conquérantes

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conquérantes
À LA UNE
Acquisitions
Des entreprises belges
conquérantes
Nombre de nos fleurons ont dû baisser pavillon devant l’appétit de groupes étrangers
mais il en est d’autres qui laventl’affront. Pour avoir été plus discrètes et souventplus
modestes, leurs emplettes à l’étranger n’en sont pas moins significatives. Nombre d’entre
elles ont changé de taille suite à ces conquêtes. Voici des cas, connus ou... mésestimés.
LA RÉDACTION
Vitrage mondial
L’année 1989 marque un premier tournant à l’international
pour le distributeur automobile:
après trois décennies de partenariat, il devient l’actionnaire
majoritaire d’Avis Europe, entreprise de location de véhicules à
court terme cotée à la Bourse de
Londres depuis 1986. Le groupe
de la rue du Mail renforce sa stature internationale en 1999, alors
que ses ventes excèdent les
100.000 véhicules facturés sur
son marché domestique. La
marque au carrosse vise la reprise
du groupe sud-africain Plate
Glass & Shatterprufe Industries.
Ce dernier possède Belron, le leader mondial dans la réparation
et le remplacement de vitrage de
véhicules, et dépositaire des
marques Carglass, Safelite et
Autoglass. Dicobel, une jointventure entre D’Ieteren et
Cobepa, lance alors son raid en
Bourse de Johannesburg en mettant la main sur la société mère
de Belron. Coût de l’opération:
260 millions d’euros. Quelques
années plus tard, D’Ieteren porte
sa participation à 93%, à la suite
du rachat des actions de Cobepa
et de certains actionnaires familiaux de Belron. Le tout pour 275
millions d’euros.
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Au final, ces deux acquisitions
font des éclats dans les résultats
de D’Ieteren. L’an dernier, les
ventes de Belron ont atteint 2,8
milliards d’euros, soit 40% du
total, tandis que les revenus de
location d’Avis ont généré 1,2
milliard d’euros, soit 21% des
ventes du groupe. Le poids de
Belron dans le résultat opérationnel est bien plus important:
il représente plus de la moitié
du total. Il en va inversement
pour Avis Europe. À noter
encore que Belron pèse 62% du
bénéfice net «part du groupe»
et même 80% du personnel de
D’Ieteren, étant donné que cette
activité est très intensive en
main-d’œuvre.
Zetes
Les petits
ruisseaux...
Cette entreprise bruxelloise
fondée en 1984 est devenue, à
coup d’acquisitions, un acteur
européen important dans une
niche très spécialisée: l’identification automatique. Elle fournit
des systèmes qui permettent à
des Nissan, Carrefour, Aldi et
autres BMW de gérer leurs
stocks à l’aide de code à barres
et de puces radio (RFID). La
société a aussi étendu son activité aux cartes d’identité (y compris en Belgique), aux cartes de
BELGA
D’Ieteren
Les acquisitions d’AB InBev
réalisées à l’étranger au cours
des 20 dernières années représentent quelque 95% de son chiffre
d’affaires!
santé ou aux cartes de paiement
à puce. La majeure partie du chiffre d’affaires de la société, qui
frôlait les 217 millions l’an dernier, a été réalisée hors des frontières, dans 13 pays — ouest-européens surtout mais aussi en
AB InBev
Le super-conquérant
ais où s’arrêtera donc AB InBev?
À l’origine de ce géant de la bière,
devenu le numéro un mondial, on
trouve deux brasseurs belges, Artois (Louvain) et Piedbœuf (Jupille). Les deux frères
ennemis ont eu l’intelligence d’unir leurs
forces en 1986 pour donner naissance à un
champion national, Interbrew. Ce dernier
se lance au début des années 1990 à la
conquête du monde, en procédant à des
acquisitions en Europe de l’Est, au Canada
(Labatt), en Russie, etc. Il renforce ensuite
sa présence en Europe avec trois rachats
M
Afrique. La croissance de Zetes
est fortement alimentée par les
acquisitions. C’est généralement
la manière la plus rapide de
développer de nouveaux marchés ou d’étendre ceux où Zetes
est déjà présent, juge la direction. Car, dans ce domaine, les
clients tendent à rester fidèles à
leur fournisseur. Ainsi, pour
entrer sur le marché grec, le
groupe dirigé par Alain Wirtz a
mis l’an dernier la main sur NetWave, rebaptisée Zetes NetWave. Des entreprises sont
de taille: Whitbread et Bass au RoyaumeUni, et Beck’s en Allemagne. En 2004, le
groupe franchit une étape supplémentaire
et déterminante dans son histoire. Il se
marie avec le brésilien Ambev pour former
InBev. Quatre ans plus tard, le brasseur
belgo-brésilien, emmené par Carlos Brito,
l’actuel CEO, lance une OPA sur le leader
américain Anheuser-Busch pour 33 milliards d’euros afin de donner naissance au
n°1 incontesté de la planète bière. Un pari
risqué mais que le groupe parvient à boucler grâce au soutien financier des action-
3,2
MILLIARDS
D’EUROS
Chiffre d’affaires
actuel d’UCB. D’ici
cinq ans, ses trois
nouvelles molécules
(Cimzia, Vimpat,
Neupro) devraient
peser 3 milliards.
