une enquête de prévalence menée au Bangladesh

Transcription

une enquête de prévalence menée au Bangladesh
INT J TUBERC LUNG DIS 8(8): 952-957
© 2004 IUATLD
Différences entre sexes en matière de tuberculose :
une enquête de prévalence menée au Bangladesh
M. A. Hamid Salim,* E. Declercq,† A. Van Deun,‡ K. A. R. Saki*
†
* Damien Foundation Bangladesh, Dhaka, Bangladesh ; Damien Foundation Belgium,
‡
Brussels, Mycobacteriology Unit, Institute of Tropical Medicine, Antwerpen, Belgium
_______________________________________________________________________________RESUME
CONTEXTE : Le programme national de lutte contre la tuberculose du Bangladesh dans les districts (population 18 millions) soutenus par la Fondation Damien.
OBJECTIF : Déterminer dans quelle mesure la différence de prévalence entre les sexes est une réalité épidémiologique ou est due à des barrières d'accessibilité pour les femmes.
SCHEMA : Enquête de population avec un échantillonnage au hasard en deux étapes. Les sujets sont interviewés
concernant la présence de symptômes subjectifs de tuberculose par des équipes composées d'un volontaire masculin et d'un volontaire féminin. Chez tous les sujets identifiés comme suspects de tuberculose, un échantillon
d'expectoration du petit matin a été examiné par la technique de Ziehl-Neelsen.
RESULTATS : Au total, l'enquête a porté sur 266.189 sujets, parmi lesquels 223.936 (84,1%) ont pu être interviewés. Ceci a permis d'identifier 7.001 suspects de tuberculose (2.406 femmes et 4.595 hommes) ainsi que 64 cas
confirmés de tuberculose (16 femmes et 48 hommes). Le ratio femmes/hommes (0,33/1) des cas découverts au
cours de cette enquête n'est pas plus élevé que celui observé au cours du diagnostic de routine (0,42/1). Le taux
de déclaration des cas en routine concernant les sujets à bacilloscopie positive au cours de 2000 est environ le
double de celui observé au cours de l'enquête (44,3 versus 24,0 pour 100.000).
CONCLUSIONS : Les différences de prévalence observées en routine entre les sexes lors du diagnostic de la
tuberculose sont réelles et ne sont pas dues à une accessibilité moindre des femmes. Les taux de déclaration en
routine se comparent favorablement à la détection des cas préalablement inconnus découverts au cours de l'enquête.
MOTS CLES : tuberculose ; sexe ; enquête de population ; Bangladesh
DES TAUX DE DETECTION de la tuberculose
(TB) plus élevés chez les hommes que chez les
femmes ont été observés dans beaucoup de pays.1-3
L'amplitude de la différence varie d'un pays à l'autre et en fonction de l'âge des patients. La question
de savoir dans quelle mesure cette différence entre
sexes reflète effectivement un risque de développer
la TB plus élevé chez les hommes que chez les
femmes ou bien si elle constitue un artéfact reste
largement ouverte.4
Le diagnostic de tuberculose est également porté plus souvent chez les hommes dans les projets
soutenus par la Fondation Damien (DF) Belgique au
Bangladesh. Le nombre de nouveaux cas à bacilloscopie positive détectés par les services de DF a
augmenté, passant de 522 en 1994 à 8.677 en 2001.
Le ratio de sexe femmes/hommes (ratio F/H) a
augmenté de 0,30:1 en 1994 à 0,42:1 en 2001.
Nous avons planifié une enquête par échantillonnage dans la population pour investiguer dans
quelle mesure des différences d'accessibilité aux
services de santé pouvaient contribuer à cette différence entre sexes dans la détection de la TB.
