Colchicine

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Colchicine
Intoxication par la colchicine
M. Idrissi, N. Rhalem, R Soulaymani
1. Cas clinique
Un patient de 32 ans, sans antécédents particuliers, a été admis aux urgences 48 heures après
l’ingestion dans un but d’autolyse, de 14 comprimés (14 mg) correspondant à une dose de 0.2
mg/kg de colchicine. A l’admission au 3éme jour de l’intoxication, le patient a présenté une
douleur abdominale diffuse, des vomissements en jets, une polypnée, une hématurie et des signes
de choc avec une tension artérielle imprenable et une oligurie. La température corporelle était de
38°5 c.
Le Centre anti-poison et de pharmacovigilance a été alors contacté par le médecin des urgences
qui voulait avoir des informations sur cette intoxication et connaître la conduite à tenir.
Le bilan biologique réalisé le même jour montre des leucocytes à 5000 éléments/mm3, une
hémoglobine à 13,5 g/dl, des plaquettes à 17 000 éléments/mm3 avec un taux de prothrombine à
22 %, une urée s’élevant à 0.80 g/l et une créatinine à 25 mg/l, les GOT étaient de 470 UI /ml et
les GPT à 461 UI/ ml. La correction de l’état de choc qui était réfractaire aux catécholamines n’a
pas empêché la survenue d’aplasie médullaire et l’évolution était fatale vers le 5ème jour
d’intoxication.
2. Introduction :
L’intoxication aiguë par la colchicine est rare mais potentiellement grave. Elle est responsable de
défaillances multiviscérales. Son pronostic est lié à la dose ingérée mais aussi à ses effets
secondaires, de gravité variable. Le traitement est symptomatique. Des espoirs thérapeutiques
sont actuellement fondés sur le développement clinique de l'immunothérapie spécifique
disponible pour l'expérimentation animale.
3. Présentation de la colchicine:
La colchicine est un alcaloïde extrait du colchique qui est une plante assez courante dans le Nord,
l'Ouest et le centre du Maroc (Bûkbûka). Ses graines sont exportées vers les pays d'europe, cinq
à dix tonnes sont ainsi récoltées chaque année dans les régions de Ouazzane et Karia Ba
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Mohamed.
Toutes les parties de la plante contiennent l'alcaloïde toxique.
La colchicine est utilisée en thérapeutique essentiellement pour son action anti-inflammatoire.
Elle est surtout indiquée pour le traitement de la crise de goutte. Elle est également préconisée
dans
la chondrocalcinose articulaire et pour la prévention de certaines pathologies
inflammatoires de physiopathologie mal connue: la sclérodermie ou certaines formes cliniques de
sarcoïdose ou de maladie sérique.
Une seule spécialité disponible au Maroc contient de la colchicine: Colchicine Houdé®. La
posologie préconisée est de un comprimé par jour, soit 1 mg de colchicine cristallisée.
4. Physiopathologie de l’intoxication par la colchicine :
La tubuline est une protéine de petite taille constituée de deux sous unités alpha et bêta. En se
polymérisant, elle donne les microtubules du fuseau achromatique qui constituent également le
cytosquelette cellulaire. Ces microtubules permettent la division cellulaire lors de la mitose car
elles sont impliquées dans l’ endocytose et l’exocytose via le transport des vésicules sécrétrices.
Elles sont la cible de plusieurs médicaments anticancéreux et d’alcaloïdes comme la colchicine.
En effet la colchicine appartient à la famille des poisons dits « de fuseau ». Il s’agit d’un toxique
lésionnel qui se lie aux sous unités protéiques des microtubules et empêche leur polymérisation,
ce qui bloque les cellules en métaphase.
5. Tableau clinique de l’intoxication aiguë par la colchicine :
Il convient de distinguer deux circonstances d’intoxication mortelle : le surdosage par erreur
thérapeutique, chez un insuffisant rénale méconnu chez qui on redoute surtout l'aplasie
médullaire et le surdosage volontaire, pourvoyeur de collapsus cardiogénique.
La symptomatologie et la gravité de l’intoxication sont doses dépendantes
Le tableau clinique peut être divisé en trois phases successives qui sont résuméés dans le tableau
Tableau I : Tableau clinique de l’intoxication aigue à la colchicine
Stade
I
Signes
Troubles gastro-intestinaux
2
Hypovolémie
Hyperleucocytose
II
Détresse respiratoire, hypoxémie, œdème pulmonaire
Thrombopénie, leucopénie, agranulocytose
Coagulopathie de consommation
Collapsus
Iléus
Acidose métabolique
Troubles neurologiques
Hyponatrémie, hypocalcémie
Protéinurie, hématurie, insuffisance rénale oligurique
III
Hyperleucocytose réactionnelle
Alopécie
Le premier stade : ce stade comprend des manifestations digestives avec nausées,
vomissements, douleurs abdominales et diarrhées éventuellement sanglantes. Les pertes
digestives peuvent être à l'origine d'hypovolémie avec troubles hydro électrolytiques.
