L`homélie dans l`Exhortation « La joie de l`Evangile »

Transcription

L`homélie dans l`Exhortation « La joie de l`Evangile »
L’homélie dans « La joie de l’Evangile »,
Exhortation apostolique Evangelii gaudium du pape François.
Conférence du 16 avril 2014 devant le presbyterium du diocèse de Lyon.
Monseigneur,
Chers prêtres,
Il est des rencontres pour le moins étonnantes, avouons-le.
Comme celle d’aujourd’hui : un cardinal invite une laïc, femme, ni
théologienne, ni exégète, à parler devant un parterre de prêtres, d’un texte du
pape, sur un genre particulier qui est réservé aux prêtres et aux diacres :
l’homélie.
La demande du cardinal Barbarin fut la suivante : « Entrez en résonance avec
les passages 135 à 169 sur l’homélie, dans l’Exhortation « La joie de
l’Evangile » comme quelqu’un qui écoute la Parole, et qui pratique la parole et
entend des homélies depuis longtemps ».
M’est remontée très vite de la mémoire profonde cette autre rencontre, décisive
et fondatrice de ma propre venue à la parole…
Ecoutons :
« Connaissez-vous ce bonheur de découvrir une source ? Un tel bonheur. Une
source parle de l’obscur. Elle grise avant d’étancher la soif. Miraculeuse, douée
du pouvoir de révéler la parenté avec l’invisible. Encore frémissante des cirques
fabuleux qu’elle a traversés, voix sans parole qui dit la fraternité. Pas nécessaire
de boire. Il suffit qu’elle soit là. Jésus fatigué du chemin, s’était assis contre la
source.
Cet extrait de Jean Sulivan dans la « Traversée des illusions » dit mieux que tout
ma propre venue à la parole / à la Parole dans le lent dépliement d’un temps de
carême il y a 42 ans, avec l’accompagnement d’un père de Sept Fons.
« Femme, crois-moi, l’heure vient ».
Et elle est venue, cette heure. Elle est là. Elle est sans cesse à venir. Expérience
fondatrice de l’intime rencontre du Christ.
« Il posa sur elle son regard et Il l’aima ». Parole libératrice pour un oui sans
retour.
Et la parole s’est mise à couler, l’écriture – parole - poème, parole sur papier, sur
les ondes, sur les planches parfois, comme autant de véhicules d’un feu intérieur
pas prêt de s’éteindre !
Tout ceci pour dire avec Paul aux Corinthiens « Qu’as-tu que tu ne l’aies
reçu ? » Une reconnaissance de dette. Au bénéfice de la joie !
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Pour résonner donc, avec ce qui nous occupe aujourd’hui, l’homélie dans
l’Exhortation du pape François « La joie de l’Evangile ».
Car enfin, ce même bonheur de découvrir une source, une parole- parenté avec
l’invisible, une fraternité sensible…et une présence de la Présence sortie
directement de l’Evangile/Bonne Nouvelle, c’est exactement ce que j’ai ressenti
en lisant l’Exhortation.
Au plus profond. A la margelle et au centre.
Je l’ai lue à longs traits, d’un trait.
Je l’ai lue, et j’ai bu tout le bleu d’une rencontre : une langue fluide, sensible,
avait quitté l’étage du mental et les injonctions du moral pour nous parler un
langage de noces, « d’étreinte baptismale », de « passion pour Jésus », de
« plaisir spirituel », une langue nuptiale, celle du cœur et des saveurs, « la douce
et réconfortante joie » de l’Evangile, son « éternelle nouveauté »…
« Enfin, un texte où il ne faut pas avoir fait la Fac de théologie pour le
comprendre ! » m’avait dit ma voisine de messe, un dimanche.
Mais peut-être êtes-vous de ceux, moins enthousiastes et plus critiques, vous qui
avez été formés par une solide théologie rationnelle…
Quoi qu’il en soit, reconnaissons que ce texte renouvelle le ton (même si sur le
fond il est en belle continuité avec ceux de Paul VI, de Jean-Paul II et de Benoît
XVI, qu’il cite souvent d’ailleurs). Il faut reconnaître à cette « joie de
l’Evangile » un heureux allant, un rythme, une manière neuve de dire d’un pape,
qui vous éclabousse à chaque page, vous met ou remet en éveil, en appétit, en
marche. Vous attire, vous attise, vous aimante. Comment ne pouvez-vous pas
entrer dans la danse ?
Elle renouvelle le ton et nous exhorte à renouveler le nôtre pour annoncer
une Bonne Nouvelle, qui parle à tous.
« Une Parole de Dieu écoutée, méditée, vécue, célébrée et témoignée » (174) et
qui dans son contexte eucharistique, a une valeur spéciale et s’appelle
l’homélie.
Si mon introduction a été un peu longue, c’est comme pour nous mettre quelque
peu en musique. Chercher le « la ». Annoncer 3 mouvements à défaut de 3
parties bien raisonnées.
