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Un air de déjà vu : Wermeer - Mabillot - Krasitsky - Erizku et les autres
Pourquoi Johannes Wermeer le peintre néerlandais, dit Vermeer de Delft, inspire-t-il tant la
photographie contemporaine avec sa peinture « La jeune fille à la perle » ? C’est la question
que je me suis posée en voyant quelques photographies franchement inspirées de cette
oeuvre célèbre. Prenons par exemple et pour commencer ce cliché de Fabrice Mabillot
intitulé « Filles (Olesya), 2011 ». L’inspiration ne fait aucun doute, même s’il n’y a pas de
perle à l’oreille de cette charmante jeune fille ! Certes la peinture a toujours été une source
d’idées
pour
les
photographes,
j’avais
d’ailleurs présenté « Mother and child »,
l’oeuvre de Stephen Cefalo, il y a quelques
mois. Pour preuve le pictorialisme, ce
mouvement
esthétique
international
qui
caractérise la photographie à partir de
1885. Il aboutit sur la diffusion d'un
nouveau procédé photographique dit « à
plaque sèche » ou « gélatino-bromure
d'argent » inventé par Richard Leach
Maddox en 1871. L’enregistrement étant
obtenu
à
partir
d’une
suspension
de
bromure d'argent dans de la gélatine. Bien
Johannes Wermeer - La jeune fille à la perle, 1665
Peinture à l’huile - 45 × 40 cm
que les idées pictorialistes furent théorisées par Heinrich Kühn en Allemagne, il connut ses
adeptes en France avec Constant Puyo ou Robert Demachy, qui tentaient à la fin du XIXe
siècle de faire accepter la photographie comme un art en la rapprochant de la peinture et du
réalisme. Pour faire simple, le point commun de toutes les photographies pictorialistes est
Filles (Olesya) 2011 © Fabrice Mabillot
leur approche esthétisante et poétique de la réalité. Curieusement on peut remarquer que la
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photographie contemporaine ne fait pas exception, d’autant que les possibilités des logiciels de
post-production actuels permettent de se rapprocher encore plus du rendu de la peinture avec
des effets toile, des impressions huile, gouache ou brosse… Pour appuyer un peu plus encore
les comparaisons n’oublions pas que les règles d’une bonne composition sont similaires en
peinture et en photographie. On retrouve en effet comme point commun l’obsession de faciliter
la lecture, les tiers, les fuyantes pour ne citer que ces quelques points communs… Je
mentionne
au
passage
la
photographe
néerlandaise Irene Wijnmaalen que j’adore et qui
elle aussi fait des photographies dignes des plus
belles
toiles…
Ainsi
à
l’inverse
certaines
photographies rappellent des peintures quand tout
à été prévu à cet effet, le choix du modèle, le
costume, la coiffure et le maquillage. L’attitude
des modèles de trois-quarts, le regard fixe vers
celui qui découvre la photo.
Voici une inspiration trouvée sur DeviantART de
Theraphotography et intitulée « Girl with a pearl
Girl with a pearl earring © Theraphotography DeviantART
earring ». Cette peinture inspire non seulement
les grands artistes, musiciens, poètes, mais aussi les photographes et les designers que
l'image n'a pas laissé indifférent. Dmitry Krasitsky, photographe qui travaille à Moscou et vit
actuellement à Saint-Pétersbourg s’y est naturellement essayé. Couvrant un large champ
d’action parmi la publicité, les relations publiques, le marketing et le portrait professionnel à
travers le monde entier, il a proposé une superbe version photographique de notre jeune fille au
© Dmitry Krasitsky
turban.
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Mais les photographes semblent de plus en plus puiser leur influence dans la peinture
néerlandaise et plus particulièrement chez Johannes Vermeer (1632-1675). « La jeune fille
à la perle » est parmi les toiles les plus parodiées. Sur cette peinture à l’huile de 45 × 40
cm, datant de 1665, on pense qu’il s’agit peut-être d'une des filles de Vermeer qui lui a servi
de modèle. Elle porte une perle à l'oreille ainsi qu'un turban sur la tête. Pour sa composition
et son sujet proches de l'oeuvre de Léonard de Vinci, on la surnomme aussi la « Joconde du
Nord ». Pour preuve cette image d’Awol Erizku né en Ethiopie en 1988 et issu d’une école
d'anciens élèves d'art, photographe, cinéaste et sculpteur Cooper Union. Les photographies
d’Awol Erizku font référence à l’art classique. Il travaille notamment pour inclure des
modèles de couleur dans ses oeuvres afin d’attirer l'attention sur le manque de diversité
raciale dans l'histoire de l'art. C’est ainsi
qu’Erizku a réalisé la « Girl with a Bamboo
Earring » en 2009, dans laquelle il a
remplacé la fille du peintre néerlandais
Johannes Vermeer, par une femme afroaméricaine contemporaine. Les modèles
d’Erizku sont non-professionnels, il les
Girl with a Bamboo Earring, 2009 © Awol Erizku
trouve dans le métro, dans la rue, et sur Internet par le biais de blogs et de Facebook.