MATERIEL ET METHODES
La Fondation Damien assure la lutte antituberculeuse au nom du Programme National de lutte
contre la Tuberculose (PNT) du Bangladesh dans 74
Upazilas, qui correspondent à une population d'environ 18 millions d'habitants. L’Upazila est l'unité
administrative de base, couvrant en moyenne
250.000 habitants. Chaque Upazila a son « Complexe de Santé Upazila » (CSU) comportant un
hôpital et un service ambulatoire, où la DF a ouvert
une polyclinique intégrée de TB. Ces polycliniques
sont assurées par des travailleurs paramédicaux
étroitement supervisés, ayant bénéficié d'une formation spécifique en TB y compris la bacilloscopie des
frottis d'expectoration. Le dépistage des cas est exclusivement passif. L'examen des suspects et la
prise en charge des patients sont effectués selon les
directives du PNT, dans la ligne des recommandations internationales.5 Les suspects sont identifiés
sur base des symptômes cliniques (la toux pendant
une durée d'au moins 3 semaines, ou d'autres symptômes tels des problèmes respiratoires, une faiblesse
générale, une fièvre chronique, une hémoptysie ou
Auteur pour correspondance: Dr Etienne Declercq, Damien Foundation, Boulevard Leopold II, 263, 1081 Brussels,
Belgium. Tel: (+32) 2 422 59 14. Fax: (+32) 2 422 59 00. e-mail: [email protected]
[Traduction de l'article "Gender differences in tuberculosis: a prevalence survey done in Bangladesh" Int J Tuberc
Lung Dis 2004; 8(8): 952-957.]
2
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
une importante perte de poids), et trois échantillons
d'expectoration sont examinés à la recherche de
bacilles acido-résistants (BAAR) par examen microscopique direct. On diagnostique une tuberculose
à bacilloscopie positive si des BAAR sont mis en
évidence dans au moins deux échantillons d'expectoration et si moins un des deux échantillons se
trouve au-dessus de la limite de positivité (au moins
quatre bacilles pour 100 champs). Les suspects dont
la bacilloscopie reste négative de façon persistante
sont les seuls référés aux agents médicaux du CSU.
Un système bien développé de contrôle de qualité
de l'examen d'expectoration a été mis en place et a
démontré la fiabilité élevée des examens de laboratoire.6
Nous avons choisi un schéma d'échantillonnage
aléatoire par étapes multiples et par grappes. Sur la
base d'une prévalence estimée de tuberculose à bacilloscopie positive de 1,5 pour 1.000 habitants pour
les hommes et de 1,0/1.000 pour les femmes, on a
considéré que la taille de l'échantillon nécessaire
était de 250.000 personnes. Lors d'une première
étape, on a sélectionné 23 Upazilas parmi les 74
couverts par le programme. Dans chaque Upazila,
on a sélectionné 40 Mauzas (la plus petite unité
administrative). Dans chaque Mauza, il s'agissait de
pratiquer un dépistage chez 290 personnes âgées de
12 ans ou plus, mais les listes de recensement de
population n'étaient pas disponibles. Des équipes
comportant des volontaires rémunérés (un homme et
une femme) ont été entraînées pendant 3 jours et
soumis à un test-pilote sur le terrain avant le début
de l'enquête. Au total, 48 volontaires de sexe masculin et 44 de sexe féminin ont subi cette formation et
leur travail sur le terrain a été périodiquement supervisé par les superviseurs du projet. Au cours de
visites de maison en maison, ils ont interviewé tous
les habitants des zones sélectionnées en utilisant un
questionnaire structuré. Le questionnaire cherchait à
identifier les suspects de TB et les patients traités
pour TB au moment de la visite ou dans le passé.
Parmi les autres informations réunies, on note des
données démographiques, le statut conjugal, les
revenus financiers, la conscience de la tuberculose
et le comportement de recherche de soins pour cette
affection. Les suspects ont été identifiés sur la base
d'une toux présente depuis 3 semaines au moins.
D'autres symptômes possibles comme l'hémoptysie
n'ont pas été pris en considération.
Une personne a été considérée comme financièrement dépendante si il/elle n'avait pas de revenus
personnels, mais dépendait des revenus des autres.