Et le tout, croyez-le bien sincèrement, dans un « état de modestie souveraine »
comme dit René Char, face à vous, prêtres, qui êtes ces ministres de la Parole,
qui portez la Parole aux autres, qui êtes portés vous-même par la Parole. Et
mieux encore, si l’on en croit Paul dans les Actes 20,32 vous « qui êtes remis à
Dieu et à la Parole de sa grâce ».
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Plan en 3 mouvements :
1.- De l’importance de l’homélie : un genre à part à revisiter ?
2.- Le prêtre/prédicateur en stéréo : contemplatif de la Parole et contemplatif du
peuple.
3.- De quelques voies et moyens pour porter à goûter le message, à partir
d’exemples vécus dans la forme. Le Christ peut-il faire encore un buzz
aujourd’hui ?
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Premier mouvement
De l’importance de l’homélie : un genre à part à revisiter ?
Si le pape François consacre 25 paragraphes de son Exhortation à ce « grand
ministère », c’est de toute évidence qu’il veut en rafraîchir et ré-appuyer
l’importance. Il le dit sans ambages :
« les réclamations sont nombreuses »
« les uns souffrent d’écouter et les autres de prêcher ».
Est-ce vrai pour vous ?
Est-ce vrai pour nous ?
Quelquefois oui, nous souffrons, nous soupirons…Et pourtant j’ose affirmer
l’importance capitale, déterminante qu’eurent pour moi certains prédicateurs
connus ou moins connus, dont j’ai gardé, - sollicité parfois après la célébration –
l’homélie. Certaines étaient même directement devenues cette « intense et
heureuse expérience de l’Esprit, une rencontre réconfortante avec la Parole, une
source de renouveau et de croissance » (135).
Il n’empêche…
Si l’homélie évalue la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec
son peuple, c’est une réelle difficulté, sur la durée, de trouver la bonne
vibration du lien entre eux. Comment faire pour que se rejoignent ce
courant d’attente écoutante des uns, et la parole vivante offerte du pasteur
en vue de la croissance spirituelle ? Celle des fidèles, celle du pasteur, précise
François.
On aura tous lu et bien intégré que l’homélie n’est ni une conférence, ni un
cours, qu’elle n’est pas davantage un moment de méditation et de catéchèse,
mais qu’elle a une « valeur spéciale qui provient de son contexte
eucharistique ». Qu’elle en devient, par ce fait même, « le moment le plus élevé
du dialogue entre Dieu et son peuple, avant la communion sacramentelle » (sans
doute faut-il donner à cet « avant » une valeur temporelle, plutôt que
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qualitative/comparative). Et le pape d’ajouter qu’elle en est même comme « une
partie de l’offrande qui est remise au Père et comme une médiation de la grâce
que le Christ répand dans la célébration » (138).
Rien que cela !
Cela mérite au moins un temps d’attention.
Avouons que nous autres fidèles participants aux eucharisties sommes loin, pour
la plupart, de voir le lien apparemment si essentiel entre homélie et
communion sacramentelle. Il m’aura fallu – depuis quelques années –
approfondir cette question pour un double enjeu :
1.- celui de la non reconnaissance à la femme du rôle d’annonciatrice de la
Parole de Dieu (question qui comptait pourtant parmi les 55 propositions
officieuses du Synode des évêques d’octobre 2008 – réflexion en cours ?)
2.- l’enjeu œcuménique de l’échange de chaires que, comme déléguée pour
l’unité des chrétiens, j’observe de près avec les actuels travaux des commissions
mixtes à ce sujet.
Mais au-delà de ces questions ouvertes, interrogeons-nous sur la fécondité
spirituelle d’une si forte alliance des deux Tables, celle de la Parole et celle
du Corps du Christ, d’où l’homélie tiendrait sa si haute importance.
Nous le savons, Vatican II avec Dei Verbum, nous avait déjà précisé que
« L’Eglise a toujours vénéré les divines Ecritures comme elle le fait aussi pour
le Corps même du Seigneur, elle qui ne cesse pas, surtout dans la sainte liturgie,
de prendre le pain de vie sur la table de la Parole de Dieu et sur celle du Corps
du Christ »21.
Les Pères de l’Eglise eurent d’ailleurs des raccourcis saisissants, comme
Ambroise de Milan :
« Bois le Christ et bois sa parole… »
« Le corps du Fils est l’Ecriture qui nous est transmise ».
Comment comprendre en profondeur ce lien ?
M’est venue une image, qui me donne à mieux voir.
Nous connaissons tous ces scènes contemporaines où un puissant projecteur
accompagne les déplacements de l’artiste. Dans nos célébrations eucharistiques,
ce puits de lumière d’en-haut passerait d’une Table à l’autre. Parole /Pain de vie
orientant le regard, l’écoute et le cœur de l’officiant comme de l’assemblée :
Parole proclamée sortie du Corpus des Ecritures : « Tu m’as fait corps » (He 10,
4-10). Parole faite chair. Corps vivant qui touche, regarde, guérit, pleure,
communique en tous genres. Corps livré : « Ceci est mon corps ». Puis glorifié
par la verticale de la Croix qui attire tous les hommes à lui. Puis feu et lumière
de la Résurrection, de la Pentecôte et aujourd’hui même, dans la célébration,
médiation de la grâce que le Christ répand en son corps – Eglise, avant notre
propre résurrection de la chair et retour dans la gloire du Père.
