Peut-on prévoir les crises économiques ? L`analyse des crises par

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Peut-on prévoir les crises économiques ? L`analyse des crises par
Document de travail
« L’habituel défaut de l’homme est de ne pas
prévoir l’orage par beau temps » Machiavel
Peut-on prévoir les crises économiques ?
L’analyse des crises par le prisme des travaux de Clément
Juglar
Nul ne peut prétendre prévoir le futur : donner des dates, indiquer des faits
précis. L’économie n’échappe pas à cette règle. Mais alors pourquoi chercher à faire
un article sur la prévision des crises économiques ? Depuis une vingtaine d’années,
la libéralisation progressive des économies provoque une amplification des effets
cycliques de l’activité économique. Plus particulièrement, la crise qui a débuté en
2007 a provoqué des effets dévastateurs sur l’ensemble de l’activité économique et
sociale mondiale. Les économistes sont alors mis en avant pour comprendre l’origine
de ce phénomène et le ou les moyens qui peuvent être mis en place pour éviter les
effets négatifs.
Ce bouleversement macroéconomique interroge les économistes qui pour la
plupart avaient considéré que les crises appartenaient à un temps révolu1. Un grand
nombre a en effet cantonné son analyse dans la croyance de l’efficience des
marchés, à l’image des économistes libéraux de la France du XIXe siècle, derrière
Jean-Baptiste Say et sa célèbre loi des débouchés spécifiant notamment
l’impossibilité d’un tel phénomène.
La question est alors la suivante : peut-on prévoir les crises économiques ?
Cette interrogation est bien évidement très présomptueuse. Il s’agit d’avantage
d’analyser le cycle économique dans sa globalité afin d’en comprendre ses
différentes phases et plus particulièrement celle du retournement de l’activité
économique. Pour cela, les travaux de Clément Juglar vont être essentiels dans
l’analyse théorique (1 – La théorie des crises économiques). Avec certains collègues
économistes du XIXe siècle, Clément Juglar va nous expliquer le déroulement du
cycle économique dans les différentes phases qui le constitue. Nous affinerons alors
l’approche sinusoïdale du cycle pour prendre en compte un aspect plus pragmatique.
Cette première partie théorique laissera la place à une approche empirique
basée sur l’analyse des deux derniers cycles économiques en se focalisant
principalement sur la France. L’aspect monétaire étant essentiel, notre étude
débutera en 1999, début de l’apparition des taux de la BCE. Cela nous permettra
d’analyse à la fois la crise internet et la crise immobilière (2 – Le retour sur les deux
dernières crises).
L’objectif est le même que celui de Juglar au XIXe siècle : de s’écarter de tout
paramètre politique ou idéologique et de proposer une méthode scientifique. Restons
sur des faits et voyons si ceux-ci peuvent nous permettre de mieux comprendre
l’analyse des cycles.
1
Paul Krugman par exemple a ainsi intitulé un article dans Alternatives économiques de Janvier 2012 « Crise :
pourquoi les économistes ont failli ».
1
I – La théorie des crises économiques
1.1 - Le prophète des crises
Clément Juglar est un économiste très important dans l’analyse des cycles
économiques. Ceux qu’il étudie ont été qualifiés de cycles des affaires et concernent
particulièrement les phénomènes des fluctuations économiques comme la crise de
2008. Nous ferons un bref retour sur cet homme (1.1.1 – Clément Juglar) avant
d’analyser le fonctionnement du cycle par le prisme des économistes français du
XIXe siècle (1.1.2 – Le déroulement du cycle)
1.1.1 – Clément Juglar
Clément Juglar (1819-1905), le « prophète des crises », s’est particulièrement
préoccupé de l’analyse de ce phénomène. Ce médecin de formation s’intéresse à
l’économie en 1852 suite à des recherches démographiques. Pour répondre à une
envie intellectuelle et pour gérer la fortune familiale, il en vient à l’analyse
économique. Dès 1860, il écrit des articles dans le Journal des Economistes et
participe et gagne un prix à l’Académie des Sciences Morales et Politiques qui sera à
la source de son ouvrage sur les crises de 1862 qui l’a rendu célèbre (Les crises
commerciales et leur retour périodique en France, en Angleterre et aux Etats-Unis).
