel pour des raisons historiques,
idéologiques, politiques, le débat me
semble aujourd’hui globalement clos.
De chaque côté, on ressent cette volonté
de retisser le lien social entre l’école et
l’entreprise et c’est cela qui m’importe.
Mais parce qu’on s’est ignoré déraisonnablement trop longtemps, cela se révèle
souvent difficile et long. Le meilleur
moyen d’avancer et de faire taire les critiques est de s’appuyer sur des personnes
volontaires et des réalisations concrètes.
Considérez-vous que préparer les lycéens
à leur vie professionnelle future fait partie
de la mission éducative des enseignants ?
Ph. D. – L’orientation fait partie de la
mission de tout enseignant – les textes
officiels l’indiquent clairement. Ainsi, au
lycée, l’équipe pédagogique et plus précisément les professeurs principaux ont
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« Se soucier de l’emploi fait partie de notre mission »
en charge d’accompagner la réflexion
des élèves sur leur avenir. Or on ne peut
remplir cette mission qu’en se souciant
de l’emploi et donc de l’éducation à la
vie professionnelle. Cela répond d’ailleurs à une demande très forte des élèves
et de leurs parents. Et nous ne pouvons
pas l’ignorer. Au lycée Jean Renoir, il y a
une journée « Entreprise » par semaine
pour les élèves de deux classes technologiques : ce jour-là, ils s’habillent
tous – enseignants compris – comme
s’ils devaient se rendre à un entretien
d’embauche. La consigne a d’ailleurs
été la même pour les cinq carrefours des
métiers que nous avons organisés.
Le système et les méthodes éducatives vous
semblent-t-ils suffisamment réactifs ?
Ph. D. – Dans les lycées beaucoup de
choses se font, mais peu de gens le
savent. Je crois davantage aux réformes
qui ne sont pas imposées d’en haut mais
qui partent de la base et qui se diffusent
par capillarité d’établissement à établissement, cela grâce à l’engagement
des enseignants qui les portent et qui,
notamment via Internet, peuvent les
faire connaître. Mais, une fois de plus,
cela demande de l’énergie, du temps et
du suivi.
Faire bouger le système est difficile
mais les moyens existent : l’article 34
de la loi d’orientation scolaire de 2005
permet à tout enseignant d’expérimenter et dans chaque rectorat une cellule
s’occupe de l’innovation pédagogique
et de sa diffusion. Autour de l’expérimentation que nous menons au lycée
Jean Renoir depuis 2005, avec le soutien
de Sciences-Po, s’est constitué un réseau
de dix établissements qui partagent
régulièrement expériences, difficultés,
carnets d’adresses et mettent sur pied
des projets communs.
Vous croyez beaucoup aux vertus de la
pédagogie de projet et du tutorat…
Ph. D. – La pédagogie de projet donne
beaucoup de liberté. Développant le travail en groupe, elle permet l’ouverture,
la créativité, développe l’estime de soi et
donne souvent de très bons résultats sur
les élèves qui s’y investissent d’ailleurs
plus facilement, n’étant pas évalués sur
des acquis antérieurs et sur des niveaux
académiques. Et ils ne comptent pas
leurs heures pour réaliser leurs projets.
Nous exigeons que la réalisation de ces
travaux soit originale et qu’elle s’appuie
sur des contacts extérieurs au lycée. Dès
le début de l’expérimentation, en 2005,
nous avons généralisé les projets d’ouverture culturelle, vers l’entreprise, vers
l’ensemble de la société civile. Le tutorat
que nous avons développé, même s’il est
difficile à mettre en place, donne toujours de très bons résultats. Pour nos
élèves, la rencontre avec des cadres supérieurs apporte toujours du positif. Loin
du discours des parents ou des profs, elle
contribue à la maturation des ambitions
des élèves.
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Réconcilier éducation et emploi
Vous encouragez, par la rencontre, la
découverte des métiers et des parcours
professionnels. Donner envie, c’est avoir
fait la moitié du chemin ?
Ph. D. – L’exemplarité des parcours que
nous proposons aux élèves, soit au cours
du tutorat, soit durant les carrefours des
métiers ou les conférences avec des professionnels, agit parfois pour certains
comme un déclic et ils se mettent en
marche. Mais ce n’est réellement qu’en
multipliant ces rencontres que les jeunes,
petit à petit, se projettent dans l’avenir.
Les vendanges sont tardives : à cet âge la
maturation est lente et pour eux l’orientation est difficile. Ne sachant pas pour
la plupart qui ils sont, il leur est compliqué de savoir où aller. Tout ce qui contribue à construire leur identité – l’aspect
concret d’un projet ou d’un engagement,
les rencontres – les rattache à la société
et leur permet d’y trouver leur place.
Pour plus d’informations, visitez le site
du lycée Jean Renoir (http://jean-renoirbondy.info/).
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