LA LÉGENDE DE CLÉMENCE ISAURE

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LA LÉGENDE DE CLÉMENCE ISAURE
LE PASSE -TEMPS
rouge, l'émeraude est bien vert, le jaune bien
filasse...
Le saphyr, le bleu auraient quelques chances,
la recette pourrait — au besoin — s'en retrouver dans les parchemins de ce seigneur féroce
et barbu, qui pendait — si allègremeut — ses
femmes dans un cabinet noir.
Mais où diable sont passés les parchemins de
Barbe-Bleue ?
En dépit de la diligence qu'on y mettra, le
changement annoncé ne saurait se faire rapidement : acquise en quelques heures, la rousseur
met plusieurs mois à disparaître.
La poudre était toute indiquée pour servir de
transition, entre la couleur qui s'en va et celle
qui s'élabore.
L'usage vient d'en être décrété.
Les rousses vont se poudrera frimas : toutes
àla neige — ces dames — et vous verrez que
cela ne nous refroidira pas !
Déjà, les journaux anglais nous annoncent
que la mode des cheveux blancs fait fureur dans
le high-life londonien.
Les misses, les ladies ne veulent plus être
rousses, elles sont ravies d'être blanches.
Avait-il donc prévu cette évolution, le poète
lyonnais qui — dernièrement — en des vers
pleins de grâce et de délicatesse, payait un tribut d'admiration à des cheveux blancs, encadrant à souhait un visage de jeune femme,
donnant à ses traits une douceur infinie, à ses
yeux un éclat enchanteur?
La poésie aura beau faire, elle n'empêchera
pas la guerre d'éclater : nous allons avoir le
parti des blanches et celui des anti-blanches,
ces dernières estimant — avec raison — que
jamais occasion plus propice ne s'est offerte de
rendre un hommage tardif à l'exacte vérité et
d'abandonner — une fois pour toutes — le terrain perfide de la teinture.
C'est dans les grands dangers qu'on voit les grands
\ courages.
Cette objurgation du poète Regnard ne semble-t-elle pas adressée aux anti-blanches aussi
bien qu'aux anti-rousses ?
Je me plais à penser que les brunes résisteront
avec énergie, et que les blondes ne descendront
pas à de lâches concessions.
C'est le vœu sincère d'un chroniqueur réduit
— hélas 1 — à saisir l'actualité, comme d'autres
saisissent l'occasion, par les cheveux !
Pierre BATAILLE.
parle du gros public un peu ignorant en musique
— a eu une agréable surprise. Il croyait que
la musique de Wagner serait pour lui incompréhensible, il l'a trouvée au contraire très
claire.
Il faut reconnaître aussi que la direction a
tout fait pour que le succès soit aussi complet
que possible. J'ai dit avec quel luxe de décors
et de costumes le Lohengrin avait été monté,
et que les chœurs et l'orchestre avaient été
augmentés.
Enfin une excellente interprétation a complété le tout. Dans cette interprétation,
M Uo Janssen est particulièrement à louer.
Cette jeune artiste fait du rôle d'Elva une
création bien personnelle. Le succès de
M 118 Janssen est considérable.
L'orchestre qui joue un rôle considérable
dans le Lohengrin, marche admirablement
sous la direction de M. Luigini, et à chaque
représentation on lui fait bisser la magnifique
introduction du troisième acte.
Le Lohengrin — sans que son succès soit
épuisé certainement — sera chanté trois fois
par semaine jusqu'à la fin de l'année théâtrale
qui se terminera dans les premiers jours
d'avril.
La direction s'est mise en garde très sagement contre les accidents qui peuvent interrompre ces représentations : tous les rôles
sont appris en double, et si un artiste est
malade, il y en aura toujours un autre pour le
remplacer.
THÉÂTRE DES CÉLESTINS
Le théâtre des Célestins donnera, la semaine
prochaine, la soixantième représentation du
Régiment, joué tous les soirs devant une
salle absolument comble. Je ne sais pas si on
trouverait dans les annales des Célestins à
signaler un pareil succès.
Il méritait d'être fêté, et il le sera.
Voici l'invitation originale qui a été adressée
à tous les critiques :
Lje colonel du 166 e régiment d'infanterie,
caserne au théâtre des Célestins, atteint par
la limite d'âge, prie M
de vouloir
bien lui faire l'honneur d'assister au RATA
D'ADIEU qui aura lieu au Mess de l'hôtel
Bellecour, le mercredi 11 mars, à minuit.
O'n dansera.
GRAND-THÉATRE
Le Grand-Théâtre a trouvé dans le Lohengrin un succès sans précédent. Toutes les
représentations qui ont été données depuis la
première ont fait salle comble, et j'avertis
charitablement mes lecteurs qu'ils feront bien
de prendre leurs précautions s'ils veulent
entendre l'opéra de Wagner, car les feuilles de
location se remplissent rapidement.
Faut-il s'étonner de ce succès? En aucune
façon. On a tant parlé dans ces dernières
années de Wagner que nécessairement une
œuvre de ce compositeur devait provoquer la
curiosité : il y avait là incontestablement un
élément de succès, mais cela n'aurait pas suffi.