Les membres de la famille ont été interviewés au
sujet de l'existence de tousseurs chroniques parmi
les membres de la famille absents au moment de la
visite. On a laissé sur place un récipient pour expec-
toration destiné à tous les suspects, présents ou absents, et on a demandé le prélèvement d'une seule
expectoration du petit matin. Ces récipients ont été
recueillis par les volontaires et examinés par
l'équipe de la DF au CSU local par bacilloscopie
après coloration au Ziehl-Neelsen à chaud (fuchsine
à 1%) en utilisant la même technique et les mêmes
critères que pour le travail de routine. Au laboratoire
de référence, on a relu 10% des frottis de l'enquête
en plus des recontrôles en cours pour le contrôle de
qualité. Tous les résultats positifs ont dû être
confirmés par le contrôle de deux échantillons complémentaires d'expectoration. Les résultats inférieurs
au seuil de positivité (<4 BAAR/100 champs) devaient être confirmés par au moins un résultat nettement positif parmi trois échantillons complémentaires d'expectoration. Le cliché thoracique n'a pas
fait partie du processus de diagnostic.
Les données ont été enregistrées et analysées
sur un logiciel Epi Info (Centers for Disease
Control and Prevention, version 6.04C, Atlanta,
GA, USA, 1997). Lorsqu'il était présenté par
groupe d'âge, le ratio femme/homme a été calculé
en divisant le nombre de suspects (ou de cas) par le
nombre de personnes ayant fait l'objet de l'enquête
dans le groupe correspondant d'âge et de sexe.
Le test χ2 a été utilisé pour contrôler la signification statistique des différences entre groupes. Si
la valeur attendue de la cellule était inférieure à 5,
on a utilisé le test exact de Fisher.
RESULTATS
L'enquête a été complétée en 3 mois (janvier-mars
2001). La population faisant l'objet de l'enquête
figure au Tableau 1, de même que les personnes
trouvées à domicile et le nombre de cas suspects et
confirmés de tuberculose en fonction du sexe. Au
total, 266.189 personnes résidant dans 919 Mauzas
ont fait l'objet de l'enquête et parmi celles-ci
223.936 (84%) ont été trouvées à leur domicile et
ont pu être interviewées. Ceci a entraîné l'identification de 7.001 suspects de tuberculose (2,6% de la
population couverte), dont 4.595 hommes (3,4%) et
Tableau 1 Population de l'enquête et nombre de suspects et
de cas de tuberculose détectés
Population totale
de l'enquête
Hommes 135 754
Femmes
130 435
Total 266 189
Personnes
rencontrées
à domicile
n (%)
Tuberculose
Cas*
n (prévaSuspects*
lence/
n (%)
100.000)
103 513
(76,3)
120 423
(92,3)
4595
(3,4)
2406
(1,84)
48 (35,4)
223 936
(84,1)
7001
(2,6)
64 (24,0)
* Parmi ceux ayant fait partie de l'enquête
16 (12,3)
Sexe et tuberculose
3
Figure 1
Proportions des suspects et leur ratio femmes/hommes parmi la population de l'enquête, stratifiées par
sexe et groupe d'âge. Ratio F/H = ratio des pourcentages des
suspects femmes par rapport aux pourcentages des suspects
hommes ; F = femmes ; H = hommes.
Figure 2 Taux de positivité pour les bacilles acidorésistants et
leur ratio femmes/hommes parmi la population de l'enquête, par
sexe et par groupe d'âge. Ratio F/H = ratio des taux de positivité des femmes par comparaison à ceux des hommes ; F =
femmes ; H = hommes.
2.406 femmes (1,8%), avec un ratio F/H de 0,52/1.
A la Figure 1, on voit la proportion de suspects
dans la population ayant fait l'objet de l'enquête,
stratifiée par âge et par sexe. La proportion de suspects augmente avec l'âge, à la fois pour les hommes et pour les femmes (de 0,83% à 5,27% pour
les femmes et de 0,70% à 10,58% pour les hommes). A la Figure 1, on voit également qu'avec
l'augmentation de l'âge, le ratio F/H de ces proportions de suspects diminue de 1,19 à 0,54.
