Parité politique
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Parité politique
Sineau Mariette (2006) « Parité politique » in Sylvie Mesure et Patrick Savidan Le dictionnaire des Sciences Humaines, Paris, PUF, pp. 850-852. PARITE POLITIQUE Le vocabulaire politique français s’est récemment enrichi d’un concept neuf : celui de parité politique. Il correspond à l’idée d’imposer par la loi l’égalité numérique des deux sexes dans les assemblées élues. Une fois rappelé le contexte dans lequel est née cette demande de droit nouveau, nous tenterons de redonner visibilité aux débats philosophiques et politiques auxquels elle a donné lieu. Puis seront évalués le contenu et la portée de la réforme. L’universalisme républicain en débat La revendication de parité surgit en France, au début des années 90, dans un cercle étroit d’intellectuelles et de militantes féministes. Elles partent du constat qu’après 50 ans d’exercice de leurs droits politiques, les Françaises n’ont qu’un accès restreint aux assemblées élues, faisant les frais d’une sélection partisane privilégiant les notables masculins. Elles en concluent à la nécessité d’une réforme par le haut, qui imposerait aux partis la mixité des investitures. La montée en puissance de cette demande a ensuite été facilitée par un contexte qui lui a été propice. Depuis 1975, les organisations internationales (dont l’ONU) avaient opéré un travail de légitimation des actions positives, les présentant comme outil efficace pour rééquilibrer le pouvoir entre hommes et femmes. Le Conseil de l’Europe a été l’inventeur du concept de « démocratie paritaire », ayant organisé en 1989 un séminaire sur ce thème. CEVIPOF 98, rue de l’Université — 75007 Paris, France [email protected] — Tél. : 33 (0)1 45 49 51 05 — Fax : 33(0)1 42 22 07 64 -1- Au plan national, la crise de la représentation a incité les Français(es) à considérer positivement la demande de parité. Ils y ont vu une occasion rêvée de renouveler les élites comme de restaurer l’image ternie de la politique. Thème saillant de la campagne présidentielle de 1995 (Jacques Chirac promet et crée un Observatoire de la parité), la parité fut promue au rang de projet prioritaire avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1997. Dès sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, Lionel Jospin, Premier ministre, s’engage à inscrire dans la Constitution l’objectif de parité. Le chef de l’Etat, Jacques Chirac, d’abord réticent, s’y est ensuite rallié, conscient du fait qu’il ne pouvait s’aliéner durablement l’opinion sur cette question. Le débat, théorique et politique, qui a précédé la réforme, a alimenté d’intenses controverses sur le sens et le contenu de l’universalisme républicain. La question a d’ailleurs divisé tous les camps : la gauche, la droite, mais aussi les féministes. Certaines ne se sont guère retrouvées dans cette demande réformiste, fort éloignée des valeurs anti-étatiques du mouvement des femmes des années 70. Au nom de l’universalisme, les républicains « orthodoxes » se sont farouchement opposés à la réforme. A leurs yeux, la nation française, celle de tous les citoyens, est une entité abstraite et indivisible. Par définition, elle transcende tous les groupes : classes sociales, sexes, groupes religieux ... Dès lors, la parité, en portant atteinte à l’unité de la représentation, met en danger les soubassements du régime. C’est d’ailleurs sur cette argumentation que le Conseil constitutionnel avait, en 1982, annulé un article de loi fixant un quota de 25 % de femmes sur les listes municipales. Pour stigmatiser la réforme, certains, comme Elisabeth Badinter, n’ont pas craint d’agiter les périls du communautarisme à l’américaine. Ils ont aussi fondé leurs objections sur l’idée que la parité « naturaliserait » la politique, qu’elle renverrait les femmes à leur nature, sinon à leur essence, ce contre quoi s’étaient toujours battu les féministes « égalitaristes ». Si les « universalistes » admettent que la République n’a pas tenu ses promesses envers les femmes, ils trouvent le remède paritaire pire que le mal. Ils lui préfèrent des solutions plus douces (agir par le biais du financement public des partis). Les pro-paritaires ont beau jeu, pour justifier leur demande, de critiquer les carences, pratiques ou théoriques, de l’universalisme républicain depuis la Révolution française. Les un(e)s s’en tiennent à une critique formelle : l’exclusion, de droit ou de fait, dont les femmes ont fait l’objet, est un inachèvement du modèle républicain auquel il convient de remédier. D’autres vont plus loin, considérant que le principe de l’exclusion est au fondement de l’individualisme libéral et qu’à l’égalité abstraite doit se substituer une égalité concrète. La parité est présentée comme différente des quotas, se réclamant, non de la représentation des minorités, mais de l’égalité de statut entre hommes et femmes. N’est-elle pas le seul moyen d’assurer aux femmes l’égalité réelle de candidature, celle-ci étant