L’hypovolémie peut être majorée par la colectasie, parfois impressionnante mais sans niveau
liquide. Il peut exister à ce stade une hyperleucocytose qui a une valeur pronostique et qui est
probablement en rapport avec le phénomène de translocation bactérienne décrit avec ce type
d'intoxication, ce phénomène correspond au passage des bactéries ou de produits bactériens
depuis la lumière intestinale vers la circulation systémique, favorisé par des altérations
anatomiques et/ou fonctionnelles de la paroi du tube digestif.
Le deuxième stade : ce stade se caractérise par la persistance des troubles digestifs et par la
chute de tous les facteurs de l'hémostase. C'est à ce stade que peut s'observer une aplasie
médullaire. Elle apparaît dans le sang périphérique entre le 3ème et le 4ème jour, mais les
stigmates médullaires sont visibles dés la 24ème heure.
Parfois, on observe une hyponatrémie de dilution associant une prise de poids, une
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hyponatriurèse, probablement en rapport avec une hypersécrétion d'ADH.
Les syndromes neurologiques les plus fréquemment rapportés sont: la polynévrite
sensitivomotrice des membres inférieurs, une confusion mentale ou des convulsions.
A cette phase peut s’observer un collapsus cardiovasculaire expliqué par l’une des trois causes
suivantes: le collapsus hypovolémique à une phase précoce, le choc septique à la phase d'aplasie
médullaire ou le collapsus cardiogènique réfractaire aux drogues inotropes positives lors des
intoxications graves. En effet, cet effet inotrope négatif peut résulter soit de l'action directe sur les
microtubules cardiaques, soit de l'hypocalcémie rapportée chez les patients intoxiqués. Ce
collapsus cardiovasculaire est souvent associé à une insuffisance respiratoire hypoxique
hypocapnique.
L’atteinte pulmonaire observée au cours d'une intoxication grave par la colchicine est liée
également à trois causes : le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) par œdème lésionnel
résultant d'une toxicité directe, l’œdème aigu pulmonaire cardiogènique et enfin la pneumopathie
infectieuse chez le patient leucopénique.
Le troisième stade : se caractérise par une hyperleucocytose réactionnelle survenant au décours
de l'aplasie médullaire et par une alopécie transitoire.
6. Pronostic de l'intoxication par la colchicine :
Le tableau clinique et la probabilité de décès sont directement liés à la dose supposée ingérée,
bien que des cas mortels aient été rapportés pour des doses faibles.
Des facteurs pronostiques de l'intoxication ont été définis par Bismuth et coll. d’ après une étude
rétrospective portant sur 84 cas d'intoxications répertoriés de 1967 à 1976.
Trois niveaux de toxicité ont été alors différenciés selon la dose supposée ingérée (DSI)
(Tableau II)
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Tableau II : Relation entre la dose supposée ingérée, le tableau clinique et la probabilité de
décès
DSI
< 0.5 mg/kg
0.5≥ DSI< 0.8 mg/kg
≥ 0.8 mg/kg
Tableau clinique
Troubles digestifs
Baisse des facteurs de la
coagulation (TP, facteurs V,
VII)
Idem + aplasie médullaire
Idem + insuffisance
circulatoire
+ Chute du TP en dessous de
20%
Mortalité
0%
10%
100% en 72 h
6.1. Si la DSI est inférieure à 0.5 mg/kg, l'intoxication se manifeste par des troubles digestifs
plus ou moins intenses et des troubles de la crase sanguine d'expression uniquement biologique
avec Coagulation Intra Vasculaire Disséminée (CIVD) asymptomatique et déshydratation
extracellulaire. L’évolution est en générale favorable en 4 à 5 jours.
6.2. Si la DSI est située entre 0.5 et 0.8 mg/kg, en plus des signes précédents apparaît une
pancytopénie vers le 4 ème jour.
Elle dure de 2 à 6 jours et peut être accompagnée d'hyponatrémie, d’oligurie, de polynévrite des
membres inférieurs et d’atteinte pulmonaire.
L'évolution peut être favorable avec aplasie réversible émaillée parfois d’un amaigrissement,
souvent de plus de 10 % du poids corporel en une semaine et d’une hyperleucocytose
réactionnelle. La mortalité est de l'ordre de 10%, liée soit à l'apparition d'hémorragie, soit à
une complication infectieuse.
6.3. Quand la DSI est ≥ 0.8 mg/kg, les troubles digestifs et les troubles de la coagulation
s'accompagnent rapidement d'un collapsus cardio-vasculaire. Ce dernier apparaît précocement
dans les 72 premières heures, suite à la déshydratation extracellulaire ou au choc septique et
persiste malgré la correction de l’hypovolémie. Cet état s'accompagne d'une chute massive des
facteurs de la coagulation. En l'absence de traitement spécifique par fragment Fab d’anticorps
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anticolchicine, la mortalité est de 100%.
