UE : Un vent de dérégulation souffle en Europe
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UE : Un vent de dérégulation souffle en Europe
UE Un vent de dérégulation souffle en Europe Le processus de libéralisation du circuit officinal s’accélère en Europe sous la double influence d’évolutions nationales et de la pression de la Commission européenne, qui a lancé des procédures d’infraction contre l’Espagne, l’Italie, la France et l’Autriche. B ien que les politiques de santé restent de la responsabilité des Etats membres (principe de subsidiarité), l’assaut de la Commission vise en particulier les règles de quorum – installation non libre des oicines – et de verrouillage du capital des oicines. Le troisième niveau de dérégulation, qui relève plus de rélexions nationales, est celui du champ du monopole oicinal. La procédure engagée contre l’État français par la Commission européenne concerne la réserve de la propriété du capital des oicines aux pharmaciens, l’interdiction d’exploiter plus d’une pharmacie, l’incompatibilité de cette exploitation avec l’exercice d’autres professions. Et enin, la consultation de l’Ordre dans les procédures d’autorisation d’ouverture. La « menace » n’est pas immédiate en France, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, ayant réairmé devant l’Ordre des pharmaciens les fondamentaux de l’organisation à la française (voir page 16). « Elle a bien clariié la situation, estime Gilles Bonnefond, pour l’Union syndicale des pharmaciens d’oicine (USPO), en tenant des propos d’une très grande clarté et d’une grande fermeté. Elle conirme le monopole à la fois du diplôme de pharmacien et de la pharmacie en tant que lieu d’exercice. Elle a dit qu’elle tiendrait bon sur le capital. Dans le même temps, elle nous demande d’avoir une rélexion sur la façon dont le pharmacien doit délivrer et conseiller la médication oicinale. » Les monopoles en questions L’étude récente du cabinet Eurostaf 1 considère qu’il y a trop souvent confusion entre le monopole oicinal – ce qui n’est vendu qu’en pharmacie – et le monopole pharmaceutique – ce qui n’est vendu que par un pharmacien. Le premier 26 PHARMACEUTIQUES - DÉCEMBRE 2007 concerne « l’organisation du réseau et son économie », alors que le second « est associé à un diplôme et à des compétences ». Dès lors, le fait que le pharmacien exerce dans son oicine ou dans un autre point de vente, dont il est salarié, « n’a pas d’inluence sur la qualité de l’acte de dispensation ». Et le rapport de citer l’exemple du Royaume-Uni, qui montre que l’on peut, « dans un système de distribution très libéral et concurrentiel, valoriser l’acte pharmaceutique et les compétences des pharmaciens diplômés ». Ne sont vendus à l’oicine que les médicaments de prescription et ceux d’automédication qui ne igurent pas sur la liste GSL (General Sale List, médicaments vendus hors oicines). Le système britannique est l’un des plus libéraux, mais il reste « mixte » : l’installation est régulée par un critère démo-géographique (quorum) et le pharmacien est rémunéré directement par le National Health Service en fonction de l’activité de l’oicine. Les chaînes de pharmacie y détiennent 44 % des oicines et sont contrôlées par les poids lourds de la répartition (Alliance Boots, Phoenix, Celesio). Trois grands ensembles coexistent au sein de l’Union. Huit pays gardent un système non dérégulé : France, Espagne, Suède, Finlande, Grèce, Luxembourg, Slovénie et Hongrie. Le modèle repose sur le monopole pharmaceutique, le quorum et la propriété réservée aux pharmaciens titulaires. Dans seize autres Etats membres, le système est mixte avec des combinaisons multiples. Par exemple, l’Autriche, l’Italie et le Portugal ont un critère démo-géographique d’installation, mais pas de monopole pharmaceutique. L’Allemagne n’a ni monopole ni quorum, mais seul le pharmacien titulaire peut être propriétaire d’une oicine, … Enin, cinq Dossier Officine pays ont un système totalement dérégulé (Roumanie, Pologne, République tchèque, Pays-Bas et Irlande). Les répartiteurs sur la brèche DR La Commission estime que le verrouillage du capital des