Peut-on prévoir les crises économiques ? L`analyse des crises par
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Peut-on prévoir les crises économiques ? L`analyse des crises par
Document de travail « L’habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps » Machiavel Peut-on prévoir les crises économiques ? L’analyse des crises par le prisme des travaux de Clément Juglar Nul ne peut prétendre prévoir le futur : donner des dates, indiquer des faits précis. L’économie n’échappe pas à cette règle. Mais alors pourquoi chercher à faire un article sur la prévision des crises économiques ? Depuis une vingtaine d’années, la libéralisation progressive des économies provoque une amplification des effets cycliques de l’activité économique. Plus particulièrement, la crise qui a débuté en 2007 a provoqué des effets dévastateurs sur l’ensemble de l’activité économique et sociale mondiale. Les économistes sont alors mis en avant pour comprendre l’origine de ce phénomène et le ou les moyens qui peuvent être mis en place pour éviter les effets négatifs. Ce bouleversement macroéconomique interroge les économistes qui pour la plupart avaient considéré que les crises appartenaient à un temps révolu1. Un grand nombre a en effet cantonné son analyse dans la croyance de l’efficience des marchés, à l’image des économistes libéraux de la France du XIXe siècle, derrière Jean-Baptiste Say et sa célèbre loi des débouchés spécifiant notamment l’impossibilité d’un tel phénomène. La question est alors la suivante : peut-on prévoir les crises économiques ? Cette interrogation est bien évidement très présomptueuse. Il s’agit d’avantage d’analyser le cycle économique dans sa globalité afin d’en comprendre ses différentes phases et plus particulièrement celle du retournement de l’activité économique. Pour cela, les travaux de Clément Juglar vont être essentiels dans l’analyse théorique (1 – La théorie des crises économiques). Avec certains collègues économistes du XIXe siècle, Clément Juglar va nous expliquer le déroulement du cycle économique dans les différentes phases qui le constitue. Nous affinerons alors l’approche sinusoïdale du cycle pour prendre en compte un aspect plus pragmatique. Cette première partie théorique laissera la place à une approche empirique basée sur l’analyse des deux derniers cycles économiques en se focalisant principalement sur la France. L’aspect monétaire étant essentiel, notre étude débutera en 1999, début de l’apparition des taux de la BCE. Cela nous permettra d’analyse à la fois la crise internet et la crise immobilière (2 – Le retour sur les deux dernières crises). L’objectif est le même que celui de Juglar au XIXe siècle : de s’écarter de tout paramètre politique ou idéologique et de proposer une méthode scientifique. Restons sur des faits et voyons si ceux-ci peuvent nous permettre de mieux comprendre l’analyse des cycles. 1 Paul Krugman par exemple a ainsi intitulé un article dans Alternatives économiques de Janvier 2012 « Crise : pourquoi les économistes ont failli ». 1 I – La théorie des crises économiques 1.1 - Le prophète des crises Clément Juglar est un économiste très important dans l’analyse des cycles économiques. Ceux qu’il étudie ont été qualifiés de cycles des affaires et concernent particulièrement les phénomènes des fluctuations économiques comme la crise de 2008. Nous ferons un bref retour sur cet homme (1.1.1 – Clément Juglar) avant d’analyser le fonctionnement du cycle par le prisme des économistes français du XIXe siècle (1.1.2 – Le déroulement du cycle) 1.1.1 – Clément Juglar Clément Juglar (1819-1905), le « prophète des crises », s’est particulièrement préoccupé de l’analyse de ce phénomène. Ce médecin de formation s’intéresse à l’économie en 1852 suite à des recherches démographiques. Pour répondre à une envie intellectuelle et pour gérer la fortune familiale, il en vient à l’analyse économique. Dès 1860, il écrit des articles dans le Journal des Economistes et participe et gagne un prix à l’Académie des Sciences Morales et Politiques qui sera à la source de son ouvrage sur les crises de 1862 qui l’a rendu célèbre (Les crises commerciales et leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis). Clément