[1r° : 1] 29 nov. 1890 Mais Mon Vieux Copain, je donnerais ma fesse

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[1r° : 1] 29 nov. 1890 Mais Mon Vieux Copain, je donnerais ma fesse
Lettre de Félicien Rops à [Victor] [Coco] [Hallaux]. s.l.,
1890/11/29. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/7043/92
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[1r° : 1]
29 nov. 1890
Mais Mon Vieux Copain, je donnerais ma fesse gauche, voire même la droite, dont je n’ai
jamais tiré d’ailleurs aucune jouissance, n’étant ni pédérasteur ni péderasté, – ce qui doit bien
étonner le ministre Mélot ! et ce que je regrette d’ailleurs : – pour te faire plaisir ! Mais je
t’aurais écrit hier si j’avais pu voir le Curel en question, le Dentu d’aujourdhui. Il était revenu,
mais il n’avait pas paru à son bureau !! Libraire fin de siècle !! L’ombre du père Dentu doit
faire une jolie gueule dans les Champs-Élysées.
– Ce n’est pas lui qui chassait et qui courait les agenouillées du Moulin-Rouge ! (le père Rops
ni le père Hallaux non plus par exemple !) Il allait à son bureau, lui, le Père Dentu, et jusqu’à
cinq heures quinze, il était là dans son fauteuil en moleskine, en ce bureau qui avait bien un
mêtre cinquante de largeur, et où cela sentait les lieux, tâchant de carotter les dessinateurs
& les écrivains de son temps, et n’ayant jamais eu que deux idées sous le crâne : prendre le
plus d’argent qu’il pouvait, et en donner le moins possible. Depuis 1776 la maison Dentu
n’a pas eu d’autre principe. Cela suffit pour fonder les bonnes maisons. Il était cocu comme
le loup blanc, & pendant les heures de bureau du père Dentu, la mère Dentu en ses petits
appartements aimait à s’asseoir, un peu nue, sur les parties honteuses des MM que son mari
carottait ; c’était une consolation et cela ne se payait pas, – mais enfin la maison marchait !
– Enfin, ce matin, j’ai pincé Curel, il m’a montré son chien de chasse anglais, m’a offert un
londrès, a pris son air boursier, et m’a dit : un dessin pour « le Directeur de la Chronique :
Oui – pas une gravure ! mais donnant, il me fera une jolie tartine sur « la Collection Félicien
Rops », et il recevra des souscriptions au bureau du journal. (Je t’expliquerai tout à l’heure
tout cela !) J’ai promis, et je vais te faire un dessin d’abord,
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ce que nous pourrons en faire après, nous en déciderons ensemble.
Mais, Mon Vieux, que faire avec ce sujet là ! Note d’abord que tu ne m’as pas même envoyé
des épreuves du bouquin ! – Tu me dis : Naples, Naples ! c’est vite dit, mais que faire ? Je
me trouve dans la même perplexité que vis à vis du livre de Dommartin ! – Je m’en suis
tiré en faisant la « muse du voyage » – mais je ne peux pas faire à perpétuité des « muse
du voyage » ! As-tu une idée ? passe la moi alors ! – Je ne peux traiter Naples « vieux jeu
» et te faire des pifferari, des lazarones, le vésuve, et sorrente dans le fond ! Ce serait pas
trop lithographie de romance, et cela nous ramènerait au 1849 de Namur lorsque Richald,
après Casino, chantait le ciel bleu de Florence et le brigand Calabrais ! époque à la quelle
tu me faisais – sans reproche ! – exécuter de criminelles sépias (ô la Sépia : tes amours !)
qui représentaient Coco, blond et chevelu, entrant dans un salon et saluant gracieusement et
amoureusement une demoiselle à fort tétons qui déchiffrait une « sonate » ! Où es-t elle cette
sépia ? La demoiselle à fort tétons en aura fait cadeau à ton rival ! qu’il la rende ! le cochon !
Sérieusement : si je faisais Victor Hallaux en voyageur, avec le casque à voile allumant sa
cigarette au Vésuve ? Envoie moi d’abord ta portraicture, avant tout. J’ai besoin de ta photo.
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Lettre de Félicien Rops à [Victor] [Coco] [Hallaux]. s.l.,
1890/11/29. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/7043/92
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Si tu ne m’envoies pas la chose et un sujet (et crayonne le toi-même, ce n’est pas la première
fois que tu m’envoies de tes dessins) – je t’habille en Fra-Diavolo, et je te dessine avec un
pied sur une chaise, dans un fauteuil et écrivant tes souvenirs d’Italie. Résumons : Je te fais un
dessin qui t’arrivera dans la première quinzaine de Décembre. Le dix ou le douze, il sera fini.
