Renoir au XXe siècle par Sylvie Patry, commissaire de l`exposition
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Renoir au XXe siècle par Sylvie Patry, commissaire de l`exposition
Renoir au XXe siècle par Sylvie Patry, commissaire de l’exposition Galeries nationales du Grand palais jusqu’au 4.01.2010 « Je commence à savoir peindre. Il m’a fallu plus de cinquante ans de travail pour arriver à ce résultat, bien incomplet encore », déclare le peintre Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) en 1913. Salué comme une figure emblématique de l’impressionnisme des années 1870, il est aussi admiré pour sa capacité à avoir dépassé et renouvelé un mouvement de plus en plus largement accepté. A l’instar de ses contemporains et amis Cézanne et Monet, il est une référence pour de jeunes générations d’artistes. Picasso, Matisse, Bonnard ou Denis professent leur admiration pour le maître, et en particulier pour sa « dernière manière », celle du tournant du XXe siècle. De grands amateurs de l’art moderne, tels Leo et Gertrude Stein, Albert Barnes, Louise et Walter Arensberg ou encore Paul Guillaume, collectionnent Renoir aux côtés de Cézanne, Picasso ou Matisse. Depuis, l’appréciation du « dernier Renoir » a bien changé… Après les combats de l’impressionnisme Renoir remet en cause vers 1880 les préceptes du mouvement au profit du retour au dessin et du travail en atelier, en référence avouée au passé. Ce moment de crise et de tâtonnement s’achève à l’orée des années 1890, qui ouvrent la voie à la reconnaissance publique, institutionnelle et commerciale de l’artiste. Sans renier l’impressionnisme, Renoir invente alors un art qu’il veut classique et décoratif. « Peintre de figures » comme il aime à se définir, Renoir désigne tout particulièrement le nu féminin, le portrait et les études d’après le modèle, en atelier ou en plein air, à des expérimentations novatrices. Artiste en perpétuelle quête, promis au défi, Renoir veut se mesurer aux grands tels Raphaël, Titien et Rubens. Renoir définit un point d’équilibre entre objectivité et subjectivité, entre tradition et innovation, à la source d’une modernité classique. Aussi l’exposition est-elle construite selon une double perspective : faire redécouvrir une période et des aspects méconnus de l’œuvre de Renoir (peintures décoratives, dessins, la sculpture,…), tout en évoquant le rayonnement de son art dans la première moitié du XXe siècle en France. Ces nus, portraits et études de modèles ont pour certains appartenu à Matisse ou Picasso. Sont réunies, un certain nombre de photographie. Certaines sont présentées au public pour la 1ère fois ; toutes livrent une biographie vivante de l'artiste et permettent de mieux comprendre son cadre de vie et de travail, en particulier lorsque la maladie articulaire de l'artiste qui affecte ses mains s'aggrave jusqu'à le priver de l'usage de ses jambes. Renoir est né le 25 février 1841 à Limoges. Sa famille s'installe à Paris dès 1844. Peintre sur porcelaine, il décide de s'inscrire à l'atelier de Charles Gleyre en 1861, où il rencontre Bazille, Sisley et Monet. Il complète sa formation à l'Ecole des Beaux-arts et au musée du Louvre où il copie régulièrement. En 1864, il fait ses débuts au Salon. En 1874, il participe activement à la préparation de la 1ère exposition impressionniste. Il y présente 7 œuvres aux côtés de Monet, Pissarro, Cézanne, Sisley et Morisot. Cependant, malgré d'éclatantes contributions (Bal du Moulin de la Galette en 1877), il s'éloigne du groupe. La rupture avec l’impressionnisme avant 1890 - 1892, un nouveau départ ? Au début des années 1880 se produit, de son propre aveu, comme une « cassure » dans son œuvre. Il remet en cause les principes mêmes de l'Impressionnisme que sont le plein air, le goût des effets transitoires, les sujets modernes et la touche rapide et esquissée. Les recherches des années 1880 déterminent son œuvre ultérieur. Danse à la campagne et Danse à la ville sont emblématiques de cette évolution alliant monumentalité et vocation décorative à un sens nouveau