1 D`Eros à Thanatos Dr Jacek Kurz•pa Instytut

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1 D`Eros à Thanatos Dr Jacek Kurz•pa Instytut
D’Eros à Thanatos
Dr Jacek Kurz•pa
[email protected]
Instytut Socjologii
Uniwersytet Zielonogórski
1
Zones de SOMMEIL dans le contexte socio-éducatif
1. Oscillateur du quotidien – d’Eros à Thanatos
Le quotidien ne permet pas à l’homme d’aujourd’hui de s'ennuyer. A chaque fois, il
est obligé de réagir face aux divers stimulants, qu’ils trouvent leur origine dans le
marché ou dans le marketing, qu’ils soient sociopolitiques, liés aux manifestations
contre les Jeux Olympiques en Chine, ou culturels à l’exemple de la Love Parade.
Nous vivons une époque très intéressante. Une époque où la vie humaine constitue
une série de sacrifices, de peines (phatos) et de doutes. Ceci nous amène enfin à
constater que le « moi » personnel ainsi que le « moi communautaire » se mélangent
dans le même creuset.(1)
L’homme d’aujourd’hui oscille entre la prospérité et les petites chances d’en jouir,
entre l’attirail, le monde coloré et scintillant de bonheur, et la pauvreté qui approche
doucement, le déclassement et/ou « l’exclusion du marché » lorsque l’on est
considéré trop vieux, non rentable, incompatible avec la réalité moderne. Ce risque
peut nous envahir de manière démocratique, mais il y a des gens, des groupes qui
possèdent des moyens suffisants les protégeant contre les risques en question (2).
Le monde s’est fortement divisé entre riches et pauvres, entre ceux qui sont
conscients de certains processus et les mannequins, entre ceux qui s’autodirigent et
ceux qui sont sujets à manipulation.
Il n’est donc pas possible d’analyser ce qui se passe à la porte de notre maison,
sans adopter une perspective globale (3). Une maison qui s’est beaucoup amoindrie
ces dernières années puisque plusieurs de nos compatriotes sont partis à l’étranger.
Cette émigration relève de circonstances qui ont sans aucun doute une influence sur
la qualité de vie des ménages, le taux de chômage, la hauteur des revenus que les
Polonais sont en mesure d’atteindre, mais aussi les engagements quotidiens liés au
coût de la vie (les loyers, les dépenses de nourriture, tout simplement le pouvoir
d’achat des consommateurs). Afin de ne pas entrer dans des analyses macro et
microéconomiques détaillées, il suffit de citer les diverses recherches portant sur le
1
2
3
fn
fn
fn
2
bien-être des Polonais, qui permettent de constater depuis quelques années une
augmentation de l’optimisme de nos compatriotes face à la vie.
En même temps, nous observons maintes images représentant des viols, une
violence, un dysfonctionnement dans les comportements individuels, dans la vie
familiale ou dans les communautés locales, ce qui semble incohérent avec le constat
que « les gens vivent mieux ». La presse quotidienne et les infos télévisées
cherchent obstinément à nous impressionner avec des images de décrépitude de
l’homme. Si l’information ne véhicule pas de charge émotionnelle suffisante, de
perversion, d’atrocité, il est plus difficile de frapper les esprits. En effet, nous avons
affaire à une machine autopropulsée. Plus de cruauté signifie plus de spectateurs et
par conséquent, plus de bénéfices provenant de la publicité. La conclusion est donc
claire. Il ne faut montrer que de la cruauté puisque personne « n’achètera » d'images
sucrées (idéalisées?) de familles normales et paisibles, de la vie normale. Il faut
espérer que les diffuseurs de ces programmes n'aient pas encore emprunté le
chemin de l’auto-réalisation qu'ils ne mettent pas en scène ces tragédies et ces
cruautés et ne les « vendent » pas comme des scènes authentiques ? J'espère que
cette sinistre possibilité n'est pas la réalité. Ce qui m'amène à la réflexion tout aussi
troublante que les scènes présentées et les informations proviennent de sources
naturelles et authentiques. Cela m’inspire un sentiment d’inquiétude, d’angoisse, et il
me vient à l’esprit la question : comment est-il possible que des gens puissent mener
leur vie de manière aussi funeste 4 ?