Clément Juglar, tout en appartenant à l’école française par sa participation à
ces différentes facette (enseignement, concours de l’Académie, rédacteur au JDE,
participant à la SEP, etc.), se singularise de ses représentants dans son approche. Il
ne fait pas de théorie économique à proprement parler comme ses contemporains
sur les traces de Jean-Baptiste Say. Il se base sur des séries chronologiques et des
faits empiriques (même si les données sont difficilement accessibles à l’époque). Il
va ainsi être amené à faire partie des premiers économistes à s’intéresser à la
statistique moderne. Il sera membre et président de la Société de Statistique de
Paris, membre également de la Royal Statistical Society et de l’Institut international
de Statistique. C’est grâce à cette approche spécifique pour l’époque qu’il met en
place une analyse des crises économiques qui se trouve être riche d’actualité.
1.1.2 – Le déroulement du cycle
Pour comprendre la période très courte (une vingtaine de jours) mais
fondamentale que représente la crise, une analyse du cycle économique dans sa
globalité va être fort instructive. Pour cela, nous allons nous appuyer sur les travaux
de Clément Juglar et de deux de ses contemporains, précurseurs également de
l’analyse des cycles : Charles Coquelin et Courcelle-Seneuil.
Tout va bien
Dans la période précédant une crise, le capital est généralement abondant et
disponible à bas prix : « le crédit facile permet d’engager des affaires qui se liquident
avec la plus grande aisance, par suite de la hausse des prix qui activent encore la
2
rapidité des échanges » (Juglar, 1900, p. 642). De grands projets sont avancés sans
qu’il soit important de savoir lesquels. C’est ici que les circonstances peuvent
varier à l’infini. La spéculation s’éveille avec le développement des bénéfices. Les
premiers investissements sont toujours bien encadrés et dans les règles de l’art de la
gestion saine des entreprises. Les perspectives de profits vont avoir pour
conséquence « d’élever des usines mal placées, ou produire certaines espèces de
marchandises en quantité excessive, eu égard à la moyenne des habitudes »
(Courcelle-Seneuil, 1909, p. 52).
Le retournement
Le renversement de tendance n’est pas totalement inattendu pour celui qui
analyse la société. « Les symptômes qui précèdent les crises sont les signes d’une
grande prospérité ; nous signalerons les entreprises et les spéculations de tous
genres ; la hausse des prix de tous les produits, des terres, des maisons ; la
demande des ouvriers, la hausse des salaires, la baisse de l’intérêt, la crédulité du
public qui, à la vue d’un premier succès, ne met plus rien en doute ; le goût du jeu,
en présence d’une hausse continue, s’empare des imaginations avec le désir de
devenir riche en peu de temps, comme dans une loterie. Un luxe croissant entraîne
des dépenses excessives, réglées non sur les revenus, mais sur l’estimation
nominale du capital d’après les cours côtés » (Juglar, 1889, p. 4-5).
L’élément déclencheur du retournement se trouve alors sans surprise dans
une perte de confiance en l’avenir. « Il suffit qu’une grande compagnie ou qu’une
grande institution du crédit succombe pour que toutes les affaires, s’appuyant sur
une base fragile, s’écroulent2 » (Juglar, 1900, p. 642). La crise, pour Juglar, est une
période très courte de 15 ou 20 jours maximum pendant laquelle « tout est ébranlé et
rien ne paraît plus tenir debout ; non seulement les imprudents sont renversés, mais
les plus prudents ne savent même pas à quel prix ils sortiront de la bourrasque. Tout
crédit, toute confiance a disparu, c’est un sauve qui peut général » (Juglar, 1900, p.
643).
Pendant cette courte période, plus personne ne trouve de nouveaux preneurs
pour développer ses activités3 : « le mouvement des échanges, jusqu’ici très rapide,
très avantageux, est tout à coup arrêté ; ceux qui espéraient vendre et surtout les
derniers acheteurs ne savent plus que faire de leurs marchandises ; ni au-dedans ni
au-dehors on ne peut les placer, et cependant il faut faire face aux échéances »
(Juglar, 1900, p. 643).
2
« C’est un vrai château de cartes qui s’écroule dès qu’on y touche du bout du doigt parce qu’il n’a aucune base.
Où se trouve le terrain solide ? Dans le prix des marchandises à leur juste niveau » (Rossi, 1865, Vol 4, p. 323324).
