La contraception estro progestative de L`adoLescente Qu

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La contraception estro progestative de L`adoLescente Qu
GYNÉCOLOGIE
La contraception estro­
progestative de l’adolescente
Qu’est-ce qui a changé ?
Prescrire une contraception chez les adolescentes comprend une large part
d’information sur la sexualité, la physiologie de la reproduction, les bénéfices
contraceptifs et non contraceptifs des traitements proposés, leurs modalités
Dr Claire Bouvattier,
Endocrinologie pédiatrique,
Hôpital Bicêtre,
Le Kremlin-Bicêtre
d’utilisation et les causes d’échec. L’efficacité de la contraception doit être
excellente dans cette tranche d’âge. En dépit d’une large diffusion de la contraception en France, le nombre de grossesses
non désirées, aboutissant à une Interruption volontaire de grossesse (IVG), continue de progresser chez les jeunes de moins
de 19 ans. Enfin, l’innocuité est en général bonne dans cette population à très bas risque médical (notamment cardiovasculaire et carcinologique compte tenu de son âge), mais le dépistage des contre-indications doit être soigneux et aussi
peu invasif que possible.
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A
l’heure actuelle, dans le monde,
plus de 100 millions de femmes
utilisent une contraception
estroprogestative (1). Il y a peu de
temps, de nombreux articles ont commenté les effets secondaires des pilules
estroprogestatives (EP). Le 26 mars
2013, l’Agence nationale de sécurité
du médicament (ANSM) a dénoncé
la responsabilité des pilules EP dans,
chaque année en moyenne, 2 549 accidents thromboemboliques veineux et
20 décès prématurés de femmes. La
relation entre le risque vasculaire et la
prise de pilule EP est connue depuis
longtemps. La première publication
d’embolie pulmonaire sous pilule date
de 1961. Les pilules EP ont été classées
en “générations”, selon le progestatif
utilisé. Les trois générations de pilules
utilisent le même estrogène, l’éthynilestradiol (EE), à des doses variées. Les
progestatifs de première génération
sont quasiment abandonnés dans les
pilules disponibles à l’heure actuelle en
France. Les progestatifs de deuxième
génération sont le lévonorgestrel et
le norgestrel. Les progestatifs de troisième génération sont le gestodène,
le norgestimate et le désogestrel. Les
médias évoquent des progestatifs de
quatrième génération. Ce terme n’est
pas reconnu sur le plan international.
Cette catégorie regroupe la drospirénone, l’acétate de chlormadinone,
l’acétate de cyprotérone, le diénogest et
l’acétate de nomégestrol.
Risque vasculaire
Toutes les pilules EP sont associées à
une augmentation du risque vasculaire.
Mais que signifie risque vasculaire ? Le
risque artériel lors de la prise d’une pilule EP reste exceptionnel. Des études
épidémiologiques américaines et
danoises ont permis de quantifier
ce risque, qui est respectivement de
0,67 et 0,87 pour 10 000 femmes/an
pour la survenue d’un infarctus ou
d’un accident vasculaire cérébral (2).
Ce risque est particulièrement élevé
chez les femmes qui ont une hypertension artérielle. D’après l’OMS, la prise
de la pression artérielle est le seul geste
Adolescence & Médecine • Novembre 2013 • numéro 6
clinique à effectuer lors de la prescription d’une pilule EP.
Le risque veineux, surtout de phlébite
et plus rarement d’embolie pulmonaire,
est le risque le plus élevé, mais il reste
faible. Il est en moyenne de 4-6 pour
10 000 femmes/an (2, 3). Ce risque est
surtout élevé dans les 12 premiers mois
de prise de la pilule EP, puisque le risque
relatif est compris entre 7 et 12. Ces
évènements surviennent souvent chez
des femmes qui ont des antécédents
familiaux de thrombose et/ou qui présentent une anomalie de la coagulation
sous-jacente, en particulier une mutation du facteur V Leiden. Ainsi, la principale question à poser à la patiente lors
de la prescription d’EP est la notion
d’antécédent personnel ou familial de
phlébite et/ou d’embolie pulmonaire.
