Transmission du savoir, inconscient et "transcréation" Paolo Lollo

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Transmission du savoir, inconscient et "transcréation" Paolo Lollo
Transmission du savoir,
inconscient et "transcréation"
Paolo Lollo
Psychanalyste, philosophe
Le discours scientifique produit l’idée d’un savoir qui se transmet intégralement.
C’est pour cela nous dit Lacan « qu’on fait des pieds et des mains pour le
mesurer1». Et on fait de l’évaluation le gendarme de la transmission. À partir d’un
contenu déterminé, mesurable, on s’efforce d’évaluer combien de ce tout a été
transféré du maître à l’élève. L’opération de transmission est considérée réussie,
voire parfaite si la transmission est totale, sans reste. Mais comment évaluer un
enseignement ? Le discours scientifique ne peut pas imaginer de renoncer à une
unité de mesure précise : une sorte de cruche capable de transférer intégralement
un contenu de savoir, pensé dans son état solide, d’un conteneur à un autre
conteneur.
Pour la psychanalyse, qui conçoit la matière du savoir comme un état psychique et
donc protéiforme, l’instrument de mesure sera forcément imprécis et produira une
perte qui n’est pas seulement nécessaire, mais, comme on le verra par la suite,
utile à l’opération de transfert. Un instrument semblable à un filet de pêche à
grandes mailles suffira au besoin pour mesurer, mais aussi pour transférer un
quelconque savoir. Plus grandes seront les mailles du filet de mesure, plus grande
sera la perte dans l’évaluation. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu
transfert
optimal
du
savoir.
Le savoir ne se transmet pas d’une manière intégrale, et surtout jamais de la même
façon
puisque
sa qualité
et sa
forme
sont variables
et
indéterminées.
Il y a au moins quatre fractions de savoir qui sont en jeux dans une transmission :
– un savoir qui est effectivement transféré et qui peut être mesuré ;
– un savoir qui a été transféré, mais qui n’a pas pu être mesuré ;
– un savoir qui n’a pas pu être transféré : il est perdu, il n’est pas arrivé à
destination
chez
l’élève
;
– un savoir qui n’a pas pu être transmis, mais qui surgit du rien, produit par l’élève,
par sa pulsion créatrice. Ce savoir a pu surgir grâce au fait que quelque chose dans
le transfert a été perdu, en laissant un vide ; ce trou permet à l’élève de produire le
savoir qui manque à l’appel; un savoir qui est production et donc activité singulière
qui permet à l’ensemble du processus de transmission de s’accomplir.
Chaque transmission étant singulière, elle ne peut donc pas faire référence à un
système d’évaluation universel. Le problème est qu’on ne peut ni mesurer ni
quantifier avec précision le réel psychique. Nous pouvons en mesurer les signes
externes, mais nous ne pouvons pas transmettre quelque chose qui est de l’ordre
de l’expérience d’une façon univoque et intégrale… L’apprentissage des animaux,
des êtres qui ne parlent pas, reste mécanique, superficiel, externe. Dans le savoir
humain, l’inconscient est à l’œuvre, un savoir qui opère dans l’intime, l’in-time.
Un espace intérieur où un temps (time) singulier permet un apprentissage de type
nouveau qui met en mouvement et en question le sujet qui apprend et l’invite à
créer
son
propre
savoir.
Apprendre à apprendre est une expérience singulière que chacun crée d’une façon
qui lui est propre, mais elle peut être induite par une transmission qui suggère et
respecte
cet
espace
de
liberté
du
récepteur.
Transmettre le savoir signifie d’abord enseigner à apprendre à apprendre, c’est-àdire à recevoir ce qui nous est donné et à produire ce que nous ne pouvons pas
recevoir directement et que nous devons créer en nous ex novo. Transmettre le
savoir signifie donc créer les conditions pour que le savoir soit reçu et en même
temps produit. Il y a dans la transmission une part d’intransmissible qui ne peut pas
être transférée, simplement parce qu’elle ne se trouve pas là où l’on croit, et peutêtre n’est pas ce qu’on pense qu’elle est. Elle n’est pas transférable puisqu’elle
n’existe pas encore dans une forme qui peut être accueillie et reçue. J’appellerais
"transcréation2", cette partie qui peut être transférée et reçue seulement une fois
créée. Chaque savoir est toujours, en partie, savoir singulier et donc produit par qui
le reçoit, même si c’est un savoir scientifique, puisqu’il est en symbiose avec un
sujet
qui
le
produit
et
le
supporte
au
même
moment.
Transmettre un savoir signifie donc transmettre le transmissible, mais aussi faire en
sorte que ce qui n’est pas transmissible puisse se reproduire. Le problème donc
n’est
pas
de
transmettre,
de
donner
un
savoir,
mais
de
le
recevoir.
Comment faire pour qu’un savoir, soit reçu ? Comment faire pour donner et
transmettre un savoir est une question subordonnée à une autre question, celle de
savoir « comment peut-on recevoir le savoir ? », sachant que ce que l’on reçoit
n’est pas tout le savoir. En effet, quand un savoir nous est transmis, nous le
recevons sans la partie cachée, qui n’est pas transmissible et que nous devons donc
trouver
autrement,
pour
peut-être
la
reproduire.
Paolo Lollo
1
J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Le Seuil p. 179.
Néologisme qui condense le verbe transférer et le nom création, pour signifier un transfert de savoir qui
s’opère seulement avec une production ex novo de connaissance
2

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