3
« Le jour où les plus avisés se présentent à une banque avec une mine effrayée en demandant des écus contre
des billets, ce jour-là tout se découvre, les caves des banques sont vides, les débiteurs des banques, au lieu
d’apporter des valeurs réelles, offrent de renouveler leurs billets, les commissionnaires dans les ports des deux
mondes suspendent les avances et se mordent les doigts des avances qu’ils ont faites, les entrepreneurs effrayés
n’osent plus soutenir leurs commandes. C’est une liquidation générale qu’il faut faire » (Rossi, 1865, Vol 4, p.
326).
3
Les conséquences désastreuses
Si la crise ne dure à proprement parlé que quelques jours, la période de
liquidation est une période « longue et pénible où (…) rien ne marche plus » (Juglar,
1900, p. 642). Cette période de liquidation peut durer « deux ou trois ans et même
quatre ans » (Juglar, 1900, p. 642).
Les banques essayent dans un premier temps de faire face à l’orage. « Elles
multiplient ses escomptes, tant parce qu’on lui présente en réalité un plus grand
nombre d’effets, que parce qu’elle espère satisfaire par ce moyen les nouveaux
besoins qui se révèlent. Elle émet aussi un grand nombre de billets : mais comme la
circulation en a déjà tout ce qu’elle peut contenir, elle les rejette : a peine émis, ces
billets se présentent au remboursement, et contribuent avec tout le reste à diminuer
la réserve qui décline toujours » (Coquelin, 1859, p. 271). Le signal d’alarme émis
commence à se répandre dans le public et les établissements bancaires
commencent à trembler pour eux-mêmes. Dans une situation de profond désespoir,
les banques resserrent leurs escomptes « en refusant une grande partie des effets
qu’on lui présente. C’est le coup de grâce pour le commerce » (Coquelin, 1859, p.
271).
« Alors la mine éclate et le sol se couvre de ruines. La débâcle est générale.
Les entreprises nouvelles, commencées sous de si bons auspices, avortent, parce
que les versements s’arrêtent : les avances faites, les travaux commencés sont
perdus. En même temps, un grand nombre de maisons anciennes s’écroulent :
toutes les autres sont ébranlées. C’est un désarroi universel » (Coquelin, 1859, p.
269). Et Coquelin d’être réaliste sur les conséquences de la crise : « pour la banque,
cependant, le remède employé est efficace. Il semble d’abord qu’elle devrait être
entraînée dans le commun naufrage. Mais non : il y a de sacrifiés que les
malheureux qui avaient étendus leurs opérations sur la foi des crédits accordés par
elle, et qui avaient cru pouvoir compter sur la continuité de son appui » (Coquelin,
1859, p. 272).
« Les produits ne circulent plus et restent en magasin ou entrepôt, dans les
mêmes mains qui les gardent, après les avoir payés au prix de report ou, si ce sont
des immeubles, d’expédients ruineux, espérant que le mouvement de hausse qui a
toujours été favorable jusqu’ici ne les abandonnera pas » (Juglar, 1900, p. 642).
« Les crédits deviennent moindres ou nuls, et il est difficile aux entrepreneurs qui en
ont besoin pour leurs opérations, de ne pas tomber dans l’impuissance, ou même de
ne pas être obligés de suspendre entièrement, de réaliser à perte. C’est sur eux que
la crise porte de tout son poids, au profit de ceux qui ont à leur disposition actuelle
des capitaux monnayés » (Courcelle-Seneuil, 1909, p. 53).
Ce n’est pas seulement le pays dans lequel la première institution s’écroule
qui va être touchée, mais « tous les marchés du monde qui opèrent à l’aide du
crédit : il y a solidarité entre eux » (Juglar, 1900, p. 642).
4
Et après… tout recommence
Clément Juglar4 va compléter son analyse en faisant apparaître des périodes
(cycles) avec un renouvellement continue. « On ne saurait trop s’habituer à l’idée du
retour périodique des tourmentes commerciales qui, jusqu’ici du moins, paraissent
une des conditions du développement de la grande industrie » (Juglar, 1862, p. 6).
Ainsi, une fois que la liquidation est finie, tout recommence5. « Bientôt, après une
liquidation partielle des contrats de crédit, l’équilibre s’établit, et les affaires
reprennent leur cours » (Courcelle- Seneuil, 1909, p. 53).