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Si François nous dit que l’homélie est « le moment le plus élevé du dialogue
déjà engagé entre le Seigneur et son peuple », que c’est « un dialogue
amoureux » (137), entre deux étreintes c’est-à-dire, « l’étreinte baptismale »
(que nous a donnée le Père quand nous étions petits) et « l’autre étreinte, celle
du Père miséricordieux qui nous attend dans la gloire », il faut que nous nous
interrogions ensemble et mutuellement sur cette difficile tâche d’une parole qui
fasse « que le peuple se sente comme entre ces 2 étreintes ». Ce qui nous amène
au …
2. Second mouvement :
Le prédicateur en stéréo : contemplatif de la Parole et contemplatif du
peuple.
Un ami prêtre aime citer cet aphorisme de René Char dans « Les Matinaux » :
« Quand on a mission d’éveiller
on commence par faire sa toilette dans la rivière.
Le premier enchantement, comme le premier saisissement sont pour soi. »
Il en est ainsi pour le prêtre ou diacre prédicateur. (Il en est ainsi d’ailleurs pour
tout laïc qui pratique chaque jour la Parole, seul, en couple, avec d’autres…).
L’itinéraire que le pape propose est fait « d’étude, de prière, de réflexion, et de
création pastorale ». Un cheminement donc dans un temps donné, prolongé,
offert. A la fois personnel et communautaire. Le tout après une bonne
invocation à l’Esprit Saint qui agit dans la prédication de manière active et
créative. On le sait : « Jamais le Père ne refuse l’Esprit-Saint à celui qui le lui
demande ».
L’étude : je dirai peu de choses à vous qui avez compétence, pratique et
des formateurs de si haut niveau !
Il m’a semblé juste intéressant de faire écho à l’une ou l’autre intervention du
récent et passionnant colloque de l’ISEO à la Faculté catholique de Paris sur
précisément « Lire la Bible, écouter la Parole » (enjeux et expériences
œcuméniques).
- Réentendre combien nous avons à porter attention au va-et-vient du
fragment que nous lisons au livre entier et à toute la Bible : le tout
articulé autour du Christ, incontournable clé d’interprétation.
De quelle façon le Christ a-t-il lu les Ecritures ?
Rappelons-nous Luc 4, 16-21 à la synagogue de Nazareth.
Aujourd’hui
même « Seigneur que veux-tu changer dans ma vie avec
ce message ? » (153). L’Ecriture, si elle est inspirée est aussi inspirante.
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- Prendre en compte de nouvelles postures de lecture, invitait le Père
Christophe Raimbault de l’ISPC. Même si l’homélie ne relève pas de la
catéchèse, elle nous demande à passer de l’Ecriture à la Parole adressée au
destinataire. « Travailler le texte pour se laisser travailler par la
Parole » disait-il, plaidant avec Joël Molinario pour une nouvelle prise en
compte du sens spirituel à articuler avec le sens littéral, guettés que nous
sommes, dit-il, par le littéralisme et les fondamentalismes.
- « Le Verbe ne s’est pas fait papier », concluait Mgr Jordy, nous confiant à
l’œuvre de l’Esprit-Saint qui, comme « un air-bag théologique se
déploie en cas de sortie de route » !
Le temps aussi de la prière et de la réflexion…
Cela fait beaucoup de temps quand on connaît vos agendas d’équilibristes.
Alors je me demande comment vous avez pris cette injonction – somme toute
sévère – du pape au paragraphe 145. Il vous demande chaque semaine de
prendre « un temps personnel et communautaire suffisamment prolongé…même
s’il faut donner moins de temps à d’autres engagements, même importants ».
Plus sévère encore : « ne pas se préparer à la prédication est malhonnête et
irresponsable envers les dons » que vous avez reçus (145).
Mais il y a tant à faire !
Faire !?
Mais est-ce agir pour autant ?
J’ai voulu creuser un peu ; comprendre cette exigence à votre égard.
Qui est-ce qui agit ?
- Si l’on en croit He 4, 12 : c’est la Parole qui est « vivante et efficace ».
- Si l’on en croit Jc 1, 212 : « c’est cette Parole que Dieu plante dans notre cœur
qui a le pouvoir de sauver la vie ».
- Si l’on en croit le 2ème lettre de Paul à Timothée, au moment où il est missionné
vers sa communauté : c’est encore « la Parole qui donne la sagesse et qui
conduit au Salut par la foi en Jésus-Christ… » (2 Tm 3, 15-17).
- Si l’on en croit Acte 20,32 : c’est encore la Parole qui a le pouvoir de nous
faire progresser dans la foi et de nous accorder les biens que le Seigneur réserve
à tous ceux qui lui appartiennent.