Juglar, tout en appartenant à l’école française par sa participation à ces différentes facette (enseignement, concours de l’Académie, rédacteur au JDE, participant à la SEP, etc.), se singularise de ses représentants dans son approche. Il ne fait pas de théorie économique à proprement parler comme ses contemporains sur les traces de Jean-Baptiste Say. Il se base sur des séries chronologiques et des faits empiriques (même si les données sont difficilement accessibles à l’époque). Il va ainsi être amené à faire partie des premiers économistes à s’intéresser à la statistique moderne. Il sera membre et président de la Société de Statistique de Paris, membre également de la Royal Statistical Society et de l’Institut international de Statistique. C’est grâce à cette approche spécifique pour l’époque qu’il met en place une analyse des crises économiques qui se trouve être riche d’actualité. 1.1.2 – Le déroulement du cycle Pour comprendre la période très courte (une vingtaine de jours) mais fondamentale que représente la crise, une analyse du cycle économique dans sa globalité va être fort instructive. Pour cela, nous allons nous appuyer sur les travaux de Clément Juglar et de deux de ses contemporains, précurseurs également de l’analyse des cycles : Charles Coquelin et Courcelle-Seneuil. Tout va bien Dans la période précédant une crise, le capital est généralement abondant et disponible à bas prix : « le crédit facile permet d’engager des affaires qui se liquident avec la plus grande aisance, par suite de la hausse des prix qui activent encore la 2 rapidité des échanges » (Juglar, 1900, p. 642). De grands projets sont avancés sans qu’il soit important de savoir lesquels. C’est ici que les circonstances peuvent varier à l’infini. La spéculation s’éveille avec le développement des bénéfices. Les premiers investissements sont toujours bien encadrés et dans les règles de l’art de la gestion saine des entreprises. Les perspectives de profits vont avoir pour conséquence « d’élever des usines mal placées, ou produire certaines espèces de marchandises en quantité excessive, eu égard à la moyenne des habitudes » (Courcelle-Seneuil, 1909, p. 52). Le retournement Le renversement de tendance n’est pas totalement inattendu pour celui qui analyse la société. « Les symptômes qui précèdent les crises sont les signes d’une grande prospérité ; nous signalerons les entreprises et les spéculations de tous genres ; la hausse des prix de tous les produits, des terres, des maisons ; la demande des ouvriers, la hausse des salaires, la baisse de l’intérêt, la crédulité du public qui, à la vue d’un premier succès, ne met plus rien en doute ; le goût du jeu, en présence d’une hausse continue, s’empare des imaginations avec le désir de devenir riche en peu de temps, comme dans une loterie. Un luxe croissant entraîne des dépenses excessives, réglées non sur les revenus, mais sur l’estimation nominale du capital d’après les cours côtés » (Juglar, 1889, p. 4-5). L’élément déclencheur du retournement se trouve alors sans surprise dans une perte de confiance en l’avenir. « Il suffit qu’une grande compagnie ou qu’une grande institution du crédit succombe pour que toutes les affaires, s’appuyant sur une base fragile, s’écroulent2 » (Juglar, 1900, p. 642). La crise, pour Juglar, est une période très courte de 15 ou 20 jours maximum pendant laquelle « tout est ébranlé et rien ne paraît plus tenir debout ; non seulement les imprudents sont renversés, mais les plus prudents ne savent même pas à quel prix ils sortiront de la bourrasque. Tout crédit, toute confiance a disparu, c’est un sauve qui peut général » (Juglar, 1900, p. 643). Pendant cette courte période, plus personne ne trouve de nouveaux preneurs pour développer ses activités3 : « le mouvement des échanges, jusqu’ici très rapide, très avantageux, est tout à coup arrêté ; ceux qui espéraient vendre et surtout les derniers acheteurs ne savent plus que faire de leurs marchandises ; ni au-dedans ni au-dehors on ne peut les placer, et cependant il faut faire face aux échéances » (Juglar, 1900, p. 643). 