1.2 – Les différentes phases du cycle
La description du déroulement de la crise économique que nous venons de
voir au XIXe siècle est riche d’actualité. Au vu des crises actuelles, il apparaît
clairement que le mécanisme est similaire. A partir du XXe siècle et de l’analyse
moderne des cycles économiques, cette approche va être synthétisée par de belles
courbes sinusoïdales (1.2.1). Malheureusement, cette approche, très pratique pour
comprendre le fonctionnement du cycle, peut désorienter totalement le théoricien
confronté à des données empiriques qui n’ont souvent rien à voir avec ce schéma
parfait. Une vision plus pragmatique est nécessaire pour comprendre le
fonctionnement du cycle économique (1.2.2).
1.2.1 – La vision classique
Joseph Schumpeter, qui s’est
particulièrement
intéressé
à
l’analyse cyclique, a attribué à
Clément Juglar la découverte des
cycles des affaires pour une durée
comprise entre 8 et 10 ans.
Il fait ainsi ressortir une approche du
cycle dans cette vision classique qui
s’incruste dans le cycle plus long
qualifié de Kondratief (40-60 ans) et
qui connaît lui-même une sous-
Crise
Valeur
Contraction
Expansion
Reprise
Temps
4
C’est grâce au travail d’Hippolyte Passy que Juglar aura la carrière qu’on lui connaît. C’est lui qui propose un
compte rendu des Crises Commerciales et Monétaires de 1800 à 1857 aux membres de l’Académie des Sciences
Morales et Politiques paru dans le Journal des Economistes. Il proposera, quelque mois après, le prix Bordin sur
le même sujet qui permettra à Juglar non seulement de développer ses thèses mais d’acquérir une notoriété sans
précédent et des places dans toutes les grandes institutions de la pensée économique du XIXe siècle.
5
« Une période d’atonie plus ou moins longue succède au désastre ; puis la confiance renaît peu à peu, des
réformes sont introduites dans les entreprises, dans le commerce et le crédit apportent la prudence voulue dans
leurs opérations et, comme la baisse des prix, résultat de la crise, a développé les habitudes de la consommation,
une nouvelle période de prospérité peut commencer » (Beauregard, 1889, p. 266).
5
division à travers le cycle Kitchin (3-4 ans). Peu importe la durée, le cycle sinusoïdal
se décompose en trois phases :
Expansion,
Crise qui ne dure que quelques jours,
Contraction qui dure de nombreuses années.
Ce cycle se reproduit à l’infini.
1.2.2 – La vision pragmatique
Les magnifiques schémas des cycles économiques peuvent laisser l’homme
de laboratoire dans le désarroi face aux données empiriques. En effet, toutes les
phases de l’activité économique n’ont pas la même durée, régularité ni la même
intensité. Cette présentation théorique parfaite doit donc être affinée.
La phase d’expansion tout d’abord. Elle va connaître une (voir deux) période
de pause qui se caractérise au préalable par une très forte poussée suivie d’un repli
sur une ou deux périodes. Durant cette phase et comme le rappel Juglar, « quoi
qu’on entreprenne, tout réussit ». Même si des voies commencent à se faire
entendre pour signaler l’apparition d’opérations financières hors normes, il paraît
difficile de s’écarter des perspectives d’aisance et de prospérité.
Arrive pourtant un moment pendant lequel les échanges deviennent moins
rapides, il n’y a plus le roulement ordinaire. Apparaît ainsi une courte phase de
stagnation annonciatrice de la chute. « C’est alors que tout change de face. Le ciel
si serein
jusque-là
s’assombrit, la défiance
Valeur
se propage, le crédit se
Crise
resserre,
l’argent
disparaît, les Bourses
Ralentissement
ne
peuvent
plus Expansion
Pause
Pause
liquider les affaires, qui
sont
même
suspendues ».
Reprise
Tout le monde
est alors touché, même
Fin de cycle
les entreprises les plus
sûres sont affectées
Temps
par le séisme. La
chute
sera
alors
longue, entrecoupée, tout comme pour la phase d’expansion, d’une ou de plusieurs
périodes de respiration (toujours précédées d’une forte baisse). Ces périodes de
pause sont fondamentales dans l’analyse des cycles économiques car elles sont le
signe d’un passage obligé dans la phase d’expansion ou de ralentissement. Il n’est
pas possible de savoir où elles se situent exactement mais elles constituent une
étape du cycle.