Nous le voyons bien, les peintures de Vermeer correspondent à la culture du portrait, voyez
donc sa célèbre « Laitière » pour s’en convaincre. J’ai justement trouvé cette photographie
de Levin Rodriguez « Girl with a pear earring blowing bubbles » qui est entre la laitière et la
Girl with a pearl earring blowing bubbles © Levin Rodriguez
jeune fille à la perle. La construction de ses tableaux correspond parfaitement à la culture
du portrait. Effectivement bien longtemps avant l’invention de la photographie, les peintres
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pratiquaient déjà une certaine esthétique photographique. Ils représentaient la
nature telle qu’elle, et non pas telle qu’elle aurait pu être. Ils peignaient une
image sur un support comme un miroir l’aurait retournée. Vermeer avait la
faculté de peindre des images qu’on aurait pu voir au naturel de nos propres
yeux, à l’inverse de Rembrandt, par exemple, qui par son tracé de pinceau
créait des effets qu’on peut difficilement reproduire sur une photographie. Les
toiles de Johannes contiennent une qualité photographique intrinsèque
facilement imitable en photographie.
Mais l’influence du hollandais sur la photographie contemporaine va bien audelà de la seule composition. Elle est surtout visible dans la lumière utilisée par
leurs auteurs. Nombre de photographes ont tiré les enseignements de la
lumière de Vermeer. Et justement j’ai trouvé cette photographie de William
Farges qui a été réalisée dans le cadre d'un travail sur la lumière en peinture.
Ainsi il essaie d'interpréter des tableaux de maître en photographie afin d'une
part de leur rendre hommage et d'autre part de donner une vision moderne de
ceux-ci qui sont intemporels. Cette photo est prise avec un Nikon D300 au 50
mm F8 (1/250 s - 200 iso). Dans « La jeune fille à la perle », le sujet se dégage
du fond noir uniquement par le travail des couleurs et de la lumière. Les
photographes contemporains semblent donc utiliser les mêmes techniques de
compositions et de gestion de la lumière que Vermeer. Mais si c’était l’inverse,
et que se soit Vermeer qui utilisait déjà des techniques photographiques pour
peindre ? Le peintre associe certains éléments comme le flou et la composition
en plans. La rigueur de la perspective, la vision par plans et le grain de couleur
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© William Farges
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qu’il utilise laisse penser qu’il utilisait
une chambre noire. La chambre noire
ou camera obscura est l'ancêtre de
l’appareil photographique. Vermeer est
devenu célèbre a posteriori et après
l’invention de la photographie (aucune
exposition
ne
sera
exclusivement
consacrée à son travail avant 1935).
Et comme il est mort sans laisser
aucun écrit sur son travail, il n’y a pas
de preuve formelle qu’il utilisait bien
une chambre noire. Cela dit certaines
théories avancent cette possibilité…
Girl with a pearl earring © Dorothée Golz
Pour clore cet air de déjà vu consacré
à « La jeune fille à la perle » je vous propose une série d’images qui s’inspirent de
cette toile. Par exemple voici le travail de Dorothée Golz, quand les visages des
peintures de la renaissance
rencontrent Photoshop, cela donne un délicieux
mélange. Une transposition de ce que pourrait être une mise en situation du modèle
de l’époque, remis au goût du jour par la photographe manipulatrice. Un exercice
intéressant et réussi. Je me suis également replongé dans la photographie de
cinéma et plus particulièrement la photo du film éponyme de notre toile de Peter
La jeune fille à la perle (Film avec Scarlett Johansson) © Peter Webber
Webber. La jeune demoiselle est incarnée par Scarlett Johansson et l’image bien
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entendu inspirée du tableau de Vermeer. Dans un domaine très proche
du cinéma c’est Friedmann Hauss, qui a pris Laetitia Casta comme
modèle pour le magazine « Elle France » en 1998.
Vous en conviendrez, l’oeuvre de Johannes Wermeer et des peintres en
général est du pain béni pour alimenter ma chronique « un air de déjà
vu ». Nul doute qu’il risque d’y avoir d’autres photographies reprenant
des peintures célèbres que peut être je vous proposerais dans quelques
mois…
Squal
Laetitia Casta, (pour Elle) 1998 © Friedmann Hauss
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