bafouée CEVIPOF 98, rue de l’Université — 75007 Paris, France [email protected] — Tél. : 33 (0)1 45 49 51 05 — Fax : 33(0)1 42 22 07 64 -2- par les partis français, qui, comme dans toutes les démocraties modernes, détiennent le monopole des investitures. Les paritaristes se défendent de tout « particularisme », affirmant que les femmes ne sont pas une catégorie, mais la moitié de l’humanité. L’universalité de la différence des sexes ne doit elle pas servir à repenser l’universalisme républicain ? Loin de naturaliser les différences hommes/femmes, l’idée de parité tendrait au contraire à les inscrire dans le registre du politique. La revendication a été appuyée par certains juristes, dont Francine Demichel. Interrogeant les fondements du droit et de l’égalité formelle, elle a plaidé pour que le sexe soit pris en compte dans la théorie de la représentation. . La réforme et sa portée Deux lois composent la réforme initiale. La loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 pose dans l’article 3 que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » et désigne les partis (article 4) comme contribuant « à la mise en œuvre de ce principe dans les conditions déterminées par la loi ». Minimaliste, cette révision opère pourtant une rupture symbolique dans la culture républicaine, substituant à une nation souveraine abstraite un ordre bi-sexué. Un an plus tard, la loi du 6 juin 2000 voit le jour, qui tend « à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Elle est souvent appelée « loi sur la parité », bien que le mot ait été banni du texte au profit de celui d’ « égalité ». Elle prévoit deux grands cas de figure : une égalité obligatoire des candidatures (à une unité près), pour les scrutins de liste et une égalité facultative pour le scrutin uninominal des législatives. Dans le premier cas, elle impose en outre aux partis une alternance des candidats de chaque sexe sur les listes, ce qui est une bonne façon d’approcher la parité des élus. L’alternance est stricte pour les élections à un tour (et, depuis 2003, pour les régionales) et par tranche de six pour celles à deux tours. Pour les législatives, la loi se borne à taxer les partis qui ne présentent pas 50 % de candidats de chaque sexe (à 2 % près). La pénalité est déduite de la première partie du financement public (lui-même proportionnel au nombre de voix obtenues au premier tour). Les subsides sont amputés d’un pourcentage égal à la moitié de l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe rapporté au nombre total de candidats. Si un parti présente 30 % de femmes pour 70 % d’hommes, l’écart est de 40 points, son financement sera réduit de 20 %. Complexe, la loi est aussi lacunaire, ne touchant ni les municipales dans les villes de moins de 3 500 habitants, ni les cantonales, ni les sénatoriales dans les petits départements. Le vide juridique touchant aux conseils généraux est surtout regrettable, sachant que ces mandats sont de bons tremplins pour accéder au Parlement. Enfin, la portée de la loi s’est trouvée restreinte par les réformes électorales de 2003 (pour les européennes, sénatoriales et régionales), qui ont réduit le cadre géographique de la proportionnelle. CEVIPOF 98, rue de l’Université — 75007 Paris, France [email protected] — Tél. : 33 (0)1 45 49 51 05 — Fax : 33(0)1 42 22 07 64 -3- Appliquée lors de six scrutins différents, la législation française a engendré une féminisation à deux vitesses. Bon outil pour produire de l’égalité lors des scrutins de liste, elle s’est avérée un piètre instrument d’action positive pour les législatives. Elle a ainsi a entraîné une féminisation accélérée des conseils municipaux et régionaux : les femmes y siègent désormais à quasi parité avec les hommes (47 %). Au contraire, la loi n’a suscité aucune dynamique au sein de l’Assemblée nationale, lieu symbolique du pouvoir républicain : les Françaises n’occupent que 12 % des sièges de députés, ce qui les classe, en janvier 2006, au 84e rang mondial. La loi dite de parité n’a donc réussi ni à gommer les effets discriminants du système uninominal ni à inciter les partis à jouer le jeu paritaire - mission que leur attribue pourtant l’article 4 de la Constitution -. Lors des législatives de 2002, les grandes formations ont préféré payer de lourdes pénalités plutôt que d’investir des femmes en lieu et place des sortants. En 2000, la loi française était une première mondiale, tous les autres pays s’en remettant aux « laissez-faire » des partis pour réglementer les investitures. Aujourd’hui, elle a fait école : la Belgique (en 2002) et le Rwanda (en 2003) ont voté des lois de parité qui, appliquées à des scrutins de liste, ont donné des résultats exemplaires. BIBLIOGRAPHIE • BERENI L. & LÉPINARD É. « ‘Les femmes ne sont pas une catégorie’. Les stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique, vol. 54, n° 1, février 2004, pp. 71-98. • CHOISIR, Femmes. Moitié de la terre, moitié du pouvoir. 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