A la Figure 2, se retrouve la proportion de cas
de tuberculose à bacilloscopie positive dans la
population ayant fait l'objet de l'enquête et ce, par
âge et par sexe.
Au total, on a identifié 64 cas à bacilloscopie positive, soit 16 femmes et 48 hommes. Le contrôle de
qualité par relecture n'a pas fait apparaître d'erreurs,
mais trois suspects dont un premier résultat « rare »
(1-3/100 champs) n'a pas pu être confirmé lors
d'examens ultérieurs des expectorations n'ont pas été
inclus comme cas. De ces 64 cas à bacillos-copie
positive, 11 hommes et deux femmes étaient connus
antérieurement et déjà sous traitement.
Le taux de positivité a été de 12,27/100.000
pour les femmes et de 35,36/100.000 pour les
hommes (ratio F/H 0,35/1). Il augmente régulièrement avec l'âge chez les hommes pour atteindre un
maximum de 111,2/100.000 dans le groupe d'âge
≥65 ans. Parmi les femmes, le taux est plus élevé
dans le groupe d'âge de 15 à 24 ans, reste ensuite
bas entre 25 et 54 ans avant de ré-augmenter à des
âges plus avancés.
Le ratio F/H des cas positifs a été de 1,39 pour
le groupe d'âge de 15 à 24 ans, mais inférieur à 1
pour tous les autres groupes d'âge.
A la Figure 3, on compare les cas à bacilloscopie
Figure 3 Cas à bacilloscopie positive détectés durant l'enquête par comparaison aux nouveaux cas à bacilloscopie positive enregistrés en 2000, taux de déclaration et leur ratio femmes/hommes. F = femmes ; H = hommes.
4
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
positive détectés au cours de l'enquête à ceux détectés en routine dans la population étudiée en
2000. Le taux global de déclaration des cas de
routine en ce qui concerne les cas à bacilloscopie
positive au cours de l'année 2000 est presque deux
fois supérieur à celui observé au cours de l'enquête
(44,3/100.000 vs. 24,0/100.000). Il est plus élevé
dans tous les groupes d'âge, les différences étant
les plus prononcées entre 25 et 44 ans et les plus
faibles dans le groupe d'âge ≥65 ans. Le ratio global F/H pour les cas détectés au cours de l'enquête
est similaire à celui observé en routine (0,35 dans
l'enquête vs. 0,44 en routine). Il est plus élevé pour
les groupes d'âge de 15 à 24 ans, de 25 à 34 ans et
≥65 ans, mais les différences ne sont pas statistiquement significatives.
Tant les suspects que les cas de sexe féminin
sont significativement plus susceptibles d'être financièrement dépendants que les hommes (84%
vs. 21,5%) (Tableau 2). La fréquence de la dépendance financière n'est pas influencée par l'âge parmi les suspects de sexe féminin alors qu'elle l'est
parmi les hommes, la dépendance étant moins fréquente entre les âges de 25 à 54 ans, et augmentant
aux âges plus avancés ; (données non fournies). La
plupart des suspects (68%) et des cas (69%) étaient
conscients de leurs symptômes et bien que les suspects de sexe féminin signalaient être conscients de
leurs symptômes de manière significativement
moindre que les hommes, cette différence disparaît
pour les cas. Moins de la moitié des suspects et
seulement environ un tiers des cas n'avaient pas
cherché à être soignés, le pourcentage de suspects
de sexe masculin recherchant un traitement étant
significativement plus faible que celui des femmes
(la même tendance s'observe pour les cas de sexe
féminin, mais de façon non significative).