Le risque de thrombose augmente avec
l’âge, l’immobilisation prolongée, l’obésité et le tabagisme.
Et les pilules contenant
uniquement des
progestatifs ?
Quelle que soit la classe du progestatif,
elles n’augmentent pas le risque veineux (4).
Quid des pilules de
3e génération et des
pilules plus récentes ?
Les pilules de troisième génération
(contenant du gestodène, du norgestimate ou du désogestrel) exposent
les femmes à un surrisque d’accident
thromboembolique veineux par rapport aux pilules de première ou de
deuxième génération, de 1,7 (IC 95 %
1,4-2,0). Cela est connu depuis des
études épidémiologiques des années
1990 à 2000, et vient d’être confirmé
dans une méta-analyse récente (4).
De plus, ces études n’ont pas démontré de bénéfice supplémentaire des
pilules de troisième génération sur
l’acné, la prise de poids, les nausées,
les mastodynies, la dysménorrhée,
l’aménorrhée ou les métrorragies, elles
n’ont pas de raison d’être prescrites.
Ces données ont amené la Haute auto-
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La contraception estroprogestative de l’adolescente
rité de santé (HAS) à proposer en première intention, lors d’une première
prescription, une pilule de deuxième
génération (5).
Lorsque les EP sont administrés par
voie vaginale ou transdermique, le
risque est identique. Le risque des
pilules contenant des estrogènes
naturels n’est pas encore évalué vu la
disponibilité plus récente de ces molécules.
Les pilules EP contenant de la drospirénone exposent à un surrisque vasculaire par rapport aux pilules de deuxième génération contenant moins de
50 µg d’EE (3, 4).
Et Diane 35® et
ses génériques ?
Le risque veineux des EP contenant de
l’acétate de cyprotérone est identique
à celui des pilules de troisième génération (4). Souvent prescrites comme
pilules contraceptives, Diane 35® et ses
génériques ont été retirés du marché
en France en mai 2013 sur décision de
l’ANSM, à cause des risques de thrombose et d’embolie pulmonaire qu’ils
pouvaient comporter pour les patientes.
La Commission européenne vient de
décider « la remise sur le marché français
du médicament contre l’acné Diane 35®
et de ses génériques, estimant que les bénéfices de son utilisation restaient supérieurs aux risques encourus. La prescrip-
tion de Diane 35® et de ses génériques
sera cependant mieux encadrée et réservée au traitement de l’acné dans le cas où
un traitement local ou par antibiotiques
aurait échoué ». La Commission a exigé
une révision des notices d’utilisation et
imposé une meilleure information sur les
contre-indications de ce médicament.
La supériorité de Diane 35® par rapport
aux pilules EP dans le traitement de l’acné est peu fondée : une revue Cochrane
réalisée en 2012 a évalué l’efficacité des
pilules EP dans le traitement de l’acné.
Sept études ont testé l’association acétate de cyprotérone (CPA) à 2 mg avec 35
µg d’EE, dont quatre étaient des études
randomisées en double aveugle. Ses
conclusions sont que l’efficacité de
Diane 35® dans le traitement de l’acné
est comparable à celle des pilules EP
contenant un autre progestatif (5, 6).
Diane 35® et ses génériques ne doivent
pas être prescrits comme contraceptifs
en raison de leur risque vasculaire. Au
10 janvier 2013, 113 événements
thrombo-emboliques veineux sont
enregistrés dans la base nationale
de
pharmacovigilance
(ouverte
en 1987, date de l’autorisation de
Diane 35® en France). Sur ces 113
cas, 110 concernent des effets indésirables
thrombotiques
veineux
(65 embolies pulmonaires, 38 thromboses veineuses profondes et 10 throm-
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GYNECOLOGIE
boses superficielles) et 3 des effets indésirables thrombotiques artérioveineux.
Diane 35® était impliquée dans 89 cas,
les 24 autres cas concernant des génériques. L’âge médian des femmes atteintes était 24 ans (25 femmes avaient
18 ans ou moins). Le délai de survenue
de l’événement, précisé pour 72 des
113 cas, est dans 67 % des cas inférieur
ou égal à 1 an. La présence de facteurs
de risque est retrouvée chez 59 femmes
(52 %) qui ont au moins un facteur de
risque, clinique chez 40 femmes ou biologique (trouble de l’hémostase) chez
27 femmes (6).