2 « C’est un vrai château de cartes qui s’écroule dès qu’on y touche du bout du doigt parce qu’il n’a aucune base. Où se trouve le terrain solide ? Dans le prix des marchandises à leur juste niveau » (Rossi, 1865, Vol 4, p. 323324). 3 « Le jour où les plus avisés se présentent à une banque avec une mine effrayée en demandant des écus contre des billets, ce jour-là tout se découvre, les caves des banques sont vides, les débiteurs des banques, au lieu d’apporter des valeurs réelles, offrent de renouveler leurs billets, les commissionnaires dans les ports des deux mondes suspendent les avances et se mordent les doigts des avances qu’ils ont faites, les entrepreneurs effrayés n’osent plus soutenir leurs commandes. C’est une liquidation générale qu’il faut faire » (Rossi, 1865, Vol 4, p. 326). 3 Les conséquences désastreuses Si la crise ne dure à proprement parlé que quelques jours, la période de liquidation est une période « longue et pénible où (…) rien ne marche plus » (Juglar, 1900, p. 642). Cette période de liquidation peut durer « deux ou trois ans et même quatre ans » (Juglar, 1900, p. 642). Les banques essayent dans un premier temps de faire face à l’orage. « Elles multiplient ses escomptes, tant parce qu’on lui présente en réalité un plus grand nombre d’effets, que parce qu’elle espère satisfaire par ce moyen les nouveaux besoins qui se révèlent. Elle émet aussi un grand nombre de billets : mais comme la circulation en a déjà tout ce qu’elle peut contenir, elle les rejette : a peine émis, ces billets se présentent au remboursement, et contribuent avec tout le reste à diminuer la réserve qui décline toujours » (Coquelin, 1859, p. 271). Le signal d’alarme émis commence à se répandre dans le public et les établissements bancaires commencent à trembler pour eux-mêmes. Dans une situation de profond désespoir, les banques resserrent leurs escomptes « en refusant une grande partie des effets qu’on lui présente. C’est le coup de grâce pour le commerce » (Coquelin, 1859, p. 271). « Alors la mine éclate et le sol se couvre de ruines. La débâcle est générale. Les entreprises nouvelles, commencées sous de si bons auspices, avortent, parce que les versements s’arrêtent : les avances faites, les travaux commencés sont perdus. En même temps, un grand nombre de maisons anciennes s’écroulent : toutes les autres sont ébranlées. C’est un désarroi universel » (Coquelin, 1859, p. 269). Et Coquelin d’être réaliste sur les conséquences de la crise : « pour la banque, cependant, le remède employé est efficace. Il semble d’abord qu’elle devrait être entraînée dans le commun naufrage. Mais non : il y a de sacrifiés que les malheureux qui avaient étendus leurs opérations sur la foi des crédits accordés par elle, et qui avaient cru pouvoir compter sur la continuité de son appui » (Coquelin, 1859, p. 272). « Les produits ne circulent plus et restent en magasin ou entrepôt, dans les mêmes mains qui les gardent, après les avoir payés au prix de report ou, si ce sont des immeubles, d’expédients ruineux, espérant que le mouvement de hausse qui a toujours été favorable jusqu’ici ne les abandonnera pas » (Juglar, 1900, p. 642). « Les crédits deviennent moindres ou nuls, et il est difficile aux entrepreneurs qui en ont besoin pour leurs opérations, de ne pas tomber dans l’impuissance, ou même de ne pas être obligés de suspendre entièrement, de réaliser à perte. C’est sur eux que la crise porte de tout son poids, au profit de ceux qui ont à leur disposition actuelle des capitaux monnayés » (Courcelle-Seneuil, 1909, p. 53). Ce n’est pas seulement le pays dans lequel la première institution s’écroule qui va être touchée, mais « tous les marchés du monde qui opèrent à l’aide du crédit : il y a solidarité entre eux » (Juglar, 1900, p. 642). 4 Et après… tout recommence Clément Juglar4 va compléter son analyse en faisant apparaître des périodes (cycles) avec un renouvellement continue. « On ne saurait trop s’habituer à l’idée du retour périodique des tourmentes commerciales qui, jusqu’ici du moins, paraissent une des conditions du développement de la grande industrie » (Juglar, 1862, p. 6). Ainsi, une fois que la liquidation est finie, tout recommence5. « Bientôt, après une liquidation partielle des contrats de crédit, l’équilibre s’établit, et les affaires reprennent leur cours » (Courcelle- Seneuil, 1909, p. 53). 