Les raisons principales d'absence de recours au
traitement ont été d'ordre financier (Tableau 3, 68%
des femmes et 76% des hommes). Le manque de
Tableau 2
Manque de conscience et comportement de
recherche de soins
Suspects
Conscience des
symptômes
Dépendance
financière
Pas de recherche
de traitement
Cas
Conscience des
symptômes
Dépendance
financière
Pas de recherche de
traitement
Femmes
%
Hommes
%
(n = 2406)
(n = 4595)
63
69
<0,00000
84
21,46
<0,00000
43
46
<0,05
(n = 16)
(n = 48)
69
71
88
23
31,25
27,08
P
0,55
<0,00000
0,75
Tableau 3 Barrières aux soins de santé parmi les suspects
qui n'ont pas recherché un traitement
Femmes
(n = 1.034)
%
Moindre importance
accordée à la santé
Manque d'argent
Perte de revenus
Barrières financières
totales
Ne savent pas où aller
pour le traitement
Manque de confiance
dans le traitement
médical
Manque total de
conscience
Aucun accompagnant
Tuteur non motivé
Stigmatisation
Distance excessive
Autres
Hommes
(n = 2.115)
%
25
41
2
31
36,6
8,45
68
76
18
15
1
19
1
16
6
0,4
2
1
3,6
P
<0,0000
<0,05
2
0,1
0,7
0,6
4
prise de conscience, c'est-à-dire l'ignorance de l'endroit où se rendre pour un traitement curatif, n'est
signalé que par une minorité de patients, mais de
façon significativement plus fréquente chez les
femmes que chez les hommes. La dépendance à
l'égard de personnes accompagnantes ou d'un tuteur est plus souvent mentionnée par les femmes,
mais dans l'ensemble, ces facteurs ne sont signalés
que rarement. La distance et la stigmatisation sont
à peine intervenues.
Près de 60% des suspects ont indiqué le CSU
comme lieu de référence en cas de suspicion de
tuberculose, et cela de manière significativement
plus fréquente chez les hommes que chez les femmes (données non fournies).
DISCUSSION
Dans beaucoup de pays et de cultures différents,
moins de femmes que d'hommes sont déclarées
comme malades tuberculeuses, habituellement à
l'exception des enfants et des adolescents.2 Diverses
raisons épidémiologiques pourraient expliquer cette
différence entre sexes, comme un risque plus élevé
de progression de l'infection à la maladie active
chez les jeunes femmes par rapport aux jeunes
hommes. Toutefois, les services de lutte antituberculeuse doivent avant tout savoir si ceci pourrait être
dû à une accessibilité moindre et à des insuffisances
de diagnostic chez les patientes de sexe féminin.
C'est la question posée par cette enquête entreprise dans une population rurale du Bengladesh où
sont enregistrés en routine comme atteints de tuberculose, plus de deux fois plus de patients de sexe
masculin que de sexe féminin. On se disait que des
facteurs socio-culturels pourraient être impliqués,
puisque dans cette collectivité assez stricte et à prédominance musulmane, les femmes ont peu de li-
Sexe et tuberculose
berté de mouvement et dépendent habituellement
des hommes dans la plupart des domaines, y compris la santé. Dans la zone d'étude, les services de
tuberculose du gouvernement ont été soutenus par
une organisation non-gouvernementale obtenant des
taux relativement élevés de détection et d'excellents
taux de guérison et offrant un service gratuit. Toutefois, en raison de la réputation médiocre des services de santé du gouvernement et de la profusion
d'autres pourvoyeurs de soins, tant occidentaux que
traditionnels, le risque de sous-utilisation des services de lutte antituberculeuse existait, particulièrement pour les femmes.
