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13_PHI070627_04C.fm Page 103 Mardi, 24. juillet 2007 10:30 10 13 Le sujet LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET Le plan La première partie clarifie les termes en se fondant sur la notion de métier afin de permettre, dans un deuxième temps, de dégager le sens d’une opposition. La dernière partie propose la définition jugée être la plus appropriée. La raison et le réel L’erreur consiste à faire une simple typologie des formes de travail. Si des exemples doivent être donnés, ils ne sont pas par eux-mêmes des arguments. On doit aussi considérer les significations possibles de la notion d’opposition sans oublier qu’elle présuppose un point commun. S’opposer n’est pas synonyme d’être indépendant, même si chaque tâche a sa spécificité. La culture ■ Éviter les erreurs Nous sommes habitués à distinguer, et même à opposer le travail manuel et le travail intellectuel. Ce faisant, nous opérons une division à l’intérieur du genre du travail. Il est vrai que les parcours scolaires, les cycles d’apprentissage donnent une dimension institutionnelle à ce partage. Le contenu des études et des diplômes sont différents. Quelle est cependant la valeur de cette scission ? En nous posant cette question, le sujet nous invite à interroger le fondement d’un état de fait. Est-il légitime ? Quelles sont ses raisons ? On peut penser qu’elles obéissent à une nécessité, mais celle-ci est peut-être seulement d’ordre historique. De plus, cette opposition implique une hiérarchie. Nous savons que le travail manuel est tenu dans une dignité moindre. Ce classement est-il purement idéologique ? Après tout, ces deux activités appartiennent au même genre. Au nom de quoi créer ce contraste, voire cet antagonisme ? © Hatier 2007 103 C O R R I G É La morale Introduction Sujets d’oral Les titres en couleurs servent à guider la lecture et ne doivent en aucun cas figurer sur la copie. La politique C O R R I G É 13_PHI070627_04C.fm Page 104 Mardi, 24. juillet 2007 10:30 10 LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET 13 1. La notion de métier A. Métiers manuels La distinction du manuel et de l’intellectuel est ancienne. Le Moyen Âge sépare ainsi les arts mécaniques et les arts libéraux. Les premiers impliquent une action de l’homme sur la nature, ils mettent en jeu son corps, utilisé comme un instrument ou le moyen de manier des outils. Le manœuvre est, encore aujourd’hui, celui qui agit sur la matière, ce qui nécessite de l’habileté et de la force physique. Le travail manuel s’associe à la technique ou plus exactement à la technicité de l’homme, cet être capable de fabriquer ses outils et d’en varier indéfiniment la fabrication. Cette opération est, selon Bergson, le propre de l’intelligence. La nature ne donne pas d’elle-même ce dont nous avons besoin. Il est indispensable de la transformer, et donc de posséder du savoir-faire acquis par des exercices répétés. Un apprentissage est donc obligatoire. Le caractère mécanique de ces arts ne signifie pas qu’ils sont platement répétitifs, mais qu’ils mettent en œuvre des dispositifs ingénieux pour dominer les éléments naturels. Mais alors, pourquoi refuse-t-on à ces métiers le qualificatif d’intellectuel puisqu’ils ne sont pas dénués de pensée ? B. Métiers intellectuels Comme l’a montré l’historien Jacques Le Goff, la notion de travail intellectuel est lié à l’apparition, au XIIe et XIIIe siècles, des universités, elles-mêmes solidaires du développement des villes. Il faut qu’apparaissent des corporations pour que l’idée de l’intellectuel prenne une forme institutionnelle. Le professeur appartient à un groupe défini par des droits et des devoirs, au point que l’on peut parler d’un pouvoir universitaire comme il y a un pouvoir monarchique et religieux. Ce travail consiste donc dans l’exercice d’un métier, tourné vers la recherche et l’enseignement, dont les règles de fonctionnement étaient précisément codifiées et que sanctionnaient des examens. Cette mise au point historique nous permet de constater que les ressemblances formelles avec le travail manuel sont frappantes. Nous rencontrons dans les deux cas l’idée d’apprentissage, qui implique une transmission du savoir selon des voies hiérarchiques, et des mises à l’épreuve progressives qui s’achèvent par la reconnaissance d’une capacité. Ce sont des métiers rétribués par un salaire. Il y a certes des différences notables dans le contenu et l’objet de ces pratiques, mais cela justifie-t-il une opposition ? 