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Les aspects comportementaux et cognitifs de la gestion du stress
de la personne âgée
P. LÉGERON (1)
INTRODUCTION
ÉVALUATION COGNITIVE
Depuis une trentaine d’années environ, à côté des
recherches biologiques du stress, s’est développé un
grand courant issu des sciences cognitives et de la psychologie cognitive, pour essayer de comprendre la dimension purement psychologique du stress. Aujourd’hui, nous
possédons un modèle cognitivo-comportemental du
stress, qui a l’intérêt d’être d’une part validé, et d’autre part
de fournir des approches extrêmement pragmatiques et
concrètes, pour prendre en charge les problématiques de
stress (1).
Le rôle du psychisme humain, tel que vu par les cognitivistes, est de traiter sans cesse des informations qu’il
reçoit : un embouteillage, une douleur dans le ventre et
notre cerveau traite ces informations dans un sens ou
dans un autre et, de ce traitement de l’information, naissent les émotions. Cette approche extrêmement intéressante avait d’ailleurs été déjà formulée par les Stoïciens,
il y a 2000 ans. Ainsi, Epictète disait : « Ce ne sont pas
les événements qui perturbent les gens, mais l’idée qu’ils
s’en font ». Cette évaluation cognitive représente l’un des
aspects centraux de la problématique du stress et de la
problématique émotionnelle (7).
MODÈLE COGNITIVO-COMPORTEMENTAL
DU STRESS
Ce modèle cognitivo-comportemental s’est développé
à partir des travaux de Lazarus et Folkman dans les
années 70 (3).
Habituellement, on pense qu’un stimulus va déclencher
une réponse, et ainsi, qu’une situation donnée, comme par
exemple parler en public, va entraîner une émotion, de
l’anxiété. Dans une compréhension classique des phénomènes émotionnels, on va ainsi penser que c’est parce
que son patron a fait une critique désagréable qu’on ressent de la colère, ou parce qu’on n’a pas de nouvelle de
son enfant, que l’on est inquiet. En fait, cette vision des
choses est fausse, et la psychologie cognitive a montré
qu’entre la situation et les réactions émotionnelles ou comportementales, se passait un événement fondamental :
l’évaluation faite par le sujet de la situation.
ÉMOTIONS ET COGNITIONS :
CAUSE OU CONSÉQUENCE ?
Dans la littérature classique, on avait tendance à faire
des fonctionnements cognitifs, la conséquence de
l’émotion : si l’on pense tristement, c’est parce qu’on a une
humeur triste, si l’on a des idées noires, c’est parce qu’on
est triste…
Les cognitivistes inversent complètement la problématique : c’est parce qu’on a des idées tristes, c’est parce
qu’on raisonne tristement, qu’on a l’humeur triste.
Le débat peut être porté à l’infini. En tout cas, l’interaction entre l’humeur, les comportements et les processus
cognitifs est fondamentale.
(1) Hôpital Sainte-Anne, Paris.
Retranscription par I. Fabre.
S 1122
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1122-4, cahier 4
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 1122-4, cahier 4
Les aspects comportementaux et cognitifs de la gestion du stress de la personne âgée
LE STRESS : UNE PIÈCE DE THÉÂTRE À TROIS…
Sur un plan pratique, les cliniciens se sont emparés de
cette conception clinicienne et ont développé les thérapies
cognitives. Le psychiatre américain Aaron Beck a su formaliser cela à travers des outils extrêmement pratiques.
Les trois colonnes de Beck représentent une manière concrète d’appréhender la problématique de stress.
Le stress peut être compris comme une pièce de théâtre, dans laquelle trois acteurs jouent. Le premier acteur
du stress est la situation, le stresseur : perdre ses capacités intellectuelles, vivre seul dans un foyer de personnes
âgées… On a tendance à focaliser toute son attention sur
le stresseur (par exemple, dans un embouteillage, la capacité cognitive est focalisée sur la menace que représente
ce stresseur), mais il n’est qu’une composante, qu’un des
personnages dans la problématique du stress.
Le deuxième personnage est l’émotion. Les états émotionnels sont extrêmement intéressants, car ils sont variables. Le registre de nos émotions varie à l’infini, depuis
l’inquiétude, ou le découragement, jusqu’à la colère, et la
situation n’a qu’un rôle accessoire. Plusieurs émotions
peuvent surgir à partir d’un stimulus, d’une situation : peur,
colère tristesse… La clé de cette explication est dans la
cognition, le troisième acteur. « Quelles sont les pensées
qui apparaissent à mon esprit lorsque je suis dans cette
situation ? Comment j’évalue ? Qu’est ce que je suis en
train de me dire à moi-même face à ce stresseur ? (6) »
THÉRAPIES COGNITIVES DU SUJET ÂGÉ
Le travail psychothérapeutique d’ordre cognitif avec
des personnes âgées consiste à travailler sur ces trois
dimensions, soit en leur demandant de remplir les colonnes de Beck, soit en dialoguant avec elles.
