Les syndromes auto-inflammatoires
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Les syndromes auto-inflammatoires
53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER THÉMATIQUE – INSTITUT PASTEUR À TAPER Les syndromes auto-inflammatoires Marc Delpecha,* Le terme syndrome auto-inflammatoire a été proposé en 1999 par Daniel Kastner pour désigner à l’origine les fièvres héréditaires [1]. À cette époque quatre fièvres héréditaires avaient été décrites à partir des données cliniques : (1) la maladie périodique pour les Français ou fièvre méditerranéenne familiale (FMF) pour les Anglo-Saxons ; (2) le syndrome de fièvre avec hyper IgD (HIDS, hyper IgD syndrome) ; (3) la fièvre hibernienne et (4) le syndrome de Muckle et Wells. Elles se caractérisent par des poussées de fièvres récurrentes dont la durée, l’intensité et la périodicité sont variables suivant le type de fièvre héréditaire et les individus, et des signes inflammatoires, notamment au niveau des séreuses (péritoine, plèvre, synoviale). Les crises surviennent sans qu’aucun facteur déclenchant n’ait pu être caractérisé, d’où l’appellation de syndrome auto-inflammatoire. Une caractéristique de ces fièvres héréditaires est qu’elles peuvent se compliquer, dans un pourcentage variable des cas (jusqu’à 20 %) suivant les fièvres et les populations, par une amylose secondaire de type AA dont l’issue est en général fatale dans les 5 ans qui suivent le diagnostic d’amylose. Or il avait été montré en 1972 [2] que la colchicine, à la dose de 1 à 2 mg par jour, supprime les crises chez presque tous les patients atteints de FMF (qui est la fièvre où l’on observe le plus d’amylose secondaire), mais surtout supprime complètement le risque d’amylose. La colchicine est malheureusement sans effet dans les trois autres types de fièvres. Le diagnostic est donc un enjeu majeur et vital pour les patients. Or le diagnostic clinique est particulièrement difficile puisque les signes sont très communs (fièvre, douleurs abdominales et articulaires). C’est souvent l’origine ethnique et/ ou l’effet positif de la colchicine qui conduit au diagnostic de FMF. De plus cette maladie étant très fréquente dans certaines populations, dans les familles atteintes un traitement à vie est mis en place chez les enfants dès qu’ils ont mal au ventre. Disposer d’un test diagnostique était un besoin majeur et c’est ce qui a conduit au début des années quatre-vingt-dix quelques laboratoires français, dont le nôtre, à s’organiser en un consortium pour isoler le gène responsable. Ce fut un succès et le gène a été caractérisé en même temps par le consortium français et un consortium israélo-américain en 1997 [3, 4]. Le gène, appelé MEFV, est situé sur le chromosome 16 et code une a Laboratoire de biochimie et génétique moléculaire Hôpital Cochin (AP-HP) Université Paris Descartes – Institut Cochin INSERM U1016, UMR CNRS8104 123, bd de Port Royal – 75014 Paris * Correspondance [email protected] © 2011 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. protéine qui a été appelée marenostrine par les Français et pyrin par les Américains. Quatre mutations prédominantes, avec pour chacune un effet fondateur important, ont été rapportées en même temps que la découverte des gènes. Elles restent les plus fréquentes et sont retrouvées dans environ les trois quarts des cas. Au total une trentaine de mutations possibles ont été caractérisées en plus de quelques variations de séquence. Il est difficile d’affirmer que ces variations de séquence sont toutes des polymorphismes neutres, certaines pourraient avoir une responsabilité partielle dans la maladie suggérant l’existence de gènes modificateurs. Malheureusement dans un quart des cas, aucune mutation n’est trouvée, ce qui suggère qu’il pourrait exister un autre gène responsable. Après la découverte du gène il a été alors possible de mettre en place un test diagnostique qui a été proposé immédiatement par quelques laboratoires en France. Compte tenu de la très grande fréquence des hétérozygotes (jusqu’à un sur cinq chez les Juifs Sépharades) dans certaines populations méditerranéennes, des trousses permettant de rechercher les mutations les plus fréquentes ont été commercialisées. Le diagnostic moléculaire a permis de cibler le