Figures de sirènes

Transcription

Figures de sirènes
S U J E T
41_FRA070659_06C.fm Page 314 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
41
GUADELOUPE, GUYANE, MARTINIQUE • JUIN 2007
SÉRIE L • QUESTION
4 POINTS
Figures de sirènes
Documents
A – Homère, L’Odyssée, chant XII.
B – Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la nuit, 1842.
C – Jean Giraudoux, Ondine, acte I, scène 8 (extrait), 1937.
D – Robert Desnos, « Ma sirène », Les Nuits blanches, 1932.
Annexe – Document iconographique : Marc Chagall, Sirène au
poète, 1967.
m Dites
comment chaque document s’inspire du poème
d’Homère. Votre réponse s’efforcera d’être synthétique.
Après avoir répondu à cette question, vous devrez traiter au choix un des
trois sujets nos 42, 43 ou 44.
Document A
Après avoir été recueilli, Ulysse fait le récit de ses aventures à ses hôtes.
5
10
Au coucher du soleil, quand vient le crépuscule, les autres vont
dormir au long de nos amarres ; mais Circé, me prenant la main,
me fait asseoir à l’écart de mes gens et, pour m’interroger sur tout
notre voyage, s’allonge auprès de moi ; je lui fais un récit complet,
de point en point.
Elle me dit alors, cette auguste Circé :
CIRCÉ. – « Vous voilà donc au bout de ce premier voyage !
écoute maintenant ce que je vais te dire, et qu’un dieu quelque jour
t’en fasse souvenir !
Il vous faudra d’abord passer près des Sirènes. Elles charment
tous les mortels qui les approchent. Mais bien fou qui relâche1 pour
entendre leurs chants ! Jamais en son logis, sa femme et ses enfants
© Hatier 2007
314
S U J E T
15
20
41
ne fêtent son retour : car, de leurs fraîches voix, les Sirènes le charment, et le pré, leur séjour, est bordé d’un rivage tout blanchi
d’ossements et de débris humains, dont les chairs se corrompent…
Passe sans t’arrêter ! Mais pétris de la cire à la douceur de miel et, de
tes compagnons, bouche les deux oreilles : que pas un d’eux
n’entende ; toi seul, dans le croiseur2, écoute, si tu veux ! mais, pieds
et mains liés, debout sur l’emplanture3, fais-toi fixer au mât pour
goûter le plaisir d’entendre la chanson, et, si tu les priais, si tu leur
commandais de desserrer les nœuds, que tes gens aussitôt donnent
un tour de plus ! Quand tes rameurs auront dépassé les Sirènes, – je
ne t’assigne4 pas d’ici tout le parcours ; à toi de décider […] »
Le théâtre
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
La poésie
41_FRA070659_06C.fm Page 315 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
1. Qui jette l’ancre.
2. Le bateau.
3. Encaissement destiné à supporter le pied d’un mât.
4. Je ne te fixe pas.
Convaincre…
Homère, Odyssée, chant XII, traduction de Victor Bérard, parue en 1924.
10
© Hatier 2007
315
S U J E T
L’autobiographie
5
« – Écoute ! – Écoute ! – C’est moi, c’est Ondine qui frôle de
ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les
mornes rayons de la lune ; et voici, en robe de moire2, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle nuit étoilée et le beau
lac endormi.
Chaque flot est un ondin3 qui nage dans le courant, chaque
courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais
est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et
de l’air.
Écoute ! – Écoute ! – Mon père bat l’eau coassante d’une
branche d’aulne verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume
les fraîches îles d’herbes, de nénuphars et de glaïeuls, ou se
moquent du saule caduc4 et barbu qui pêche à la ligne ! »
Les réécritures
ONDINE
…… Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil,
Et près de moi s’épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d’une voix triste et tendre.
Ch. Brugnot1, Les Deux Génies.
Le roman
Document B
41_FRA070659_06C.fm Page 316 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
15
20
41
Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à
mon doigt pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle
son palais pour être le roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse
et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et
s’évanouit en giboulées qui ruisselèrent blanches le long de mes
vitraux bleus.
Aloysius Bertrand, « Ondine » Gaspard de la nuit, III, 9, 1842.
1. Auteur contemporain d’Aloysius Bertrand.
2. Tissu qui présente des parties mates et des parties brillantes.
3. Équivalent masculin d’ondine (génie des eaux dans la mythologie nordique).
