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L’Encéphale (2010) 36, 491—494 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP GÉNÉTIQUE Longueur des télomères dans le cortex des patients atteints de troubles dépressifs Telomeres in the brain cortex of depressive patients J.-R. Teyssier a,∗, S. Ragot a, A. Donzel a, J.-C. Chauvet-Gelinier b a b Département de génétique, PTB, CHU de Dijon, 2, Angélique-Ducoudray, BP 37013, 21070 Dijon cedex, France IFR 100, service de psychiatrie, CHU de Dijon, 2, Angélique-Ducoudray, BP 37013, 21070 Dijon cedex, France Reçu le 2 février 2009 ; accepté le 11 février 2010 Disponible sur Internet le 20 mai 2010 MOTS CLÉS Télomères ; Cerveau ; Dépression KEYWORDS Telomeres; Brain; Depression ∗ Résumé Les télomères sont des structures associant l’extrémité de la molécule d’ADN de chaque bras chromosomique et plus d’une dizaine de protéines régulatrices. La séquence de l’ADN télomèrique est constituée par la répétition de l’hexanucléotide TTAGGG. En raison des modalités de réplication de l’ADN, les télomères se raccourcissent progressivement à chaque cycle cellulaire, et ce phénomène est accéléré par les stress oxydatifs. Une taille critique des télomères active les programmes génétiques de sénescence et/ou de mort cellulaire. La taille des télomères leucocytaires est actuellement considérée comme un marqueur de l’âge biologique, du risque morbide (pathologies cardiovasculaires, métaboliques, démence) et de la mortalité. Un raccourcissement accéléré a été observé dans la schizophrénie, les troubles de l’humeur et l’exposition au stress psychique, suggérant un vieillissement prématuré. Aucune donnée n’est disponible sur le statut des télomères dans le cortex de sujets déprimés. Nous avons étudié la taille des télomères dans l’ADN du cortex occipital de 24 patients déprimés et 12 témoins (don du Stanley Research Institute). Aucune différence significative n’a été mise en évidence. Ces résultats sont discutés à partir des données qui suggèrent un rôle de l’inflammation et du stress oxydatif dans la dépression, ainsi que l’existence d’un mécanisme de protection spécifique des télomères dans les neurones. © L’Encéphale, Paris, 2010. Summary Background. — Telomeres are complex structures formed by the end of the DNA molecule at the tip of chromosomal arms. The telomeric sequence, which results from the repetition of the hexanucleotide TTAGGG, is partly single strand and is associated with more than ten proteins, including the enzyme telomerase. Because of the characteristics of the DNA replication process, only telomerase is able to elongate the telomeric sequence. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-R. Teyssier). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.04.004 492 J.-R. Teyssier et al. Since the telomerase gene is repressed in virtually all the somatic cells, telomeres progressively shorten at each S phase of the cell cycle, and this shortening is accelerated by oxidative stress. A critically shortened telomere activates the genetic program of cell senescence and/or apoptosis. The telomere length measured in peripheral blood leucocytes is considered a reliable marker of biological age, mortality risk and exposure to various pathological conditions, including cardiovascular disease, dementia and metabolic syndrome. Telomere erosion has been observed in psychiatric disorders including schizophrenia and mood disorders, suggesting an accelerated aging of 10 to 20 years. Whether this peripheral dynamic is reflected by a similar pattern in the brain remains unknown. To address this issue, we have measured the telomere length in the occipital DNA cortex of 24 patients with major depressive disorder and 12 controls (donated by the Stanley Research Institute). Methodology. — The mean telomere length has been evaluated by a real time quantitative PCR technique, which amplified the telomere sequence and a reference single copy sequence. Results have been expressed by the ratios of Ct obtained for the two amplification curves. Results. — The mean Ct values were strictly identical (0.79 ± 0.001) and