de la forme : autant de caractéristiques essentielles pour la suite et prisées de plus jeunes artistes, comme Picasso (La Danse villageoise). Ce moment ouvre la voie à une reconnaissance publique, institutionnelle et commerciale inédite pour lui. En 1892, le marchand Paul Durand-Ruel lui consacre une importante rétrospective. Les chefs-d'œuvre alors réunis, tels Danse à la ville et Danse à la campagne, font le succès de cette manifestation, admirée par de jeunes artistes comme Maurice Denis. Cette même année, pour la 1ère fois, l'Etat français achète une œuvre de Renoir, Jeunes filles au piano. S'il n'est pas accepté sans mal, ce tableau appartient à un genre qui devient une des clés de son succès, mettant en scène d'élégantes et douces jeunes filles dans l'esprit de la peinture du XVIIIe siècle. Après le dessin un peu sec des années 1880, la touche de Renoir s'assouplit. L'artiste renoue avec le nu, cherchant à concilier les acquis du plein air impressionniste avec la tradition de la sculpture antique et des maîtres du XVIIIe siècle, comme Boucher. Intimité de la peinture Si Renoir a pris ses distances avec l'impressionnisme dès la fin des années 1870, il reste en contact avec les membres du groupe, Cézanne ou Monet, Degas et Morisot. Chez cette dernière ou chez le peintre Henry Lerolle, il fréquente les cercles artistiques, musicaux et littéraires liés au mouvement symboliste des années 1890. Ces critiques et poètes, au premier rang desquels l'ami Mallarmé, goûtent la puissance d’évocation de l’œuvre d’un peintre de plus en plus détaché de la réalité immédiate. Renoir recherche dans les effigies d’êtres chers un sens de l’intimité et de l’harmonie. Le 14 avril 1890, il a épousé Aline Charigot. Avec la naissance de ses 3 fils, Pierre en 1885, Jean en 1894 et Claude en 1901, le cercle de famille s'élargit et devient une inépuisable source d’inspiration. Renoir multiplie les portraits de ses enfants, souvent concentrés dans leurs jeux et accompagnés de leurs bonnes. Une famille entre ainsi en peinture. Rodin et la sculpture A l’aube de sa vieillesse, il modèle de ses propres mains le portrait de son dernier fils, Claude, dit Coco, en médaillon puis en buste. Ces œuvres fraîches et quelque peu naïves sont à usage intime, il ne les expose pas et ne les commercialise pas. Sont réunis un ensemble de photographies des années 1895-1917. Séduit par les premières sculptures de Renoir, le marchand Vollard l’incite à poursuivre dans ce domaine. Sur les conseils de Maillol, il demande au jeune sculpteur catalan Richard Guino de l’assister car ses mains ne lui permettent plus de modeler lui-même. La collaboration à la fois intellectuelle et matérielle entre les deux artistes est très fructueuse. Elle dure de 1913 à 1918. Les sculptures sont pour la plupart dans la même veine mythologique que les peintures, dont elles procèdent. Ainsi, la Vénus en ronde-bosse puis le relief du Jugement de Pâris ont pour origine des tableaux et des dessins. Les modèles sont de type populaire, traités avec naturel, dans un esprit méditerranéen et intemporel : une lavandière rince son linge, un berger entretient un brasero. Seule L’Eau a été traduite en grand format. Monumentalité et fraîcheur se conjuguent dans ces statues modelées par Richard Guino, par larges plans qui accrochent la lumière et garantissent un rendu opulent et sensuel. Le bronze restitue cette vigueur première. « C’est le peintre qui fait le modèle » (Renoir) A l'exemple de Raphaël et de l'art antique, Renoir veut peindre simple et grand. Il rêve également d'une peinture sans sujet : « échapper au motif, éviter d'être littéraire et pour cela choisir quelque chose que tout le monde connaît ; encore mieux pas d'histoire du tout. » Ce vœu s'exprime par une série de figures essentiellement féminines peintes en atelier. Gabrielle, nourrice de Jean, prête souvent ses traits car Renoir veut éviter les modèles professionnels et les poses convenues. Il privilégie les gestes ordinaires, la coiffure, la lecture, la couture, sans chercher à transcrire