Ainsi, un relevé de Beck sur une situation concrète de
stress peut être : « Ma vue baisse », « Je n’ai pas eu
d’appel de mes enfants ». Les émotions associées sont
de l’inquiétude dans la première situation, de la tristesse
dans la deuxième. Les pensées (contenu cognitif), c’està-dire l’évaluation de ces situations, peuvent être : « Je
vais devenir aveugle », « Ils m’oublient », « Je n’intéresse
plus personne ».
Situation
« Ma vue baisse »
Émotion
Contenu cognitif
Inquiétude « Je vais devenir aveugle »
« Je n’ai pas eu d’appel de Tristesse
mes enfants »
« Ils m’oublient »
« Je n’intéresse plus
personne »
L’approche cognitive du stress de la personne âgée et
de tous les problèmes émotionnels, est de travailler sur
cette dimension cognitive et aussi comportementale. Il est
intéressant de repérer le contenu cognitif des personnes
âgées, c’est-à-dire la manière dont elles appréhendent le
monde qui les entoure, la manière dont elles vivent toutes
les situations. Ces processus cognitifs sont extrêmement
diversifiés (2).
TRIADE COGNITIVE
Beck, dans les années 70, avait insisté sur les dérèglements cognitifs qui peuvent survenir dans trois domaines :
Soi-même
C’est une évaluation négative sur soi : « Je ne vaux
rien, je n’ai plus confiance en moi, je n’y arriverai pas, je
ne sais plus faire ça ».
Environnement
C’est un regard négatif porté sur le monde qui vous
entoure « Les gens m’ignorent, je n’intéresse plus personne, on m’oublie, je ne peux plus aider qui que ce soit,
je n’ai plus de rôle dans mon environnement ».
Avenir
Ce sont les pensées qui surgissent concernant son
futur : « Rien de bon ne peut m’arriver maintenant ».
Le travail sur ces contenus négatifs est extrêmement
important. Dans l’approche cognitive et comportementale,
il faut essayer de faire évoluer ce pessimisme sur l’avenir,
qui n’existe d’ailleurs pas chez toute personne âgée. À une
même situation, correspondent des évaluations différentes d’un individu à l’autre.
PRINCIPES D’UNE TCP (THÉRAPIE COGNITIVOCOMPORTEMENTALE) DU STRESS
DE LA PERSONNE ÂGÉE
La première étape est de faire une analyse fonctionnelle, c’est-à-dire de bien comprendre les relations qui
peuvent exister entre les situations : « Je suis seul dans
un foyer », « J’ai ma vue qui baisse », « Je n’arrive plus
à coudre », « Je n’ai plus de contact avec mes enfants ».
Puis, la deuxième étape est de voir les relations qui existent entre ces situations et les émotions qui surgissent :
anxiété, désintérêt, révolte, mécontentement…
Enfin, la troisième étape est de voir le lien avec les contenus cognitifs, c’est-à-dire comment sont analysées ces
situations et évalués les comportements qui en découlent,
tels que le repli. Il s’agit donc d’une analyse cognitivo-comportementale au sens complet du terme.
Ainsi, on voit le lien existant entre une cognition (« Je
n’intéresse plus personne »), l’émotion qui est liée (la tristesse, le découragement) et les comportements de rester
dans son coin. La compréhension interactive de l’ensemble
des variables formant le problème, va conduire la personne
à modifier des cognitions et des comportements. Les deux
approches, cognitive et comportementale, vont être engaS 1123
P. Légeron
gées simultanément. Pour aider les sujets à remettre en
question leurs évaluations, les approches cognitives procèdent beaucoup par le questionnement socratique, en
posant des questions : « Est-ce que le fait d’avoir moins de
capacité qu’avant, veut dire que vous ne valez plus rien du
tout ? », « Faire moins de choses dans la vie, veut-il dire
que l’on n’est plus digne d’intérêt ? » (5, 8).
CONCLUSION
À partir de ce travail de remise en questions des processus cognitifs et des comportements qui y sont liés, doivent apparaître progressivement des modifications dans
les niveaux émotionnels et de stress. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) s’attachent aussi à voir
comment ce travail va avoir une répercussion dans les
niveaux émotionnels et de stress par rapport aux situations stressantes que vivent les personnes âgées.