Après cela nous le ferons rapidement graver soir par Jasinski, soit par mon élève Courboin. –
Jasinski habite Paris ou Bruxelles ? C’est un graveur de talent, il s’est présenté chez moi, ici,
pour être mon élève. Comme je n’ai jamais pu rien apprendre moi-même, et qu’un âne chez
moi, en perdrait son braire, je l’ai envoyé chez un graveur de profession : Courtry qui en a
fait un bon graveur. C’est tout ce qu’il fallait du reste ! Comment as-tu connu ce Jasinzki ou
Yazinski ou Ya-sins-qui ? – Je crains que le Jasinski ne demande assez cher ; avec Courboin,
ou un autre de mes élèves, car deux infortunés se sont obstinés, malgré mes flanquages à la
porte, à venir dans mon atelier chercher la bonne parole ; avec une centaine de francs, tu en
verras la farce ; et je doute que Jasinski travaille dans ces prix là !
– Donc réponds & parle moi de tout cela : Il me faut « ta poire » 1°, – 2° : le sujet qui te plait
le plus de ceux qui te passeront par la boule, 3° Le titre de ta petite incongruité, 4° le format
de la susdite. 4° Le nombre d’exemplaires. 5° N’oublie pas le prix que Jasinski demande pour
graver une planche du format en question, je dois le savoir.
– Venons-en à l’explication que je te dois, et pourquoi j’ai mis tant de retards à la chose en
question, et pourquoi enfin j’ai besoin de la permission Dentu pour faire un simple dessin :
En aout un éditeur américain avec lequel j’ai voyagé labas, pour un livre qui doit paraître
simultanément à Buenos-Ayres & à Boston, devait m’envoyer 700 dollars, 3,500 francs,
qu’il me devait, et qu’il me doit encore. C’était affaire réglée. – Il avait dans les mains, les
dessins dont j’avais pris les croquis labàs, dans le Manitoba au Canada, dans le Minnesota &
le Michigan & au Rainy-river. – J’étais du reste parti exprès pour aider à la confection de
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ce livre, & sur engagement préalable, – j’avais reçu la moitié du prix convenu avant de
m’embarquer sur la Bretagne. Bref tout cela marchait comme sur des roulettes, lorsque
quelques jours avant le quinze aout, jour fixé pour le deuxième payement, j’ai reçu de cet
aimable monsieur une lettre par laquelle il me prévenait que « à cause de l’état troublé dans
lequel se trouvait la République Argentine, il ne pouvait tenir ses engagements avant « deux
ou trois ans ! » Tu vois mon nez ! – En ces tristes heures » je reçus la visite de Dentu, qui me
proposait de lui faire, pour un beau prix, douze frontispices destinés à orner douze plaquettes
de différents jeunes auteurs. Il m’imposait deux conditions : la première que la collection des
plaquettes s’appellerait : Collection Félicien Rops », la seconde que je ne ferais aucun travail
pour n’importe quel éditeur : gravures, dessins, reproductions de mes dessins etc etc & avant
que les douze frontispices ne soient prêts & parus. Que veux-tu ? Il me fallait des ors, Dentu
payait moitié d’avance, c’était plus que la somme que j’attendais du travail de la « Strange
America » le livre américain, j’ai cédé lâchement, espérant bien adoucir mon farouche éditeur
à ton endroit ; mais aux premières ouvertures faites dans le but de faire une gravure pour ton
volume, il s’est cabré, & ma refusé net.
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Lettre de Félicien Rops à [Victor] [Coco] [Hallaux]. s.l.,
1890/11/29. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/7043/92
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Il fait une concession & j’en profite. Aussitôt tes renseignements reçus, je dessine vite ton
frontispice, nous décidons ce qu’il y aura lieu de faire pour le reproduire, & tout cela va aller
bon train.
Avant de conclure Curel Dentu défiant comme un putois, m’avait demandé de lui remettre les
épreuves d’un cuivre que j’achevais en ce moment pour une dame qui publie un volume de
vers, afin de constater que je ne pouvais rien faire à partir du contrat enregistré. Ah ! ils sont
raides aussi les éditeurs fin de siècle, entre leurs repas de chasse. Paraît que le métier veut
cela.
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Lettre de Félicien Rops à [Victor] [Coco] [Hallaux]. s.l.,
1890/11/29. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/7043/92
Nom - expéditeur:
Nom - destinataire:
Lieu - de rédaction:
Date:
Rops Félicien
[Coco] [Hallaux] [Victor]
s.l.
1890/11/29
Type de document:
Lieu de conservation:
Collection / Département:
N° d'inventaire:
Mesures:
Lettre
Bibliothèque royale de Belgique
Cabinet des Manuscrits
II/7043/92
181mm x 228mm
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