1.2 – Les différentes phases du cycle La description du déroulement de la crise économique que nous venons de voir au XIXe siècle est riche d’actualité. Au vu des crises actuelles, il apparaît clairement que le mécanisme est similaire. A partir du XXe siècle et de l’analyse moderne des cycles économiques, cette approche va être synthétisée par de belles courbes sinusoïdales (1.2.1). Malheureusement, cette approche, très pratique pour comprendre le fonctionnement du cycle, peut désorienter totalement le théoricien confronté à des données empiriques qui n’ont souvent rien à voir avec ce schéma parfait. Une vision plus pragmatique est nécessaire pour comprendre le fonctionnement du cycle économique (1.2.2). 1.2.1 – La vision classique Joseph Schumpeter, qui s’est particulièrement intéressé à l’analyse cyclique, a attribué à Clément Juglar la découverte des cycles des affaires pour une durée comprise entre 8 et 10 ans. Il fait ainsi ressortir une approche du cycle dans cette vision classique qui s’incruste dans le cycle plus long qualifié de Kondratief (40-60 ans) et qui connaît lui-même une sous- Crise Valeur Contraction Expansion Reprise Temps 4 C’est grâce au travail d’Hippolyte Passy que Juglar aura la carrière qu’on lui connaît. C’est lui qui propose un compte rendu des Crises Commerciales et Monétaires de 1800 à 1857 aux membres de l’Académie des Sciences Morales et Politiques paru dans le Journal des Economistes. Il proposera, quelque mois après, le prix Bordin sur le même sujet qui permettra à Juglar non seulement de développer ses thèses mais d’acquérir une notoriété sans précédent et des places dans toutes les grandes institutions de la pensée économique du XIXe siècle. 5 « Une période d’atonie plus ou moins longue succède au désastre ; puis la confiance renaît peu à peu, des réformes sont introduites dans les entreprises, dans le commerce et le crédit apportent la prudence voulue dans leurs opérations et, comme la baisse des prix, résultat de la crise, a développé les habitudes de la consommation, une nouvelle période de prospérité peut commencer » (Beauregard, 1889, p. 266). 5 division à travers le cycle Kitchin (3-4 ans). Peu importe la durée, le cycle sinusoïdal se décompose en trois phases : Expansion, Crise qui ne dure que quelques jours, Contraction qui dure de nombreuses années. Ce cycle se reproduit à l’infini. 1.2.2 – La vision pragmatique Les magnifiques schémas des cycles économiques peuvent laisser l’homme de laboratoire dans le désarroi face aux données empiriques. En effet, toutes les phases de l’activité économique n’ont pas la même durée, régularité ni la même intensité. Cette présentation théorique parfaite doit donc être affinée. La phase d’expansion tout d’abord. Elle va connaître une (voir deux) période de pause qui se caractérise au préalable par une très forte poussée suivie d’un repli sur une ou deux périodes. Durant cette phase et comme le rappel Juglar, « quoi qu’on entreprenne, tout réussit ». Même si des voies commencent à se faire entendre pour signaler l’apparition d’opérations financières hors normes, il paraît difficile de s’écarter des perspectives d’aisance et de prospérité. Arrive pourtant un moment pendant lequel les échanges deviennent moins rapides, il n’y a plus le roulement ordinaire. Apparaît ainsi une courte phase de stagnation annonciatrice de la chute. « C’est alors que tout change de face. Le ciel si serein jusque-là s’assombrit, la défiance Valeur se propage, le crédit se Crise resserre, l’argent disparaît, les Bourses Ralentissement ne peuvent plus Expansion Pause Pause liquider les affaires, qui sont même suspendues ». Reprise Tout le monde est alors touché, même Fin de cycle les entreprises les plus sûres sont affectées Temps par le séisme. La chute sera alors longue, entrecoupée, tout comme pour la phase d’expansion, d’une ou de plusieurs périodes de respiration (toujours précédées d’une forte baisse). Ces périodes de pause sont fondamentales dans l’analyse des cycles économiques car elles sont le signe d’un passage obligé dans la phase d’expansion ou de ralentissement. Il n’est pas possible de savoir où elles se situent exactement mais elles constituent une étape du cycle. Les entreprises vont progressivement commencer à retrouver du souffle ; l’activité redémarre mais le chemin est encore long avant la croissance durable et la confiance dans l’avenir. Les oscillations sont alors très importantes avec des périodes en dent de scie. La baisse d’intensité de ces variations va être le signe d’un retournement de conjoncture pour le départ d’un nouveau cycle économique. 