the 36 PCR curves were coincident. Discussion. — This study demonstrates for the first time that there is no shortening of telomeres in the cortex of patients with depressive disorder. Previous results have shown that in normal tissues telomeres length is inversely correlated to age, even in non proliferating tissues, but that the change is minimal in the brain. Thus, although consistent evidence for the role of a systemic and brain inflammation associated oxidative stress in depression has been provided, it must be concluded that the cerebral state of telomeres is not affected by the mechanism operating in the leucocytes. This observation raises the issue of the relation between the psychiatric pathological process and the peripheral telomere marker. It suggests the existence of specific telomere stabilizing factors in the cortex cells. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction Les télomères sont des structures nucléoprotéiques formant un capuchon protecteur à l’extrémité de chacun des bras chromosomiques [2]. Ils sont constitués par un complexe macromoléculaire associant la séquence d’ADN terminale repliée en boucle, formée par la répétition d’un motif unitaire TTAGGG, et plusieurs dizaines de protéines régulatrices dont la télomérase, qui est la seule enzyme capable de répliquer les télomères. En l’absence d’activité télomérase qui dépend de la sous-unité catalytique telomerase reverse transcriptase (TERT), l’extrémité de la molécule d’ADN se raccourcit d’environ 50 à 200 nucléotides à chaque phase S du cycle cellulaire. Le raccourcissement des télomères en deçà d’une taille critique active les points de contrôle du cycle et les programmes génétiques de la sénescence cellulaire. Or le gène de TERT est réprimé dans la presque totalité des cellules somatiques postnatales, à l’exception des cellules souches et des cellules lymphoïdes. La réactivation de ce gène est d’ailleurs une étape clef de la cancérogénèse. Outre la prolifération cellulaire, il a été établi que le stress oxydatif chronique est un facteur causal majeur du raccourcissement des télomères et de la sénescence cellulaire [16]. Mesurée par différentes techniques dans les leucocytes du sang périphérique la taille moyenne des télomères constitue un marqueur de « l’âge biologique » des individus et de leur exposition au stress chronique dans diverses conditions physiologiques et pathologiques [1]. Chez l’homme, la taille des télomères varie en moyenne de 10 à 4 kb de la naissance à 80 ans et subit une érosion de quelques dizaines de bases par an. La longueur de la séquence télomérique, plus courte chez l’homme que chez la femme, est linéairement et inversement corrélée à l’âge. C’est une caractéristique individuelle génétiquement déterminée (héritabilité de 70—80 %), qui se caractérise par une importante variabilité. À un âge donné, la taille moyenne des télomères leucocytaires est donc la résultante de trois variables : la longueur héritée, le taux de prolifération des cellules immunitaires, le niveau de l’exposition au stress oxydatif chronique. Globalement, pour un même âge chronologique, le taux de mortalité par infections ou maladies cardiovasculaires des sujets de plus de 60 ans dont les télomères sont les plus courts est trois à huit fois supérieur à ceux dont les télomères sont les plus longs [4]. Plus de 30 études ont établi que le raccourcissement des télomères dans les leucocytes du sang périphérique constituait un facteur de risque des pathologies cardiovasculaires (athérosclérose, infarctus précoce, hypertension, démence vasculaire), métaboliques (diabètes, obésité, résistance à l’insuline) et cancéreuses [1,8]. Ces données rendent compte du rôle critique des télomères à l’interface des systèmes moléculaires impliqués dans le vieillissement, la prolifération cellulaire, le renouvellement tissulaire, le stress oxydatif, l’inflammation et la cancérisation. En 2004, Epel et al. ont publié les résultats d’une importante étude réalisée sur les cellules sanguines mononuclées d’une soixantaine de femmes, dont 39 étaient les mères d’enfants atteints de maladies chroniques