Et l’on comprend alors pourquoi Paul conclut en saluant ses collaborateurs dans
le ministère : « Je vous remets à Dieu et à la Parole de sa grâce » que
développe avec la même insistance Enzo Bianchi, dans sa Lettre aux
prêtres (Parole et silence, 2006):
« Etre remis à la Parole, ce n’est pas un souhait, mais une obligation d’assiduité
avec la Parole, une assiduité faite d’écoute de la Parole dans la lecture des
Ecritures qui la contiennent, faite de méditation et d’expérience quotidienne
vécue, faite de prière qui permet au prédicateur d’assumer et de faire sienne la
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pensée du Christ 1 Co 2,16. Ce n’est qu’ainsi que la parole annoncée par le
prêtre, comme écho fidèle de la Parole de Dieu, accomplit sa course et se répand
(2 Th 3,1) jusqu’à être accueillie non comme une parole humaine mais comme
Parole de Dieu, comble d’énergie spirituelle, et efficace dans la vie des croyants
(1 Th 2, 13) ».
« Efficace » dans la vie du peuple auquel s’adresse votre parole.
Prendre du temps pour prier la Parole.
« En-dehors de moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5) dit le Fils ». Un Fils qui
« ne peut rien faire de lui-même sans le Père » (Jn 5, 19-30).
Force et faiblesse du disciple.
Prendre du temps, personnel, et communautaire aussi.
Du temps gratuit, fécond, qui dévoile des ressources divines insoupçonnées.
Tout récemment notre évêque, Mgr Laurent Percerou, a brièvement partagé à
quelques laïcs un témoignage émouvant à ce sujet. Il avait réuni son
presbyterium à l’abbaye de Chantelle. Ensemble ils ont fait un long moment de
partage sur l’Evangile de la Samaritaine. Et l’évêque fut bouleversé, émerveillé
– selon ses propres mots – par l’intensité, la richesse, la profondeur de ses
prêtres, de leur vie de foi …
Cela fit écho en moi…
Tu m’attendais, Seigneur, me voici.
Te contempler dans ta beauté solaire
Ta vie perpétuellement jaillissante.
S’éprendre avant que de comprendre.
Se déprendre…
Qu’elle me pénètre, prenne chair en moi ta Parole,
interpelle, oriente et façonne mon existence.
Que ces mots qui viendront dans l’homélie
soient des mots habités qui montent de très loin,
des mots éprouvés
qui ont requis tous les ressacs de mon sang
pour le souffle d’au-delà du feu.
Alors, tout à l’heure ou demain,
je prendrai la parole comme le voilier prend la mer,
comme l’oiseau prend le vent,
au souffle de ton Esprit, Seigneur.
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 Le prêtre contemplatif du peuple.
« Du peuple concret avec ses signes et ses symboles et répondant aux questions
qu’il pose » (Paul VI. Evangelii nuntiandi 1975)… « et non pas aux questions
que nul ne se pose », renchérit le pape François !
Plus de 40 années d’engagement paroissial et diocésain, et dans des mouvements
m’ont appris la qualité de la présence tous azimuts des prêtres. Si différents et
pourtant si donnés à leur sacerdoce, depuis l’accompagnement jusqu’à leurs
nombreux ministères.
Un prêtre donc à « l’écoute du peuple, des situations humaines, ce qu’ils vivent
et qui a besoin de la lumière et de la Parole… »
Je constate là que du peuple on est passé à « ils », un pronom personnel et
pluriel. D’où sans doute les difficultés pour nous aujourd’hui quand François
cite Paul VI (Exhortation de 1975, Evangelii nuntiandi) : « il y a une sensibilité
spirituelle pour lire dans les événements le message de Dieu ». Et là, c’est le
singulier qui m’interroge, pour ne pas dire qui me dérange.
N’y a-t-il pas des sensibilités spirituelles ? Des messages de Dieu dans des
situations historiques précises?
Pour en revenir à l’époque de Paul VI, certaines homélies qui suivirent la
publication d’Humanae vitae auront douloureusement entaillé la conscience de
nombreuses chrétiennes, incomprises dans leur réalité de femme dont la vie
spirituelle ne dépend pas seulement d’elles ! Voire culpabilisées, même si les
plus croyantes se retrouvaient sur l’horizon de sainteté d’une femme pleinement
sujet, et que la croissance d’une vie spirituelle forte n’exclut pas cette tension
féconde entre conscience, réalité vécue, vocation à la sainteté.
A l’écoute du peuple…Sommes-nous vraiment conscients, quand nous
préparons les homélies, que ce peuple, c’est « ils » et c’est « elles » ?
Et si je pointe cela, ce n’est pas parce que c’est dans l’air surchauffé du temps.
C’est parce que la femme apprécie que remonte dans la langue de l’Eglise la
langue maternelle que n’occulte pas le pape (139). « Milieu maternel et
ecclésial ». (Soit dit en passant cette « culture maternelle » remonte jusque dans
ses gestes et sa manière d’être au monde et aux personnes). Eglise-mère inquiète
de la fécondité de ce « que Dieu a semé chez ses enfants ». On pense là à cette
part que Julia Kristeva attribue à la femme, « porteuse d’inquiétude » pour le
futur des générations.