6 Ces schémas, qu’ils soient classiques ou plus pragmatiques, constituent un bon moyen de départ dans la compréhension de l’analyse du cycle économique. Mais la réalité est plus complexe que ces graphiques. Pour l’appréhender, il convient de prendre en compte les données et de voir à travers elles le mouvement cyclique et ce, sur les deux dernières crises et particulièrement en France. II – Le retour sur les deux dernières crises La première partie, fort instructive sur les travaux de Clément Juglar et l’analyse des cycles économiques (d’une vision classique à une vision plus pragmatique), peut contenter un théoricien mais pas un homme de terrain dans l’attente de réponses adaptées à une situation conjoncturelle spécifique. L’objectif reste toujours celui que c’était fixé cet économiste voilà plus d’un siècle. « Dans les phénomènes météorologiques, nous avons des instruments très sensibles qui nous avertissent des perturbations probables de l’atmosphère ; serons-nous assez heureux pour saisir les signes précurseurs des crises commerciales ? Trouveronsnous, pour annoncer ces tempêtes commerciales, un baromètre assez sensible qui servira de guide ? » (Juglar, 1889, p. 167-168). Pour parvenir à se rapprocher de cet objectif, nous allons revenir sur les deux dernières crises économiques pour les décortiquer et comprendre les points de retournement. Nous étudierons donc successivement la crise liée à la bulle internet puis celle liée à la bulle immobilière. Nous nous questionnerons alors sur la période de 2011 pour savoir s’il s’agit de la fin d’un cycle. Nous conclurons alors sur l’existence d’un indicateur des crises économiques. Il ne s’agit pas de revenir sur des dates précises, sur des faits donnés6, mais sur un fonctionnement pour comprendre et appréhender les fluctuations de l’activité économique. Les cycles se déroulant sur plusieurs années, nous n’allons pas nous appuyer sur des données journalières mais mensuelles. Il s’agit de faire ressortir les tendances, les fluctuations qui obligent à sortir de l’immédiateté pour prendre du recul sur le cycle dans sa globalité. 2.1 - La bulle internet Comme point d’appuie à notre étude, nous commençons par prendre en compte deux éléments attachés à trois valeurs. Le premier est l’indice boursier (le CAC 40) et le second correspond à des données monétaires à travers l’euribor et le taux directeur de la BCE. Si l’indice boursier est le premier évocateur de la crise, les autres taux marquent les différentes phases de croissance ou de repli de l’activité économique. Ils interviennent donc avec un léger décalage dans le temps mais suivent la même régularité, ce qui est tout à fait logique dans le processus de fonctionnement des entreprises qui ne peuvent pas répercuter immédiatement les effets des évolutions boursières. 6 Les articles à ce propos sont légion, tant dans les journaux économiques que dans les revues spécialisées. 7 Notre analyse du cycle débute au milieu de la phase haussière du CAC 40 au début de l’année 1999 (date de la mise en place du taux de la BCE). La très forte hausse du mois de novembre et décembre 1999 (+9.27% et +11.55%) suivi d’une forte variation sur deux mois (-5%, +9%) est le signe de la pause dans la phase d’expansion signe d’un retournement futur. Nous ne sommes qu’à 6190 points, soit à plus de 400 points du maximum. La phase d’expansion n’est donc pas encore finie. Mais en ce début des années 2000, nous sommes tout proche de la phase de stagnation signe de l’arrivée de la crise. Jusqu’au mois d’août, nous sommes entre 0 et 2% de progression par mois. Nous voyons ici que le modèle théorique que nous avons décrit s’ajuste différemment selon les circonstances empiriques. La phase de pause dans la période d’expansion est presque à l’apogée en valeur