graves [7]. Ces résultats ont mis en évidence une corrélation significative entre, d’une part, le niveau de perception d’un stress psychosocial chronique et sa durée et, de l’autre, un raccourcissement de la taille des télomères, une faible activité télomérase et une augmentation des paramètres du stress oxydatif. Les tailles moyennes des télomères dénotaient un Longueur des télomères dans le cortex des patients atteints de troubles dépressifs vieillissement biologique prématuré d’au moins dix ans. Plus récemment, une érosion accélérée des télomères durant l’évolution de la maladie chez 31 patients schizophrènes était responsable d’un vieillissement pathologique évalué à 25 ans [9]. Dans une série incluant 44 patients atteints de troubles de l’humeur (dépression majeure et trouble bipolaire avec ou sans troubles anxieux associés), Simon et al. [13] ont également objectivé un raccourcissement significatif de la taille moyenne des télomères qui attesterait d’un vieillissement accéléré d’environ dix ans. Ces données ont amené Wolkowitz et al. [16] à spéculer que la dépression en activant les mécanismes de l’inflammation et du stress oxydatif exercerait des effets délétères neuronaux et systémiques, provoquant un vieillissement somatique accéléré qui pourrait rendre compte de la co-morbidité entre troubles dépressifs et pathologies cardiovasculaires et métaboliques. Les télomères pourraient représenter les témoins et/ou médiateurs de ces mécanismes. Toutefois, comme le soulignent ces auteurs : « Si la dynamique des télomères dans les cellules leucocytaires du sang périphérique reflète directement celle dans le système nerveux central, cela pourrait nous aider à comprendre la pathologie cellulaire affectant le cerveau des patients déprimés » [15]. Dans cette perspective, nous avons mesuré la taille des télomères dans le cortex de patients atteints de troubles dépressifs majeurs. Tableau 1 Valeurs des Ct. Diagnostic Ct télomère Ct 36b4 Ct télomère/ Ct 36B4 20,29a 19,32a 19,24 20,01a 19,35a 18,91a 19,29 19,45a 19,41a 19,49a 18,6 18,85 18,95 18,7 18,55 19,01 19,37 19,61a 18,6a 19,17a 18,73 19,04 19,68 18,78 20,39 19,17 19,09 18,6 18,81 19,76 19,01 19,79 19,38 19,6 19,37 19,24 25,57 24,38 24,84 25,21 24,83 24,33 24,44 23,7 24,64 24,54 23,43 24,03 23,89 24,1 23,6 23,95 24,57 24,92 23,86 24,31 23,34 24,26 25,1 23,88 25,54 24,33 24,07 23,52 24,24 24,82 24,18 24,33 24,44 24,91 24,99 24,2 0,79 0,79 0,77 0,79 0,78 0,78 0,79 0,82 0,79 0,79 0,79 0,78 0,79 0,78 0,79 0,79 0,79 0,79 0,78 0,79 0,80 0,78 0,78 0,79 0,80 0,79 0,79 0,79 0,78 0,80 0,79 0,81 0,79 0,79 0,78 0,80 Depression Matériel et méthodes L’ADN extrait du cortex occipital de 36 sujets a été fourni gracieusement par le Stanley Medical Research Institute (docteurs Michael B. Knable, E. Fuller Torrey, Maree J. Webster and Robert H. Yolken). La population comprenait 12 témoins, 12 patients atteints de troubles dépressifs et 12 patients atteints de troubles dépressifs avec caractéristiques psychotiques. La taille moyenne des télomères a été mesurée par une technique de PCR quantitative en temps réel décrite par Cawthon [3]. Brièvement, 20 ng d’ADN ont été amplifiés par PCR (Lightcycler 480, Roche) en utilisant deux couples d’amorces : le premier spécifique de la séquence des télomères et le second spécifique de la séquence d’un gène de référence simple copie choisi par convention (gène ribosomal protein large P0 [RPLP0], antérieurement appelé 36B4). L’amplification a été réalisée en présence d’un fluorochrome (dans mélange réactif) qui marque les amplicons s’accumulant au cours des cycles de PCR. La longueur des séquences télomériques est exprimée par le rapport des intensités de fluorescence. L’unité utilisée qui correspond au nombre de cycles nécessaire au franchissement du seuil de fluorescence (bruit de fond) est appelée cycle threshold (Ct). Les résultats sont donc exprimés par les rapports Ct télomère/Ct 36B4. Chaque valeur correspond à la moyenne de trois mesures. La fidélité et la reproductibilité des mesures sont validées par l’établissement d’une courbe standard. Résultats et discussion Les données