Grosse Patate c`est le surnom qu`on lui donne à l`école parce qu`elle
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Grosse Patate c`est le surnom qu`on lui donne à l`école parce qu`elle
Le journal de Grosse Patate / Dominique Richard Grosse Patate c’est le surnom qu’on lui donne à l’école parce qu’elle mange tout le temps. Elle, elle sait qu’elle est ronde de douce. Dans sa classe il y a Rosemarie la timide, Rémi son souffre-douleur, trouillard comme une fille, et Hubert dont tout le monde est amoureux. Grosse Patate raconte dans son journal la tristesse, le bonheur, les interrogations d’une petite fille qui essaie de comprendre le monde. Ce premier texte du comédien et metteur en scène Dominique Richard traite de sujets essentiels comme l’amitié, l’amour, le deuil, la différence dans une langue drôle et inventive. Dessins : Vincent Debats 4 1 Le journal de Grosse Patate / Dominique Richard EXTRAITS Journal Discours à la lune Aujourd’hui, c’est la rentrée. La maîtresse a l’air très gentille, mais qu’elle est vieille! Comment peut-on être maîtresse quand on est si vieille. Elle nous a expliqué que nous étions des grands maintenant et qu’elle était sûre qu’on allait passer une très bonne année ensemble. Moi, je ne l’ai pas crue. Quand un adulte affirme : « Vous êtes des grands maintenant », ça signifie qu’on est petit. Quand tante Barbara me souffle ça, je me sens rapetisser. Est-ce qu’elle dit à papa : « Comme tu as grandi »? Non! Parce que quand on est grand, on ne grandit plus. Quand on grandit, c’est qu’on n’est pas grand, sinon on n’arrêterait pas de grandir et on deviendrait des géants. Alors nous roucouler : « Vous êtes des grands maintenant », pétard de feu de bois dans les épinards, ça voulait dire : « Comme vous êtes petits »! Moi qui était si contente d’être dans la grande classe à la grande école… Je suis seule. Hubert n'est pas amoureux de moi. Rémi m 'a laissé tombé comme une vieille chaussette. Rosemarie est jalouse. J'erre dans les rues. La nuit est douce. J'entends le bourdonnement de la ville. Et toi, la lune, est-ce que tu es aussi seule que moi? Grosse boule blanche, muette et ridicule qu'as-tu à nous dire? Grosse Patate, Grosse Patate! Toujours pareil, toujours la même histoire. La laideur me veut, m'enveloppe, m'appelle : "Viens, Grosse Patate, viens à moi. Tu seras moche et ta mocheté te protégera des autres. Tu seras seule et on te regardera en souriant" Monstre! Un monstre parle à la lune! Je veux être moche, encore plus moche, toujours plus moche. Être la plus moche des plus moches. Je voudrais m'enterrer, disparaître, ne plus être rien. Rejoindre maman. À quoi ça sert, tout ça? Je ne veux plus grandir, je ne veux plus grossir, je ne veux plus être moi, je ne veux plus rien, être du vent. Dis-moi la lune, pourquoi les gens sont méchants? Pourquoi les gens sont cruels? Pourquoi les gens sont oublieux? Ça ne sert à rien, tout ça. Je parle, je parle, mais est-ce que tu m'écoutes? Parler à la lune, ça change quoi? Peut-être que c'est bien que tu ne puisses pas répondre. Peut-être que c'est bien que tu sois là, simplement, silencieuse et que tu me regardes bêtement. Peut-être que ça suffit de parler. Je me sens légère maintenant. Je continuerai de parler et nous serons tous légers. Et un jour, ce sera bien d'être quelqu'un, même une grosse patate. Il fait froid. La nuit m'enveloppe. Papa va s'inquiéter. Bonne nuit, la lune. Je rentre me coucher. Journal Hubert, qu’est-ce qu’il est beau! C’est le plus beau de la classe. J’aime le regarder, comme si un peu de sa beauté s’échappait de lui et me recouvrait, comme de la poudre de perlimpinpin. Il n’est ni trop grand, ni trop petit, ni trop mince, ni trop gros. Je ne saurais pas le décrire. Il n’a aucun défaut. Il passe son temps à jouer au foot, dans la cour de récréation. Il porte toujours des chandails échancrés qui laissent voir la peau de ses épaules. Je sais que je vais tomber 2 3 Le journal de Grosse Patate / Dominique Richard FICHE ANALYSE TITRE Le journal de Grosse Patate Thématiques abordées : La différence - le Journal intime - l’amitié - l’amour - L’école - les rêves. Nombre de personnages : Grosse Patate - l’homme en noir Visible à partir de C2 Interprétable à partir de C2 Difficultés : Pas de dialogues. Faire jouer les situations sans forcément dire le texte. La présence de l’homme en noir qui décrit les rêves de Rosemarie. Expliquer la volonté de l’auteur de ne pas utiliser de répondant adulte pour être uniquement en contact avec l’enfance. Parties qui sembleraient le plus abordable par des enfants : Tout est utilisable. Les passages sont courts et l’écriture est ludique sans être simpliste. - Pour l’ enseignant EXTRAITS Les taches de Grosse Patate Il reste dans le journal quelques-unes des taches faites par Grosse Patate tandis qu’elle écrivait. Au début elle s’en voulait de ne pas être assez soigneuse. Mais plus elle les regardait, plus ce taches devenaient des