naires belges historiques (réunis autour des
familles Van Damme, de Spoelberch et de
Mévius) et brésiliens. Bien que leur participation se soit quelque peu diluée à l’issue
de la transaction, ceux-ci gardent le contrôle
de la multinationale. Aujourd’hui, le groupe
a toujours son siège social en Belgique, mais
il a installé son quartier général opérationnel à New York. AB Inbev est donc, de très
loin, le groupe belge le plus conquérant: les
acquisitions réalisées à l’étranger au cours
des 20 dernières années représentent
quelque 95% de son chiffre d’affaires!
acquises presque tous les ans.
En 2006, Zetes avait fait un bond
en rachetant Peak Europe, un
groupe présent dans 4 pays, qui
réalisait plus de 30 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’année
suivante, le rachat, en France,
d’Interscan permettait d’étendre la présence du groupe dans
l’Hexagone.
Les acquisitions sont aussi un
moyen d’élargir le catalogue des
produits commercialisés ou
d’obtenir de nouvelles technologies. En février dernier, Zetes
a ainsi racheté une entreprise
allemande, Print&Apply, qui
fabrique des étiqueteuses. Il
arrive que le groupe belge ne
rachète pas l’entreprise, mais
uniquement la technologie,
comme c’est le cas avec la société
israélienne ImageID, qui a conçu
une technologie pour lire instantanément des centaines de
codes à barres. Ces petites acquisitions étrangères s’étant multipliées, elles représentent
aujourd’hui plus de la moitié des
ventes de Zetes.
UCB
Le pari de
la biopharmacie
Les observateurs ont longtemps cru, ou espéré, qu’UCB et
Solvay, qui comptent tous deux
la famille Janssen parmi leurs
actionnaires de référence, uniraient leurs destinées pour créer
un champion national. Mais la
vente par Solvay, voici 18 mois,
de sa branche pharmaceutique
a mis un terme définitif à toutes
les spéculations. Depuis cinq ans
en effet, l’Union Chimique Belge
de naguère n’a plus rien de chimique. En 2004, la firme a pris
un virage stratégique historique
en se recentrant sur la pharmacie. Elle a d’abord fait l’acquisition de la biotech britannique
Celltech pour 2,25 milliards
d’euros, avant de se défaire de
ses divisions chimiques (films
et surface specialities) et de mettre sur la table, deux ans plus
tard, 4,4 milliards pour racheter l’allemand Schwarz. Dans la
corbeille, UCB a trouvé des
molécules prometteuses appelées à prendre la relève de ses
deux blockbusters actuels: le Zyrtec (antiallergique) et le Keppra
(antiépileptique), tombés dans
le domaine public. Il s’agit du
Cimzia (traitement de la maladie de Crohn), du Vimpat (antiépileptique) et du Neupro (traitement de la maladie de
Parkinson) dont les ventes ont
représenté 413 millions d’euros
en 2010. Soit un sixième du chiffre d’affaires généré par ses deux
anciennes stars. Mais d’ici cinq
ans, ces trois nouvelles étoiles
devraient peser plus de 3 milWWW.TRENDS.BE | 14 AVRIL 2011 35
≤
À LA UNE
≤ liards d’euros, à comparer au
chiffre d’affaires actuel de 3,2
milliards d’euros. Les deux
grosses acquisitions étrangères
d’UCB représenteront donc à
terme l’essentiel des ventes du
groupe. UCB demeure un petit
acteur à l’échelle mondiale, mais
un leader dans la recherche de
solutions thérapeutiques pour
des patients souffrant de maladies sévères, dans le domaine du
système nerveux central et de
l’immunologie.
Acquisitions
C’est la moitié environ des ventes
du groupe Solvay qui résulte de
la croissance externe récente.