La question qui nous accompagne constamment, en tant qu’espèce intelligente,
et qui porte sur la condition de la nature humaine, est aujourd’hui assourdie de
manière plutôt efficace par la cacophonie de la concupiscence, de l’effectivité, de
l’immédiateté et de l’excitation. Un tourbillon de sensations, impliquant des individus,
est créé autour de nous afin d’absorber au fur et à mesure, tout et tout le monde sur
son passage avec une force violente. Dans le même temps, le monde des
significations, des symboles et des valeurs subit une violation. De nos jours, nous
avons le plus souvent affaire à des mécanismes de relativisation des valeurs, c’est-àdire des mécanismes qui remettent en question la justesse des choix, qui contribuent
considérablement à affaiblir une attitude donnée, et qui effacent son caractère positif
4
Ces derniers jours nous sommes témoins d’une série d’informations dramatiques concernant la mort de
Madame Blida, de Tomek Olewnik, l'affaire du père dégénéré en Autriche.
3
ou négatif (« … c’est pas aussi sûr finalement ? ; « en général oui, mais… » ; « je
suis pour et même contre »). Ceci est très proche de la déformation et de
la
dégradation du sens des valeurs. Ce ne sont pas seulement les comportements, les
attitudes, ou les stratégies des hommes et leurs choix basés sur des valeurs
définies, qui sont remis en question, mais également la profondeur et la clarté des
intentions et des motivations, à travers diverses méthodes visant à discréditer un
individu ou un état émotionnel en les considérant comme un « métacaractère »
embrouillé, faux ou, mieux, avec une connotation dépréciative.
Parmi le répertoire de ces attaques contre les valeurs, figure le détournement de
leur sens, un détournement vers le vulgaire, « une recherche de faux-fuyants ». Les
exemples tirés des événements actuels, des tribunaux ou du parlement sont
multiples. Il est indéniable que l’attitude de l ' « obstination » ainsi que l’attitude « de
l’imperméabilité » influencent considérablement la conscience d’un individu.
Le monde d’aujourd’hui est saturé de pseudo valeurs, ce qui est en rapport
avec la méthode de remplacement des valeurs par leurs faux-semblants ou leurs
fétiches. Cette action est renforcée par les médias qui nous cernent de tous les
côtés, et leur culture du simulacre. Dans cette suite d’événements se trouve
également le mécanisme d’interception et d’empiètement des symboles, conduisant
à leur dévaluation intentionnelle. Dans le passé, ceci se manifestait par la négation
de la propriété privée, tout devait être populaire, social et collectif. A l’heure actuelle,
il est entre autres question de valeurs telles que la propriété et l'intimité. En
conséquence, nous nous trouvons dans une situation où les valeurs sont confondues
avec le profit,
les valeurs ayant été abandonnées au profit des besoins. M.
Zió•kowski (2002, 225-224) complète cette image de la Pologne en y ajoutant le
constat que c'est l'orientation matérialiste et le « pragmatisme de leur conscience »5
qui déterminent le comportement des Polonais.
Cette tendance est conforme avec la direction que prend la mondialisation,
avec ses dimensions multiples, ainsi qu’avec la tendance des sociétés postmodernes
à l’effectivité, la prédictibilité et le calcul des comportements6. Dans ce nouveau
monde, magnifié par sa disponibilité (Internet, télévision par satellite, téléphones
portables), on souligne qu'aucune valeur ni aucune vérité ne peuvent être
5
6
Zió•kowski M., 2000, Przemiany interesów i warto•ci spo•ecze•stwa polskiego, PWN, Pozna•
225-244
Ritzer G., 1997, Mcdonaldyzacja spo•ecze•stwa, Muza, Warszawa
4
considérées comme exclusives ni politiquement institutionnalisées
7
Les groupes
sociaux sont libres de formuler et de diffuser leurs propres valeurs. Nous nous
retrouvons dans une situation où l’on s’éloigne de la domination des narrations
précédentes au profit de leur multiplication et de l'attribution d'un statut d’égalité. Le
résultat est alors un syncrétisme, tant culturel que moral8
Afin de réaliser un portrait de la jeunesse d’aujourd’hui, il importe de définir les
contextes socioculturels dans lesquels les jeunes sont contraints de vivre. La
compréhension et l’interprétation de ces contextes sont d'autant plus essentielles
qu’elles nous aident à saisir les changements sociaux entre le passé et les temps
modernes. Je pense en effet que non seulement le monde actuel offre à la jeunesse
des enseignements (des armes?) contre le danger totalement différents de ce qui
était fait par le passé (ce qui est évident), mais que de plus, le rythme de ces
changements est très alarmant. Ceci provoque une situation où les adultes
d’aujourd’hui perdent du terrain vis-à-vis de leurs enfants. Il s’agit d’un état qui se
répète dans l’histoire des générations, ce qui n'est donc pas surprenant. En
revanche, ce qui surprend c'est que des personnes appartenant à la même tranche
d'âge, entre 15 et 25 ans, se considèrent elles-mêmes comme si elles se trouvaient
dans des « espaces culturels » différents.