Les entreprises vont progressivement commencer à retrouver du souffle ;
l’activité redémarre mais le chemin est encore long avant la croissance durable et la
confiance dans l’avenir. Les oscillations sont alors très importantes avec des
périodes en dent de scie. La baisse d’intensité de ces variations va être le signe
d’un retournement de conjoncture pour le départ d’un nouveau cycle économique.
6
Ces schémas, qu’ils soient classiques ou plus pragmatiques, constituent un
bon moyen de départ dans la compréhension de l’analyse du cycle économique.
Mais la réalité est plus complexe que ces graphiques. Pour l’appréhender, il convient
de prendre en compte les données et de voir à travers elles le mouvement cyclique
et ce, sur les deux dernières crises et particulièrement en France.
II – Le retour sur les deux dernières crises
La première partie, fort instructive sur les travaux de Clément Juglar et
l’analyse des cycles économiques (d’une vision classique à une vision plus
pragmatique), peut contenter un théoricien mais pas un homme de terrain dans
l’attente de réponses adaptées à une situation conjoncturelle spécifique. L’objectif
reste toujours celui que c’était fixé cet économiste voilà plus d’un siècle. « Dans les
phénomènes météorologiques, nous avons des instruments très sensibles qui nous
avertissent des perturbations probables de l’atmosphère ; serons-nous assez
heureux pour saisir les signes précurseurs des crises commerciales ? Trouveronsnous, pour annoncer ces tempêtes commerciales, un baromètre assez sensible qui
servira de guide ? » (Juglar, 1889, p. 167-168).
Pour parvenir à se rapprocher de cet objectif, nous allons revenir sur les deux
dernières crises économiques pour les décortiquer et comprendre les points de
retournement. Nous étudierons donc successivement la crise liée à la bulle internet
puis celle liée à la bulle immobilière. Nous nous questionnerons alors sur la période
de 2011 pour savoir s’il s’agit de la fin d’un cycle. Nous conclurons alors sur
l’existence d’un indicateur des crises économiques.
Il ne s’agit pas de revenir sur des dates précises, sur des faits donnés6, mais
sur un fonctionnement pour comprendre et appréhender les fluctuations de l’activité
économique. Les cycles se déroulant sur plusieurs années, nous n’allons pas nous
appuyer sur des données journalières mais mensuelles. Il s’agit de faire ressortir les
tendances, les fluctuations qui obligent à sortir de l’immédiateté pour prendre du
recul sur le cycle dans sa globalité.
2.1 - La bulle internet
Comme point d’appuie à notre étude, nous commençons par prendre en
compte deux éléments attachés à trois valeurs. Le premier est l’indice boursier (le
CAC 40) et le second correspond à des données monétaires à travers l’euribor et le
taux directeur de la BCE. Si l’indice boursier est le premier évocateur de la crise, les
autres taux marquent les différentes phases de croissance ou de repli de l’activité
économique. Ils interviennent donc avec un léger décalage dans le temps mais
suivent la même régularité, ce qui est tout à fait logique dans le processus de
fonctionnement des entreprises qui ne peuvent pas répercuter immédiatement les
effets des évolutions boursières.
6
Les articles à ce propos sont légion, tant dans les journaux économiques que dans les revues spécialisées.
7
Notre analyse du cycle débute au milieu de la phase haussière du CAC 40 au
début de l’année 1999 (date de la mise en place du taux de la BCE). La très forte
hausse du mois de novembre et décembre 1999 (+9.27% et +11.55%) suivi d’une
forte variation sur deux mois (-5%, +9%) est le signe de la pause dans la phase
d’expansion signe d’un retournement futur. Nous ne sommes qu’à 6190 points, soit à
plus de 400 points du maximum. La phase d’expansion n’est donc pas encore finie.
Mais en ce début des années 2000, nous sommes tout proche de la phase de
stagnation signe de l’arrivée de la crise.
Jusqu’au mois d’août, nous sommes entre 0 et 2% de progression par mois.