traitement chez les seuls malades qui en avaient besoin. Le problème qui persiste est que chez de nombreuses familles une seule ou aucune mutation n’est retrouvée. Il est de ce fait impossible de trancher dans ces familles car la mutation peut être complexe et se trouver dans des régions qui ne sont pas explorées, comme les introns ou les régions régulatrices. L’explication la plus vraisemblable est qu’il existe, comme déjà indiqué, une hétérogénéité génétique et donc que d’autres gènes restent à trouver. En isolant le gène, l’espoir était aussi de découvrir le mécanisme physiopathologique à l’origine de la maladie. Les espoirs furent déçus car l’analyse de la structure de la protéine n’a à l’époque conduit à aucune hypothèse. Les gènes responsables des autres fièvres ont été ensuite successivement isolés. Nous avons ainsi montré que la fièvre avec hyper IgD résulte de mutations dans le gène de la mévalonate kinase (gène MVK), une enzyme centrale dans le métabolisme du cholestérol [5]. La mutation diminue son activité (environ 10 % d’activité résiduelle) sans l’abolir. Le déficit total conduit à une autre maladie, l’acidurie mévalonique, mortelle très rapidement après la naissance. Là encore le diagnostic génétique a pu être mis en place immédiatement dans trois laboratoires en France. Il est aussi possible de doser l’activité de l’enzyme elle-même, mais ce dosage est très complexe et il faut disposer de fibroblastes, ce qui implique une biopsie de peau et une culture cellulaire. C’est ce qui explique que l’on a d’abord recours au diagnostic moléculaire, la confirmation de la diminution de l’activité de l’enzyme n’étant recherchée que si une mutation est trouvée. Mais, là encore la connaissance du gène responsable n’a pas permis de comprendre la physiopathologie. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - SUPPLÉMENT AU N°429 // 9 Dossier scientifique Le troisième gène isolé fut celui qui est responsable de la maladie qui était appelée à l’époque fièvre hibernienne, parce que décrite pour la première fois en Irlande. La découverte que la maladie résulte de mutations dans le récepteur 1 du TNF (TNFR1) [1] a conduit à un changement de son nom qui est devenu le syndrome TRAPS pour tumor necrosis factor (TNF) receptor periodic syndrome. C’est dans cet article décrivant la découverte du gène responsable qu’a été introduit le terme de syndrome auto-inflammatoire. Bien sûr le diagnostic moléculaire fut immédiatement mis en place et cette fois le mécanisme impliqué était évident puisque le TNF est l’un des acteurs majeurs de l’inflammation. La plupart des mutations sont situées au niveau ou à côté de cystéines impliquées dans des ponts disulfures et qui jouent un rôle majeur dans la structure du récepteur. Le mécanisme semble cependant différent suivant la mutation. Certaines mutations altèrent le trafic intracellulaire du récepteur, d’autres pourraient entraîner son auto-activation, d’autres enfin conduisent à une absence de coupure de la partie extracellulaire d’une partie des récepteurs. Cette fraction extracellulaire devenue libre et circulante dans le sang est capable de piéger le TNF. La diminution du nombre de récepteurs fonctionnels à la surface des cellules et la présence dans le sang de molécules capables de piéger le TNF, conduisent à une rétro-régulation de l’effet du TNF lors de la réaction inflammatoire. Le gène responsable de la dernière fièvre héréditaire connue à l’époque, le syndrome de Muckle et Wells, fut plus long à découvrir. Il s’agit du gène CIAS1 [6] qui code une protéine qui a été appelée cryopyrine. C’est avec cette découverte que le domaine des syndromes auto-inflammatoires s’est progressivement et fortement élargi. Il a ainsi été montré que ce gène est à l’origine de 3 maladies différentes suivant le site de la mutation : (1) le syndrome de Muckle et Wells ; (2) l’urticaire au froid ou FCU (familial cold-induced urticaria) ; (3) et le syndrome CINCA (chronic infantile neurological cutaneous articular) encore appelé NOMID (neonatal onset multisystemic inflammatory disease). Il a aussi été montré que d’autres gènes doivent intervenir puisqu’une même mutation peut conduire chez certains à un syndrome de Muckle et Wells et chez d’autres à une urticaire au