Une part très sensible, en tout cas, d’un Christ tout droit sorti des Evangiles,
d’une proximité sans équivoque avec la femme : « Femme, crois-moi l’heure
vient », « Femme, que me veux-tu », « Femme, voici ton fils »…et le ton de ce
nom de « Marie » au jardin de la Résurrection, ce nom à nul autre pareil qui
« touche » Marie, sans qu’elle puisse désormais le « toucher », le retenir.
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N’y a-t-il pas là une secrète parenté avec la parole même du prêtre et cette parole
qu’il ne peut retenir ? « Et toi, va leur dire que je suis ressuscité et que je vous
précède en Galilée ». Toute homélie est toujours l’aube d’une Résurrection.
Une parole qui s’en va et fait brûler les cœurs…
Interrogeons-nous encore : dans les circonstances historiques précises de
notre brûlante actualité des mois passés, comment l’avons-nous laissé aller, cette
parole, dans nos homélies ? Y avait-il place pour un espace de liberté où « la
splendeur de la vérité » accompagnait des consciences de personnes, de sujets,
entre réalité et miséricorde ?
N’était- il pas, tout simplement, salutaire que le même Evangile, après
discernement de la part de deux hommes d’Eglise, ait mené, l’un à descendre
dans la rue, et l’autre pas ?
Le paragraphe 236 de notre Exhortation ne propose-t-il pas « le modèle du
polyèdre qui reflète la confluence de tous les éléments partiels, qui, en lui,
conservent leur originalité » ? Un discours que le peuple sait entendre…
Le prêtre à l’écoute de tout le peuple ?
C’est une réflexion du Cardinal Louis-Marie Billé (2002) - bien calée dans les
pages blanches de mon agenda – qui m’a beaucoup éclairée dans ces
turbulences: « Si nous voulons offrir des réponses, il faut écouter les questions,
et nous ne pouvons pas écouter seulement les questions pour lesquelles nous
avons des réponses ».
3.- Troisième et dernier mouvement
De quelques voies et moyens pour porter à goûter la Bonne Nouvelle.
Si « ils » et « elles » du peuple rappellent à l’attention de leurs pasteurs leur
diversité, de la même façon il est à reconnaître l’infinie diversité de chacun des
prédicateurs. De leurs styles, de leurs origines, de leur formation, etc... Chacun
d’eux a aussi ses habitudes dans lesquelles il peut s’installer…Peut-être que le
pape veut y mettre un peu de pagaille, là aussi…
Et puisqu’il veut vous faire plancher sur les homélies, je l’ai pris au mot.
N’avions- nous pas dit tout à l’heure que lorsqu’on a mission d’éveiller on
commence par faire sa toilette dans la rivière ?
J’ai pris sur le Net son homélie du dimanche des Rameaux 2013 (28ème
Journées Mondiales de la Jeunesse).
Voyons d’un plus près s’il en conformité avec ce qu’il vous demande !
Phrase d’accroche : « Jésus entre à Jérusalem… »
Suit le verset 38 de Luc découpé en phrases courtes.
Le décor est planté.
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Le climat aussi en 5 mots : « Foule, fête, louange, bénédiction, paix » : c’est un
climat de joie que l’on respire.
Suit un paragraphe sur « Jésus, visage de Dieu. Il marche avec nous », qui se
conclut par « C’est la première parole que je voudrais vous dire : Joie ! Ne
soyez jamais des hommes et des femmes tristes : un chrétien ne peut jamais
l’être ! ».
Nouveau paragraphe qui développe le pourquoi : « joie d’avoir rencontré une
Personne…La suivre.
Deuxième parole : la croix . Le pourquoi de l’entrée de Jésus à Jérusalem :
« sur cette croix, Jésus sent tout le poids du mal et avec la force de l’amour de
Dieu le défait dans sa résurrection ».
Troisième parole, jeunes ! « Aujourd’hui même sur cette place ». Avec des
formules pleines d’affection le message développé est « Cœur jeune ! Avec le
Christ, le cœur ne vieillit jamais ! Chers amis, moi aussi je me mets en route
avec vous… ».
Et de conclure : l’envoi : « Les jeunes doivent dire au monde : il est bon de
suivre Jésus, il est bon d’aller avec Jésus ; le message de Jésus est bon ; il est
bon de sortir de soi-même, vers les périphéries du monde et de l’existence pour
apporter Jésus ».
Et de redire les trois paroles (avant la prière à Marie) : « joie, croix, jeunes ».
J’ignore si vous la jugez bonne, cette homélie et si elle répond effectivement à
ses deux recommandations :
« Résume ton discours. Dis beaucoup en peu de mots (Si 32,8) ou encore « une
idée, un sentiment, une image ».
En tout cas elle répond à la recommandation de Paul VI : « simple, claire,
directe, adaptée ».
