Le concept du « vide

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Le concept du « vide
Proposition pour le colloque sur « Les traces bouddhistes dans la littérature occidentale »
Le concept du « vide » entre manque et plénitude
Claudia Polledri
Dans le cadre de la philosophie occidentale, à partir de la pensée grecque, le concept du vide a toujours été défini en
opposition à la notion de plénitude aussi bien que l’être s’oppose au néant. Concepts strictement liés (étant
impossible de concevoir l’un sans l’autre), et considérés comme incompatibles, le vide et le plein, tout comme le
binôme présence et absence, ont toujours fonctionné selon le principe d’exclusion réciproque. De même, le principe
de non-contradiction nous empêche d’affirmer que le vide soit en même temps plein sans tomber dans un non-sens
logique.
Pour ce qui en est de sa définition, puisque le concept du vide nous serait inaccessible en tant que non
expérimentable, seulement la voie négative nous le rendrait en quelque manière concevable. À partir de ces
affirmations, il y a évidemment toute une série de conséquences qui en découlent. D’un point de vue
psychanalytique, par exemple, comme il nous explique James Blasquez (Le négatif comme matrice : le Vide et le
Rien), le vide serait ainsi « une réponse défensive à la perception angoissante d’un manque, d’une absence ou d’un
retrait qui renvoie à l’expérience d’un vide qui a affecté la constitution narcissique du sujet et son identité en
formation ».
Mais cette conception du vide est-elle la seule possible ? Comment la pensée bouddhiste considère cette notion ? Et
comment arrive-t-elle à dépasser cette opposition entre le vide et le plein, ce qui charge inévitablement l’idée du
vide d’une angoisse existentielle indépassable ?
Parmi les nombreux écrivains occidentaux qui se sont intéressés à la pensée bouddhiste, Jean Grenier a porté une
attention particulière à la notion du vide. Notamment, dans deux romans, Les îles (1959) et dans Inspirations
Méditerranéennes (1971), il propose un parcours à travers cette notion en la privant de la dimension angoissante du
manque et de l’absence pour la tourner, à travers la contemplation de la nature (qui ne va pas sans écho pascalien),
vers l’idée d’un vide « positif » orienté vers l’idée de plénitude.
Est-ce que la littérature, travaillée par la pensée bouddhiste, arrive-t-elle à formuler un langage capable d’instaurer
une nouvelle manière de « dire le vide » non plus de façon « négative », et au delà du principe de « non
contradiction »? Comment ce langage s’articule-t-il ? Réussit-il à dépasser la logique exclusive de l’opposition des
contraires par celle de l’inclusion ? Et quelles sont les conséquences les plus significatives d’un tel renversement ?
Par l’analyse de ces deux textes de Grenier, et suivant le parcours qu’il propose, on essaiera de voir comment la
littérature, grâce à l’influence de la pensée bouddhiste, articule la notion du vide sans pourtant la « vider » de sens et
en la dirigeant vers une nouvelle signification.
S’inscrivant dans la problématique du colloque qui vise à étudier la nouvelle sensibilité littéraire développée face au
bouddhisme au cours du XXe siècle, cette étude contribuera non seulement à cet enjeu majeur, mais aussi et dans un
sens plus large, à la réflexion sur la valeur épistémologique du discours littéraire se manifestant par la mise en scène
de la pensée.

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