froid. C‘est surtout l’analyse de la structure des protéines qui a été particulièrement féconde en enrichissant la famille des syndromes autoinflammatoires de nombreuses entités. Depuis le clonage du gène MEFV en 1997 les banques de données s’étaient fortement enrichies. Leur utilisation a permis de montrer que ce gène possède près de son extrémité NH2 terminale une séquence codant un domaine protéique qui a été appelée PYRIN et qui est retrouvé dans des dizaines d’autres protéines dont la plupart sont impliquées dans des phénomènes inflammatoires [7]. Le domaine PYRIN d’une protéine est capable de s’associer à un domaine identique, ou très proche, d’une protéine d’un autre type possédant aussi un tel domaine. Il s’agit donc d’un domaine d’interaction entre protéines. Il a été ensuite été montré que la marenostrine/pyrin peut s’associer au domaine PYRIN d’une protéine appelée ASC (apoptotic speck-like protein with caspase recruitmment domain) au cours de la réaction inflammatoire. Cette protéine ASC est de petite 10 taille et est simplement constituée de deux domaines : un domaine PYRIN et un domaine de recrutement des caspases appelé CARD (susceptible d’interagir avec un domaine CARD d’une caspase). À la lumière de ces donnés, le rôle de la marenostrine/pyrin dans le déclenchement de la réaction inflammatoire devient évident. En effet la marenostrine/pyrin forme un complexe avec la protéine ASC qui par son autre extrémité interagit avec la caspase-1, qui possède aussi un domaine CARD, ce qui a pour effet d’activer cette dernière. Cette caspase-1 est impliquée dans la réaction inflammatoire et dans l’apoptose. Une fois active elle transforme la pro-interleukine 1β (IL-1b) en interleukine 1b dont le rôle majeur dans la réaction inflammatoire est bien connu. Le complexe marenostrine/pyrin, ASC, caspase-1, auquel peuvent s’associer d’autres protéines a été appelé inflammasome. Il existe d’autres types d’inflammasomes, impliquant toujours une caspase, ASC et une série d’autres protéines, dont une protéine de la famille des protéines à domaine PYRIN et qui sont spécifiques chacune d’un phénomène inflammatoire particulier. Le problème non encore résolu est qu’aucune des mutations du gène MEFV responsables de FMF ne se trouve dans le domaine PYRIN. L’immense majorité d’entre elles se trouvent à l’autre extrémité de la protéine au niveau du 10e et dernier exon qui code pour un domaine B30-2, lui aussi retrouvé dans des dizaines de protéines, dont la fonction n’est pas encore connue. Un nouvel élément a cependant renforcé le modèle. En effet, le gène CIAS1, dont les mutations sont responsables du syndrome de Muckle-Wells/FCU/CINCA, comme indiqué plus haut, contient à son extrémité 5’ une séquence qui code pour un domaine PYRIN situé à une position à peu près identique à celui de la marenostrin/pyrin. Il est donc vraisemblable que cette protéine induit une inflammation suivant le même mécanisme. Mais là encore l’ensemble des mutations sont situées largement en dehors de cette région. On pense donc aujourd’hui que l’inflammation observée résulte de l’activation de la pro-IL-1β en IL1b par la caspase-1 qui interagit avec la protéine ASC associée soit à la marenostrin/pyrin soit à la cryopyrine. Il reste à expliquer pourquoi les mutations des deux gènes conduisent à une activation périodique du complexe. L’analyse de la structure de la cryopyrine codée par le gène CIAS1 a montré qu’elle contient deux domaines, appelés NBD (nucleotide binding domain) et LRR (leucine rich repeat) retrouvés aussi dans les protéines NOD1 et NOD2. Cette dernière est aussi appelée CARD15 et elle a été impliquée dans deux syndromes ayant une forte composante inflammatoire : le syndrome de BLAU (polyarthrite granulomateuse de l’enfant), et la maladie de Crohn. Ces maladies s’ajoutent donc à la liste des syndromes auto-inflammatoires, tout comme plus récemment le syndrome PFAPA (fièvre périodique, aphtose, pharyngite et adénite). Il est vraisemblable que d’autres maladies ayant des caractéristiques cliniques proches : la maladie de Behçet, la maladie de Majed, la maladie de STILL et les abcès aseptiques, rejoindront la liste lorsque les gènes impliqués seront découverts. Tout récemment s’est ajoutée la goutte puisqu’il a été montré