Nous avons investigué ce problème au moyen
d'une enquête de maison en maison avec interview
systématique de la population par des équipes de
volontaires entraînés, de sexe masculin et féminin et
avec un recueil d'expectoration pour examen microscopique des BAAR chez les personnes signalant
des symptômes. Notre schéma d'étude a le mérite
d'être simple et peu coûteux (environ 26.000 US$)
par le fait qu'il se concentre sur les individus symptomatiques plutôt que sur l'ensemble de la population et parce qu'il utilise exclusivement l'examen
microscopique pour la détection des cas. Des schémas similaires ont été signalés comme hautement
efficients, même pour les enquêtes de prévalence.7,8
La taille de l'échantillon a été suffisamment grande
pour mettre en évidence le caractère significatif de
différences entre sexes d'un même ordre de grandeur que celle observée dans les déclarations de
routine ; la technique d'échantillonnage par grappes
et par étapes multiples a permis d'assurer la représentativité pour la zone. La majorité de la population identifiée dans l'enquête a été effectivement
interviewée mais on n'a pas fait d'efforts pour retrouver les absents. Toutefois, la proportion de sujets interviewés a été plus élevée parmi les femmes
que parmi les hommes. Il est donc peu probable
qu'une couverture incomplète soit une cause d'insuffisance relative du diagnostic chez les patients de
sexe féminin. Le fait qu'un plus grand nombre de
femmes que d'hommes a pu être trouvé à domicile
au cours de l'enquête peut être expliqué par des
facteurs socio-culturels : au Bangladesh, les femmes
sont plus susceptibles d'être confinées au domicile
que les hommes, ce qui pourrait signifier également
qu'elles sont moins exposées à l'infection par les
bacilles tuberculeux.
La faiblesse principale de notre étude peut résider dans le fait que l'identification des suspects s'est
basée sur la demande de signaler une toux, soit directement, soit pour les absents auprès des membres
de la famille. Il est possible que l'absence de conscience ou la dissimulation des symptômes ait entraîné une sous-déclaration. Le fait que la suspicion de
5
tuberculose reposait uniquement sur une toux durant
depuis au moins 3 semaines en ignorant d'autres
symptômes possibles comme l'hémoptysie, la fièvre
nocturne ou une faiblesse générale, pourrait aussi
être la cause probablement mineure d'une sousdéclaration. Toutefois, une sous-déclaration n'invaliderait pas par elle-même nos résultats sauf si elle
était plus fréquente parmi les femmes puisque notre
étude ne visait pas à déterminer une prévalence
absolue. Le fait que le taux des bacilloscopies positives chez les suspects est plus élevé chez les hommes que chez les femmes suggère que les symptômes n'étaient pas dissimulés plus souvent par les
femmes.
L'enquête visait également à identifier des cas à
bacilloscopie positive mais non les autres formes de
la maladie pour permettre une comparaison avec les
déclarations de bacilloscopie positive. Pour chaque
suspect, un examen d'expectoration seulement a été
pratiqué par le même technicien, utilisant la même
technique et les mêmes critères que pour la microscopie de routine. Le recontrôle continu pour le contrôle de qualité a permis de mettre en valeur la haute
fiabilité de la microscopie pour BAAR à la Fondation Damien du Bangladesh, avec typiquement environ 1% de faux négatifs et presque pas de faux positifs importants. Les résultats positifs devaient être
contrôlés par l'examen de deux échantillons complémentaires d'expectoration. De plus, tous les suspects dont le résultat de la première expectoration
était décrit comme « rare », en dessous du seuil de
positivité, ont fourni au moins deux autres échantillons d'expectoration et le contrôle de qualité par
relecture n'a pas montré d'erreur. Nous avons signalé antérieurement que 89% à 98% du rendement de
l'ensemble des cas en utilisant trois examens d'expectoration du petit matin pouvait déjà être identifié
par la première expectoration.9 Bien qu'il soit probable qu'un nombre de cas positifs ont été manqués
plus fréquemment au cours de l'enquête que dans les
conditions de routine, on estime que leur nombre
doit être limité. Il est également très improbable que
cette sous-détection possible due à un manque de
sensibilité de la méthode ait entraîné des biais systématiques vis-à-vis d'un des sexes.