de l’indice et la période de stagnation évocateur de la crise dure sur plusieurs périodes. S’il est impossible à l’avance de déterminer une durée ou une intensité, nous sommes bien devant le précipice qui débute entre le mois d’août et septembre 2000 avec une chute de plus de 5% de l’ensemble des places boursières. Un tout petit répit pour le mois suivant (+2%) puis la dégringolade. Comme nous l’avons vu dans la vision pragmatique du cycle, la période de ralentissement tout comme la période d’expansion peut connaître une ou plusieurs pauses précédé toujours d’une très forte variation. Pour cette crise, le CAC 40 va connaître trois pauses précédées chaque fois d’une variation à la baisse à deux chiffres. En février 2001 (-10.57%) avec une reprise de près de 9% au mois d’avril. La baisse se poursuit avec une pause au mois d’octobre 2001 précédé d’une baisse de 13%. A ce moment précis du cycle, il est très difficile de dire si nous sommes à la fin du cycle avec l’apparition de fluctuations en dent de scie ou juste à une pause dans la phase baissière. La baisse est déjà de près de 40% de la valeur par rapport au maximum. C’est l’analyse fine de l’ensemble des paramètres économiques qui permet de donner une réponse à cette question. Les chiffres que nous utilisons ici ne peuvent y parvenir. C’est là une des faiblesse de cette analyse et ce pourquoi cette approche des cycles doit, pour le praticien, toujours être accompagnée d’une connaissance fine de l’actualité économique. Si cet aspect pratique de l’analyse des faits économiques est souvent mis de côté, il se trouvait au cœur de l’analyse des économistes français du XIXe siècle, cercle auquel appartenait Clément Juglar. La consultation du JDE par exemple fait ressortir, à côté des articles théoriques, une multitude d’analyses conjoncturelles. En réalité, nous ne sommes qu’à la seconde pause, la troisième et dernière arrive après l’été 2002 suite à des baisses successives de -12 à -17% pour les mois de juillet et septembre. Le très fort rebond d’octobre +13% signe normalement une rupture, ce qui sera effectivement le cas puisque nous avons par la suite une fluctuation en dent de scie et une très forte hausse en avril 2003 (+12.8%) signe de changement de phase du cycle économique. La chute aura tout de même été impressionnante avec une perte de près de 60% de la valeur du CAC 40. 8 7000 Evolution du CAC 40 6500 6000 5500 5000 4500 4000 3500 3000 2500 199 9 200 0 200 1 200 2 200 3 200 4 200 5 200 6 200 7 200 8 200 9 201 0 201 1 201 2 201 3 2.2 - La bulle immobilière La phase de croissance est presque immédiate et beaucoup plus régulière que dans le cycle précédant, ce qui implique des évolutions beaucoup moins prononcées, avec des taux de variations inférieurs à 5%. Comme nous l’avons déjà indiqué, chaque cycle à sa particularité. Notons que pour celui-ci, deux phases de repli peuvent être analysées. En 2005 tout d’abord avec deux augmentations de 5% liées à une baisse puis un nouveau repli au début de l’année 2006. Le contexte économique global montre clairement que ce premier repli n’est qu’une petite période dans le cycle, le CAC 40 n’étant qu’à 4500 points, loin derrière le record de l’année 2000. La baisse de la croissance suivie d’une augmentation de presque 6% au mois d’avril 2007 annonce le retournement, le changement de cycle. Cette forte variation (toute relative par rapport au cycle précédent mais tout de même importante ici) est toujours le signe d’un changement de phase à venir. La chute commence à la fin de l’année 2007. Début 2008, une forte baisse de 13%, signe d’une pause pour la période suivante qui va se révéler au mois d’avril. Comme précédemment, à la hausse ou à la baisse, la très forte baisse va être suivie d’une hausse très courte avec un bon (+6%) puis le retour dans la phase baissière avec des valeurs particulièrement importantes dans cette fin d’année 2008 : (-10, -11 et même -13%). Entre mi 2009 et début 2011, nous retrouvons les oscillations en dent de scie avec des intensités s’amenuisant (de + ou – 9% à + ou – 2%), révélateur normalement de la fin du cycle, le CAC 40 arrivant autour des 4000 points. Mais il n’en est rien et l’indice boursier français va même descendre sous les 3000 points. C’est là qu’une analyse plus fine est requise ainsi que la prise en compte d’autres variables. 