4. Affaibli, abattu.
Document C
Le chevalier errant Hans Von Witter Stein est amoureux de Bertha qu’il
doit épouser. Mais il rencontre Ondine qui lui déclare son amour et
réussit à vaincre sa résistance grâce à ses pouvoirs magiques.
[…]
Nouvelle apparition
5
10
15
LA DEUXIÈME ONDINE : Ne me prends pas !
LE CHEVALIER : Que dit celle-là, maintenant ?
LA DEUXIÈME ONDINE : Ne me prends pas, beau chevalier ! Je
ne mange pas de ce pain-là !
LE CHEVALIER : De quel pain ?
ONDINE : Si l’effronterie ne t’a pas vaincu, elles prétendent que
tu seras séduit en un tour de main par la pudeur… Tous les
pauvres hommes, disent-elles, sont ainsi…
LA DEUXIÈME ONDINE : Ne me délie pas les cheveux, ne me
caresse pas les reins, beau chevalier !
LE CHEVALIER : Elle n’est pas mal, celle-là. C’est la plus belle
qu’ils m’envoient ?
ONDINE : Non ! C’est la plus intelligente. Ô Hans chéri,
prends-moi dans tes bras.
Regarde cette idiote… Ce que c’est bête une femme qui
s’offre !… Eh bien, tu peux partir, toi aussi ! Tu as perdu !
L’ondine disparaît. Une autre surgit.
LE
CHEVALIER
: Encore une autre !
© Hatier 2007
316
S U J E T
25
30
35
ONDINE : Ah ! mais non ! Ce n’est plus du jeu ! Vous ne deviez
venir qu’à deux.
LE CHEVALIER : Laisse-la. Elle parle…
ONDINE : Qu’elle s’en aille ! C’est le chant des trois sœurs.
Aucun ondin n’y résiste…
LE CHEVALIER : Parle, jeune personne !
TROISIÈME ONDINE :
Hans Wittenstein zu Wittenstein1,
Sans toi la vie est un trépas.
Alles was ist dein ist mein2.
Aime-moi. Ne me quitte pas…
LE CHEVALIER : Bravo. C’est charmant !
ONDINE : En quoi, charmant ?
LE CHEVALIER : C’est simple, c’est charmant. Ce devrait être à
peu près cela le chant des sirènes.
ONDINE : Ça l’est justement. Elles l’ont copié !… Voici la
seconde sœur ! Ne l’écoute pas !
Jean Giraudoux, Ondine, acte 1, extrait de la scène 8, Grasset, 1937.
Le théâtre
20
41
Convaincre…
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
La poésie
41_FRA070659_06C.fm Page 317 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
Document D
Robert Desnos est un poète de la première moitié du XXe siècle qui fut
l’une des figures importantes du mouvement surréaliste.
Le roman
1. Patronyme complet du personnage. 2. « Tout ce qui est tien est mien » (en allemand).
10
© Hatier 2007
317
S U J E T
Les réécritures
5
Ma sirène est bleue comme les veines où elle nage
Pour l’instant elle dort sur la nacre
Et sur l’océan que je crée pour elle
Elle peut visiter les grottes magiques des îles saugrenues1
Là des oiseaux très bêtes
conversent avec des crocodiles qui n’en finissent plus
Et les oiseaux très bêtes volent au-dessus de la sirène bleue
Les crocodiles retournent à leur boire
Et l’île n’en revient pas
ne revient pas d’où elle se trouve
où ma sirène et moi l’avons oubliée
L’autobiographie
Ma sirène
41_FRA070659_06C.fm Page 318 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
15
20
25
30
35
40
45
41
Ma sirène a des étoiles très belles dans son ciel
Des étoiles blondes aux yeux noirs
Des étoiles rousses aux dents étincelantes
et des étoiles brunes aux beaux seins
Chaque nuit trois par trois
alternant la couleur de leurs cheveux
Ces étoiles visitent ma sirène
Cela fait beaucoup d’allées et venues dans le ciel
Mais le ciel de ma sirène n’est pas un ciel ordinaire
Ma sirène a sept bateaux sur son océan
Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi
Samedi et Dimanche
Les uns à vapeur les autres à voiles
Les uns rapides les autres lents
Mais tous beaux mais tous charmants
avec des marins connaissant leur métier
Ma sirène a des savons de toutes formes et de toutes couleurs
C’est pour laver sa jolie peau
Ma sirène a beaucoup de savons
L’un pour les mains
L’autre pour les pieds
Un pour hier
Un pour demain
Un pour chacun des yeux
Et celui-là pour sa queue d’écailles
Et cet autre pour les cheveux
Et encore un pour son ventre
Et encore un pour ses reins
Ma sirène ne chante que pour moi
J’ai beau dire à mes amis de l’écouter
Personne ne l’entendit jamais
Excepté un, un seul
Mais bien qu’il ait l’air sincère
Je me méfie car il peut être menteur.