Nous voyons ici que le modèle théorique que nous avons décrit s’ajuste
différemment selon les circonstances empiriques. La phase de pause dans la période
d’expansion est presque à l’apogée en valeur de l’indice et la période de stagnation
évocateur de la crise dure sur plusieurs périodes. S’il est impossible à l’avance de
déterminer une durée ou une intensité, nous sommes bien devant le précipice qui
débute entre le mois d’août et septembre 2000 avec une chute de plus de 5% de
l’ensemble des places boursières. Un tout petit répit pour le mois suivant (+2%) puis
la dégringolade.
Comme nous l’avons vu dans la vision pragmatique du cycle, la période de
ralentissement tout comme la période d’expansion peut connaître une ou plusieurs
pauses précédé toujours d’une très forte variation. Pour cette crise, le CAC 40 va
connaître trois pauses précédées chaque fois d’une variation à la baisse à deux
chiffres. En février 2001 (-10.57%) avec une reprise de près de 9% au mois d’avril.
La baisse se poursuit avec une pause au mois d’octobre 2001 précédé d’une baisse
de 13%. A ce moment précis du cycle, il est très difficile de dire si nous sommes à la
fin du cycle avec l’apparition de fluctuations en dent de scie ou juste à une pause
dans la phase baissière. La baisse est déjà de près de 40% de la valeur par rapport
au maximum.
C’est l’analyse fine de l’ensemble des paramètres économiques qui permet de
donner une réponse à cette question. Les chiffres que nous utilisons ici ne peuvent y
parvenir. C’est là une des faiblesse de cette analyse et ce pourquoi cette approche
des cycles doit, pour le praticien, toujours être accompagnée d’une connaissance
fine de l’actualité économique. Si cet aspect pratique de l’analyse des faits
économiques est souvent mis de côté, il se trouvait au cœur de l’analyse des
économistes français du XIXe siècle, cercle auquel appartenait Clément Juglar. La
consultation du JDE par exemple fait ressortir, à côté des articles théoriques, une
multitude d’analyses conjoncturelles.
En réalité, nous ne sommes qu’à la seconde pause, la troisième et dernière
arrive après l’été 2002 suite à des baisses successives de -12 à -17% pour les mois
de juillet et septembre. Le très fort rebond d’octobre +13% signe normalement une
rupture, ce qui sera effectivement le cas puisque nous avons par la suite une
fluctuation en dent de scie et une très forte hausse en avril 2003 (+12.8%) signe de
changement de phase du cycle économique. La chute aura tout de même été
impressionnante avec une perte de près de 60% de la valeur du CAC 40.
8
7000
Evolution du CAC 40
6500
6000
5500
5000
4500
4000
3500
3000
2500
199
9
200
0
200
1
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2
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3
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200
8
200
9
201
0
201
1
201
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201
3
2.2 - La bulle immobilière
La phase de croissance est presque immédiate et beaucoup plus régulière
que dans le cycle précédant, ce qui implique des évolutions beaucoup moins
prononcées, avec des taux de variations inférieurs à 5%. Comme nous l’avons déjà
indiqué, chaque cycle à sa particularité. Notons que pour celui-ci, deux phases de
repli peuvent être analysées. En 2005 tout d’abord avec deux augmentations de 5%
liées à une baisse puis un nouveau repli au début de l’année 2006.
Le contexte économique global montre clairement que ce premier repli n’est
qu’une petite période dans le cycle, le CAC 40 n’étant qu’à 4500 points, loin derrière
le record de l’année 2000. La baisse de la croissance suivie d’une augmentation de
presque 6% au mois d’avril 2007 annonce le retournement, le changement de cycle.
Cette forte variation (toute relative par rapport au cycle précédent mais tout de même
importante ici) est toujours le signe d’un changement de phase à venir.
La chute commence à la fin de l’année 2007. Début 2008, une forte baisse de
13%, signe d’une pause pour la période suivante qui va se révéler au mois d’avril.
Comme précédemment, à la hausse ou à la baisse, la très forte baisse va être suivie
d’une hausse très courte avec un bon (+6%) puis le retour dans la phase baissière
avec des valeurs particulièrement importantes dans cette fin d’année 2008 : (-10, -11
et même -13%).