Ce qui «l'a consacré et développé, c'est que le
Lohengrin est un opéra très intéressant, que
le public prend un plaisir extrême à l'entendre.
Et, détail curieux à noter, le public — je
Ce rata, on peut y compter, sera gai, car les
artistes, en général, n'engendrent pas la mélancolie, et quand ils s'amusent, ils s'amusent
bien.
On annonce, pour la semaine prochaine, le
Prix Monthyon, une amusante pièce du
Palais-Roval.
THÉÂTRE- BELLECOUR
Les représentations de Kléber, qui a parcouru une belle carrière touchent à leur fin, et
la semaine prochaine, faisant succéder le vaudeville au drame, la direction annonce la pièce
de Ferdinand le Noceur, de Gandillot.
La pièce de M. Ferdinand Gandillot sera
accompagnée sur l'affiche de Ravaillac, pièce
dont le principal rôle sera joué par M. Mévisto qui l'a créé à Paris au Théâtre libre.
M. Mévisto est, dit-on, un artiste d'un talent
original qui s'est fait promptement une réputation.
X...
LA LÉGENDE DE CLÉMENCE ISAURE
Manuscrit ayant obtenu le grand prix de prose (genre
travaux divers) au sixième grand concours littéraire
du Passe-Temps.
Quale micant puris iilia mixta rosis.
« Tel un lys emuaunré de la pudeur des roses ! a
Clémence Isaure est la fleur de l'Occitanie,
comme Laure-la-Belle, l'idéale amante de Pétrarque, est la fleur de la Provence. Une place
d'honneur, à coup sûr, lui est bien due dans le
jardin de beauté, à elle qui a été, sinon la fondatrice certaine, tout au moins la restauratrice
de la fête des fleurs, de ces nobles fleurs du
gai-savoir qui, depuis le xm e siècle, forment
une éclatante couronne au sein de la cité palladienne.
Les souvenirs qui sont restés de cette
femme célèbre la représentent comme noble,
riche et belle. Elle avait en partage les dons
de l'esprit et les grâces du corps, et on admet
généralement qu'elle luttait par l'éclat de ses
charmes avec cette autre Toulousaine fameuse,
sa compagne et son amie, qu'on a appelée la
belle Paule, et dont la beauté était si merveilleuse et si séduisante qu'il lui fut enjoint,
par ordre des capitouls de la cité, de se montrer en public à des intervalles déterminés pour
satisfaire la curiosité de la foule avide de la
contempler et de l'admirer.
Les' documents historiques certains font défaut en ce qui touche les événements et les
circonstances de la vie de Clémence Isaure. La
tradition populaire la plus répandue lui attribue l'institution de ces joutes poétiques qui ont
reçu le nom de Jeux floraux. D'un autre côté,
des présomptions portent à croire qu'elle n'en
fut que la bienfaitrice, et qu'elle trouva fondé
ce collège des Troubadours et des Maîtres
de la gaie science, dont les statuts formaient
un code célèbre nommé les Lois d'amour.
Mais ce qui n'est point douteux, c'est qu'elle
légua des biens considérables pour consacrer
l'existence ou le maintien de cette poétique
institution. Aussi les Capitouls et les habitants de Toulouse lui érigèrent-ils par reconnaissance, vers le milieu du xvi e siècbe, une
statue de marbre blanc placée dans la salle des
Illustres à l'Hôtel de Ville ou Capitole toulousain, où elle se voit encore et où elle est
couronnée de fleurs tous les ans, au 3 mai,
jour de la distribution des prix de poésie.
Mais si l'histoire ne nous fournit rien de
précis sur la noble Dame toulousaine, sa personnalité, du moins, nous reste sous la forme
légendaire, et nous pouvons ainsi la tirer de
l'ombre et la remettre en lumière avec l'auréole d'attraits et de grâces dont l'imagination
populaire s'est plue à la parer. La tradition,
en effet, vante sa beauté et ses charmes incomparables ; elle fait de touchants récits de
l'amour dont s'enflamma pour elle le brillant
Lautrec, le vaillant chevalier; amour partagé
par la sensible Isaure, et dont le souvenir a été
consacré dans des romances que garde encore
la mémoire populaire. Enfin, la légende nous
raconte dans quelles circonstances la noble
Clémence fut amenée à concevoir la pensée de '
fonder ou de restaurer l'institution des Jeux
floraux si chers aux troubadours de la Septimanie.
Ecoutons donc la légende et bornons-nous à
reproduire le mélodieux récit de cette chronique de la poésie.
— C'était au premier soleil de mai. — L'aurore s'est réveillée dans un ciel enchanté et
bientôt l'horizon étincelant nage dans des flots
de lumière. Le matin a laissé s'envoler jusqu'à
son dernier voile. Les ombres et les brumes
entièrement évanouies laissent voir un délicieux jardi.i où croissent l'oranger parfumé, le
figuier aux fruits savoureux et l'olivier, trésor
de l'heureuse Occitanie.
An milieu s'élève, comme un séjour de féerie, une somptueuse demeure de la plus élégante architecture Ce n'est point un de ces
gothiques donjons armés contre les ennemis du