Nyrstar
Depuis mai 2009, Nyrstar
poursuit tambour battant une
politique d’acquisition de sites
miniers. Objectif avoué: ne plus
limiter ses activités à la production de zinc, mais extraire luimême le minerai afin d’assurer
son approvisionnement en
concentrés. Et ce n’est pas
l’échec de la reprise du groupe
minier australien CBH qui a
coupé la soif des acquisitions du
producteur belge. Né en 2007
du regroupement des opérations
de fusion et d’alliage du plomb
et du zinc de Zinifex, une compagnie minière australienne, et
d’Umicore, le numéro un mondial du zinc vise une intégration
minière à 50% à l’horizon 2015.
Pour y parvenir, le fondeur de
Balen s’est offert le complexe
minier Mid-Tennessee Zinc
dans le Tennessee, pour environ 10 million d’euros, ainsi que
trois mines polymétalliques
péruviennes pour 22 millions.
Pour renforcer ses acquisitions de ressources minières, le
groupe s’est récemment tourné
vers la Bourse pour accroître ses
ressources financières. Après
une augmentation de capital
réussie pour un montant d’environ 490 millions d’euros, Nyrstar a signé le plus important
achat réalisé à ce jour: le canadien Farallon Mining, propriétaire d’une mine au Mexique,
pour 296 millions d’euros. Cet
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BELGA
a bonnes mines
achat a permis au géant belge de
renforcer son activité minière à
47% de l’Ebitda en 2011. Toujours en «mode acquisition»,
Nyrstar a déjà dans le viseur des
usines d’affinage ou des mines
polymétalliques situées sur le
continent américain, l’Europe et
l’Australie. L’an dernier, le bénéfice net s’est envolé à 72,2 millions d’euros pour l’exercice
2010, ce qui représente plus de
sept fois celui de l’année précédente.
Delhaize
Le lion qui
a conquis
les Etats-Unis
Freiné dans son développement en Belgique en raison de
l’instauration de la «loi-cadenas», le distributeur a très tôt
misé sur l’expansion internationale pour assurer sa croissance.
En 1974, sous la houlette de Guy
Beckers, petit-fils de l’un des
fondateurs et père de l’actuel
CEO Pierre-Olivier, Delhaize
prend une participation dans la
chaîne de supermarchés américaine Food Town Stores, qui
sera rebaptisée Food Lion en
1983. En 1999, fraîchement
promu aux commandes du
groupe, Pierre-Olivier Beckers
conforte les positions du groupe
outre-Atlantique en rachetant,
au prix fort, la chaîne Hannaford. L’opération endette lourdement le groupe et est vivement
critiquée.
Mais
aujourd’hui, tous s’accordent
pour reconnaître que sans celleci, la filiale américaine n’aurait
peut-être pas survécu aux
assauts du mastodonte WalMart. La société, l’une des rares
entreprises belges à être cotée
à Wall Street, ne s’est pas limitée au marché américain où elle
génère 68% de ses ventes et 71%
de ses résultats. Elle s’est aussi
lancée à la conquête de l’Europe
de l’Est et de l’Asie, via diverses
acquisitions. Avec moins de
réussite toutefois. Le groupe —
dont 20% du capital est toujours
détenu par les familles des fondateurs — s’est dès lors recentré sur la Grèce et la Roumanie.
Le «lion» semble avoir à présent
retrouvé l’appétit. Il vient de
débourser près d’un milliard
d’euros pour mettre la patte sur
le distributeur serbe Delta Maxi,
présent également en Bulgarie,
en Bosnie-Herzégovine, au
Monténégro et en Albanie. Cette
acquisition lui permet de se renforcer dans les Balkans, une
région qu’il considère comme«très prometteuse en termes
de croissance économique et de
dépenses des consommateurs».
La part de la Belgique dans les
ventes, qui était de 23% du total
en 2010, devrait passer sous la
barre des 20% à brève échéance.
Solvay
Cap sur l’Amérique et l’Asie
e groupe chimique a de longue date
le profil d’une multinationale: il était
implanté tant en Russie qu’aux ÉtatsUnis dès le début du 20e siècle. Il était du
genre à avancer lentement mais sûrement plutôt que de signer des OPA et
fusions médiatisées, avant le spectaculaire rachat du français Rhodia annoncé
au début du mois. Au point qu’on pourrait oublier que ce n’est pas la première
opération du genre réalisée au cours de
la décennie écoulée. En mars 2005, le
groupe familial déboursait ainsi 1,3 milliard d’euros pour la firme pharmaceutique française Fournier. Une opération
L
Umicore
Soif de métaux
précieux
Récemment honorée de la cinquième place dans le classement
2011 des entreprises les plus
durables du monde établi par
Corporate Knights, la société
Umicore s’est également illustrée par son profil conquérant.