9 2.3 - 2011 : est-ce une fin de cycle ? Au début de l’année 2011, après trois années de baisse, il est tout naturel de se dire que la chute a déjà été longue et rude (plus de 30% de baisse). Mais en fait, il n’en est rien. Pour comprendre pourquoi la chute n’est pas finie, il faut enrichir notre analyse d’autres variables. L’euribor et le taux directeur de la Banque Centrale Européenne vont être d’un premier secours. Ces éléments, liés à l’activité économique, vont connaître les mêmes perturbations cycliques que les valeurs boursières, avec un léger décalage correspondant à l’adaptation du monde de la banque et des entreprises aux évolutions conjoncturelles. Il est en effet difficile d’arrêter une commande en cours ou de repartir dans l’euphorie lorsque tout le corps social et économique s’est arrêté. Les taux de référence de l’économie sont le parfait reflet de l’évolution cyclique de l’économie que nous venons de décrire. Pour la bulle internet tout d’abord, la phase de repos est très clairement indiquée lorsque le taux directeur passe à 4.25% pendant quelques mois. S’ensuit la dernière hausse de 11% puis le début de la phase baissière. Tout comme pour la période de croissance, la baisse va connaître une pause qui est représentée par une continuité du taux de la BCE (la prise en compte d’un retournement de conjoncture est plus lente) et une augmentation pour l’euribor. Cette pause laisse vite la place à la fin de la chute. Nous retrouvons parfaitement nos oscillations de fin de cycle avec des oscillations diminuant (représenté par un taux de la BCE bas sur une longue durée). 6,000 4 000 Evolution des taux 3 500 5,000 3 000 4,000 2 500 3,000 2 000 1 500 2,000 1 an 1 000 Taux BCE 1,000 chomage 500 0,000 1999 0 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Un nouveau cycle débute à partir de 2005. Nouvelle pause annonciatrice d’un retournement à venir caractérisée par une pause dans la croissance du taux BCE et un recul de l’euribor, une dernière phase de hausse, stagnation puis chute. Nous avons ici la parfaite corrélation avec l’analyse théorique du cycle. C’est l’étude de ces taux qui va nous permettre d’affiner notre analyse du CAC 40 et de comprendre le retournement de situation décrit ci-dessus. La période de 2011, au lieu d’être une fin de cycle, est au contraire la phase de pause dans la période baissière. Cette dernière est ici particulièrement longue et surprenante par son ampleur, mais tout à fait cohérente dans l’analyse du cycle. 10 Cette analyse peut être complétée par de nombreux autres paramètres. Le nombre de chômeurs par exemple, dont la courbe suit parfaitement l’évolution cyclique, connaît une période de stagnation à partir de 2011, suivie par une phase fortement haussière. Il reste donc la phase d’évolution en dent de scie avant de voir arriver la fin du cycle et le commencement d’un nouveau. Dans l’analyse du cycle, nous sommes donc proche de la fin de la partie baissière avec l’annonciation prochaine de la reprise. Une période de stagnation du taux de la BCE est donc à attendre. Il est encore trop tôt pour indiquer la date de la reprise et l’objet sur lequel se focalisera l’attention des investisseurs. Des spécificités nationales Toutes les économies sont interdépendantes, suivant notamment les phases de crises dans des moments identiques. Par contre, chacune connaît des spécificités. Si le taux de l’euribor ou le taux directeur sont des paramètres européen, chaque pays connaît des évolutions boursières spécifiques, comme va le révéler l’étude du CAC 40 et du DAX pour l’Europe et du SSE chinois pour comparer des évolutions significatives et différentes entre des indices et des valeurs économiques plus « réelles ». Ainsi, le taux directeur, avec la baisse historique de son taux à 0,25 %, est rentré en plein dans sa longue phase de stagnation, en attendant un retour à la hausse. En ce qui concerne les activités boursières, les trois exemples cités connaissent trois évolutions différentes. Pour le DAX tout d’abord, la bonne situation économique lui fait presque atteindre son record historique. Le CAC 40 se tient dans un mouchoir de poche entre les 4000 et 4500 points tandis que le SSE n’arrive pas à retrouver de bonnes performances7. 