que les cristaux d’acide urique sont capables, par un mécanisme non connu, d’induire un inflammasome en activant la cryopyrine. Dans les // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - SUPPLÉMENT AU N°429 53es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR années qui viennent, la liste s’allongera encore puisqu’il existe des dizaines de protéines contenant au moins un des domaines caractéristiques qui ont été cités : PYRIN, NBD, LRR CARD. Une recherche d’homologie montre qu’il existe dans la nature environ 750 gènes codant des protéines à domaine PYRIN, l’homme en possédant environ 150. Il existe d’autres formes d’inflammasome que celle qui a été décrite, certaine avec d’autres caspases (5 et 11) et/ou d’autres protéines et qui sont induits par une série de signaux provenant de multiples voies, par exemple celle bien connue des toll like receptor (TLR) qui joue un rôle central dans l’immunité innée. La liste des syndromes auto-inflammatoires devrait donc croître fortement dans les années à venir. Il est exceptionnel actuellement que la découverte d’un gène responsable d’une maladie héréditaire conduise à une nouvelle approche thérapeutique. Ce n’est pas le cas avec les syndromes auto-inflammatoires. En effet, même si aujourd’hui, on ne comprend toujours pas pourquoi la colchicine agit et si les mécanismes physiopathologiques ne sont que partiellement élucidés, la découverte des gènes impliqués dans les syndromes auto-inflammatoires a conduit à de nouvelles approches thérapeutiques prometteuses. Pour le syndrome TRAPS qui implique le Références [1] McDermott MF, Aksentijevich I., Galon J., MCDermott EM, Ogunkolade BW, Centola M, et al. Germline mutations in the extracellular domains of the 55 kDa TNF receptor, TNFR1, define a family of dominantly inherited autoinflammatory syndromes. Cell 1999;97:133-44. [2] Goldfinger SE. Colchicine for familial Mediterranean fever. N Engl J Med 1972;287:1302. [3] International FMF Consortium. Ancient missense mutations in a new member of the RoRet gene family are likely to cause familial Mediterranean fever. Cell 1997;90:797-807. récepteur du TNFa, les inhibiteurs recombinants du TNF comme l’etanercept (Enbrel®), étaient des candidats évidents. Les premiers essais cliniques ont démontré un effet de ces molécules chez certains patients. Le nombre de malades traités est encore trop faible pour se prononcer définitivement. De même la caractérisation des mécanismes physiopathologiques impliqués a largement démontré le rôle délétère joué par une augmentation de la production d’une cytokine, l’IL-1β. Compte tenu de cette donnée, les molécules recombinantes ayant un effet inhibiteur sur l’IL1β, comme l’anakynra (Kinerel®) étaient des candidates pour traiter les fièvres récurrentes. Les premiers résultats, notamment dans le HIDS, sont encourageants. Là encore le nombre de malades traités et le recul sont trop faibles pour pouvoir tirer des conclusions. Les syndromes auto-inflammatoires sont donc un exemple qui montre le rôle majeur des progrès des connaissances fondamentales qui conduisent à un diagnostic moléculaire et à une thérapeutique. Le rôle des laboratoires de biologie est ici central car ce sont eux qui apportent la certitude du diagnostic, élément fondamental dans la FMF, par exemple, car le traitement qui est alors mis en place peut sauver la vie des malades en empêchant la survenue d’une amylose dont l’issue est toujours fatale à moyen terme. [4] French FMF Consortium. À candidate gene for familial Mediterranean fever. Nature Genet 1997;17:25-31. [5] Drenth JPH, Cuisset L, Grateau G, Vasseur C, Van De Velde-Visser SD, De Jong JGN, et al. International Hyper-IgD Study Group: Mutations in the gene encoding mevalonate kinase cause hyper-IgD and periodic fever syndrome. Nature Genet 1999;22:178-81. [6] Hoffman HM, Mueller JL, Broide DH, Wanderer AA, Kolodner RD. Mutation of a new gene encoding a putative pyrin-like protein causes familial cold autoinflammatory syndrome and Muckle-Wells syndrome. Nature Genet 2001;29:301-5. [7] Ting JP, Kastner D, Hoffman HM, Caterpiller S. Pyrin and hereditary immunological disorders. Nature Rev Immunol 2006;6:183-95. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2011 - SUPPLÉMENT AU N°429 // 11