la mise a disposition gratuite d׳un logement a

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la mise a disposition gratuite d׳un logement a
LA MISE A DISPOSITION GRATUITE D’UN LOGEMENT A UN HERITIER
A PROPOS DE DECISIONS JURISPRUDENTIELLES RECENTES
DROIT PATRIMONIAL
C’est la question délicate de la mise à disposition gratuite d’un logement au profit d’un héritier que
traite la première chambre civile de la cour de cassation dans quatre arrêts rendus par la première
chambre civile de la cour de cassation le 18 janvier 2012.
Ces arrêts (trois sont de cassation et un est de rejet) présentent plusieurs traits communs tant quant
à la matière contentieuse, qu’à l’unanimité de la solution adoptée, l’unicité de leur date, la publicité au
bulletin, caractérisant ainsi leur importance manifeste.
Revirement de jurisprudence ou rappel des règles du rapport successoral, la cour nous indique que
l’avantage résultant de l’occupation gratuite d’un logement n’est rapportable à la succession des
disposants que s’il constitue une libéralité dont la reconnaissance exige la preuve d’une intention
libérale.
Afin de déterminer les enseignements de ce récent quadruple « matraquage » jurisprudentiel quant à
la nécessiter de prouver une intention libérale, pour en déduire le rapport à la succession du
disposant, nous observerons dans un premier temps la réaffirmation de l’élément intentionnel
constitutif d’une libéralité (I), avant d’en tirer les conséquences sur les cas de rapport à la succession
de la mise à disposition gratuite d’un logement (II).
La réaffirmation de l’élément intentionnel constitutif d’une libéralité :
Dans les quatre affaires de l’espèce, alors que les juges du fonds, se fondant sur une tendance
jurisprudentielle antérieure très objective, déduisent de la présence d’un avantage matériel au
bénéfice de l’hériter la nécessité de son rapport à la succession du disposant, la cour de cassation
énonce que « seule une libéralité qui suppose la preuve d’une intention libérale est rapportable à la
succession ».
Nous reviendrons ainsi dans un premier temps sur la notion d’avantage indirect rapportable au titre
d’une approche jurisprudentielle antérieure fondée sur la constatation d’un élément matériel (A),
avant d’observer l’apport de ces quatre arrêts quant à la nécessité d’établir en outre une intention
libérale (B).
Une ancienne approche matérialiste de la notion d’avantage indirect rapportable :
Par un arrêt de principe en date du 8 novembre 2005, la première chambre civile avait qualifié la mise
à disposition gratuite d’un logement « d’avantage indirect » soumis au rapport même « en l’absence
d’intention libérale établie ».
Dans cette affaire, un père et une mère avaient mis gratuitement un pavillon à la disposition de l'une
de leurs trois filles pendant près de 20 ans. Celle-ci ayant formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt
d'appel qui lui avait ordonné de rapporter cet avantage à la succession de ses parents, alors que leur
intention libérale n'était pas démontrée, la Haute juridiction a rejeté ce moyen en précisant
incidemment que « même en l'absence d'intention libérale établie, le bénéficiaire d'un avantage
indirect en doit compte à ses cohéritiers. »
Certains auteurs en avaient déduit la volonté des magistrats d’imposer systématiquement le rapport
d’un avantage matériel au bénéfice d’un des héritiers afin de maintenir le strict respect de l’égalité
entre héritiers. Ces auteurs voyaient ainsi se dégager une notion large et autonome « d’avantage
indirect », indépendante de toute intention libérale.
En conséquence la seule constatation d’un déséquilibre matériel entre les héritiers suffisait à imposer
le rapport de l’avantage tiré par l’héritier bénéficiaire. (V. Barbé-Bouchard)
Un second courant doctrinal, plus nuancé, s’est placé sur le terrain de la preuve. Selon ces auteurs
c’est l’importance de l’avantage matériel, sans contrepartie, qui présume une intention libérale et donc
une libéralité rapportable (A.Chamoulaud-Trapiers). La preuve de l’intention libérale n’est plus exigée.
Il y a simplement renversement de la charge de la preuve. La charge de la preuve pèse ainsi sur le
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bénéficiaire qui doit démontrer que ledit avantage n’est pas de nature libérale pour faire échec au
rapport.
C’est sur ce point précis que revient la première chambre civile de la cour de cassation par ces quatre
arrêts rendus le 18 janvier 2012, revenant aux caractères fondamentaux d’une libéralité nécessitant
l’établissement d’une intention libérale.
Le retour aux caractères fondamentaux d’une libéralité nécessitant l’établissement d’une intention
libérale :
Les magistrats posent clairement le principe selon lequel l’avantage matériel pour l’héritier (résultant
en l’espèce de l’occupation gratuite d’un logement appartenant à ses parents), « n’est rapportable que
s’il constitue une libéralité qui suppose l’existence d’une intention libérale dont la preuve doit être
rapportée ».