pharmacies est une entrave à la libre circulation des capitaux. Comme le prévoit Eurostaf, en cas d’ouverture du capital aux non pharmaciens, « la distribution oicinale se recomposera principalement sous la pression des répartiteurs full-liners d’envergure européenne ». Ces derniers se disent naturellement prêts à prendre position sur le marché oicinal français, mais jurent leurs grands dieux qu’ils ne seront pas les moteurs d’une telle évolution. Selon Gilles Bonnefond (USPO), « les capitaux adaptés sont des capitaux professionnels avec de vrais professionnels indépendants, à condition que les fonds soient eux aussi limités. Nous sommes pour permettre aux adjoints de rentrer dans le capital et aux entreprises d’être cédées de façon moins coûteuse. Le pharmacien doit être libre des contraintes inancières. Il rend des comptes sur son diplôme à la profession et aux institutions de santé, avant de rendre des comptes à un investisseur ». « Attention de rester dans une logique d’organisation des soins et pas une « logique capitalistique », poursuit-il, sans quoi « il n’y a pas de raison pour que des capitaux chinois en provenance d’Arabie Saoudite ou de Lybie ne viennent demain s’intéresser à la pharmacie française. » 5 000 officines pourraient disparaître La dérégulation aurait plusieurs autres conséquences prévisibles, identiiées par Eurostaf : la suppression du quorum fragiliserait les oicines les moins rentables, au moins 5 000 oicines pourraient disparaître. L’ouverture du capital conduirait Front Syndical Si l’on touche à l’un des trois piliers que sont le monopole, l’indivisibilité de la propriété et de la gérance et la répartition démo-géographique, « c’est l’ensemble du réseau qui s’effondre », estime Jean-Pierre Lamothe pour la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En phase avec ses confrères syndicalistes, il dénonce un risque de déstructuration du réseau et d’appauvrissement des officines de proximité. « L’acte pharmaceutique doit primer sur l’acte marchand », conclut-il. Philippe Liebermann (FSPF) estime de son côté qu’il y a plusieurs autres questions à régler, « comme la notion de soins transfrontaliers, la coordination des soins entre les différents pays ou encore le prix unique du médicament. » Pour l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), Jean Kelber a salué le choix par les députés européens d’exclure les services de santé de la directive Services (anciennement Bolkestein). Il souligne que 70 % des officines en Europe appartiennent à des pharmaciens et s’étonne de la « véhémence » de la Commission. « Nous avons demandé au gouvernement de faire pression sur le Parlement européen pour que la directive santé soit adoptée et que le politique reprenne le pas sur la Commission », conclut Gilles Bonnefond (USPO). à consolider le développement des « enseignes » de pharmacies et amènerait des alliances avec les répartiteurs. Quant à l’ouverture du marché « OTC » à la concurrence, elle entraînerait une érosion du CA des oicines, avec un impact sur les marges qui renforcerait le poids des groupements. Sur ce dernier point, Roselyne Bachelot a ouvert le débat « devant ou derrière le comptoir » et laisse la profession organiser l’ofre de médication oicinale en termes de meilleure lisibilité – sur les prix notamment – et d’exigence de conseil renforcé. Le modèle français résiste, mais pour combien de temps encore ? n Jocelyn Morisson (1) L’avenir du circuit officinal français face à la dérégulation européenne – Eurostaf 2007 Des systèmes hétérogènes France Allemagne Royaume-Uni Italie Pays-Bas Oui Non Non Non Non Nombre d’officines 22658 21551 12466 18036 1825 Densité officinale (nombre hab/officine) 2150 3825 4766 3241 9036 Chaînes de Pharmacies Interdites, mais 70 % des officines en groupements 4 maxi 8% des officines 44 % des officines 2,2 % des officines 25 % des officines CA moyen par officine (K€) 1289 1619 982 1409 2384 Parts de Marché officine (%) 85 84 74 77 77 27,2 23 Rémunération au forfait 24,3 19,6 SOURCE : EUROSTAF Monopole pharmaceutique Taux de Marge officine (en % du CA) 27 DÉCEMBRE 2007 - PHARMACEUTIQUES