Correction de la Dissertation - Sciences économiques et sociales

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Correction de la Dissertation - Sciences économiques et sociales
Correction de la dissertation du baccalauréat blanc du 27 mars 2014
Sujet : Comment peut-on expliquer la persistance d'une certaine reproduction sociale ?
Remarques générales :
C'est un sujet qui inverse la question plus classique des déterminants de la mobilité. Dans la mesure
où il s'agit d'un domaine relativement « technique » de la sociologie, il ne présente pas de vraie
difficulté à qui connaît son cours. Mais on ne peut pas le traiter, si on ne possède pas les connaissances
nécessaires.
Erreurs communes :
Orthographe : il y a encore des copies qui ont du mal avec « dû, due, dus, dues ». Étonnamment,
une erreur commune a été de mettre au féminin les adjectifs épithètes de « capital » : capital culturel.
Lecture des documents : Le document 1 a souvent été mal lu. Un certain nombre de copies
indiquent que « 85 % des élèves entrés en 6ème et accédant à la 2nd générale ont des parents cadres et
enseignant ». C'est faux, et absurde : cela voudrait dire qu'il n'y a que 15 % des élèves non redoublant
de 2nd qui ne sont pas fils de cadre. Outre que votre expérience du lycée (vous êtes rentrés en 6ème en
2007 : vous êtes ces statistiques !), vous permet de savoir que c'est faux, une simple lecture du reste du
document vous le montre : le pourcentage pour les fils de profession intermédiaire est de 66 % par
exemple (or, 85% + 66% > 100%).
La vraie lecture est la suivante : 85 % des fils de cadre entrés en 6ème en 2007 ont accédé à la 2nd
générale sans redoublement. C'est donc l'inverse (c'est un tableau qui décrit la destinée et pas le
recrutement).
Développements
Introduction : la volonté de mettre en valeur l'importance du sujet en introduction conduit certaines
copies à faire comme si la reproduction sociale était majoritaire, et en augmentation. Définie
strictement, elle ne concerne que 35 % des Français, et stagne. C'est d'ailleurs ce que suppose le sujet
qui évoque la « persistance » (et pas l'augmentation) d'une « certaine » reproduction sociale (ce qui
signifie qu'elle n'est pas majoritaire).
Les théories de P.Bourdieu et de R.Boudon. Elles sont essentielles dans le traitement du sujet, et
presque toutes les copies les mobilisent, mais parfois avec erreur. Première erreur : les copies qui
restituent ces théories sans citer leurs auteurs. Il faut attribuer une théorie à son auteur !
Seconde erreur : les copies qui font comme si ces théories expliquent directement la reproduction
sociale. Ces théories expliquent pourquoi il y a des inégalités sociales de réussite scolaire. Dans la
mesure où les diplômes que l'on obtient à l'école jouent un rôle essentiel dans la position sociale que
l'on occupe, elles expliquent la reproduction sociale.
Il faut donc mener l'ensemble de ce raisonnement : 1) l'école détermine la position sociale des
individus à travers les diplômes qu'elle confère ; 2) or la réussite y est socialement inégalitaire ; 3)
donc l'école reproduit la société (cf. le II du plan corrigé).
Imprécisions sur ce que « rôle de la famille » et « rôle de l'école » veulent dire. La famille
intervient à tous les niveaux (ou presque), et notamment à l'école. Il vaut mieux réfléchir en ces
termes : I) les causes au niveau de l'école ; II) les causes après l'école.
Plan : l'erreur de plan la plus commune est de négliger de faire un constat. Tous les documents
doivent être utilisés. Le document 2, une table de mobilité, permet de faire le constat de l'importance
et des formes de la reproduction sociale. Utiliser le document 2 implique donc de faire ce constat. En
outre, ce constat est utile à l'argumentation : avant d'expliquer quelque chose, il est souvent utile de
décrire ce que l'on cherche à expliquer.
De manière plus large, dans les développements des copies, il manque souvent le constat de ce que
1
ces développements visent à expliquer. Par exemple, il est indispensable d'appuyer la restitution des
théories de Bourdieu de la lecture du document 1, qui fait apparaître notamment une corrélation entre
diplôme de la mère et entrée en voie générale. Une manière de le faire est de d'abord faire le constat
de cette corrélation, puis de l'expliquer grâce à la théorie de Bourdieu.