Autre exemple, autre style… (un 2e exemple).
Un dimanche de janvier dernier. 10 h 30. Fin de l’homélie sur France-Culture.
Mon mari sort de la salle de bain avec un enthousiasme débordant :
« Voilà ce que je nomme une vraie bonne homélie ! »
Intéressée, j’ai fait « replay » le soir même.
C’était l’évangile du baptême de Jésus. J’écoute.
Du début à la fin, l’homélie filait la métaphore de l’eau, du symbolisme
aquatique de la Bible !
Rien d’original, direz-vous, sur le fond.
Oui, mais dans le rythme, le ton, le langage et les exemples rapportés
(visiblement devant une assemblée paroissiale toutes générations).
Je vous déroule les expressions :
dans la Bible aquatique, le Christ poisson –Ichtus – n’est jamais sans eau et nous
demande le plongeon, de la crèche au crucifiement.
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De nous retremper dans sa grâce.
Dans le Jourdain qui noyait le vieil Adam, - 400 m en dessous du niveau de la
mer – il te dit : arrime-toi à Lui, un bon coup de pied dans la piscine.
Et en direction des ados, le prédicateur raconte la copieuse aspersion avec le
goupillon d’un groupe d’ados amorphes et avachis, un jour de célébration,
histoire de mettre la pagaille que venait de lancer le pape François sur les ondes.
En direction des parents, il rappelle le symbolisme fondamental du baptême,
rappelant là aussi que ce n’est pas seulement la petite trempette pour faire
couiner le bébé.
Le tout se terminant par un appel à progresser dans sa vie spirituelle, par le
témoignage de paroissiens qui célèbrent chaque année le beau jour de leur
baptême en allant au sacrement de réconciliation.
-(Le prédicateur était le père Guillaume de Menthière, que nous ne connaissions
pas.)
Deux homélies, deux styles très différents. Et pourtant, si l’on reprend les 4
derniers paragraphes de notre Exhortation sur les instruments pédagogiques, on
trouve dans l’une comme dans l’autre homélie : le message à transmettre, le
langage « simple, clair, direct, adapté » (Paul VI), le langage positif, des valeurs
positives qui attirent « pour ne pas s’arrêter à la lamentation, à la critique ou au
remords » (159), le désir de réveiller et motiver la volonté dans la direction de
l’Evangile.
La croix oui, mais pas sans la joie.
Noyer le vieil Adam oui, mais pour naître à la vie de sauvés.
On évite la langue de bois théologique, conceptuelle tout en ne renonçant pas à
l’intelligence des textes…et du cœur.
Mais que faire si nous sommes secs ?
On n’est pas inspiré chaque semaine. Et au rythme où reviennent les mêmes
textes…
Y a-t-il quelques moyens qui renouvelleraient l’homélie ?
J’en citerais volontiers rapidement quelques uns …
 En premier lieu, le recours à l’image,
« Une image, quand elle est neuve, ouvre un monde », disait Bachelard.
Une image, qui par analogie, explore « le cœur de l’éternel », qui fait étincelle,
qui essaie de dire au plus juste de la Révélation.
Oh je sais bien que par goût, ou par manque de temps vous ne fréquentez guère
les poètes. Et pourtant le règne de Dieu, le Royaume, n’est pas une réalité qui
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s’impose à la seule raison, par « des vérités abstraites ou de froids syllogismes »
(142) qui ne convertissent personne, selon les paroles du pape lui-même.
Le poète René Guy Cadou a cette belle invitation :
« Prenez un mot et revêtez-le de la matière brûlante de votre âme ».
Le Christ n’a cessé de prendre des images nées de la culture vécue de ses
interlocuteurs, et de parler en paraboles.
Le Royaume est comme… comme…
Seul : « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang …Ceci est ma chair livrée
pour la vie du monde…Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ». Là il serait bon
d’approfondir « La métaphore vive » de Paul Ricoeur.
25 années d’ateliers d’écriture (de poésie surtout) m’ont appris combien ces
mots savent de nous ce que nous ignorons d’eux. La « diaconie de l’écriture »
disait Olivier Clément. Une image qui vous est venue, que vous avez filée… une
belle citation, un bref extrait de livre en disent parfois plus long dans les
homélies !
En second lieu : faire la différence entre l’impératif moral et l’impératif
créateur. C’est Fabrice Hadjadj qui nous rend attentifs à cela dans son dernier
livre : Comment parler de Dieu aujourd’hui ? (Salvator,2013).
Souvenons-nous dans la Genèse : « Que la lumière soit ! ». « Soyez
féconds… » : l’impératif créateur appelle à l’être, se fait l’écho de la parole du
Créateur, donne à aimer que l’autre soit ! Avant de commander « Tu dois ! Fais
ceci ! Sois cela ! » Et à cela nous avons sans doute tous beaucoup à réfléchir,
parents, éducateurs et prédicateurs…
Même les évangélistes, me suis-je soudain dit. Regardons les Béatitudes :
En Matthieu (5, 3-11) : que des « heureux » … ! Impératif créateur…
En Luc 6, (20-26) : cela commence bien avec les « heureux » ! Mais pourquoi
s’est-il senti devoir remettre une couche avec les « Mahleur à vous »
moralisateurs ?