En m’appuyant sur des études effectuées sur les jeunes durant plusieurs années,
je présente une réflexion concernant les recherches entreprises par certains d'entre
eux, tant dans un contexte relatif à la formation de l'identité individuelle que dans
celui de la communauté des générations. Les études ont été réalisées entre 1990 et
2007 à l'occasion de diverses études sur le terrain, par exemple lors de l'édition
2007 du festival Przystanek Woodstock (Arrêt Woodstock) à Kostrzyn , ou pendant
ses éditions successives 1995-2004 ou encore durant les pèlerinages de jeunes à
Jasna Góra (dans les années 1997-2004) , à l'occasion des J.M.J, c’est-à-dire les
rencontres du pape avec les jeunes du monde entier. D'autres sont réalisées depuis
des années sur les activités des jeunes dans différents environnements, par
exemple, dans les discothèques de Wroc•aw (Dolmet, Metropolis, Celtic, RadioBar,
7
Castells R., 2003; Galaktyka internetu, PWN, Warszawa
Schmidtchen 1990, Absehied von den Kirschen? Eine sozaialpscyhologischwe Sytuationsanalyse,
Regensburg
8
9-19
5
Daytona), de Varsovie (Seven, Paradiso, Utopia), d’Ostrów Wielkopolski (Protector),
de ••knica (Europa), de Sul•cin (Alcatraz), de •wiebodzin (Gladiator), de Zamo••
(Stara Elektrownia), de Gorzów Wielkopolski (MBM) ou de Zielona Góra (Peron 5,
Studio Bar), en pénétrant dans les « zones » où « squatte la jeunesse » de Bytnica,
de Ciborz, de Sarbia, de Zwierzyniec nad Wieprzem, de Krosno Odrza•skie, de
Gubin.
Au cours de ces études, les méthodes suivantes ont été utilisées : interviews,
enquêtes, observations. En outre, nous nous sommes
basés sur l’analyse des
textes écrits par les jeunes eux-mêmes, portant sur différents aspects de leur
intégration sociale.9
Aujourd’hui les jeunes ont des difficultés à gérer des situations à problèmes
auxquelles ils sont davantage confrontés que leurs parents. La rivalité de popularité,
le combat pour les meilleures notes à l’école, pour une meilleure place dans le
classement des étudiants, l’étalage de ses possessions et/ou de ses relations, sont
les sujets quotidiens des jeunes. Ce sont des luttes difficiles. , plus l’écart est grand
quant à la propriété, l’accès aux biens et services entre les différents membres de la
9
Les groupes de jeunes suivants ont été analysés dans les années 1990-2007 : a) durant les éditions
consécutives du festival Przystanek Woodstock ont été réalisés 760 interview ouvertes, non dirigées effectuées
par les étudiants (dans le cadre d’un travail de recherche) et une équipe scientifique nommée spécialement à cet
effet ; 1200 personnes ont été soumises à l'étude à l'aide de questionnaires pendant et après l’événement ; on a
suivi les conversations sur les chats à thème et sur des sites internet liés au festival, et ce à chaque édition du
festival ; on a réuni des documents de recherche importants présentant l’attitude des jeunes en ce qui concerne le
festival, son créateur, son déroulement et eux-mêmes, tant dans une perspective comparative avec les autres
jeunes, que dans une perspective de recherche de la communauté de génération ; b) durant les J.M.J, c'est-à-dire
les Journées Mondiales de la Jeunesse liées à la rencontre du pape Jean Paul II avec la jeunesse du monde entier.