2. Les raisons de l’opposition A. Le rôle de la main Henri Focillon, dans son Éloge de la main, montre à quel point cet organe est lié à l’intervention de l’homme sur la nature. La main opère sur le donné © Hatier 2007 104 C O R R I G É 13_PHI070627_04C.fm Page 105 Mardi, 24. juillet 2007 10:30 10 © Hatier 2007 105 C O R R I G É La culture La raison et le réel La politique B. La liberté de l’esprit Les arts libéraux étaient formés de deux ensembles : le trivium comprenait la grammaire, la rhétorique et la dialectique ; le quadrivium l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique. L’ensemble définit un domaine global, celui de la science, c’est-à-dire du savoir théorique. Les Grecs parlent déjà de theoria, pour désigner les activités de l’esprit qui cherchent à connaître la vérité, et non à utiliser la nature au moyen de procédés ingénieux. Le géomètre veut trouver les propriétés éternelles des figures comme l’arithméticien se passionne pour celles des nombres. Dans la République, Platon distingue soigneusement la quête du savoir pour lui-même de ses éventuelles applications pratiques. Si la géométrie peut servir à tracer les plans d’un camp militaire, on ne dira pas qu’elle trouve là sa plus haute fonction. Ici prévaut l’idée selon laquelle le travail intellectuel s’oppose par sa dignité à l’œuvre des mains. En effet, la modification de la nature a beau manifester notre intelligence, elle reste le signe de notre dépendance à l’égard de besoins nécessaires que nous partageons avec les animaux, même si nous les satisfaisons autrement. Le travail manuel reste lié à la matière, quand le travail intellectuel permet à l’esprit de s’épanouir pleinement dans des activités que seuls les hommes peuvent accomplir. Savoir user correctement des noms, construire un discours et argumenter de différentes façons sur un même sujet témoigne de la liberté de l’esprit, de son autonomie, quand la construction de biens utiles nous rappelle notre dimension d’être naturel voué à consommer et à user ce qu’il produit. [Transition] La raison de l’opposition résiderait donc dans la capacité des métiers à permettre à l’esprit d’exercer sa puissance de façon plus ou moins forte. Une La morale naturel, ce qu’atteste l’étymologie du mot « chirurgie » : elle sert à prendre, à séparer, à repousser, quand les yeux, le nez et les oreilles sont d’abord réceptifs. Aristote soulignait déjà que la main est « l’outil universel » puisqu’elle permet de tout tenir et qu’elle fait parfois office de marteau, de pince ou de griffe. Le travail manuel est donc par essence destiné à répondre à la satisfaction de nos besoins naturels. L’homme n’ayant pas reçu de la nature des moyens de protection et de subsistance suffisants, il doit les produire par son ingéniosité technique. Main et intelligence forment un couple indissociable puisque celle-ci ne pourrait se réaliser sans la polyvalence de celle-là. Cette analyse permet de voir que le travail manuel apparaît dans le cadre d’une séparation de l’homme et de la nature, qu’il entend surmonter par son activité de transformation et de production. Or dans le cas des intellectuels, le rapport aux besoins naturels n’est pas premier. Le sujet 13 Sujets d’oral LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET 13_PHI070627_04C.fm Page 106 Mardi, 24. juillet 2007 10:30 10 LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET 13 difficulté subsiste cependant. Ces activités sont-elles vraiment contraires si elles appartiennent toutes les deux au genre du travail ? 