de façon réaliste un instantané du quotidien. Cette mise en scène lui garantit l’entière disponibilité du modèle absorbé dans sa tâche. Ces sereines couseuses ou liseuses se détachent sur des fonds neutres et vibrants ou sur de discrets éléments de décors stylisés - papier peint, rideaux - au service d'une atmosphère méditative. Le défi du nu et de la tradition A partir des années 1890, Renoir revient, pour ne plus l’abandonner, au nu féminin qu’il met en scène dans un cadre atemporel. Il veut se mesurer aux maîtres du passé qu'il admire, tels Raphaël, Titien ou Rubens. Pour cela, il s’attache de façon régulière et obstinée à un nombre limité de thèmes - baigneuses, nus dans l’atelier, Vénus… -, réglant la chorégraphie de ses nus sur des attitudes empruntées à la statuaire antique. Pour Renoir en effet, « la femme nue sortira de l'onde amère ou de son lit, elle s'appellera Vénus ou Nini, on n'inventera rien de mieux ». Baigneuses et sources sont autant de motifs investis de façon obsessionnelle par l’artiste, qui associe fortement la femme à la nature et à la fécondité. Aux yeux des contemporains, ces tableaux scellent le succès de Renoir comme le grand peintre du nu et de la sensualité au début du XXe siècle. Le rêve méditerranéen Renoir, qui souffre de crises de polyarthrite de plus en plus fortes et rapprochées, séjourne dans le Sud de la France pour apaiser ses douleurs. Après avoir séjourné à plusieurs reprises à Cagne depuis 1898, il s'installe en 1908 dans une maison qu'il fait construire aux Collettes, une vaste propriété plantée d’oliviers centenaires. Renoir y peint des paysages en plein air. Il restitue une nature profuse et paradisiaque, privilégiant les compositions denses et saturées, les jeux de couleurs pures. L’exaltation du paysage méditerranéen alimente la rêverie classique du maître. Nombreux sont les artistes, tels Bonnard ou Matisse, qui, se rendant dans le Sud, font étape aux Collettes. Après la mort de Cézanne à Aix-en-Provence en 1906, Renoir devient le principal représentant de cette tentation méditerranéenne qui s'empare de la peinture française au début du XXe s. « La terre, paradis des dieux » (Renoir) Après 1900, les recherches de Renoir sont dominées par le refus du monde moderne au profit de l'invention d'une intemporelle Arcadie. Peuplé de baigneuses sensuelles, de lavandières, de bergers, de sources et de déesses, cet âge d'or est inspiré par le Midi. Aux yeux de Renoir, la Méditerranée est une terre antique, berceau et dernier refuge d’une mythologie vivante, familière et actuelle. Il s’emploie à faire revivre l'Antiquité à travers des peintures d’imagination où figures et paysage se fondent en une célébration panthéiste et idéalisée de la nature. Pour Renoir la peinture est avant tout décorative ; elle est faite, dit-il, pour « égayer les murs ». Sa formation initiale de peintre sur porcelaine et sa défense obstinée d'une approche artisanale de l'art face à ce qu'il estime être un excès de théories au début du XXe siècle l'encouragent dans cette voie de la décoration. Il n'a jamais été sollicité pour décorer de grands édifices publics mais des collectionneurs lui ont confié leurs murs ou acheté des peintures ornementales. Ce sont généralement des paires, conçues comme des pendants mettant en scène des modèles féminins. Plus généralement, sa recherche de ce qu'il appelle le « sens de la décoration » a contribué à désigner son œuvre à l’attention de nouvelles générations éprises de peinture décorative, tels les peintres nabis ou Matisse. Renoir n'a pas toujours accordé beaucoup de soins à ses dessins qui sont assez mal connus aujourd'hui. L'artiste dessine pour préparer ses tableaux, tester des motifs qu'il reporte parfois au moyen de calque sur la toile, mais aussi de façon autonome. Dans les années 1890-1900, il privilégie la sanguine et le fusain, techniques qui lui permettent d'obtenir un trait souple et vibrant. Les dessins de Renoir étaient parfois visibles dans son atelier. La Coiffure (fond. Barnes) fut propriété de Picasso. Les grands nus