WE LOVE ART - Hugo Verlinde - Commanderie des Templiers de la

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WE LOVE ART - Hugo Verlinde - Commanderie des Templiers de la
A une époque j’avais des certitudes. Aujourd’hui je n’en ai plus aucune.
Un travail d’allégement s’est opéré. Un peu comme si j’avais mis par dessus bord quantité
d’affirmations lourdes et inutiles.
Aujourd’hui je me tais.
La seule chose que j’aimerai encore évoquer, ce sont des rêves. Quand ils se présentent, je
prends quelques notes au réveil et puis je n’y pense plus. Je tente ensuite d’en retrouver
l’ambiance, le décor et les personnages. J’ai le sentiment que ces rêves contiennent plus de
vérités que tout ce que pouvaient contenir mes anciennes affirmations.
Je vous en livre un, il se situe sur une île lointaine.
WE LOVE ART
Les préparatifs de la manifestation avaient commencé. L’évènement se déroulait en plusieurs points
d’une île au relief saisissant. Larges vallées, ascensions vers des pics vertigineux, points de vue
majestueux sur la mer Egée, et le soir par beau temps, nous pouvions voir jusqu’aux lumières
d’Athènes.
L’île paraissait sortir d’un rêve. Les visites y étaient restreintes et le gouvernement grec avait veillé
à ce que cette île n’accueille que ponctuellement des manifestations de ce genre. C’est pourquoi
l’accès fut limité à mille personnes. Les télévisions assuraient la retransmission pour le plus grand
bonheur des internautes.
Il y a de cela plusieurs décennies, le sculpteur suédois Carl Milles avait élu domicile sur cette île.
Son atelier avait commencé au centre de la maison et s’était prolongé naturellement jusque dans
les jardins à étages. Ses sculptures s’y étalaient à leur guise. Figures longilignes d’une grande
gaieté, représentées seules ou en groupe, elles semblaient photographiées dans leur mouvement
et dans un équilibre qui paraissait défier les lois de la gravité. Dans les dernières années, les plus
marquantes, à l’aide de socles possédant des armatures cachées en acier et par des procédés
connus de lui seul, l’artiste éleva considérablement la hauteur de ses sculptures. Il fallait lever les
yeux au ciel pour voir danser des anges à 10 ou 15 mètres au dessus de nos têtes. Et le nez en l’air
nous percevions alors ce contraste stupéfiant entre la terre et le ciel, entre les matériaux de la
sculpture et la présence palpable de l’air. Miles excellait à rendre le bronze aérien. Toute son oeuvre
pouvait se résumer ainsi : une invitation à la légèreté.
De l’oeuvre de Carl Milles, les organisateurs avaient surtout été séduits par la prouesse technique.
Le défi que le sculpteur avait relevé servait à merveille le thème de leur exposition : “L’art et la
technologie”.
C’est donc sur cette ile que depuis maintenant six mois les organisateurs s’affairaient.
Il fallait définir les lieux d’expositions, le parcours du public, la scénographie des oeuvres
interactives. Il fallait aussi ménager les susceptibilités. Les tenants d’un art purement technologique
devaient s’y retrouver, tout autant que les tenants d’une hybridation mesurée entre art et technologie.
Fort habilement, les appellations les plus diverses pour nommer le genre d’art auquel les oeuvres
appartenaient furent laissées à la libre appréciation des artistes.
En terme de communication, le coup de génie fut sans conteste la Carte Blanche au plus illustre des
artistes.
Picasso approchait des 80 ans et s’était vu confié la programmation des oeuvres et le choix des
artistes. Cette “Carte Blanche à Picasso” assurait à elle seule le succès de la manifestation.
Beaucoup avait commenté les possibles choix de l’artiste et dans les grandes lignes les journalistes
ne s’y étaient pas trompés. C’est bien tout le gratin de l’art contemporain qui avait rendez vous avec
l’histoire.
Mais à quelques semaines de l’inaugurations et malgré les pressions exercées par l’entourage de
l’artiste, un évènement assez curieux avait finit par percer,
Un peintre, un ami intime de l’artiste, manquait à l’appel. Il était resté silencieux.
Picasso en prit ombrage… il intervint personnellement et lui fit parvenir un dernier message.
“Tout le monde sera là. Non seulement les responsables politiques mais aussi les critiques, les
grands collectionneurs et même la jeune génération d’artistes qui admire et jalouse ton travail.
Rends toi compte, il suffit de dire oui pour le que le monde entier te célèbre. J’aimerai tant être
l’artisan de ta célébrité.”
L’ancien et mystérieux ami prit son temps mais finit par répondre.
Il semble que cette lettre ait été perdue ou peut être même a-t-elle été cachée. Quoi qu’il en soit elle
nous est parvenue des années après, bien que l’identité du peintre fasse encore débat.
“Je vois à quel point tu tiens à cette manifestation. Je constate qu’elle t’apporte beaucoup de désirs
de toutes sortes et plus encore de satisfactions. Pour ma part je ne partage plus ce genre
d’excitations au point qu’il est de ma responsabilité de décliner ton invitation.
Certes, cette île a été le lieu d’une belle et grande exploration artistique, je suis le premier à le
reconnaitre, mais depuis quelques temps, elle est devenue l’exact opposé de ce à quoi j’aspire. La
quête de la reconnaissance, le bruit autour de ces supposées nouvelles technologies, le
renouvellement de l’art par des procédés purement techniques, la fascination pour la nouveauté et
la médiatisation outrancière qui en est faite… Vraiment tout cela m’indiffère.
La méditation sur l’art est un puits sans fond. Les grandes vérités sont à rechercher dans les oeuvres
des artistes. Certains d’entre nous ont une relation directe avec ces vérités intérieures. Tu le sais
mieux que beaucoup, nous avons partagé cela et nous nous exercions à créer les conditions d’un
tel contact. Aujourd’hui cette manifestation m’en semble bien éloignée, ne trouves-tu pas ? “
Comme on le sait aujourd’hui cela n’altéra nullement le moral de notre champion. Picasso s’illustra
avec beaucoup d’esprit lors de l’inauguration, le succès annoncé se concrétisa et la manifestation
fit grand bruit. Ce fut même le point de départ d’un mouvement d’ampleur où des évènements de ce
genre allaient bientôt se produire un peu partout sur la planète.
Un mouvement qui fut baptisé par la suite et comme chacun le sait : WE LOVE ART.
Hugo Verlinde