paysages, des étoiles, des planètes, des lions et des alligators. Il lui semblait de plus que ces taches n’étaient pas disposées au hasard mais renvoyaient à ce qu’elle racontait. Elle a donc décidé de les garder et même, certains jours, quand elle ne trouvait pas de mots, elle laissait tomber délicatement une goutte d’encre sur la page mouillée et observait l’apparition du visage de Rémi ou d’un trou noir aux confins de l’univers. Et tout semblait lui parler : les étoiles lui souriaient, une planète devenait le visage de sa mère, un alligator regardait le coucher du soleil comme elle-même se perdait souvent dans la contemplation de la lune. Opinion générale sur la pièce : C’est un magnifique support pour aborder le journal personnel et donc l’écriture. Possibilité d’utiliser les taches en art plastique. Dessins : Vincent Debats 1 2 Le journal de Grosse Patate / Dominique Richard La naissance de Grosse Patate Quand on jouait au foot, je ne voulais qu’être gardien de but. C’est assez étrange puisque j’étais (déjà) le plus petit de ma classe mais ce désir devint une règle et j’étais toujours le gardien d’une des deux équipes. Cela m’a valu le surnom (affectueux) de « cours toujours » car j’arrêtais rarement le ballon et passais mon temps à aller le ramasser. Pourtant, je me souviens que tout le monde me voulait sans son équipe en tant que gardien de but et qu’on perdait souvent. Un souvenir horrible : le jour de la rentrée des classes, au départ de ma mère, je me suis débattu tandis que la maîtresse me retenait. Je lui ai mis le poing dans l’œil sans le faire exprès. Cette maîtresse était très vieille et extrêmement gentille et je m’en veux encore aujourd’hui. Si mes souvenirs sont bons, elle a dû partir l’année suivante à la retraite. Pour moi, il n’y a qu’une maîtresse, c’est elle, les autres me paraissent toujours un peu jeunes. Je me souviens m’être habillé comme un camarde que j’aimais et m’être senti ridicule. Ça ne m’allait pas du tout. Je me souviens que tout le monde me disait : « tout ce qui est petit est mignon » mais je pensais « tout ce qui est grand est fort ». Je me souviens avoir organisé une armée secrète à l’école et n’avoir jamais compris pourquoi j’avais été puni quand elle a été découverte. Je ne me souviens pas comment je m’y étais pris pour convaincre tous mes camarades de classe d’en faire partie ni à quoi cette armée a bien pu servir. Ce texte est peut-être une tentative de réponse à cette question : mais pourquoi diable ai-je été puni? Adolescent, je tenais un journal intime. Tous les jours, je m’obligeais à noter les événements essentiels de ma journée, ce que j’avais ressenti. L’ayant relu un jour, je m’étonnai d’y trouver le récit d’incidents oubliés ou, à l’inverse, l’absence de souvenirs pourtant encore bien réels aujourd’hui. Chaque jour devait avoir son lot de faits et remarques mais il m’arrivait de ne rien trouver à raconter. 3 - Pour l’enseignant Ce qu’en dit l’auteur En désespoir de cause, et pour ne pas laisser une page entièrement blanche, je griffonnais « rien à signaler ». C’est ainsi que le lendemain du décès de ma tante, j’ai inscrit « rien à signaler » tandis que le surlendemain je raconte en détail une sortie au cinéma avec Laurent, ami de l’époque dont j’étais amoureux. Ce mélange de faits insignifiants (qui ne l'étaient pas pour moi à l'époque) et de « grands événements » dont je ne parle presque pas, est ce qui m'avait le plus troublé, comme des couches de temps superposées, chacune allant à une vitesse différente. Il y avait une couche quotidienne, assez lente, répétitive, couche familiale où même la mort s'approchait lentement dans le récit mou d'une maladie qui s'aggravait imperceptiblement et inexorablement. Sur cette couche, tout était lent. Il y avait une couche intime et l'intime à l'époque, c'était l'école, l'endroit où je retrouvais mes copains, la cour de récréation d'où les adultes étaient presque exclus, nos aventures, nos projets, mes rêves. Cette couche était grandiose, épique et le temps y avait le rythme de l'univers. C'était aussi l'époque de la musique, du théâtre et cette couche était frénétique : je rentrais du collège en courant, je goûtais à peine pour aller à un cours de violon ou de piano puis mes devoirs à peine terminés, je partais à l'atelier théâtre. C'était mon temps à moi et je le dépensais sans compter. Et puis il y avait une couche que je découvrais à peine, faite d'extraordinaires accélération et de ralentissements brutaux, une couche pleine de désirs rarement exprimés, de secrets de Polichinelle, de déclaration avortées, d'amour et de haine, de jalousie, de déceptions. Je crois, au final, que ce texte ne parle que tu temps. Du temps qui passe, de ses accélération et de ses vides, des souvenirs qui se transforment sans arrêt et vous hurlent d'aller plus vite, toujours plus vite quand on voudrait simplement se poser quelques instants pour parler à la lune. Dominique Richard 4