Entre mi 2009 et début 2011, nous retrouvons les oscillations en dent de scie
avec des intensités s’amenuisant (de + ou – 9% à + ou – 2%), révélateur
normalement de la fin du cycle, le CAC 40 arrivant autour des 4000 points. Mais il
n’en est rien et l’indice boursier français va même descendre sous les 3000 points.
C’est là qu’une analyse plus fine est requise ainsi que la prise en compte d’autres
variables.
9
2.3 - 2011 : est-ce une fin de cycle ?
Au début de l’année 2011, après trois années de baisse, il est tout naturel de
se dire que la chute a déjà été longue et rude (plus de 30% de baisse). Mais en fait, il
n’en est rien. Pour comprendre pourquoi la chute n’est pas finie, il faut enrichir notre
analyse d’autres variables. L’euribor et le taux directeur de la Banque Centrale
Européenne vont être d’un premier secours. Ces éléments, liés à l’activité
économique, vont connaître les mêmes perturbations cycliques que les valeurs
boursières, avec un léger décalage correspondant à l’adaptation du monde de la
banque et des entreprises aux évolutions conjoncturelles. Il est en effet difficile
d’arrêter une commande en cours ou de repartir dans l’euphorie lorsque tout le corps
social et économique s’est arrêté.
Les taux de référence de l’économie sont le parfait reflet de l’évolution
cyclique de l’économie que nous venons de décrire. Pour la bulle internet tout
d’abord, la phase de repos est très clairement indiquée lorsque le taux directeur
passe à 4.25% pendant quelques mois. S’ensuit la dernière hausse de 11% puis le
début de la phase baissière. Tout comme pour la période de croissance, la baisse va
connaître une pause qui est représentée par une continuité du taux de la BCE (la
prise en compte d’un retournement de conjoncture est plus lente) et une
augmentation pour l’euribor. Cette pause laisse vite la place à la fin de la chute.
Nous retrouvons parfaitement nos oscillations de fin de cycle avec des oscillations
diminuant (représenté par un taux de la BCE bas sur une longue durée).
6,000
4 000
Evolution des taux
3 500
5,000
3 000
4,000
2 500
3,000
2 000
1 500
2,000
1 an
1 000
Taux BCE
1,000
chomage
500
0,000
1999
0
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Un nouveau cycle débute à partir de 2005. Nouvelle pause annonciatrice d’un
retournement à venir caractérisée par une pause dans la croissance du taux BCE et
un recul de l’euribor, une dernière phase de hausse, stagnation puis chute. Nous
avons ici la parfaite corrélation avec l’analyse théorique du cycle. C’est l’étude de ces
taux qui va nous permettre d’affiner notre analyse du CAC 40 et de comprendre le
retournement de situation décrit ci-dessus. La période de 2011, au lieu d’être une fin
de cycle, est au contraire la phase de pause dans la période baissière. Cette
dernière est ici particulièrement longue et surprenante par son ampleur, mais tout à
fait cohérente dans l’analyse du cycle.
10
Cette analyse peut être complétée par de nombreux autres paramètres. Le
nombre de chômeurs par exemple, dont la courbe suit parfaitement l’évolution
cyclique, connaît une période de stagnation à partir de 2011, suivie par une phase
fortement haussière. Il reste donc la phase d’évolution en dent de scie avant de voir
arriver la fin du cycle et le commencement d’un nouveau. Dans l’analyse du cycle,
nous sommes donc proche de la fin de la partie baissière avec l’annonciation
prochaine de la reprise. Une période de stagnation du taux de la BCE est donc à
attendre. Il est encore trop tôt pour indiquer la date de la reprise et l’objet sur lequel
se focalisera l’attention des investisseurs.
Des spécificités nationales
Toutes les économies sont interdépendantes, suivant notamment les phases
de crises dans des moments identiques. Par contre, chacune connaît des
spécificités. Si le taux de l’euribor ou le taux directeur sont des paramètres européen,
chaque pays connaît des évolutions boursières spécifiques, comme va le révéler
l’étude du CAC 40 et du DAX pour l’Europe et du SSE chinois pour comparer des
évolutions significatives et différentes entre des indices et des valeurs économiques
plus « réelles ».