Les juges reviennent ainsi aux principes fondamentaux pour caractériser une libéralité, rappelant que
la définition d’une libéralité suppose « un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier
son héritier ». Il convient ainsi de caractériser à la fois un élément matériel, objectif, tiré de
l’appauvrissement du disposant corrélatif à l’appauvrissement du bénéficiaire, et un élément subjectif,
intentionnel, l’animus donandi du disposant.
Au même titre que les juges reviennent sur les caractères fondamentaux de la notion de libéralité, ils
reviennent ainsi également aux principes de bases de la preuve, faisant échec à toute présomption :
c’est à l’héritier qui s’estime lésé et revendique une libéralité rapportable d’apporter la preuve à la fois
d’un avantage matériel et d’une intention libérale. Et ceci par tout moyen.
Or, autant la reconnaissance d’une intention libérale pourra être aisée en présence d’un acte dressé,
dans lequel les parties expriment leur volonté, autant la preuve sera difficile s’agissant d’avantages
indirectes dont ont pu bénéficier les héritiers dans le cadre de relations familiales normales, et sans
aucune formalisation.
En conséquence, cette recherche incombera aux juges du fond, dans le cadre de leur pouvoir
souverain d’appréciation, qui devront nécessairement se fonder sur les circonstances de l’espèce, et
analyser les faits, pour en déduire une libéralité rapportable ou non.
La preuve devra ainsi être établie selon des présomptions du fait de l’Homme. Si les juges du fond
motivent suffisamment bien leur décision, la cour de cassation ne pourrait s’y opposer.
Certes cette preuve peut paraître difficile voire impossible à réaliser. Nous allons cependant tenter de
distinguer, au vu de l’analyse notionnelle de cette récente jurisprudence, les cas de mise à disposition
de logement à titre gratuit pouvant être qualifié de libéralité rapportable.
II- Les conséquences sur le rapport de l’avantage résultant de la mise à disposition gratuite d’un
logement
Il est très fréquent que des parents aident leurs enfants à s’installer et à se loger ou continuent
d’héberger l’un d’eux au domicile familial.
Or, la mise à disposition gratuite d’un logement à l’un des enfants crée entre eux une inégalité. Celui
qui s’est vu privé d’une économie de loyers dont a bénéficié l’un de ses frères et sœurs peut en effet
percevoir cette mise à disposition comme un appauvrissement du patrimoine de ses parents et par
conséquent de la succession.
Ainsi, lors de la succession, les cohéritiers de l’enfant hébergé demandent de réintégrer dans la
succession le montant des années de loyers non versés.
Comme vient de le constater la cour de cassation, cet avantage indirect est rapportable à la
succession qu’à la condition qu’il constitue une véritable donation, c’est à dire avec la constatation
d’un élément matériel et d’un élément intentionnel.
Autrement dit, elle met fin au rapport automatique de l’avantage résultant de la mise à disposition
gratuite d’un logement (A). Quelles seraient alors les hypothèses où cet avantage pourrait être
considéré comme rapportable (B) ?
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A – la fin du rapport automatique de l’avantage tiré de la mise à disposition gratuite d’un logement
Le premier arrêt de la cour de cassation en date du 18 janvier 2012 (Cass Civ 1ère n° 10-27.325)
pose clairement le principe : « l’avantage pour l’enfant résultant de l’occupation gratuite d’un
logement appartenant à ses deux parents n’est rapportable que s’il constitue une libéralité qui
suppose l’existence d’une intention libérale qui doit être rapportée ».
La recherche de l’élément matériel reste bien sûr indispensable. Dans chaque cas, il conviendra pour
les héritiers qui sollicitent le rapport, de prouver aux juges du fonds un appauvrissement du parent
décédé et un enrichissement corrélatif d’un des descendants.
La cour de cassation pour sa part vérifiera si l’établissement de l’appauvrissement du patrimoine du
défunt et de son intention libérale sont suffisamment circonstanciés.
C’est ce qu’elle rappelle ouvertement dans l’un de ses arrêts du 18 janvier 2012 (Cass Civ 1ère n° 0972.542):
Deux époux effectuent en 1979 une donation-partage de leurs biens à leurs deux enfants. Ils
donnent à titre préciputaire à leur fils qui travaille sur l’exploitation depuis 1959 et vit avec eux, la
nue-propriété du tiers de leur bien dont leur maison d’habitation à charge d’une obligation de soins et
d’entretien. Les deux époux décèdent en 1999. La fille demande que l’avantage indirect dont a
bénéficié son frère en étant logé gratuitement au domicile de ses parents de 1959 à 1999 soit
rapporté à leur succession. La cour d’appel rejette la demande au motif que le fils n’avait pas la
jouissance privative de l ‘immeuble et que l’obligation mise à sa charge de s’occuper de ses parents
excluait que ses derniers aient été animés d’une intention libérale.
La Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel et rejette le pourvoi formé par la fille : «
Seule une libéralité, qui suppose un appauvrissement du disposant dans l’intention de gratifier son
héritier est rapportable à la succession. La cour d’appel ayant admis que l’intention libérale des
parents n’était pas établie a justifié sa décision ». (Solution Notaires n°3 mars 2012)
On voit bien ici que le rapport sera exclu, faute d’intention libérale lorsque l’hébergement sera la
contrepartie d’une créance d’assistance lorsque l’enfant aura aidé et soigné ses parents.
Dans cette hypothèse, ceci pourrait être analysé comme l’expression d’une solidarité familiale
naturelle (JCP N n°16 du 20 avril 2012 Delecraz)
Cette expression de devoir familial a d’ailleurs été utilisée dans une décision rendue peu de temps
après les 4 arrêts évoqués et qui dans le même esprit que ces derniers confirme les précédents (arrêt
cour de Cassation 1ème civile, 1er février 2012 n°10.25.546)
Dans cette affaire, un père aide financièrement son fils adulte, pendant 11 ans, en lui versant en
moyenne 550 €par mois, soit un total cumulé de près de 75.000 €. Après son décès, un autre des
enfants demande que les sommes soient rapportées à la succession. Selon lui, la durée et
l’importance des versements dont le montant cumulé représente 45 % de l’actif successoral excluent
qu’il puisse s’agir de dépense d’entretien. Il est débouté par la Cour d’appel, peu importe que ces
sommes aient représentées une grande partie de l’actif successoral, dès lors que le caractère de frais
d’entretien doit s’apprécier au regard des revenus du disposant. La Cour de cassation confirme la
décision de la cour d’appel « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour
d’appel a estimé que les sommes versées par le père constituait des frais d’entretien représentant
l’expression d’un devoir familial sans pour autant entrainer un appauvrissement significatif du
disposant, de sorte qu’elles n’étaient pas rapportables à la succession. »
B- les hypothèses de maintien du rapport en cas de mise à disposition gratuite d’un logement?
Un possible maintien du rapport en cas d’occupation prolongée ?
Pour certains auteurs (JCP N n°16 du 20 avril 2012 Delecraz) la mise à disposition gratuite qui se
prolonge pendant de nombreuses années alors que l’enfant entré dans la vie active aura eu les
moyens de se loger, constitue « un avantage substantiel » que ses parents lui procureront pendant
15 ou 20 ans de franchise de loyers. Ces auteurs considèrent en effet que « la possibilité pour l’enfant
de se constituer une épargne pendant que ses frères et sœurs verront leur budget lourdement grevé
du poste liés aux dépenses de logement. »
Ainsi une occupation prolongée pourrait constituer un indice pour les juges du fond d’intention
libérale.
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Ce qui va transformer l’avantage en libéralité, c’est l’importance du bénéfice économique que va
retirer le bénéficiaire, manifestant une intention libérale.
Les indices faisant obstacles à l’établissement d’une intention libérale
Lorsque les parents hébergeront leurs enfants au titre de leur obligation d’entretien (pendant leurs
études) ou au titre d’une obligation alimentaire (lorsqu’ils n’ont pas d’emploi), il sera plus difficile
d’établir que la mise à disposition constitue une libéralité rapportable. Il en sera de même lorsque
l’hébergement a lieu au domicile des parents. Toute la difficulté sera de distinguer la libéralité, des
frais d’entretien présumés non rapportables en vertu de l’article 852 du code civil.
Il semble ainsi à ce titre qu’il soit plus aisé de prouver une intention libérale par la simple économie
des loyers lorsque les parents auront mis gracieusement à disposition de leur enfant un logement libre
que lorsque l’héritier réside au domicile des parents, dès lors que l’héritier pourra plus facilement
invoquer une obligation d’entretien. L’intention libérale redevient le critère déterminant pour distinguer
l’acte de service gratuit inspiré par la générosité, de la libéralité qui réalise un dépouillement
volontaire et délibéré du disposant.
C’est cette volonté d’abandonner une valeur patrimoniale au profit de leur enfant et non simplement
celle de lui rendre un service en mettant à disposition un bien, (en lui abandonnant des revenus ou en
acquittant une dette lui incombant), qui pourra seule venir parfaire l’élément matériel de l’avantage
pour le faire accéder au stade de la libéralité rapportable. (JCP N n°16 20 avril 2012 Véronique
BARABE-BOUCHARD)
Toute la difficulté résidera dans la preuve de « l’animus donandi » et d’en convaincre les juge du
fonds dont l’appréciation reste souveraine.
En définitive, pour éviter les aléas de l’interprétation des juges du fonds, le notaire conseillera en
amont les parents en formalisant l’avantage consenti à l’enfant dans une donation ou en l’intégrant
dans un testament. Il n’y aura alors plus de doute sur la qualification de la donation et la question de
son rapport sera définitivement réglée.
Fleur-Marie Voyron
Dorothée Delpeyroux
Groupe Patrimoine
CHEUVREUX Notaires
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