Histoire : Pourquoi n`y a-t-il pas eu de «grandes femmes artistes » ?

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Histoire : Pourquoi n`y a-t-il pas eu de «grandes femmes artistes » ?
Histoire : Pourquoi n'y a-t-il pas eu de «grandes femmes
artistes » ?
Linda Nochlin, 1993, Femmes, Art et pouvoir, et autres essais, Jacqueline Chambon,
Paris, 201-245.
«Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?» se demande Linda
Nochlin dans un article célèbre (1). Derrière la question de l'artiste au féminin se
dissimule le mythe du Grand Artiste, affirme l’auteure qui analyse les
présupposés de la question, c'est-à-dire l'ensemble des idées à propos de la création
artistique, dont le mythe du Grand Artiste doté de la pépite d’or du Génie.
En réalité, dit-elle, la thèse du Génie, si populaire dans l’histoire de l’art
occidentale, ne tient pas compte des situations réelles, soumises aux structures
sociales et institutionnelles en vigueur à un moment historique donné, qui suscitent
et entretiennent ou, à l’inverse, écartent et découragent la carrière artistique.
Ainsi le fait de naître dans une famille d'artistes constitue incontestablement le
facteur le plus favorable à la réussite artistique, en particulier pour les femmes dont
toutes pratiquement jusqu'au milieu du XXe siècle sont filles, sœurs ou épouses
d’artistes.
Si l’on compte peu d’artistes femmes au XVIe par exemple, -bien qu’il y en eut
plus qu’on ne le pensait et le travail de l’historienne consiste aussi à les retrouver et
à les rendre visibles- c’est que gérer un atelier, mener une activité diplomatique,
parcourir l’Europe, nouer des contacts avec les grands esprits comme l’exigeait la
carrière d’artistes célèbres tel Rubens, n’étaient pas chose aisément envisageable
pour les femmes.
La formation même leur fut longtemps refusée : l'étude du nu, en particulier,
absolument essentielle à l’apprentissage du peintre entre la Renaissance et le XIXe,
resta inaccessible aux femmes dans les écoles publiques jusqu’à l’aube du XXe.
Or, l'interdiction de l'étude du modèle vivant les excluait de facto des formes
sublimes de l'art comme la peinture d'histoire et les cantonnait dans les catégories,
qualifiées de mineures, du portrait, de la peinture de genre, du paysage.
L’histoire en général offre peu de noms de femmes ayant joué un rôle politique,
social, économique ou culturel de premier plan. Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Marie
Curie, Simone de Beauvoir pour n’en citer que quelques unes sont des exceptions
qui confirment la règle : les grands personnages politiques, les artistes célèbres, les
gens de lettres et de sciences sont à l’écrasante majorité des hommes.
La thèse, selon laquelle les femmes seraient par nature moins douées, défendue au
cours des siècles précédents, n’est plus soutenue aujourd’hui et nous connaissons
les raisons pour lesquelles il y eu au cours du millénaire passé moins de femmes
célèbres que d’hommes :
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elle accèdent à tous les niveaux d’enseignement plus tardivement que les
hommes: l’ULB est la première université belge à ouvrir ses portes aux
femmes en 1880;
elles obtiennent le droit de vote 30 ans après les hommes;
les attentes sociales, les traditions et les institutions dressaient des obstacles
structurels à la participation des femmes à la vie publique. Toutes se
voyaient assignées aux tâches du foyer même si la majorité des femmes de la
classe ouvrière ou paysanne étaient professionnellement actives;
à cela s’ajoute que l’histoire n’a pas rendu justice aux femmes. On a occulté
leur contribution aux révolutions, au progrès technique, au patrimoine
culturel.

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