Ces recherches ont été menées à : Paris (1997), Rome (2000), Toronto (2003). Elles s’appuyaient sur trois
méthodes d’exploration : 880 interviews ouvertes, libres, , 1200 questionnaires-enquêtes , et analyse–
surveillance des conversions et des sites internet liés ou se rapportant aux la Journées Mondiales de la Jeunesse.
Ces études ont été menées par une équipe internationale de volontaires, de membres du personnel, c'est-à-dire du
service des pèlerins venant du monde entier. Ces études se rapportaient à certaines questions-clés et notamment :
le sentiment d'appartenir à une communauté de génération, le rôle du pape dans la vie des participants et le
sentiment de leur identité interprétée selon différentes perspectives ; c) le terrain d’études suivant fut les « zones
discothèques » et les événements à caractère ludique auxquels participent les jeunes. Ces études avaient en
général un caractère d’observation des participants et elles ont été réalisées lors d’évènements tels que : le
festival des Goths de Bolków, la Love Parade de Berlin ou des réunions musicales tel que « Letnie uderzenie
radia RMF FM » (Le coup de lété de la radio RMF FM), de multiples visites et rencontres dans des discothèques
de la Pologne entière. On y a réalisé près de 800 interviews libres ; on a également effectué une observation des
participants, qui visait à intercepter la spécificité de « l’ambiance » des lieux, des événements et des
comportements des jeunes.
6
société, plus ces luttes sont difficiles. Sentant leur différence, ayant le « sentiment
d'être moins bon », les enfants et les jeunes mettent en place des comportements
d’autodéfense, souvent à risque, et vont jusqu’à choisir une stratégie d'isolement
et/ou de négation où ils subissent des états psychiques à caractère dépressif et
anxieux10. Il arrive également que l'agressivité, qui surgit à cette occasion, ou les
comportements destructeurs et à risque constituent davantage un masque et une
tentative de camouflage des états d'anxiété, qu’un acte authentique de l'individu.
L’acte se caractérise alors par l’incapacité à modeler ses propres comportements, à
modifier ses comportements agressifs. Les états en question s’amplifient tout au long
de l'adolescence, définie par Erikson, en tant que critique constructive de l’identitéradar11. Cette incapacité à faire face aux situations difficiles chez les jeunes est liée
en général au contrôle de son propre comportement et de sa propre vie.
La période de l’adolescence met l’individu devant plusieurs défis. Naturellement, la
situation idéale serait celle où les décisions des jeunes se caractériseraient par une
conscience profonde de leurs conséquences et de leur soumission à certaines
conditions. Cependant, une jeune personne n'est pas en mesure de voir les
conséquences de ses actes, ni de les placer dans un réseau d'interdépendances.
Le résultat est un sentiment de dérive, d'égarement dans un monde de défis, de
relations et/ou d’obligations.
l’accomplissement
des
Ceci a un impact négatif sur la formulation et
objectifs,
proches
et
lointains,
et
provoque
des
comportements d'évasion, des comportements alternatifs face à une quelconque
obligation. L’individu se place lui-même plus dans une perspective d'« ici et
maintenant » que dans celle définissant la création d’une conception de soi-même
pour les années à venir. Ce sujet trouve le même dénominateur que le précédent
dans la découverte par l'individu du sens de la vie ou de son absence totale. A cause
des doutes précédemment mentionnés, qui cernent ou
pénètrent les jeunes,
certains d’entre eux choisissent des chemins de vie hédonistes et autodestructeurs,
étirés entre deux pôles opposés, éros et thanatos.