Robert Desnos, Les Nuits blanches, Gallimard, 1932.
1. Le mot provient étymologiquement de « sau », forme ancienne de « sel », et de « grenu »,
qui signifie « sous forme de grain ». Le terme signifie « bizarre », « inattendu ». Il est donc,
dans le poème, riche de sa double signification.
© Hatier 2007
318
S U J E T
41
ph © Comité Marc Chagall / Adagp, Paris 2007
Annexe
Le théâtre
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
La poésie
41_FRA070659_06C.fm Page 319 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
Convaincre…
FRA070659-06
LES CLÉS DU SUJET
■ Comprendre la question
• Vous devez retrouver les éléments qui sont empruntés à Homère et
voir comment chaque auteur a modifié ce « modèle ». Il s’agit donc en
somme de comparer chaque texte à celui d’Homère. Mais vous ne
pouvez pas y consacrer trop de temps.
• Repérez les récurrences ; déterminez les modifications.
Pour réussir les questions : voir guide méthodologique.
Trouver les points communs entre des documents : voir guide
méthodologique
Les réécritures : voir lexique des notions.
L’autobiographie
Le roman
Marc Chagall, Sirène au poète, 1967.
• Déterminez les motifs essentiels dans le texte d’Homère : à quoi sont
associées les sirènes ? Quelles sont les caractéristiques essentielles
que Circé leur prête ?
© Hatier 2007
319
S U J E T
Les réécritures
■ Chercher des idées
41_FRA070659_06C.fm Page 320 Jeudi, 26. juillet 2007 3:50 15
FIGURES DE SIRÈNES • QUESTION • SUJET
41
• Que deviennent ces thèmes ou motifs dans les autres textes du
corpus ? En quoi sont-ils modifiés ?
• Éventuellement vous pouvez émettre des hypothèses sur les raisons
de ces modifications. Ce peut être le contexte, le genre du texte…
C O R R I G É
• La mythologie, avec son cortège de personnages héroïques, fantaisistes
ou monstrueux, offre à la littérature des motifs de réécriture à travers les
siècles. Ainsi Homère, dans L’Odyssée, est le fondateur du mythe de la
Sirène. Il en fait une créature maléfique qui, par son chant séducteur, sa
« fraîche voix », « charme tous les mortels » et attire vers la mort les marins
qui ne peuvent lui résister.
• Aloysius Bertrand au XIXe siècle et Robert Desnos au XXe siècle en font le
personnage central d’un de leurs poèmes, tandis que Giraudoux, qui puise
souvent le sujet de ses pièces dans la mythologie antique, en fait la protagoniste de sa féerie théâtrale, Ondine. C’est donc d’abord par le choix du
genre littéraire que les auteurs du corpus réécrivent le texte d’Homère.
• Dans les trois textes, le personnage de la Sirène est, comme chez
Homère, le point de mire, le personnage principal autour duquel gravitent
tous les autres personnages, notamment un personnage masculin – avatar
de l’Ulysse d’Homère – que ce soit, dans les poèmes, le poète ou dans la
pièce de Giraudoux, le Chevalier. On remarquera cependant que, chez
Giraudoux, les ondines sont plusieurs, comme chez Homère – bien qu’il y
en ait une plus importante que les autres, Ondine. Dans les poèmes de Bertrand ou de Desnos, les sirènes sont représentées par une des leurs qui
focalise l’attention sur elle seule : pour elle, le nom commun « ondine »
devient un prénom : « Ondine » avec une majuscule. Chez Desnos, c’est
l’adjectif possessif « ma » qui individualise la « sirène ».
• Les trois textes reprennent le motif du chant, attribut essentiel de la
sirène, puisque c’est de lui qu’elle tire son pouvoir. Cependant, dans deux
des textes, la sirène prend la parole et donne un « échantillon » de son
chant séducteur : l’Ondine ouvre par son incantation, par « sa chanson
murmurée » le poème d’A. Bertrand (« Écoute ! Écoute ! – C’est moi… »),
avec ses répétitions obsédantes et envoûtantes. Elle tente bien de séduire
le poète. Chez Giraudoux, le spectateur entend lui aussi le chant séducteur,
© Hatier 2007
320
C O R R I G É

Documents pareils