Autre erreur commune : traiter du paradoxe d'Anderson avant d'avoir traité de l'école. Ce n'est pas
logique : le paradoxe d'Anderson intervient après que les individus aient obtenu leur diplôme. Il est
donc logique de le traiter après avoir évoqué les inégalités sociales de réussite scolaire.
Plan détaillé :
Le plan du cours, adapté au sujet, peut être utilisé. (De manière générale, il n'est pas inutile de se
souvenir des plans du cours, qui correspondent souvent au plan des sujets du bac...).
La logique en est la suivante : tout d'abord, faire le constat de l'importance et des formes de la
reproduction sociale (I). Puis expliquer celle-ci : tout d'abord par les inégalités sociales de réussite
scolaire, dans la mesure où les diplômes jouent un rôle essentiel dans la position sociale des individus
(II). Puis, dans ce qui a lieu après l'école : a) le fait que même si l'école n'était pas inégalitaire, le
paradoxe d'Anderson limiterait sa capacité à créer de la mobilité ; b) par le fait qu'à diplôme égal, les
individus n'ont pas la même capacité à connaître de la mobilité.
I) Une reproduction persistante et surtout concentrée aux extrêmes de la hiérarchie sociale
A) Une reproduction significative et persistante
1. Une reproduction minoritaire mais importante. 35 % des hommes font partie d'une CSP identique
à celle de leur père (cours). Un gros tiers des hommes connaissent donc de la reproduction sociale. Si
l'on prend une définition plus large (une CSP non pas identique, mais équivalente (ex : ouvrier et
employé)), 54 % des hommes ont connu la reproduction sociale (document 3, ligne ensemble).
2. Une reproduction persistante. Si l'on compare la mobilité en 1977 à celle de 2003, on constate que
si certaines CSP sont plus mobiles (artisans, ouvriers) d'autres le sont moins (cadres, employés). La
reproduction ne diminue donc pas globalement (document 2)
B) Une reproduction concentrée aux extrêmes
1. Les CSP du centre de la hiérarchie sont les plus mobiles : la reproduction y est minoritaire (seuls
23 % des fils de PI le deviennent à leur tour).
2. Les CSP des extrêmes connaissent, par contre, une reproduction dominante (ou presque) : 52 %
des fils de cadre deviennent des cadres ; 46 % des fils d'ouvrier deviennent ouvriers (document 2).
II) L'école : un déterminant essentiel de la reproduction sociale
=> Par le diplôme qu'elle leur confère, l'école détermine largement la position sociale des individus. Or, elle
est fondée sur le principe de la méritocratie : les individus y sont jugés sur leur mérite, et pas leur origine
sociale. Elle devrait donc favoriser la mobilité sociale, en permettant à tous de réussir. Mais c'est une illusion
sociologique : les inégalités sociales de réussite scolaire font que l'école reproduit partiellement la société.
A) L'école détermine largement la position sociale des individus
1. (constat) Un fils d'ouvrier ou employé a beaucoup plus de chance de devenir PI ou cadre s'il est
diplômé du supérieur long qu'un fils de cadre si celui-ci n'a pas le baccalauréat : 80 % contre 18 %
(document 4).
2. (explication) C'est ce que P.Bourdieu appelle le « mode de reproduction à composante scolaire » :
c'est-à-dire le fait que, dans le monde moderne, les postes professionnels s'obtiennent majoritairement
en fonction du diplôme détenu, parce que la plupart des individus sont des salariés, recrutés en
fonction de leurs compétences. Les diplômes déterminent donc la position sociale.
B) De profondes inégalités sociales de réussite scolaire
1. (constat) Plus le chef de famille d'un élève est situé en haut de la hiérarchie sociale, plus il est
probable que ce dernier réussisse à l'école. Ainsi, les élèves rentrés en 6ème en 2007 avaient d'autant
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plus de chance d'être en filière générale sans avoir redoublé que leur chef de famille est situé plus
haut dans la hiérarchie sociale (85 % pour les fils de cadre, deux fois moins de chance pour les
enfants d'ouvriers : 41 %). L'inverse est vrai pour la filière professionnelle (39 % pour les enfants
d'ouvrier ; 7 % pour les fils de cadre) (document 1). Autrement dit, la quasi totalité des enfants de
cadre suivent une filière générale et presque aucun ne va en professionnel. Au contraire, moins d'une
moitié des enfants d'ouvrier vont en général, et presque autant s'orientent vers le professionnel.