L’environnement des jeunes Polonais d’aujourd’hui a apporté beaucoup de
changements, qu'ils interprètent eux-mêmes comme naturels ; cet environnement les
trouve in status nascendi, et devient en même temps une nouveauté normative pour
nombre d’adultes. La jeunesse s’introduit dans la réalité sociale, la sienne, c’est-à10
11
Kurz•pa J., 2007, Zagro•ona niewinno••; Impuls ,Kraków
Erikson E., 1996, Dzieci•stwo i spo•ecze•stwo, Rebis, Pozna•
7
dire une réalité nouvelle, différente de la réalité de la génération des parents. La
jeunesse s’incruste dans cette réalité en la considérant comme familière, puisque
« c’est la nôtre », dit-elle, parce que les jeunes ne connaissent pas d'autre
expérience que la leur, parce que les conversations sur les queues et les magasins
vides sont tellement éloignées de leur vie quotidienne qu'elles sont considérées
comme des réminiscences vides de sens. Le monde de la jeunesse est rempli
d'images de possibilités infinies de consommation, d'espaces ouverts, tant au sens
de la communication, de l'échange de réflexions et d'idées qu’au sens de la planète.
L'état démocratique, se caractérisant par l'économie capitaliste avec ses valeurs et
ses faiblesses, est, aux yeux de la jeunesse, évident et naturel.
De l’autre côté, nous avons la génération des adultes qui doit apprendre ce
nouveau monde, ce nouvel ordre. Pour les adultes, cette réalité est souvent hostile,
inamicale. Elle les oblige à effectuer un travail intensif, à modifier leurs attitudes, à
changer leurs anciens comportements, à changer leur mentalité. Ceci est un
processus difficile et à long terme. Il génère certains problèmes liés à l’entreprise
d’un dialogue éducatif au sein de la famille, et provoque souvent des conflits et des
comportements de rivalités qui se transforment en agressivité.
En conséquence il semble que la jeunesse soit dans une meilleure situation
puisqu'elle entre dans un nouveau monde sans préjugés, sans entraves ni fausses
visions. Ce pourrait être une situation idéale, mais, durant le processus d'éducation
et d’intégration sociale, réalisé en grande partie dans le cadre du processus
institutionnel de l'éducation, les jeunes ne sont pas toujours munis du savoir et des
capacités nécessaires pour leur permettre d'entrer sans difficultés dans le monde
des adultes.
En outre, il y a toujours une résistance de la part des adultes concernant
l’émancipation des jeunes au sens économique. Les jeunes sont libres d’adopter des
attitudes sociales, de nouer des relations interpersonnelles, de communiquer, de
bénéficier de la liberté et de la démocratie, mais en même temps les chances
d’indépendance économique sont bloquées. En cas d'impossibilité de trouver un
emploi, en cas de sélection sévère dans les entreprises, les jeunes se décident à
suivre des chemins alternatifs en vue de faire carrière.
Le processus d’établissement du système axio-normatif au cours duquel la
jeunesse est vouée à elle-même se déroule de la même manière. Les adultes ont
renoncé aux rôles de mentors, d’éducateurs, de guides spirituels des jeunes, qu'ils
8
avaient jusqu'à présent. Ils ont abandonné la possibilité et la volonté d’influencer les
jeunes en leur présentant des normes et des valeurs définies. Par la suite est
survenue une situation de perte des normes, d’absence d'autorité et d’absence de
ceux qui pourraient indiquer les bons chemins pour un développement et une
utilisation intelligente de la liberté et du pluralisme. Apparait alors le phénomène
d'une grande liberté et d'une multiplicité de solutions.
La jeunesse est confrontée au problème d'un choix autonome. Premièrement, elle
rencontre des problèmes d'ordre économique, c'est-à-dire liés au démarrage dans
la vie d'un adulte, à l'encerclement effectif de ses possibilités de carrière et de
succès économique. Deuxièmement, elle est confrontée au problème de la liberté et
de la multiplicité des stratégies de vie possibles. Pour ce faire, les jeunes
recherchent un secours, des modèles et des normes chez les personnes du même
âge, souvent au sein de groupes non formels.
2. Sommeil dans les zones éducatives et sociales
En présentant sa thèse sur la séparation entre la procréation et le sexe, Bauman
(2004) nous invite suivre la piste de la déshumanisation des relations humaines12.