En troisième lieu : la beauté première :
Dans une homélie à Brioude (bénédiction des vitraux de Kim En Joong), le
cardinal Danneels eut cette réflexion :
« De nos jours la vérité rend sceptique
la bonté décourage,
seule la beauté désarme. »
L’annonce de la Bonne Nouvelle par l’art est encore une dynamique trop
timide dans nos prédications et nos propositions de la Bonne Nouvelle.
L’émotion artistique serait-elle plus difficile à « manier » que les éclairages
conceptuels ? Mais ceux-ci « touchent-ils » autant ?
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A table nous venons de parler « films » longuement avec jeunes prêtres et
séminaristes... Tous les arts… et la musique en particulier :
« Le Verbe doit retentir en nous pour rejoindre notre chair » avait lancé une
jeune doctorante de l’Institut protestant de Théologie Audrey Cochand (pianiste
de formation) au colloque de l’ISEO. Partir de l’écoute pour arriver à la lecture :
convertie par l’écoute d’une œuvre d’Olivier Messiaen, elle se met à étudier la
Bible et demande le baptême à l’Eglise protestante. Elle travaille actuellement
avec d’autres, à un nouveau concept de prédication : les « cultes cantate ». Six
minutes d’écoute –puis méditation- puis prédication. Elle nous a conseillé, cette
Semaine Sainte, pour sortir de nos Bach et Haendel, la « Via Crucis » de Franz
Liszt).
En quatrième lieu, se souvenir que l’Evangile est aussi un récit.
Sujet délicat…Peut-être êtes-vous de l’avis d’un prêtre qui me répondait un
jour : «C’est un enseignement : voyez le Christ avec la foule. Il les fit asseoir et
se mit à les enseigner ! »
Précisons :
C’est Gabriel Ringlet, l’ancien vice-recteur de l’université de Louvain, écrivain
et journaliste, qui développe ainsi : « Dire de l’Evangile qu’il est un récit…laisse
entendre qu’il ne faut pas le confondre avec une doctrine, un système
idéologique, un traité de morale… L’Evangile est aussi plus qu’un récit […]. Il
est une sensualité. Il est un terroir. Il est une parole, un poème. Il est un chant. »
(Gabriel Ringlet, L’Evangile d’un libre penseur, Albin Michel).
L’Evangile comme récit initial vient dialoguer avec l’actualité du monde. Avec
la vie de la communauté paroissiale, le présent de chacun. Heureux ou
dramatique.
« Que veux-tu que je fasse pour toi ?…Et toi que dis-tu que je suis ?...Passant
par là, il vit… ». « Alors ils se mirent à raconter… »
Nul doute que votre intense vie au cœur des réalités de vos jeunes de quartier,
des hommes et des femmes dans toutes les situations de vie, arrivent en dialogue
avec ces multiples rencontres du Christ dans l’Evangile, rencontres d’hommes,
de femmes, d’enfants qui vont, viennent, restent ou se retirent. Se laissent
enseigner, toucher, regarder, bouleverser. Partagent les émotions du Christ luimême : hier, mardi-saint, n’avons-nous pas été saisis par ce début de
l’Evangile : « A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, au cours du
repas qu’il prenait avec ses disciples, il fut bouleversé au plus profond de luimême… »
Et je ne peux m’empêcher d’évoquer ici l’intervention d’Anne Humeau,
aumônière nationale catholique des établissements de santé, au Colloque de
l’ISEO : dans le cadre d’une célébration non pas eucharistique, mais du
sacrement des malades dans une chambre d’hôpital, pour une personne en fin de
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vie. Et elle dit ceci (sur un ton d’ailleurs d’une remarquable communication
intérieure, parole don de soi à l’autre) :
« Dieu est toujours déjà là – Dieu est là et je ne le savais pas » (Gen 28,16)
« Le déroulement inattendu de certaines rencontres, les propos insolites énoncés
par les malades nous imposent de nous arrêter et nous interroger ensemble sur ce
qui se passe sous nos yeux ».
Et elle entre alors dans le récit.
Une bouleversante rencontre-conversion-guérison intérieure d’une malade avec
l’Evangile de « la tempête apaisée ». (Elle avait évoqué deux ou trois textes, et
la patiente avait choisi celui-là).
Marc, Mathieu ou Luc auraient pu l’écrire.
Un récit d’aujourd’hui dans le récit initial d’hier et les cœurs bouleversés.
Et le cœur de cette femme à l’agonie s’ouvrit au grand apaisement.
Et pourquoi pas ainsi dans nos homélies ?
Et pour finir, un dernier point d’attention : le silence.
Ne les oublions jamais…
Ces silences qui ponctuent la parole comme autant de points d’orgue pour l’audelà de notre parole. L’indicible. La part silencieuse et active de l’Esprit-Saint et
du Père qui accomplit son œuvre en chacun.