3. La nature de la relation A. Une opposition idéologique ? La Grèce antique n’a pas produit le concept de travail au sens où nous l’entendons aujourd’hui car elle repose sur la thèse d’une inégalité fondamentale des hommes. Dès lors, il n’y a pas de commune mesure entre le labeur d’un esclave et les spéculations du savant. C’est pourquoi l’idée du travail comme une grande fonction sociale et économique englobant tous les métiers ne peut naître, selon Marx, que dans un contexte philosophique soutenant l’égalité de tous les hommes devant un Dieu ou selon un droit naturel universel. De fait, nous avons vu que l’intellectuel du Moyen Âge se perçoit déjà comme un professionnel qui mérite une rétribution en fonction de son enseignement. L’extension du salariat explique que le travail manuel et intellectuel puissent être englobés dans une même exécration ou un même enthousiasme. L’idéologie marxiste veut voir dans l’intellectuel un travailleur comme les autres, quand certains artistes marginaux manifestent leur dégoût : « J’ai horreur de tous les métiers. […] La main à plume vaut la main à charrue. Quel siècle à mains ! Je n’aurai jamais ma main », écrit Rimbaud dans Une saison en enfer. Nous pourrions donc parler d’une division du travail, mais il serait contradictoire d’admettre une opposition à l’intérieur de ce genre. Le travail ne pourrait s’opposer qu’au jeu, à la dépense gratuite ou à la création d’un artiste qui refuse l’embrigadement dans le rang des tâches utiles. B. Une relation analogique Nous sommes devant une double difficulté. La négation de l’opposition revient à identifier le travail manuel et intellectuel, avec le risque de perdre leurs différences spécifiques. Inversement, l’affirmation d’un contraste et d’une hiérarchie dissimule le fait que l’intellectuel exerce lui aussi un métier rémunéré qui a un statut marqué dans l’ensemble des fonctions sociales. Ne faut-il pas alors repenser l’idée d’opposition, de façon à conserver la notion de travail tout en marquant des différences qui ne se contrarient pas ? Dans un ouvrage intitulé D’un ton grand seigneur adopté naguère en philosophie, Kant revendique le nom de travail pour le philosophe dans la mesure où certains s’imaginent pouvoir philosopher sans faire d’efforts. Ces penseurs, qui s’estiment géniaux, croient avoir le droit de se fier à leur propre intuition pour obtenir immédiatement ce que d’autres acquièrent avec peine. Kant y oppose ceux qui, philosophant sur un mode scolaire, commencent par examiner le pouvoir de leurs facultés afin de n’obtenir que © Hatier 2007 106 C O R R I G É 13_PHI070627_04C.fm Page 107 Mardi, 24. juillet 2007 10:30 10 Conclusion © Hatier 2007 107 C O R R I G É Sujets d’oral La morale La politique Il nous est apparu que l’idée d’une opposition entre ces deux formes de travail est complexe. Les dimensions manuelle et intellectuelle ne sauraient être globalement identifiées sous peine d’effacer leurs spécificités. Toutefois, leur relation n’est pas celle de deux contraires qui chercheraient à s’annuler en se contredisant. Elle nous semble reposer sur une analogie due à la présence de l’effort méthodique où nous reconnaissons l’activité de la raison sous des modes différenciés. La culture des connaissances certaines. L’opposition n’est donc pas entre les manuels et les intellectuels, mais entre ceux qui se donnent du mal pour acquérir un savoir ou un savoir-faire et ceux qui se jugent dispensés d’apprendre à faire usage de leurs capacités. Le grand seigneur bénéficie du fruit du labeur des autres, le philosophe « génial » se laisse griser par la prétention démesurée de ne pas avoir à justifier ce qu’il dit. Dans les deux cas, un argument d’autorité remplace illégitimement la nécessité rationnelle de prouver ce que l’on dit ou fait. Au final, Kant n’identifie pas le travail manuel et intellectuel, pas plus qu’il ne les oppose. Il s’agit de faire une analogie à l’intérieur du genre du travail entendu comme une activité volontaire, patiente mais seule apte à fonder la valeur de ce que l’on avance et dont on jouit. Les disciplines intellectuelles et manuelles impliquent toutes deux un travail de la raison. Le sujet 13 La raison et le réel LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE • SUJET