« Tu m’intéresses, pour autant que tu puisses me satisfaire et assouvir mes désirs »,
semblent suggérer les communications actuelles de la publicité, du show-business,
des médias. Sinon, tu deviens un outsider, un individu qui n'est pas digne d'intérêt,
un orthodoxe traditionnel qui n’est pas conforme à la modernité. Tu n’es donc pas
utile pour « que je me montre avec Toi » dans les salons, pas suffisamment utile
pour mon ascension vers le sommet de ma carrière. Les jeunes s’offrent
mutuellement leurs corps, ils ne sont pas en mesure de construire des relations
émotionnelles durables et à long terme puisqu'ils n'ont pas suffisamment d'exemples
réels pour les inspirer. Les jeunes mariés se quittent après deux ou trois ans, les
familles sont décomposées par l'émigration en vue de trouver un emploi, les maisons
familiales abandonnées.
C’est dans cette ambiance que les enfants entrent dans leur jeunesse puis leur
vie adulte. Dans le processus d’intégration sociale, ils sont soumis à son caractère
particulier, je dirais : fragmentaire.
12
Bauman Z., 2004, Razem- osobno, Wyd. Dolno•l•skie, Wroc•aw
9
Par intégration sociale fragmentaire j’entends l’intégration sociale qui touche
seulement certaines sphères de la vie d'un individu de manière profonde et
complexe. Dans les autres sphères, vu la désorganisation du système, l’intégration
sociale s'opère partiellement, de manière fragmentaire, superficielle. Il suffit de
mentionner l'attribution des rôles sexuels lorsque le fils, en l’absence de père à la
maison, ne peut pas distinguer son rôle de celui de sa sœur et, en même temps, de
la fille. En allant par la suite à la maternelle, à l'école, il y rencontre un groupe de
femmes qui, par nature, mettent l'accent sur d’autres qualités, d’autres valeurs et un
autre potentiel éducatif que dans le cas des hommes. Le garçon peut (mais ce n’est
pas toujours le cas) subir à ce titre différents problèmes d’identité.
Le résultat de ce type d’influence est l’entreprise de certains rôles sociaux et
l’absence de disponibilité pour d'autres qui résulteraient par nature du contexte
biographique de l’individu, de l’étape de la vie à laquelle il se trouve et des
compétences et capacités qui lui sont propres. Si donc l’individu n'est
pas
suffisamment préparé pour utiliser ces capacités, il n'a plus qu'à chercher des
« passe-partout » grâce auxquels il pourrait obtenir ce qu’il aurait reçu de la nature si
le processus d’intégration sociale s’était déroulé dans des conditions régulières.
Il en est ainsi de la sexualité et de son apprentissage lorsqu'il n'y a pas de
modèles possibles et corrects à suivre. Les jeunes expérimentent à leur propre
manière.
C’est le cas des sphères et des états que je définirai de manière allégorique par :
SOMMEIL ou les zones d’absence éthique. Je comprends cet état de deux
manières. Cette dualité d’interprétation du terme se rapporte, d'une part, à l'état de
l'individu, c'est-à-dire au « Sommeil ». Cet état est défini par les paroles des jeunes :
« ce qui se passe est comme hors de moi, au-dessus de moi », « je contrôle pas tout
ce qui m’arrive », « je suis défoncé », « si on mélange, on contrôle pas ce qui va
arriver », « si quelque chose arrive, ça arrive, y’a pas de retour ». L’individu, qu’il soit
sous l’emprise de la drogue, de l’alcool ou des deux, subit un état de semiconscience ou d'absence totale de conscience. Il ne contrôle plus ce qu’il fait, ce qui
lui arrive. Il plonge alors dans la zone à risque où tout peut arriver. Le lendemain,
dessaoulé, il ne sait plus ce qui s’est passé ou il exclut de sa conscience les
souvenirs brumeux liés à la soirée/à l'événement de la veille.
