Meurtres au pays des peluches (extraits)

Transcription

Meurtres au pays des peluches (extraits)
NULLOS DANS LA PELUCHE
— Vous êtes un ours ! Un malotru ! Un goujat ! Un
cœur de pierre ! Un bourreau d'enfants ! Comment osezvous insinuer ? ... Ah ! quel malheur ! La police aujourd'hui
n'est plus d'aucun secours !
Madame Dever, le teint écarlate, l'œil furibond et le chignon
en bataille, hurlait aux oreilles du commissaire Nullos. Elle
le dépassait déjà d'une bonne tête, mais plus elle l'insultait,
plus le malheureux commissaire se ratatinait sur lui-même.
Il tentait vainement d'interrompre le flot d'injures qui se
déversait sur lui.
— Mais, madame, je n'ai pas dit que...
— Si ! Vous l'avez dit ! Vous avez laissé entendre que c'est
Alexandre lui-même qui a poignardé son ours en peluche.
— Non, mais peut-être a-t-il...
— Mon pauvre Alexounet chéri ! Lui qui est si tendre, si
doux, un ange ! Aller planter un couteau de boucher dans
sa peluche préférée, celle que sa grand-mère lui a offerte
pour ses sept ans ! Vous n'avez pas d'enfants, je
suppose ?
— Non, heur...
— J'en étais sûre ! Sans quoi, vous auriez tremblé de peur,
vous aussi. Et la lettre de menace, hein ? qu'en faitesvous ? « La prochaine fois... », qu'est-ce que ça signifie à
votre avis ?
— Il ne faut pas...
— Je vais vous le dire, moi, ce que ça signifie. Cela veut
dire : « La prochaine fois, c'est ton fils que je
poignarderai ! » ... Il ne faut pas attendre cette « prochaine
fois » pour agir ! C'est trop grave !... Ah ! mon Dieu !
La pauvre femme fondit en larmes. Le commissaire put
souffler un peu : les sanglots de madame Dever étaient
moins bruyants que ses cris. Il attendit quelques instants,
puis, comme l'orage ne se calmait pas, lui tendit timidement
un mouchoir... pas très net. Madame Dever le repoussa
avec dégoût, fit trois dignes enjambées vers la porte et
avant de l'ouvrir lança :
— J'espère que vous allez vous décider à prendre
sérieusement cette affaire en main. Ne me raccompagnez
pas, c'est inutile !
Elle sortit en prenant bien soin de claquer la porte. Nullos
se mit à tourner en rond dans son bureau. Il laissa éclater
sa colère.
Non ! Non ! Ce n'est plus possible ! Voilà que je dois
m'occuper de savoir qui a poignardé un nounours, pendu
une poupée, étranglé un chien en peluche et zigouillé une
panthère rose !... Bon sang ! Moi qui devrais dépister des
trafics de drogue, des hold-up fracassants, des crimes, moi
qui devrais affronter des Landru, oui, pourquoi pas, des
Landru ? Il se rassit à son bureau, imaginant le gros titre
de ses rêves : « L'horrible coupeur de têtes, qui a déjà fait
vingt-huit victimes, arrêté en un temps record grâce à
l'efficacité du commissaire Nullos. Celui-ci sera bientôt
promu au rang d'inspecteur de la Police des Polices. » On
gratta timidement à la porte.
— Qu'est-ce que c'est encore ? cria le commissaire,
brusquement tiré de sa rêverie.
— Z'est moi, zef !
Au zozotement, le commissaire reconnut le brigadier Zébu.
— Entrez, Zébu !
Le brigadier, debout sur le seuil de la porte, attendit que
son supérieur daignât lui lancer un coup d'œil. Nullos fit
semblant de terminer la rédaction d'un rapport urgent, puis
se décida à lever le nez.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-il d'un ton
bourru.
— Zef... euh... y'a dans le couloir, euh... bafouilla Zébu.
— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a dans le couloir ? aboya Nullos
en pianotant nerveusement sur son bureau.
— Ben voilà, commizaire, y'a trois zautres mamans qui
viennent protezter. Elles zont amené des copines à elles et
aussi leurs rezetons, enfin ze veux dire leurs zenfants. Et
les mômes, ils zont apporté tous leurs zouets. Bref, za fait
du monde et du bruit dans le couloir.
Le commissaire, désespéré, se prit la tête entre les mains.
— Dites-leur que je ne peux pas les recevoir ! suffoqua-t-il.
— Z'est que, répliqua le brigadier en faisant la moue, elles
zont pas l'air commode, zont plutôt nerveuzes, et les
zenfants, zont tous zen train de pleurer sur leurs zouets.
— Obéissez ! Débrouillez-vous ! vociféra le commissaire.
Le brigadier, contraint d'obéir, sortit affronter la colère des
plaignants.
— Ze Nulloz, hein, z'est pas le couraze qui l'étouffe !
bougonna-t-il en quittant la pièce.
Sur la pointe des pieds, le commissaire s'approcha de la
porte et y colla l'oreille pour écouter comment se présentait
l'affaire. Elle s'annonçait mal. Il s'en rendit compte
immédiatement.
— Maman ! maman ! braillaient les enfants, tous nos jouets
vont être tués !
— Le commissaire ! s'impatientaient les femmes. Nous
voulons voir le commissaire. Où est-il ?
La porte s'ouvrit avec violence.
— Dézolé, zef, dit le brigadier Zébu. Z'arrive pas à les
retenir.
Et voilà qu'un étrange défilé commença. Les
enfants avaient décidé de mettre leurs jouets à l'abri, au
commissariat.
Un petit garçon déposa un robot, pistolet mitrailleur au
poing. Un autre mit dans les bras du brigadier un immense
singe en plastique. Une petite fille enroula autour du cou
du commissaire un boa en caoutchouc. Puis débarquèrent
les Tortues Ninja en de multiples exemplaires, ainsi que
des poupées de toutes sortes et des peluches... des
peluches à n'en plus finir, depuis le Snoopy miniature
jusqu'au Roi Lion grand modèle. Chaque jouet avait une
étiquette portant le nom et l'adresse de l'enfant auquel il
appartenait. Les petits ne pouvaient se décider à partir. Ils
faisaient plusieurs aller-retours : il fallait donner le bisou
d'adieu à nounours ou encore répéter à une poupée les
dernières recommandations : « Sois sage, hein ? Je
reviendrai bientôt te chercher. Le commissaire Nullos va te
protéger. Il s'occupera bien de toi. Il te donnera à
manger. » Ainsi, une petite fille remit au commissaire le
biberon de sa poupée, tandis qu'un autre bambin, très
généreux, lui dit :
— Si tu veux, tu peux utiliser le pistolet de mon robot. C'est
un superlaser ! On tire et, prrr ! ça fait du bruit et de la
fumée !
— Euh... oui, merci bien, mon petit, répondit le commissaire, complètement désemparé.
La cérémonie dura un bon quart d'heure. Puis le calme
revint dans le bureau. Les enfants étaient partis, mais on
ne pouvait plus faire un pas dans la pièce, tant les jouets
étaient nombreux. Tout bas, Zébu se risqua à demander :
— Qu'est-ze qu'on va faire de tout za ?... Zef, vous croyez
pas que... les zouets, z'est plutôt l'affaire de La...
— Oh, oui ! bien sûr, admit le commissaire. Appelez-le tout
de suite !