Et je songe au témoignage de Jo et d’Elisabeth, pratiquants : « Avec « Pope »
(surnom donné à ce prêtre alsacien de 88 ans, toujours très actif,) l’homélie est
toujours une vraie rencontre positive, jamais culpabilisante, message de beauté,
d’espérance et de vérité. Il a le don des instants de silence, juste pour ressentir
le bienfait de la Parole : « On s’abandonne tout simplement à l’amour de Dieu,
aime-t-il dire. Tout passe, l’Amour de Dieu est de toujours ».
Et je me souviens encore de ces longs silences dont Jean-Marie, le prêtreconfesseur de l’abbé Pierre, ponctuait son message.
Grâce à eux, nous avons pu entendre, oui vraiment entendre et être retournés,
labourés pour l’essentiel en quelques phrases:
« C’est le monde à aimer »
« On ne peut pas se dérober »
« Au nom de ce qu’on a souffert ensemble »
« Dire merci à Dieu d’être Dieu pour tous les hommes »
…
« Ta place donne du goût à l’humanité ».
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En final de ces 3 mouvements…
Ta place, prêtre, diacre, et toi le croyant, l’espérant, ta place donne du goût à
l’humanité.
Comme celle sans doute des fidèles revivifiés par votre parole, avant de l’être
pleinement par le Corps du Christ.
En conclusion/ouverture :
je ne désire pas refermer la parole sur elle-même.
Et je m’étais promis, si nous avions encore 2 minutes, de vous offrir en final,
un extrait de texte d’un prêtre-écrivain, Arnaud Montoux, avec lequel notre
évêque, Mgr Percerou, a bouleversé nos cœurs de laïcs, lors de la retraite
diocésaine de carême.
Accueillez-le comme une immense reconnaissance à la veille de la fête de votre
sacerdoce.
C’est une parole de l’un d’entre vous…
Elle me semble tant faire l’unité de ce qui précède, et la communion avec ceux
qui aiment qui vous êtes. Car entre l’attente du Seigneur et celle de vos fidèles,
vous, prêtres, qui êtes-vous en vérité ?
Ecoutons-le.
Arnaud Montoux :
« Selon moi, l’Evangile ne véhicule pas des évidences accessibles à quelques
surhommes chargés, de par leur nature, de conduire un peuple d’assistés
spirituels. Je ne me sens pas de cette race-là, mais je suis certain que je suis fils
d’un peuple de pauvres, aimés de Dieu dans une tendresse sans degrés. Au cœur
de ce peuple, j’ai pour mission de discerner l’œuvre de Dieu dans la vie de
chacun de ceux qui me sont confiés et de favoriser la mise au jour et la
croissance de ce qu’il y a de plus beau en eux.
C’est dans la fragilité de ce que je suis, dans l’humilité de mon être blessé et
relevé que je peux témoigner de l’Amour de Dieu pour chacun d’entre eux. Du
haut d’une supériorité spirituelle sans faille, je ne pourrais témoigner que d’une
condescendance en laquelle je ne crois pas et qui n’a jamais sauvé
personne…surtout pas moi. […]
En laissant le Christ regarder ma vie, il m’arrive de penser qu’Il scrute et touche
avec attention ces plaies profondes et sensibles, non comme des imperfections
ou des erreurs de parcours, mais plutôt comme des nids de sa miséricorde. Il sait
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qu’en ces gouffres inquiétants, il verra naître surtout une compassion réelle et
charnelle pour ce monde, cette création qui gémit dans les douleurs de
l’enfantement. Il sait que jamais je ne pourrai regarder de haut celui qui vient
confier sa misère dans le sacrement du pardon car mes plaies sont aussi
profondes que les siennes. […]
Au milieu de ceux qui vivent le manque comme une chance consciente ou non,
le prêtre en fait l’expérience dans sa chair. Dans mon célibat pour le Royaume,
je vis sans cesse le manque d’une vie conjugale qui aurait pu combler mon cœur
d’homme en faisant de moi un époux aimant et un père. En faisant le choix de
servir le Seigneur, l’Eglise et le monde dans une vie de prêtre, j’ai fait un choix
qui n’a pas de sens en lui-même mais qui engendre en moi un désir de me
donner autrement. Le désir de se donner, n’est-il pas justement le sens le plus
véritable et le plus absolu de la vie d’un homme ? […]
En ma chair avide d’amour et de communion, je peux devenir signe d’une
attente qui concerne toute l’humanité ». (Arnaud Montoux, Quel avenir pour
nos paroisses ?)
Toute parole qui vient de la Parole retourne à la Parole en ayant fécondé le
vivant…Dans un moment, à la Messe chrismale, la liturgie nous offrira
l’Ecriture- parole, reprise à son compte par le Christ lui-même, Parole et pain de
vie. Isaïe 61, 1-9 et Luc 4, 16-21. Afin que s’accomplissent les Ecritures…
Christiane Keller
Villefranche/Saône, 16 avril 2014
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