L’état de « sommeil » est une bonne explication pour divers comportements
irréguliers, asociaux. « Je savais pas ce que je faisais », « c’est eux qui m’ont
1
0
entrainé, je pouvais pas y résister », déclarent le plus souvent les jeunes qui sont
arrêtés, auteurs de différents méfaits. Le « sommeil », ce sont des états tout à fait
différents qui découlent des rêveries, des rêves, des fantaisies qu’une fille ou un
garçon s’imaginent après des nuits passées devant la télévision, le regard fixé sur
les chaînes musicales, les séries télévisées culte présentant de manière illusoire la
vie riche et généreuse. Elle/il la voudrait aussi. Il plonge dans un état d'attente d'une
vie similaire ; lorsque sa réalité est différente, il rêve, il songe à une ambiance
semblable. S’il a la chance de s’en approcher même un peu, il le fait. Même si c’est
dans une vieille grange, transformée en discothèque où il met, sur deux caisses
renversées, sa « chaîne hi-fi » ou un autre « matos », il branches les enceintes
(« chaudières ») et avec ses copains, il installe les nécessaires « lumières
stroboscope » . Ils ont apporté les lampes de chez eux, enveloppées dans du papier
aluminium de tablettes de chocolat ou dans des emballages de capsules trouvés
dans une décharge à proximité de la laiterie. Elles complètent la scénographie de la
salle. Les fumées apparaitront d'elles-mêmes du sol en béton de l'ancienne grange.
Le « sommeil », interprété dans un autre contexte, ce sont les mêmes
discothèques, en tant que zones sans surveillance,
les pistes de danse, sur
lesquelles s’amusent les jeunes, convaincus qu’il n’y a aucun adulte qui puisse les
déranger par son ingérence. Ce sont des « lieux de squatte », (lieux) où squattent
(se réunissent) les jeunes, sachant que ni Maman ni Papa n’y viendront, et s'il y a un
« vieux » qui surgit, nous allons le « recracher ». Je parle des lieux où aucune force
publique n’a juridiction, ce sont des enclaves au sein desquelles règnent les
habitudes, les règles du groupe. Elles permettent au groupe d’être efficace en
défendant son propre territoire, en traquant un étranger, mais aussi en capturant « le
sien » qui doit être loyal. Il sera alors « le nôtre ».
Les zones d’absence éthique,
ce sont les sphères d’activité particulière d’un jeune individu, où les règles de
mœurs, les règles morales, socialement établies, sont suspendues. Dans ces zones
elles ne fonctionnement tout simplement pas. Ce sont des zones dont l’accès est
particulièrement restreint.
Ce peut être une discothèque, comme mentionné
auparavant, un pub, un « lieu de racaille », les fameux bancs sur lesquels les jeunes
s'assoient et « massent le temps ».
Ils le font souvent de manière à surprendre un observateur (peut-être un peu
moins, nous nous sommes habitués à de tels comportements de la part des jeunes),
en jurant, en se racontant sans gêne des histoires obscènes, en faisant des gestes
1
1
explicitement impudiques. Ils crachent partout, renversent des ordures, cassent des
bouteilles, créent une atmosphère de danger et de répugnance autour d’eux.
Les adultes, les personnes âgées, tout comme les personnes de leur âge,
évitent ces lieux considérés comme inquiétants. Ils essaient de passer inaperçus à
côté des jeunes qui y sont assis car on ne sait pas ce qui peut arriver. Les jeunes
créent autour d’eux une zone hors de la juridiction de qui que ce soit. Ils y sont chez
eux. Toute personne voulant pénétrer dans cette zone, doit s’attendre à des
conséquences. Il est plus sûr de ne rien faire, de laisser agir la police, d'accuser les
parents de leur manque d'intérêt, et de s’échapper furtivement en se félicitant d'être
passé inaperçu. C’est une zone dont l’accès nous est interdit puisque nous nous en
tenons à l’écart. Une zone dans laquelle nous accompagnons (suivons?) de manière
singulière les jeunes en jouant les rôles qu’ils nous ont suggérés et/ou qu’ils nous ont
autorisés à jouer. C’est avant tout le rôle de videur de boîte de nuit qui (Mon Dieu !)