Les inégalités de réussite sont donc considérables et elles expliquent pourquoi les fils de cadre vont
pouvoir devenir des cadres (ils auront les diplômes nécessaires) et pourquoi les fils d'ouvriers
resteront ouvriers (ils auront suivi la voie professionnelle pour près de la moitié d'entre eux et auront,
de manière générale, moins réussi leurs études).
2. (explication) => La théorie de Bourdieu (cours). La théorie de Bourdieu qui insiste sur les
différences de socialisation est confirmée par le document 1 : on voit que le diplôme de la mère est
encore plus fortement corrélé à la réussite sociale que la position sociale du chef de famille. Il faut
donc utiliser ces données.
3. (explication) La théorie de Boudon (cours).
III) Au-delà de l'école : les autres déterminants de la reproduction sociale
A) Le paradoxe d'Anderson : l'autre limite de la méritocratie scolaire
1. La volonté de favoriser la mobilité sociale a poussé à démocratiser le système scolaire dès 1945,
mais particulièrement à partir de la fin des années 1980 et durant les années 1990. Il s'agissait de
permettre à tous de réussir selon son mérite, en permettant à tous de poursuivre des études plus
longues et plus générales. Ainsi, entre 1995 et 2007, la probabilité pour un élève entré en 6ème
d'accéder sans redoubler à la seconde générale a progressé, passant de 48 à 57 % (document 1).
Cette progression a bénéficié à toutes les CSP, particulièrement aux enfants d'ouvriers (+8 points
de % en plus, contre 6 points de % en plus pour les enfants de cadre) (document 1).
2. Le nombre de postes de cadre n'a pas autant augmenté que le nombre de diplômés. Par conséquent,
le fait de mieux réussir à l'école que son père ne garantit pas que l'on connaîtra de la mobilité
sociale : c'est le paradoxe d'Anderson. Ainsi, seuls 53 % des hommes âgés de 40 à 59 ans en 1993, et
ayant un diplôme supérieur à celui de leur père, occupent une position sociale supérieure. 7 %
occupent une position inférieure. Par conséquent, 40 % occupent une position sociale équivalente et
ont donc connu la reproduction sociale, alors qu'ils pouvaient espérer être mobiles (document 3).
B) L'action de la famille au-delà de l'école
1. (constat) Il est vrai que plus un individu a un diplôme élevé, plus il est probable qu'il occupe une
position sociale élevée (document 4). Mais, il n'est pas moins vrai que, à diplôme égal, plus les
parents d'un individus sont situés en haut de la hiérarchie sociale, plus il a de chance d'occuper une
position sociale élevée. Ainsi, les fils de cadre ou PI non bacheliers ont deux fois plus de chance
d'être cadres ou PI que les enfants d'employé ou ouvrier non bacheliers (18 % contre 8%)
(document 4).
2. Explication : plus on est situé en haut de la hiérarchie sociale, plus on dispose de capital culturel,
social et économique.
Capital culturel : plus un individu est situé en haut de la hiérarchie sociale, plus il dispose des
« codes » sociaux proches de ceux des employeurs, qui sont eux-même situés en haut de la
hiérarchie sociale. Plus il sera donc probable qu'ils l'embauchent.
Capital social : plus un individu est situé en haut de la hiérarchie sociale, plus ses parents disposent
de « relations sociales » qui lui permettront de l'aider dans sa carrière professionnelle,
particulièrement au début de celle-ci. Les enfants d'ouvrier ont, ainsi, bien plus de difficulté à obtenir
des stages, des recommandations, etc. que les enfants de cadre.
Capital économique : plus un individu est situé en haut de la hiérarchie sociale, plus ses parents
auront les moyens matériels de l'aider, notamment en début de carrière. Les parents cadre pourront
ainsi entretenir leur enfant en stage non rémunéré, lui permettre d'attendre qu'un poste plus
intéressant se libère, etc.
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