7 Il est difficile d’aller avant la crise de 2008 pour cet indice qui ne commence à s’ouvrir aux fluctuations que récemment. 11 12000 Evolution des principales places boursières 10000 8000 6000 4000 2000 CAC 40 DAX SSE 0 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Pour affiner son analyse sur un pays, pays, il faut donc prendre en compte une multitude de paramètres. Nous n’en avons cités que quelques-uns, quelques uns, indispensables pour étudier le cycle économique. Leur multiplication permet de confirmer et d’affiner les analyses. Pour la crise actuelle, le nombre des transactions immobilières peut être un bon indicateur complémentaire. 2.4 - Existe-t-il il un indicateur des crises ? La question estion posée au début de cet article est de savoir si l’on peut arriver à prévoir les crises économiques. Le point de départ résidait dans les travaux de Clément Juglar au XIXe siècle. Deux étapes ont été développées pour comprendre le cycle économique dans sa globalité. La première était théorique et a consisté à décortiquer le fonctionnement des fluctuations économiques. La seconde, plus 12 empirique, est revenue sur les deux dernières crises économiques, notamment pour la France. Le travail effectué jusque-là est et reste relativement « simple ». Certes, nous avons affiné l’analyse des différentes phases du cycle. Mais cela reste un travail théorique. Nous nous sommes alors penchés sur les deux dernières crises. Mais là aussi, il est beaucoup plus simple de faire des commentaires ex post. Certes, nous avons vu des corrélations, nous avons vu que les données nous permettent de constater un lien entre la phase théorique et les aspects pratiques. Mais qu’en est-il réellement ? Plusieurs questions apparaissent alors ? Deux retiennent notre attention pour conclure cette recherche. La première va consister à savoir s’il existe un indicateur des crises. La seconde porte sur l’utilité de telles recherches. Rappelons l’objectif qu’était celui de Clément Juglar voilà plus d’un siècle : « nous avons des instruments très sensibles qui nous avertissent des perturbations probables de l’atmosphère ; serons-nous assez heureux pour saisir les signes précurseurs des crises commerciales ? Trouverons-nous, pour annoncer ces tempêtes commerciales, un baromètre assez sensible qui servira de guide ? » (Juglar [1889],-168). Si quelqu’un pouvait trouver ce fameux indicateur des crises, il aurait obtenu, si ce n’est le prix Nobel de la paix, au moins celui de l’économie. De plus, et dans le cas de la découverte d’un tel indicateur, comment faire entendre sa voix face dans une phase d’euphorie face à une multitude de personnes spéculant sur les gains futurs ? Alors toutes ces recherches sont-elles vaines ? Certainement pas. Même si l’on n’a pas découvert d’indicateur des crises, on a mis en avant certains signes susceptibles de mettre en avant les changements dans le cycle économique. Il a été indiqué que cette étude doit être complétée d’une analyse de l’ensemble de l’économie. Il s’agit, en plus des données brutes, de sentir les différentes zones de changement. En effet, l’élément déclencheur : une rumeur, une peur, un retournement de croyance, pour ne prendre en compte que le moment de retournement du cycle à la baisse, est introuvable a priori. L’objet du colloque consiste ici dans la gestion des risques. Celui que nous avons mis en avant, c’est celui de la finance. Les outils développés servent donc à tenter d’éviter des pertes pécuniaires liées aux fluctuations des marchés financiers. C’est donc dans la gestion de ses biens personnels ou de ceux des entreprises que ce situe l’objectif de ces recherches. Même si l’on ne se fait pas entendre, essayer de se rabattre vers des valeurs « sûres » juste avant la crise et bien évidemment de les réemployer dans des valeurs plus dynamiques au moment du retournement à la hausse constitue le point central de toute gestion active d’un patrimoine financier. Nous avons donné certaines pistes pour indiquer quand acheter au plus bas et revendre au plus haut. 13