protège les dealers de drogues. C'est le rôle de barman/barmaid qui sert gaiement
des boissons alcoolisées aux jeunes et ne demande jamais leur âge. C’est le rôle
d'employée de toilettes qui collabore avec les garçons qui se prostituent dans les
toilettes de la gare. Ce sont également les autres rôles, ceux des représentants de
l’état ou des représentants de second plan. Paradoxalement, ce sont les rôles de
deuxième plan alors que, dans d'autres conditions, ils devraient constituer les rôles
principaux. Le rôle de l'enseignant qui nie la responsabilité de ce qui se passe dans
la cour de récréation, en ignorant qu’un élève est arrivé au cours en état d’ébriété,
qu’il est « défoncé » par la drogue, que les élèves sont agressifs l’un envers l’autre,
qu’ils se harcèlent. Les enseignants ne veulent pas entrer là où le « Sommeil »
spécifique commence à se révéler. Le « Sommeil », interprété également comme
zone d’absence éthique, indolence éducative, manque de réactions, telles que les
toilettes des élèves, le « coin » dans la cour de récréation où les jeunes fument des
cigarettes, le coin éloigné du terrain de sport où les enseignants ne veulent pas se
rendre. Ces zones s’étendent là où la ferveur éducative serait nécessaire, mais elle
n’y est pas. L’absence incommode de la ferveur éducative est également
caractéristique des fêtes de classe, des excursions scolaires et des bivouacs
organisés à la fin de l’année scolaire. Je les appelle excursions vers le néant
éducatif. Mais c’est aussi une salle de classe où en présence d’un enseignant, les
élèves franchissent consciemment les frontières de ce qui est autorisé et
l’enseignant ne réagit pas. C’est un foyer où après le retour d’un enfant d’une boîte
1
2
de nuit (le plus souvent vers 2 ou 3 heures du matin), non seulement personne ne
l’attend, mais le lendemain, aucun des parents ne demande de détails concernant la
soirée passée. C’est la zone de frivolité et de liberté qui aurait pu être acceptée
comme naturelle si elle n’envahissait pas les salles de classe, les salles d’université,
si elle ne trainait pas dans les rues en ville et à la campagne. Les filles séduisantes,
les filles qui provoquent par leur corps, leur attirance sexuelle qui dégouline avec
excès de la chair adipeuse de leurs hanches nues, leurs ventres nus, leurs seins
gonflés. Voila l'image des filles dans nos classes. Durant la journée, les garçons ont
suffisamment de temps en classe pour la/les consommer des yeux, faire des rêves
impudiques et osés jusqu'à se convaincre qu'il faut agir. Les garçons qui sentent bon
le déodorant, avec du gel dans les cheveux jusqu'à n’en plus pouvoir, se prenant
pour des durs, des « machos » qui ne veulent pas du tout abandonner le rôle qui leur
a été initialement imposé ; et les personnes de leur âge s'attendent à ce qu'ils
assurent ce rôle.
En pénétrant dans la zone d’influence des personnes de leur âge, ils entrent dans
un « sommeil » spécifique, dans lequel ils jouent les rôles imaginés. Les rôles dont le
caractère est déterminé par les archétypes de la pop-culture, les icônes du showbusiness, du cinéma d’action ou les personnages de BD, des divers romans-photos.
Ils se sentent parfaitement bien dans ce monde imaginé, ils expérimentent différents
fragments d’identité qu’ils modèlent, remplacent, assemblent, conformément à la
technique connue du « couper-coller ». Ceci n’est pas une nouvelle situation puisque
chaque génération en fait ainsi. Cependant, elle le fait aujourd’hui dans un vide
axiologique provoqué par le retrait des adultes de la position de narrateurs,
d'interprètes et de conseillers dans la compréhension de ce monde et de ses
conditions.
Il vaut peut-être mieux que les parents se retirent plutôt que d’envahir la sensibilité
des jeunes, étant loin de comprendre le monde qui approche. Il est nécessaire de
fournir une aide éducative non seulement aux enfants, mais aussi aux parents. Des
rencontres obligatoires (dans le cadre de la responsabilité de la mère et du père)
portant sur la pédagogie des parents devraient devenir un des éléments fixés de la
perspective éducative. De telles rencontres étaient organisées jadis. Aujourd'hui elles
sont tombées dans l'oubli. Il se peut que les deux parties du procès y aient contribué.
Je pense que les deux parties se trouvent, à l’heure actuelle, du même côté du
trouble éducatif. Elles doivent comprendre que, sans actions communes, sans
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recours à un dialogue éducatif riche, ni le parent à la maison ni l'enseignant à l'école
n’atteindra des résultats. Le jeune les dupera toujours. Il faudrait donc leur limiter le
champ de manœuvre, exclure ces espaces vides, arrêter le « SOMMEIL ».
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