Nos résultats n'ont pas mis en évidence un sousdiagnostic relatif chez les femmes, puisque leur ratio
par comparaison avec les hommes n'est pas plus
élevé dans l'étude que dans les conditions de routine
(environ 1:3 pour les deux). La même similitude
s'est confirmée pour la proportion relativement plus
élevée de suspects du sexe féminin et le taux de
positivité plus faible qui les accompagne. Bien que
parmi les suspects, la prise de conscience des symptômes soit signalée un peu moins souvent par les
femmes que par les hommes, ceci n'a pas posé un
6
The International Journal of Tuberculosis and Lung Disease
problème sérieux pour les cas symptomatiques. La
dépendance financière a été signalée beaucoup plus
fréquemment par les suspects et les cas de sexe
féminin, mais on ignore si cela a été vrai également
pour l'ensemble des femmes ayant fait l'objet de
l'enquête. La proportion de cas qui n'avaient pas
recouru au traitement n'a toutefois été que légèrement et non significativement plus élevée chez les
femmes que chez les hommes. Bien que la dépendance à l'égard des autres ait été signalée presque
exclusivement par quelques femmes, des problèmes
financiers ont été la barrière principale à la recherche de soins aussi bien pour les suspects hommes
que femmes (en y incluant « le fait de ne pas considérer la santé comme une priorité », puisque la raison sous-jacente parait être financière dans la plupart des cas. Nous insistons à nouveau sur le fait que
ceci existe malgré le fait que le diagnostic et le traitement de la tuberculose aient été entièrement gratuits et très accessibles sur le plan géographique.
Créer une prise de conscience au sujet de la gratuité
du diagnostic et de traitement a été une forte préoccupation dans ce projet, mais apparemment, elle
reste insuffisante. On doit prendre en considération
la pauvreté fréquemment extrême du Bangladesh et
la croyance générale qu'il y a lieu de payer pour tous
les services de santé, que ce soit officiellement ou
non. A côté de coûts cachés tels que le coût du
transport et la perte de revenus lorsque les patients
doivent voyager vers et depuis la polyclinique, les
coûts médicaux peuvent être prohibitifs pour cette
population très pauvre.10 Etonnamment, d'autres
facteurs comme la stigmatisation ou le manque de
confiance dans le traitement médical ne paraissent
jouer qu'un rôle très marginal.
L'enquête n'a détecté que 64 cas à bacilloscopie
positive (24/100.000 habitants) dont 13 avaient déjà
été diagnostiqués antérieurement. Bien que nous
ayons fait remarquer que cette enquête n'est pas une
enquête de véritable prévalence, le taux de cas à
bacilloscopie positive méconnus (19,1/100.000)
semble pouvoir être comparé favorablement au taux
de déclarations de routine de 44,3/100.000 dans la
même population en l'an 2000. Par comparaison
avec l'incidence annuelle nationale estimée de 111
bacilloscopies positives/100.000, notre taux de déclaration annuelle de routine semble indiquer que 67
cas/100.000 restent sans traitement. Dans la population ayant fait l'objet de l'enquête, ceci signifierait
environ 178 cas par an ou 356 sur 2 ans (environ
15/mois). Toutefois, en moyenne 20% seulement
des patients tuberculeux à bacilloscopie positive non
traités survivent pendant 2 ans.11 Si l'on suppose une
proportion croissant linéairement des survivants à
bacilloscopie positive par rapport aux 2 années précédentes (c'est-à-dire 23,33% de survie sur les 15
cas incidents non traités provenant des 23 mois précédents ; 26,67% des 15 cas incidents non traités
des 22 mois précédents, etc.), au total 225 survivants provenant des 356 cas incidents non traités
des 2 dernières années pourraient avoir été présents.
Un quart seulement de ce nombre a été détecté au
cours de l'enquête, ce qui, si l'on utilise le même
calcul, correspondrait à environ 16/100.000 cas
incidents non détectés.
