LA Seq 1 Poésie et modernité

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LA Seq 1 Poésie et modernité
Aloysius BERTRAND, Gaspard de la nuit (1842)
Ondine
Ce poème appartient au livre intitulé « La nuit et ses prestiges ».
… Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil,
Et près de moi s’épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d’une voix triste et tendre ;
Ch. Brugnot1, Les deux Génies
-« Ecoute ! – Ecoute ! – C’est moi Ondine qui frôle de ces gouttes
d’eau les losanges de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ;
et voici en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la
belle nuit étoilée et le beau lac endormi.
« Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant
est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au
fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
« Ecoute ! – Ecoute ! – Mon père bat l’eau coassante d’une branche
d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches
îles d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduque
et barbu qui pêche à la ligne ! »
â
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon
doigt pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour
être le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et
dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit
en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.
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écrivain contemporain d’A. Bertrand
ARTHUR RIMBAUD (1854 – 1891) – LES ILLUMINATIONS (1873)
Aube J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps
d’ombre ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives
et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
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La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes
éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime
argenté je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la
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plaine où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les
dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses
voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant
tombèrent au bas du bois.
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Au réveil il était midi
Charles BAUDELAIRE, Les Fleurs du mal (Tableaux parisiens) (1857) A une passante La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Un éclair... puis la nuit ! -­‐ Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaître, Ne te verrai-­‐je plus que dans l'éternité ? Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-­‐être ! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! PAUL VERLAINE, Jadis et Naguère (1884) Ce poème a probablement été écrit fin 1872, après une première rupture avec Arthur Rimbaud, à Londres. Les deux hommes ont entretenus une relation tumultueuse. « Sonnet Boiteux » Ah! vraiment, c'est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. Il n'est pas permis d'être à ce point infortuné. Ah! vraiment c'est trop la mort du naïf animal Qui voit tout son sang couler sous son regard fané. Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible1! Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles. Et les maisons dans leur ratatinement terrible Epouvantent comme un sénat de petites vieilles. Tout l'affreux passé saute, piaule2, miaule et glapit3 Dans le brouillard rose, jaune et sale des Sohos4 Avec des indeeds et des all rights et des haôs5. Non vraiment c'est trop un martyre sans espérance, Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste: O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!
1 Référence à 2 villes de l’Ancien Testament, Sodome et Gomorrhe, qui furent détruites par Dieu pour punir leurs habitants aux mœurs dépravées. 2 Piauler : crier, en parlant d’oiseaux. Synonyme : criailler 3 Glapir : crier comme un animal 4 Soho : quartier de Londres où la vie nocturne est très animée 5 Il s’agit peut-­‐être d’une graphie fantaisiste pour l’interjection anglaise « ho » Textes de lectures analytiques – Séquence Poésie et modernité e
1 L et S2 – 2012/13 

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