A partir de 1905, les nus féminins de Renoir gagnent en ampleur. Les figures vont jusqu'à occuper la toile entière. Le peintre sacrifie la justesse anatomique au profit d'une ligne décorative et de courbes souples. Bien souvent, le corps féminin n’est plus vu sous un angle unique et déterminé, mais il résulte d’une combinaison de points de vue multiples, achevant de détacher l’artiste de l’observation directe de son modèle. Nourris de l’exemple des maîtres (Titien), ses grands nus célèbrent une nature féminine élémentaire. Ils offrent un caractère monumental et archaïque. La libre invention d’un nouveau corps féminin marque notamment Picasso. Le goût du portrait Autour de 1910, Renoir exécute d'importants portraits. Il oscille entre deux voies. Cherchant un effet de naturel et de vérité, il place le modèle dans son univers quotidien. Mais il met aussi le genre à profit pour explorer des compositions parfois complexes où le goût du travestissement autorise un coloris de plus en plus riche et chatoyant. En plein air ou en intérieur, en buste ou en pied, ces portraits rendent souvent des hommages appuyés à la tradition du portrait aristocratique, accordant une noblesse inédite aux effigies de ses enfants par exemple. Ils se caractérisent aussi par leur audace dans les cadrages et les mises en scène, qui expriment la relation de confiance nouée entre le portraitiste et son modèle. Dans les années 1905-1910 en effet, Renoir est délié des impératifs de la commande et peut choisir ceux dont il fait le portrait. Fantaisie et Orient d’atelier Au fil des années, Renoir accorde une place croissante à l’imagination. Une première série commence à la fin des années 1890 autour du thème de la joueuse de guitare, en référence à une Espagne de convention. Renoir ne verse ni dans une fausse authenticité ni dans un pittoresque qui sont souvent de mise lorsque la peinture du XIXe siècle se teinte d'exotisme. Il nous renvoie au contraire à l'univers de l'atelier et à ses artifices suggérant que le modèle est un support à l'imagination du peintre. Plus tard, dans son atelier de Cagnes, Renoir invente un dispositif qui lui permet de donner libre cours à sa fantaisie : il fait poser ses modèles devant des étoffes tendues entre des montants de bois, formant comme une tente de tissus qui inspire au peintre des arrière-plans saturés de couleurs. Ce dispositif sera employé par Matisse à Nice au début des années 1920. Entre 1917 et 1919, Renoir multiplie ainsi les figures de fantaisie, se référant à un Orient imaginaire et aux souvenirs transfigurés de ses voyages en Algérie en 1881-1882. Il rend également hommage à Ingres et à Delacroix. Les Baigneuses, un testament Le travail d’après le motif et les modèles conduit à une recomposition complète et libre du sujet, dont le tableau Les Baigneuses marque le couronnement. Renoir le considère comme un « aboutissement », un «bon tremplin pour les recherches à venir ». Le peintre résume ses recherches autour du nu féminin, associant dans un grand format le thème de l'odalisque allongée à celui du plein air méditerranéen. Comme souvent, il oppose les chevelures sombres et claires de ses modèles. A la blondeur d'une des Jeunes Filles au piano de 1892, s'est substitué l'or des cheveux de Dédée, l'un de ses derniers modèles, future épouse de son fils Jean et actrice de cinéma. A la Première Guerre mondiale qui s'achève, Renoir oppose la conviction profonde que la peinture est « faite pour embellir » comme il le dit à Bonnard. Cette conviction est sans doute ancrée dans son expérience personnelle : la peinture n’est-elle pas ce qui lui permet de braver la solitude et les souffrances physiques des dernières années ? Matisse, qui a vu Renoir peindre ce tableau à Cagnes, y voit le « chef-d’œuvre du peintre », « les plus beaux nus qu'on ait peints : personne n'a fait mieux, personne ». Pourtant 4 ans plus tard, lorsque les trois fils de Renoir offrent ce tableau aux musées français, des réticences se font jour, ouvrant les polémiques autour de la dernière manière du peintre.