Une comparaison de la répartition des âges des
cas détectés au cours de l'enquête et en routine suggère également une déficience de diagnostic particulièrement dans les groupes d'âge plus avancé avec
une détection effective de 65% seulement au-dessus
de 54 ans. Cette brèche pourrait ne pas être plus
grande pour les femmes comme le suggère les ratios
de sexes étroitement similaires dans ces groupes
d'âge plus avancé. Comme les raisons mentionnées
pour ne pas recourir aux soins par les hommes autant que par les femmes suspects de tuberculose ont
montré que les barrières financières sont pratiquement les seules importantes, cela suggère fortement
que certains patients tuberculeux plus âgés de cette
collectivité décèdent sans avoir été traités parce que
la famille ne dispose pas de l'argent nécessaire. A
côté des considérations éthiques, cela représente un
problème croissant pour la lutte anti-tuberculeuse au
Bangladesh, puisque la répartition des âges parmi
les patients TB montre déjà un glissement vers les
groupes d'âge plus avancé.
CONCLUSIONS
La différence prononcée entre sexes, apparente
dans les déclarations de tuberculose dans les zones
couvertes par la Fondation Damien au Bangladesh,
est bien réelle et n'est pas due à des barrières socioculturelles entraînant un sous-diagnostic chez les
patientes de sexe féminin. Toutefois, les facteurs
socio-culturels entraînant une moindre exposition à
l'infection pourraient très bien être responsables de
la prévalence relativement faible de la tuberculose
chez les femmes.
La détection passive des cas de tuberculose
dans les projets soutenus par la Fondation Damien
du Bangladesh peut favorablement se comparer
avec les résultats de cette enquête. La brèche dans
la détection des cas semble plus prononcée chez les
sujets âgés. L'amélioration de la détection exige
d'abord la suppression des barrières financières,
évidentes ou cachées, qui sont la raison principale
pour laquelle les patients ne recourent pas à un
traitement adéquat.
Remerciements
Cette étude a bénéficié de l'aide de la Fondation Damien (Bruxelles). Nous remercions le personnel de la Fondation Damien
Bangladesh, qui une fois de plus, a fait preuve d'enthousiasme
Sexe et tuberculose
et de motivation dans l'exécution des activités sur le terrain
exigées par cette étude et ceci sans récompense spécifique.
Références
1 World Health Organization. Global Tuberculosis Control.
WHO Report 2002. Genève, Suisse: Communicable Diseases, WHO, 2002: 227 pp.
2 Rieder H L. Epidemiologic basis of tuberculosis control.
1st ed. Paris, France: International Union Against Tuberculosis and Lung Disease, 1999: 162 pp.
3 Holmes C B, Hausler H, Nunn P. A review of sex differences in the epidemiology of tuberculosis. Int J Tuberc
Lung Dis 1998; 2: 96-104.
4 Uplekar M W, Rangan S, Weiss M G, Ogden J, Borgdorff
M W, Hudelson P. Attention to gender issues in tuberculosis
control., Int J Tuberc Lung Dis 2001; 5: 220-224.
5 World Health Organization. Guidelines for national programmes. WHO/TB/97.220. Genève, Suisse: WHO, 1997.
6 Van Deun A, Portaels F. Limitations and requirements for
quality control of sputum smear microscopy for acid-fast
7
bacilli Int J Tuberc Lung Dis 1998; 2: 756-765.
Demissie M, Zenebere B, Berhane Y, Lindtjorn B. A rapid
survey to determine the prevalence of smear-positive tuberculosis in Addis Ababa. Int J Tuberc Lung Dis 2002; 6:
580-584.
8 Elink Schuurman M W, Srisaenpang S, Pinitsoontorn S,
Bijleveld I, Vaeteewoothacharn K, Methapat C. The rapid
village survey in tuberculosis control. Tubercle Lung Dis
1996; 77: 549-554.
9 van Deun A, Hamid Salim A, Cooreman E, et al. Optimal
tuberculosis case detection by direct sputum smear microscopy : how much better is more? Int J Tuberc Lung
Dis 2002; 6: 222-230.
10 Croft R A, Croft R P. Expenditure and loss of income
incurred by tuberculosis patients before reaching effective
treatment in Bangladesh. Int J Tuberc Lung Dis 1998; 2:
252-254.
11 Grzybowski S, Enarson D. Results in pulmonary tuberculosis patients under various treatment program conditions.
Bull Int Union Tuberc 1978; 53: 70-75.
7