Ainsi, le taux directeur, avec la baisse historique de son taux à 0,25 %, est
rentré en plein dans sa longue phase de stagnation, en attendant un retour à la
hausse. En ce qui concerne les activités boursières, les trois exemples cités
connaissent trois évolutions différentes. Pour le DAX tout d’abord, la bonne situation
économique lui fait presque atteindre son record historique. Le CAC 40 se tient dans
un mouchoir de poche entre les 4000 et 4500 points tandis que le SSE n’arrive pas à
retrouver de bonnes performances7.
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Il est difficile d’aller avant la crise de 2008 pour cet indice qui ne commence à s’ouvrir aux fluctuations que
récemment.
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12000
Evolution des principales places boursières
10000
8000
6000
4000
2000
CAC 40
DAX
SSE
0
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
Pour affiner son analyse sur un pays,
pays, il faut donc prendre en compte une
multitude de paramètres. Nous n’en avons cités que quelques-uns,
quelques uns, indispensables
pour étudier le cycle économique. Leur multiplication permet de confirmer et d’affiner
les analyses. Pour la crise actuelle, le nombre des transactions immobilières peut
être un bon indicateur complémentaire.
2.4 - Existe-t-il
il un indicateur des crises ?
La question
estion posée au début de cet article est de savoir si l’on peut arriver à
prévoir les crises économiques. Le point de départ résidait dans les travaux de
Clément Juglar au XIXe siècle. Deux étapes ont été développées pour comprendre le
cycle économique dans sa globalité. La première était théorique et a consisté à
décortiquer le fonctionnement des fluctuations économiques. La seconde, plus
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empirique, est revenue sur les deux dernières crises économiques, notamment pour
la France.
Le travail effectué jusque-là est et reste relativement « simple ». Certes, nous
avons affiné l’analyse des différentes phases du cycle. Mais cela reste un travail
théorique. Nous nous sommes alors penchés sur les deux dernières crises. Mais là
aussi, il est beaucoup plus simple de faire des commentaires ex post. Certes, nous
avons vu des corrélations, nous avons vu que les données nous permettent de
constater un lien entre la phase théorique et les aspects pratiques.
Mais qu’en est-il réellement ? Plusieurs questions apparaissent alors ? Deux
retiennent notre attention pour conclure cette recherche. La première va consister à
savoir s’il existe un indicateur des crises. La seconde porte sur l’utilité de telles
recherches.
Rappelons l’objectif qu’était celui de Clément Juglar voilà plus d’un siècle :
« nous avons des instruments très sensibles qui nous avertissent des perturbations
probables de l’atmosphère ; serons-nous assez heureux pour saisir les signes
précurseurs des crises commerciales ? Trouverons-nous, pour annoncer ces
tempêtes commerciales, un baromètre assez sensible qui servira de guide ? »
(Juglar [1889],-168). Si quelqu’un pouvait trouver ce fameux indicateur des crises, il
aurait obtenu, si ce n’est le prix Nobel de la paix, au moins celui de l’économie. De
plus, et dans le cas de la découverte d’un tel indicateur, comment faire entendre sa
voix face dans une phase d’euphorie face à une multitude de personnes spéculant
sur les gains futurs ?
Alors toutes ces recherches sont-elles vaines ? Certainement pas. Même si
l’on n’a pas découvert d’indicateur des crises, on a mis en avant certains signes
susceptibles de mettre en avant les changements dans le cycle économique. Il a été
indiqué que cette étude doit être complétée d’une analyse de l’ensemble de
l’économie. Il s’agit, en plus des données brutes, de sentir les différentes zones de
changement. En effet, l’élément déclencheur : une rumeur, une peur, un
retournement de croyance, pour ne prendre en compte que le moment de
retournement du cycle à la baisse, est introuvable a priori.
L’objet du colloque consiste ici dans la gestion des risques. Celui que nous
avons mis en avant, c’est celui de la finance. Les outils développés servent donc à
tenter d’éviter des pertes pécuniaires liées aux fluctuations des marchés financiers.
C’est donc dans la gestion de ses biens personnels ou de ceux des entreprises que
ce situe l’objectif de ces recherches. Même si l’on ne se fait pas entendre, essayer
de se rabattre vers des valeurs « sûres » juste avant la crise et bien évidemment de
les réemployer dans des valeurs plus dynamiques au moment du retournement à la
hausse constitue le point central de toute gestion active d’un patrimoine financier.
Nous avons donné certaines pistes pour indiquer quand acheter au plus bas et
revendre au plus haut.
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