Actuellement, la littérature internationale retient les facteurs de mauvais pronostic mentionnés
dans le tableau III
Tableau III : Pronostic de l’intoxication à la colchicine
• Dose supposée ingérée
• Mortalité globale
< 0,5 mg/kg
10-50%
0,5 à 0,8 mg/kg
< 5%
> 0,8 mg/kg
80%
• Chute du TP en dessous de 20% dans les 24 premières heures
• Hyperleucocytose supérieure à 18000/mm3 dans les 48 premières heures
complications : Apparition d’un SDRA, un collapsus persistant après remplissage ou traité par
drogues vasopressives ou inotropes dans les 4 premiers jours suivant l’ingestion.
7. Apport de la toxicocinétique dans la prise en charge des patients intoxiqués :
Le comportement cinétique de la colchicine en situation toxique n’est pas bien élucidé et
certaines situations se déduisent des études pharmacologiques.
En effet, l’absorption digestive rapide fait que le charbon activé ne peut être efficace que s’il
est administré précocement. La dialyse rénale reste illusoire devant le volume de distribution
très important. En outre, il n’existe pas de corrélation entre la concentration plasmatique de
la colchicine à l’admission et le pronostic final. Le métabolisme hépatique de la colchicine est
mal connu. La colchicine peut être dosée dans le plasma et les urines (gardés à l’abri de la
lumière), mais il s’agit d’un dosage inutile en urgence. Une quantité importante du toxique
s’élimine par les urines sous forme inchangée, l’élimination fécale est non négligeable. Il est
donc important de respecter les diarrhées et de maintenir une bonne diurèse.
En pratique, la surveillance doit être quotidienne avec numération formule sanguine, taux
de prothrombine et ionogramme sanguin et urinaire.
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8. Traitement
Le traitement est basé sur la décontamination gastro-intestinale avec recours au lavage gastrique
avant la 1ère heure d’intoxication. La colchicine peut être adsorbée par le charbon activé.
Le traitement est symptomatique en réanimation médicale et repose sur la correction du choc,
des troubles hématologiques et de coagulation (coagulation intra vasculaire disséminée
à
surveiller) en plus de la prévention du sepsis en cas de leucopénie.
La surveillance clinique et biologique régulière permet d’adapter les apports hydro
électrolytiques.
En cas de fièvre, il faut instaurer une antibiothérapie prophylactique et curative qui doit être
active sur les germes de l’oropharynx et du tube digestif, en raison du risque de translocation
bactérienne lors des chocs hypo volémiques.
En cas d’hémorragie, il faut transfuser avec des culots globulaires et plaquettaires.
Le traitement de l’insuffisance circulatoire se fera suivant la pression veineuse centrale
Le traitement spécifique par immunothérapie lors des intoxications graves (DSI ≥ 0.8mg/kg) est
basé sur l’administration intravasculaire de Fragments Fab extracellulaire d’anticorps spécifiques
anticolchicines. La liaison colchicine-microtubule est réversible, ce qui entraîne une
redistribution extracellulaire du toxique.
L’intérêt de l’immunothérapie est de prévenir les manifestations toxiques et de les faire régresser.
Malheureusement, ce traitement est resté à l’état expérimental.
9. Conclusion
Le cas clinique que nous rapportons se rajoute aux intoxications mortelles déplorées après
ingestion de faibles doses de colchicine.
Ces formes aussi graves se caractérisent par un échec du traitement conventionnel et ceci malgré
les progrès accomplis dans le traitement symptomatique des états de choc. Ce qui incite à réviser
les critères pronostiques, grâce au regroupement des cas d’intoxications et à développer
l’immunothérapie spécifique qui parait être la seule voie thérapeutique d’avenir devant l’absence
d’une thérapeutique réellement efficace.
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Références
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colchicine. Nouv Presse méd 1977 ; 6 : 1625.
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colchicine. Nouv Presse méd 1981 ; 20:1073.
3. Alzieu M, Fartoux L., Zuber J. Translocation bactérienne au cours d’une intoxication
par la colchicine. Presse méd 1999 ; 26 : 1420.
4. Mégarbane B., Résière D., Gueye P., Golgrand- Tolédano D., Schermann JM., Baud
F. Valeurs pronostiques du dosage plasmatique de la colchicine dans les intoxications
aiguës. Réan Urg 1999, 8: 133.
5. Maurizi M., Delorme N., Laprevote-Heully MC., Lambert H., Larcan A. Acute
respiratory distress syndrome in adults in colchicine poisoning. Ann Fr Anesthe Reanim
1986, 5: 530-2.
6. Sackett D., Varma JK. Molecular mechanism of colchicines action: induced local
unfolding of bêta-tubulin. Biochemistry 1993, 32: 13560-5.
7. Baud FJ., Taboulet P., Vicaut E. intoxication aiguë à la colchicine. In intoxication aiguë
en réanimation. Rueil-Malmaison 1999, Arnette. p. 497-505.
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