Question (Docteur Th. Gallarda)
Dans les aspects cognitifs et comportementaux de prise
en charge de la dépression des personnes âgées, se
posent plusieurs problèmes : comment évaluer le niveau
de détérioration cognitive éventuelle et comment faire
chez des patients ayant des troubles cognitifs démentiels
débutants ?
Réponse
Il y a une confusion entre « cognitif » et « seuil cognitif ».
En neurologie, ce qu’on appelle « cognitif », ce sont les processus d’attention, de mémorisation, alors que chez les
cognitivistes, issus des sciences cognitives ou de la psychologie cognitive, ce sont les processus de traitement des
données. L’approche cognitive des TCC se focalise donc
plus sur le traitement et la manière du raisonnement.
Pour que ces processus cognitifs existent, au sens neurologique, il faut comprendre, être capable de faire un travail dessus. Il faut reconnaître que c’est un des principes
limitants de la TCC chez les personnes âgées, mais ceci
est valable pour toute forme de psychothérapie. Du
moment que la personne a perdu sa capacité cognitive
au sens neurologique du terme, le travail psychothérapique devient extrêmement difficile.
Question (Docteur A. Galinowski)
On montre bien en laboratoire que des animaux pouvant réagir à une situation de stress, ont moins de conséquences négatives de ce stress, par exemple sur le plan
immunitaire, même lorsque leur réaction n’est pas très efficace. C’est une sorte de comportement placebo. Qu’en
pensez-vous ?
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Réponse
On utilise des approches très comportementales dans
les problématiques de stress. Depuis longtemps, aussi
bien dans les modèles animaux qu’humains, on sait que
la psychologie du contrôle est extrêmement importante.
Ainsi, chez des rats stressés par de petits chocs électriques, on active des réactions de stress biologique faciles à identifier. En fin d’expérience, il existe une différence
entre ceux qui subissent et ceux qui peuvent agir en coupant le courant à l’aide d’une manette, même s’ils ont reçu
la même quantité de stresseur (intensité, fréquence, durée
des décharges électriques). Le sentiment de contrôle de
la situation est donc fondamental.
Les approches comportementales aident la personne
à programmer des activités qui lui redonneront un sens
de contrôle. La psychologie du contrôle, au travers de programmes psycho-éducatifs, plus que psycho-thérapeutiques, permet de modifier ce sentiment de contrôle et de
redévelopper un sens plus accru de contrôle de l’existence, même illusoire. L’illusion du contrôle est plus importante que le contrôle lui-même (4).
De plus, aussi bien dans les modèles biologiques que
cognitivo-comportementaux, le stress subi est toujours
plus important que le stress agi.
Chez les sujets âgés et dans les environnements, on
peut faire en sorte que les personnes retrouvent en fonction de leurs moyens physiologiques, cognitifs et de leurs
handicaps, un sentiment d’un peu plus de contrôle de leur
existence. L’ergonomie et l’environnement des personnes
âgées travaillent sur des aspects cognitifs, c’est-à-dire sur
la perception qu’on a de l’environnement. Car pour les
cognitivistes, c’est la perception qui est plus importante
que la réalité.
Références
1. ANDRÉ C, LELORD F, LÉGERON P. Le stress. Toulouse : Privat,
1998.
2. CAPPELIEZ P, LANDREVILLE P, VÉZINA J. Psychologie clinique
de la personne âgée. Paris : Masson, 2000.
3. COTTRAUX J. Les thérapies comportementales et cognitives.
Paris : Masson, 1998.
4. GRAZIANI P, SWENDSEN J. Le stress : émotions et stratégies
d’adaptation. Paris : Nathan, 2004.
5. GREENBERGER D, PADESKY C. Dépression et anxiété : comprendre et surmonter par l’approche cognitive. Québec : Décarie,
2004.
6. LÉGERON P. La psychologie du stress et les stratégies de gestion
du stress. Annales de Cardiologie et d’Angéiologie, 2002 ; 51 : 95102.
7. LÉGERON P, VAN RILLAER J. Approche théorique des thérapies
comportementales et cognitives chez l’adulte. Psychiatrie. Paris :
Elsevier. Encyc Med Chir 1999 ; 37-820-A-40 : 6 p.
8. VÉRA L, MIRABEL-SARRON C. L’entretien en thérapie comportementale et cognitive. Paris : Dunod, 2004.