Que conclure
de ces chiffres ?
Il est nécessaire de rappeler que
le nombre de décès en France, en
per et postpartum est d’environ
70‑75 femmes par an. La majorité de
ces décès reste liée à des hémorragies,
mais certains sont liés à une embolie
pulmonaire. Pendant la grossesse et
le postpartum, le risque thromboembolique est plus élevé qu’en dehors
de la grossesse, il est respectivement
20 et 300 fois plus élevé. Les femmes
qui présentent un événement thromboembolique sous EP sont à très haut
risque de phlébite ou d’embolie pulmonaire pendant une grossesse.
Une étude publiée dans le Lancet en 2012 vient de montrer que la
contraception diminue la mortalité
maternelle (7). Les données ont été
obtenues à partir de la Maternal Mortality Estimation Inter-Agency Group
de l’OMS et des données des Nations
unies, incluant 172 pays répartis à
travers le monde. L’utilisation de la
contraception, tous types de contraception confondus, a permis d’éviter
272 040 décès maternels. Cette diminution est essentiellement due à la
diminution des IVG. De plus, si toutes
les femmes de ces différents pays
avaient eu accès à la contraception, il
aurait été possible d’éviter 104 000 décès par an, soit une réduction supplémentaire de 29 %. Cette étude montre
que la prévalence de l’utilisation de la
contraception est directement proportionnelle à la diminution de la mortalité maternelle.
Dans l’évaluation du risque des EP, il
est d’autre part nécessaire de prendre
en considération le risque des grossesses non désirées et/ou les risques
dus aux IVG. En Angleterre, en 1995,
une crise identique vis-à-vis des pilules EP, appelée pill scare, s’est traduite par une augmentation du taux
d’IVG de 15 %. Nous n’avons pas encore de données définitives en France.
Les évaluations récentes rapportent
que depuis décembre 2012, plus de
150 000 femmes, en France, auraient
arrêté leur contraception EP. Certaines
auraient remplacé une EP de troisième
génération par une de deuxième génération. Pour les autres, les ventes de
stérilets et d’implants auraient augmenté, ce qui signe le passage, pour
un certain nombre de patientes, à une
contraception plus efficace ! Enfin, pour évaluer la balance bénéfice/risque des pilules EP, il est nécessaire de prendre en considération
non seulement leur efficacité contraceptive, tout à fait démontrée, mais
aussi les bénéfices non contraceptifs
des pilules EP, en particulier la diminution des douleurs pelviennes, de
l’abondance des saignements, de l’hirsutisme et/ou de l’acné, mais aussi
la diminution du risque de cancer de
l’ovaire chez les femmes ayant pris une
pilule EP.
Les EP sont d’excellents contraceptifs.
Prescrivons mieux, mais n’arrêtons
pas de prescrire les pilules EP.
Mots-clés :
Pilule estroprogestative, Risque vasculaire, Troisième génération, Diane 35®,
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Références
1. Christin-Maitre S. History of oral contraceptive drugs and their use
contraceptives and venous thromboembolism: an epidemiological
worldwide. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2013 ; 27: 3-12.
update. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2013 ; 27: 25-34.
2. www.fda.gov/Drugs/drugSafety/ucm2777346.html
5. www.has-sante.fr/portail/ stratégies de choix des méthodes
3. Lidegaard O, Nielsen LH, Skovlund CW et al. Risk of venous
contraceptives chez la femme
thromboembolism from use of oral contraceptives containing different
6. http://ansm.sante.fr/Dossiers/Diane-35-et-ses-generiques/
progestogens and oestrogen doses: Danish cohort study, 2001-9. BMJ
7. Ahmed A, Li Q, Liu L et al. Maternal deaths averted by contraceptive
2011 ; 343 : 1-15.
use: an analysis of 172 countries. Lancet 2012 ; 380 : 111-125.
4. Plu-Bureau G, Maitrot-Mantelet L, Hugon-Rodin J et al. Hormonal
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