démographiques générales (âge, sexe, ethnie,) ainsi que la durée de l’intervalle post-mortem et le pH cérébral étaient comparables dans les trois groupes et peuvent être consultés le site http://www.stanleyresearch.org 493 Temoins Ct : cycle threshold. a Dépression avec caractéristiques psychotiques. (« Brain Research Laboratory and Brain Collection » dans le menu de la page d’accueil). Les âges moyens dans le groupe des déprimés, psychotiques et témoins étaient respectivement de 46, 42 et 39 ans. Le suicide était la cause de la mort dans neuf cas de dépression avec caractéristiques psychotiques et huit cas de troubles dépressifs. Les autres causes étaient accidentelles ou cardiovasculaires. Dans huit cas sur 12, la cause de la mort des témoins était due à une pathologie cardiaque. La durée moyenne de la maladie était de 13 ans (trois à 27). Tous les patients étaient traités par les antidépresseurs associés ou non à des antipsychotiques. Les valeurs de Ct figurant dans le Tableau 1 sont presque identiques. Les moyennes de ces Ct sont les mêmes dans les trois groupes : 0, 79 (écart-type de 0,001). Ces résultats montrent pour la première fois que la taille des télomères du cortex cérébral n’est pas modifiée par la pathologie dépressive chez les patients jeunes, quelle que soit son degré de 494 gravité. Il apparaît donc que le raccourcissement observé dans les leucocytes est le témoin de mécanismes biologiques caractéristiques de cette population cellulaire (peut-être la prolifération associée à l’inflammation) qui n’ont pas d’équivalents dans les cellules du cortex. L’étude des télomères dans le tissu cérébral humain n’a fait l’objet que de deux études. Takubo et al. [14] ont mesuré la taille des télomères dans plusieurs tissus chez plus d’une centaine de sujets âgés de 0 à 100 ans. Ils ont constaté un raccourcissement corrélé à l’âge de 30 à 60 bases par an dans tous les tissus (y compris les tissus quiescents comme le foie ou le myocarde) sauf dans le cortex cérébral. Toutefois, une érosion de faible amplitude des télomères de la substance grise, liée au vieillissement (dans la tranche d’âges 60—90 ans), a été identifiée, alors que le phénomène est beaucoup plus important dans la substance blanche. De plus, les télomères de la substance grise sont significativement plus longs que ceux de la substance blanche, ils sont plus courts chez les sujets morts de cancer et ils sont plus longs chez les sujets très âgés (90—100 ans) [11]. L’ensemble de ces résultats suggèrent que les télomères de la substance grise contenant les neurones sont protégés par des conditions qui ne dépendent pas uniquement de leur état postmitotique, que leur taille relativement stable est une caractéristique génétique de l’individu, et qu’elle est un facteur prédictif de longévité. L’inflammation et le stress oxydatif sont considérés actuellement comme des médiateurs potentiellement importants dans la physiopathologie des troubles dépressifs [10,12]. Ces médiateurs induisent des lésions oxydatives de l’ADN neuronal qui pourraient exercer une action neurotoxique [6]. Les séquences partiellement monocaténaires riches en triplets GGG sont des cibles des radicaux libres, qui provoquent des lésions de l’ADN accélérant l’érosion des télomères [16]. Une corrélation entre les paramètres du stress oxydatif et la taille des télomères a été mise en évidence dans les leucocytes de sujets soumis à un stress psychosocial [7]. Dans les cellules neuronales, un facteur protecteur spécifique pourrait intervenir qui induirait un état « hyperstable » des télomères [5,17]. Ce facteur serait une des protéines du complexe télomérique appelée Telomere Repeat Binding Factor 2 (TRF2) qui s’accumule dans les neurones matures. Il reste à élucider le mécanisme qui expliquerait le couplage entre la dynamique des télomères dans les leucocytes et les effets cérébraux auxquels elle est corrélée, sans qu’une attrition concomitante de la séquence d’ADN se produise dans le cortex. J.-R. Teyssier et al. Références [1] Aubert G, Lansdorp PM. Telomeres and aging. 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