L’ex-Union Minière du Haut
Katanga, qui s’est transformée
en un groupe mondial spécialisé
en technologie de matériaux, a
d’ailleurs affiché des résultats
2010 en forte progression, marqués par un chiffre d’affaires de
9,7 milliards d’euros (contre 6,9
l’année précédente) et par un
résultat net récurrent de 263 millions (en hausse de 222%). Physiquement présent dans 37 pays,
dont la majorité sur le continent
européen, Umicore emploie
aujourd’hui près de 14.400 personnes dont «seulement» 3.000
en Belgique.
C’est en 2003 que le groupe,
qui a alors changé de nom depuis
deux ans à peine, signe l’un de
ses plus grands coups en achetant au groupe américain OMG,
pour 700 millions d’euros, l’entreprise allemande PMG spécialisée dans les applications de
métaux précieux. Cette acquisition audacieuse — à l’époque,
PMG et Umicore ont quasiment
la même taille en termes de chif-
destinée à gonfler le pôle pharmaceutique de Solvay... vendu quatre ans et
demi plus tard à l’américain Abbott.
Parmi les rares conquêtes notables du
passé, on relève également l’italien Ausimont, acquis en janvier 2002 pour 1,3
milliard de dollars auprès du groupe Edison. Il est venu gonfler le chiffre d’affaires du groupe belge d’un petit demimilliard d’euros. Bien implantée aux
États-Unis, la proie était qualifiée de
«Ferrari des polymères» par les dirigeants de Solvay, un avis visiblement
partagé par les analystes financiers, qui
applaudirent l’opération. Le nouvel
fre d’affaires et de bénéfice —
permet à la société belge de
devenir numéro trois mondial
des pots d’échappement catalytiques.
Dans la foulée, le producteur
belge de métaux et de produits
avancés signera d’autres opérations, comme l’acquisition d’une
participation minoritaire dans
l’entreprise coréenne Duksan
Hi-Metal Company Limited
pour 13 millions d’euros en 2006,
les activités du producteur américain de matériaux de contact
AEMC la même année, l’activité
catalyseurs de l’équipementier
automobile américain Delphi
Corporation pour 75 millions de
dollars en 2007, l’achat d’Imperial Smelting & Refining Co of
Canada Ltd (principal fournisseur de produits en métaux précieux et de services de recyclage
pour le secteur de la joaillerie au
Canada) en 2007 également, ou
encore l’acquisition de la société
indienne Anandeya Zinc Oxides
pour environ 10 millions de dollars en 2008. On l’a compris:
toutes ces acquisitions représentent une grosse majorité du
chiffre d’affaires du groupe.
Carmeuse
Le poids de
l’Amérique
du Nord
D’origine liégeoise et toujours
familial, le groupe vient de fêter
ensemble devenait notamment numéro
2 mondial des fluoro-polymères, derrière DuPont.
L’acquisition de Rhodia est de loin l’opération la plus spectaculaire signée par
Solvay, puisque le groupe français ajoute
5,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires
aux 7,1 milliards affichés l’an dernier.
Compte tenu de Rhodia et d’Ausimont,
mais aussi de quelques rachats moins
importants (dernier en date, en février
dernier: une mine de fluorine en Bulgarie), c’est la moitié environ des ventes
du groupe qui résulte de la croissance
externe récente.
72,2
MILLIONS
D’EUROS
L’an dernier,
le bénéfice net de
Nyrstar s’est envolé:
plus de sept fois
celui de l’année
précédente.
ses 150 ans, à l’issue de quelques
années de rachats importants.
On relève principalement, en
2006, celui du principal producteur de chaux des Balkans,
situé à Doboj, en Bosnie. Après
une modernisation en profondeur, le site a repris sa production en novembre 2008. En
2007, Carmeuse rachète la part
de son partenaire en Turquie.
C’est en 2008 qu’a lieu l’opération majeure: l’achat d’OglebayNorton, groupe implanté aux
États-Unis et au Canada. Rachat
tellement significatif que ces
deux pays représentent aujourd’hui plus de la moitié du
chiffre d’affaires du groupe
belge.
Carmeuse était déjà présent
en Amérique, mais l’OPA hostile lancée sur Oglebay-Norton
par un hedge fund lui offre l’occasion de mettre la main sur
d’importantes ressources complémentaires par une contreoffre amicale. Il surenchérit à
36 dollars l’action, contre 32
pour le prédateur initial, mettant au total quelque 700 millions de dollars sur la table, dette
comprise. Carmeuse est un
acteur majeur, au niveau mondial, dans la production de pierre
calcaire et de chaux, des matières premières utilisées tant
dans la production de verre que
du papier, dans l’épuration des
eaux comme dans l’élaboration
z
de laits pour bébés.
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